Débats sur la valeur (II). Le fil de discussion des « Maussiens » sur la valeur et la contribution (20-28 février 2011)

Qu’est-ce qui détermine la valeur des biens et services marchands et leur prix ? Voilà la question centrale de la science économique. Mais valeur et prix, est-ce la même chose ? Toute l’économie politique classique du XIXe siècle s’est organisée à partir de la certitude que les prix oscillent en permanence au gré des variations conjoncturelles de l’offre et de la demande mais que celles-ci gravitent autour d’une valeur fondamentale. Restait alors à identifier les déterminants de cette valeur...

Pour suivre ces débats sur la valeur, voir également les articles [>http://www.journaldumauss.net/spip.php?article777] et [>http://www.journaldumauss.net/spip.php?article780]


20 février 2011
From : Jean-louis Prat
Date : Sun, 20 Feb 2011 10:54:15 +0100
Subject : [maussiens] Une discussion Maussienne entre Paul Jorion et Dominique Temple

TEXTE À TÉLÉCHARGER :

http://www.pauljorion.com/blog/?p=21356%3Fp%3D%3Cb%3ERECIPROCITE+OU+RAPPORT+DE+FORCES+%3F+%E2%80%93+REPONSE+A+PAUL+JORION%3C%2Fb%3E%2C+par+Dominique+Temple

LA VALEUR


20 février 2011

Merci beaucoup d’avoir mis en ligne le lien avec cette remarquable et très utile réflexion qui semble particulièrement bienvenue à un moment où, pour un non spécialiste, la formation des prix sur les marchés parait plus relever du mouvement brownien et de l’avarice de tierces parties étrangères aux transactions physiques réelles que d’une logique économique et/ou sociale prenant en compte la valeur ajoutée economique et/ou sociale des produits échangés.

J’ai juste une question : si je comprends bien, un prix se définit soit en termes relatifs (troc) soit par rapport à un référent (monnaie). Quand l’état interdit le troc parce qu’il est difficilement taxable, et quand la main magique du marché supprime le référent monnaie pour en faire un produit comme les autres et multiplier ainsi à l’infini les opportunités de gagner toujours plus en produisant toujours moins de valeur ajoutée économiquement et/ou socialement utile, que peut’ il se passer qui ne soit pas dommageable à la cohésion sociale à plus ou moins long terme ?

  • Jean-Paul Vignal

20 février 2011

Merci, Jean-Louis. Oui, c’est bien sûr une discussion Maussienne fondamentale, commencée dans les numéros 9 et 10 de La Revue du MAUSS trimestrielle, avec les articles de Paul Jorion, approfondie dans le n° 3 de La Revue du MAUSS semestrielle avec un article de Paul et un de moi sur le même sujet, et dans le dernier livre de Paul Jorion, Le Prix. Il me semble que l’article de Dominique Temple pose excellemment le problème et je crois souscrire à la solution qu’il propose. En bref : si on pose que le prix est l’expression de la valeur des personnes ou des groupes sociaux, reste à savoir ce qui détermine cette valeur : un rapport de force proportionnel au nombre des personnes présentes dans la transaction (solution PJ), ou la capacité reconnue aux groupes ou aux personnes de donner. C’est la solution de Dominique Temple et aussi celle que j’esquisse (à partir du problème de la reconnaissance et non de celui de la valeur des biens) dans mon texte de « La quête de reconnaissance ». Il me semble que c’est la réponse logique d’un point de vue maussien.

  • Amitiés à tous, Alain (Caillé)

20 février 2011

Chers amis,

Ma capacité de connexion actuelle étant limitée (utilisant une liaison 3G, je me contente de lire les messages), je ne peux malheureusement accéder à ce débat.

Je me permets toutefois de signaler que j’ai abordé à ma manière ces questions dans un ouvrage intitulé « Evaluer et valoriser. Une sociologie économique de la mesure ». Il s’agit d’une série d’études de cas introduite par une introduction de ma plume et complétée par une postface de Michel Callon.

La solution que j’esquisse reprend en quelque sorte le programme de Marx, revu par le pragmatisme. La valeur doit, à mon sens, être pensée dans la production (le « travail »), mais non dans une approche abstraite du travail qui le ramène à une métrologie unique et unidimensionnelle. (C’est d’ailleurs une aporie de la démarche de Marx, car sa théorie de la valeur-travail repose en fait sur le modèle du marché de Smith ; il faut en effet que le travail abstrait soit préalablement normalisé par la « concurrence des producteurs » ; de ce fait, Marx ne parvient pas à poser la valeur comme antérieure au marché, contrairement à ses intentions affichées).

Concrètement, il s’agit pour moi de décrire les opérations métrologiques multiples et éventuellement contradictoires qui « font » la valeur, dans une « reconnaissance » (pour parler comme Alain) des choses et des personnes. Je retrouve ici, autant que je peux en juger, la démarche d’Alain, au sens où je peux penser le « faire productif » comme un « don ». A ce stade, la démarche est sociographique, au sens où j’ai tracé un cadre problématique permettant de décrire des configurations variées de production. Je n’ai pas essayé de cartographier les choses dans une théorie générale de la reconnaissance de l’agir productif. Cela peut peut-être se tenter. Avis aux amateurs ...
Amicalement

  • François (Vatin)

20 février 2011

Merci, cher François
Tu aurais un flyer, une pub, une présentation, quoi, de ton livre ?
Amitiés,

  • Alain (Caillé)

    21 février 2011

Le plus simple : je renvoie à la présentation qui se trouve sur le site Melissa de l’ENS-Cachan.
http://www.melissa.ens-cachan.fr/spip.php?article1433

  • FV

22 février 2011

Chers Amis,
Il y a outre des sociologues un nombre incalculable d’économistes qui ont écrit sur la valeur, ceux cités dans les débats et écrits convoqués ici mais aussi beaucoup d’autres dans le passé élaborant sur le juste prix entre autres ou avec la croissance ou le capital en ligne de mire comme Hicks.

Je me demande quel est le sens de la question puisque pour ce qui est important à quelques uns ou à tous, la valeur est inestimable et incomparable et pour ce qui ne l’est pas, le terme même de valeur n’a plus de sens, ce n’est plus qu’une convention opérationnelle ; toute la discussion me donne par certains côtés l’impression, quand elle a lieu, qu’elle vise à trouver comment se répartir de manière « objective » - rationnelle voire scientifique - les activités et leurs résultats, entre un ensemble de personnes (« une société ») ayant accepté une commune « définition de la mesure de la valeur » . Certains tendent à montrer que ce qui sort pratiquement comme valeur exprime ou résulte d’un rapport de force. Je me demande si le rapport de force ne commence pas par la bataille pour imposer explicitement ou implicitement telle ou telle définition de la valeur et de sa mesure - ou une grille d’interprétation de ce type de « la réalité » observée- . Pour les critiques de l’économie politique il est aussi opportun de s’occuper de chercher comment s’organiser, comment organiser la répartition des activités et de leur résultat autrement, en fonction d’une éthique communément acceptée ou de lire des pratiques observables avec une grille différente. Là je serais de ceux prêts à penser que le don n’est pas susceptible de valeur ; le don est aux antipodes de la valeur. Quand on apporte un cadeau en arrivant chez des amis au Japon, on leur donne quelque chose de bien emballé et on dit « Tsumaranai mono desu » littéralement, « c’est un truc qui ne vaut rien ». Ceux qui le reçoivent remercient et le mettent dans un coin, sans l’ouvrir. Et on échange, on discute, on rigole, en buvant un coup, en mangeant...
Comme dit quelquefois Serge, quand on a un marteau dans la tête on voit des clous partout. Cette volonté de valorisation est à la racine de l’économisme et du capitalisme. Elle déborde dans l’évaluationite universitaire et ailleurs avec le nouveau management public.

Amicalement

  • Marc (Humbert)

22 février 2011

Il y en a peut-être beaucoup mais au final le nombre de théories de la valeur est limité, car les problèmes sous-jacents sont limités, et si
aucune ne donne totalement satisfaction les enjeux politiques
sous-jacents sont bien réels

Exemple : tu dis qu’il faut laisser s’épanouir les théories de la
valeur, en quelque sorte, chacun « donnant » la sienne. Il est bien
évident que les capacités de don et de reconnaissance ne sont pas
symétriques, c’est tout de même un acquis de Marx de l’avoir montré.
Si on ne sait pas quelle est la théorie de la valeur comment peut-on
parler de rapport de force ? On ne peut pas. Donc tout le monde est
riche et tout le monde est pauvre, riche et pauvre n’ayant plus aucun
sens. On voit mal ce qu’une telle position peut apporter à la
situation actuelle, en particulier aux plus démunis. La théorie du
cadeau qui ne vaut rien vaut peut-être pour les soirées bobo
japonaises mais pas pour la crise financière 2008 ou la crise
pétrolière 2007, celle qui a contraint certains Américains à aller
manger à la soupe populaire (dont qui ne vaut rien ?) parce que leur
salaire passait dans l’essence de leur voiture

Autre exemple : François propose une sociologie de la valeur qui évite
le travail abstrait, car Marx a échoué ; certes, mais si on perd la
dimension socialisante de la valeur, le fait que quelque chose
s’échange ET fait lien social, jusqu’à l’échelle du monde, via la
division du travail, on n’explique plus grand chose des sociétés
contemporaines et pourquoi elles tiennent plutôt que s’effondrer. Ça
vide la discussion sur la décroissance de son sens puisque dans ce cas
« récession » n’a (pas) plus de sens que « croissance », qui n’en a pas non
plus. Une microsociologie de la valeur ne peut, me semble-t-il,
répondre qu’à des questions microsociologiques, et donc pas expliquer
pourquoi les sociétés modernes sont « grandes », par exemple, du coup en
creux le siècle et demi de débats passés autour de la question de la
taille des sociétés est considérée comme inutile, irrelevant comme
diraient les Anglais. On devrait donc pouvoir gouverner la France
exactement comme Sparte ou Athènes, et ceux qui objectent que la
démocratie directe n’est plus possible devraient être considérés comme
étant à côté de leur sujet. On devrait pouvoir faire du latourisme,
des « parlements des choses », tordre l’économique comme on veut, sans
provoquer de récessions ni de crises puisque tout ça n’aurait plus de
sens. En fait l’essentiel du savoir des économistes se trouverait
récusé. Je suis curieux de voir comment cette théorie de la valeur
pourrait expliquer la crise financière et celle du pétrole, dans ce
contexte. A l’inverse une discussion macrosociologique de la valeur ne
peut éviter d’introduire le « travail abstrait », qui n’est difficile à
cerner, me semble-t-il, que pour un savoir qui se veut positif. Pour
un savoir qui prend en compte les rapports de force tout est plus
simple : vu côté ouvrier, les ouvriers produisent, la nature est
source de richesses mais pas de valeur, et les capitalistes volent le
produit ; vu côté capitaliste, les ouvriers sont un coût, la nature un
simple moyen qui n’a pas de valeur en soi ; vu côté écolo, la nature
produit le plus gros de la valeur, avec le travail, et dans les
écologies politiques « critiques » le capitalisme vole le produit.

  • Fabrice (Flipo)

22 février 2011

Évidemment pour parler de valeur il faut l’avoir définie et pourquoi
parler de valeur ? Comme tu le redis quelque part à ta manière dans ton
texte pour se donner une règle [« objective » (ça je le mets en sus)] de
répartition des activités et de leurs fruits. Qui peut faire quoi, qui
peut cueillir un fruit, qui aura quoi de la récolte du champ cultivé ? Etc...
Le rapport de force concerne cette répartition (et la première violence
est la monnaie disait un autre, parce qu’elle édicte un étalon de mesure
de la valeur)
Et le rapport de force commence en voulant imposer telle conception
explicite de la valeur.
On peut très bien utiliser les prix qui se forment sur des marchés
totalement imparfaits et soumis à toutes sortes de pouvoirs (que je ne
discute pas ici) pour gérer avec de la monnaie la circulation de choses
non essentielles et sans prendre ces prix pour des « valeurs ».
Quand on est favorable à un Revenu de base inconditionnel (RBI)
l’utilisation d’un signe monétaire pour le dire est strictement
instrumental, l’objectif est l’accès de tous au partage des fruits du
travail au sein d’un groupe qui met en place ce RBI, il le fait par ce
que c’est ça une des choses qui comptent, qui ont de la valeur ( non
mesurée et non mesurable) pour les membres de cette communauté et que
cela correspond à leur éthique commune.
Mon exemple japonais ne concerne pas les bobos, cela se fait même entre
les sans abris de Tokyo qui vivotent biologiquement de soupe populaire.
Amicalement

  • Marc (Humbert)

22 février 2011

Chers amis,

Je pense m’être mal fait comprendre dans cette évocation trop rapide de mon ouvrage, ou plutôt de notre ouvrage collectif.

Mon objet n’est pas tant la « valeur » que la « valorisation ». De même qu’E. Hughes est passé de l’idée de « profession » à celle de « professionnalisation ».

L’enjeu, central à mon sens, est de dépasser la topique du marché comme espace exclusif de constitution de la valeur, de montrer que la sanction marchande ne fait que conclure, provisoirement, un ensemble d’évaluations qui se jouent sur des scènes multiples, avec des métrologies qui ne se limitent pas au prix.

C’est en ce sens que je retrouve la question de Marx, qui s’oppose à la pensée « libre-échangiste vulgaire » qui ne voit que le marché, pour pénétrer dans le « laboratoire secret de la production ». Mais sa résolution du problème par la théorie du travail abstrait me paraît fallacieuse, parce que, comme je l’ai évoqué dans mon courrier précédent, à bien y regarder, elle repose sur un modèle de marché.

Autrement dit, ce qu’il faut à mon sens éviter, c’est la recherche d’une matrice homogénéisante. En ce sens, le modèle Ricardo-Marx-Sraffa, à la mode dans les années 1970, ne diffère guère du modèle Bastiat-Walras-Arrow-Debreu. Il établit un équilibre abstrait, punctiforme, à faible capacité descriptive.

C’est en ce sens que je m’opposerais à la topique du « rapport de force », si on l’entend au sens d’une mécanique abstraite du marché, version Debreu, ou version Sraffa.

Dans la démarche que je suggère, épistémologiquement sociologique, il s’agit de suivre les acteurs économiques à l’oeuvre, sur comme hors le marché, dans les processus effectifs de mesure de la valeur des personnes et des choses sans projeter sur eux une valeur déjà faite. Ces relations sociales observables sont assurément faite de « rapports de force » au sens ordinaire du terme, mais aussi de reconnaissance réciproque, de recherche de communes mesures, etc. Il n’y a pas là à choisir entre une optique irénique et une optique agonistique. Les deux sont étroitement associées, comme Smith déjà l’avait montré sur la scène marchande.

Si j’ai évoqué les idées de don et de reconnaissance, qui ne figurent pas en tant que telles dans ma propre construction théorique, c’est pour évoquer une voie de passage entre cette approche et celle d’Alain. Je pense effectivement que le travail, pensé comme acte productif, peut s’interpréter en termes de don, au sens où il n’est pas réductible à une contrepartie monétaire. On retrouve bien là une idée force de Marx, malheureusement souvent mal comprise à ce sujet (voir ma conférence sur Marx qui figure dans la RDMP). Pour Marx, le travail créateur (ce par quoi l’homme se transforme en transformant le monde) n’est pas réductible à sa forme économique (le « travail abstrait »), a fortiori à sa forme marchande (la « force de travail »). Mais, en posant la théorie de la valeur comme faite (le « travail abstrait »), Marx, et surtout beaucoup de ses épigones ont été rattrapés par l’économicisme. Une théorie économique marxiste logiquement complète ne diffère guère alors de la théorie néoclassique.

En évoquant, à la suite d’Alain, les idées de don et de reconnaissance, il ne s’agit pas pour moi d’opter pour l’irénisme contre l’agonistique. L’enjeu de mon propos n’est donc pas de choisir entre conflit et consensus, mais de dépasser la scène marchande et de penser la dynamique sociale et non l’équilibre mécanico-économique. C’est pourquoi je parlais de Marx revisité par le pragmatisme.

Une étape ultérieure, que je suggérais dans mon précédent courrier, est de tenter de dépasser cette série de sociographie sur laquelle est construite notre ouvrage collectif, pour tenter de mettre en ordre les modes de cette valorisation. Mais, à mon sens, une telle démarche ne devrait pas viser à la complétude, car on retomberait dans l’économicisme.

Comme je l’ai dit un jour à André Orléan qui m’interrogeait sur le sujet, la frontière est pour moi simple entre l’économie et la sociologie : l’économiste privilégiera toujours la cohérence du modèle sur l’intelligence des faits, le sociologue l’intelligence des faits sur la cohérence du modèle.

En espérant ne pas vous avoir ennuyé avec ces explications.

  • François (Vatin)

22 février 2011

Le marché n’est évidemment pas l’espace exclusif de constitution de la valeur. Je me permets d’ajouter mon grain de sel dans cette discussion sur la valeur avec un court extrait de mon dernier livre.

  • Jacques T. Godbout

La valeur dans le don

Dans le cadre de la circulation marchande des choses, les économistes distinguent la valeur d’usage et la valeur d’échange. La valeur d’usage exprime l’utilité de ce qui circule pour le receveur. La valeur d’échange compare les choses qui circulent indépendamment des autres valeurs. La circulation par le don oblige à tenir compte d’un troisième type de valeur, qu’on peut appeler la valeur de lien. La valeur de lien exprime l’importance de la relation qui existe entre les partenaires, l’importance de l’autre indépendamment de ce qui circule. « Les choses ont encore une valeur de sentiment en plus de leur valeur vénale », écrit Mauss [1] qui a montré l’importance, dans le don, de la négation des autres valeurs de ce qui circule. Pour Mauss, « la rivalité anti-utilitaire, l’affichage du désintéressement par sacrifice de l’utile permettent précisément d’afficher cette valeur intrinsèque du lien » [2]. La valeur de lien s’affirme et se met en évidence en s’opposant aux autres valeurs de ce qui circule, ou en les utilisant. Elle se construit sur la négation partielle de la valeur d’échange et de la valeur d’usage s’appliquant à ce qui circule.

Ce que Mauss a constaté pour le don archaïque demeure vrai aujourd’hui. Donnons-en quelques illustrations extrêmes. Lorsqu’un fiancé offre une bague en or, c’est normalement pour exprimer l’intensité du lien. Mais plus la bague a une valeur d’échange élevée, plus elle exprime le lien, sans toutefois que cette relation soit linéaire. En effet il peut fort bien arriver que la valeur d’échange élevée de la bague serve à cacher un lien pauvre, et qu’une bague à faible valeur d’échange exprime le lien plus intensément, parce qu’elle a été choisie en parfaite connaissance des goûts du receveur.

La valeur d’échange n’est donc pas neutre. La valeur d’usage peut également exprimer fortement la valeur de lien : « Mais comment savais-tu que j’avais tellement besoin de cet objet ? » s’exclame, ravi, le bénéficiaire d’un cadeau, exprimant ainsi la grande valeur de lien qu’il accorde à la valeur d’usage de ce cadeau. Inversement, les Petits Frères des pauvres ont pour devise : « Des fleurs avant le pain. » Ils expriment ainsi l’importance qu’ils accordent à la valeur de lien en niant la valeur d’usage.

L’esprit contractuel et marchand tend à exclure cette valeur de lien. Illustrons cette affirmation en partant d’un débat chez les juristes, puis chez les économistes.

La promesse légale

Pour de nombreux juristes, une promesse de don devrait être exécutoire (enforceable). Ce serait même, pour certains auteurs, la preuve du caractère sérieux, non frivole, d’une telle promesse [3]. Ces juristes considèrent que si une promesse de don n’est pas légalement obligatoire, elle dévalorise le don et montre que la société n’attache pas d’importance au don. Mais, pour Eisenberg, c’est tout le contraire qui est vrai. C’est en rendant la promesse obligatoire qu’elle la dévaloriserait parce que, ce faisant, elle empêcherait le don d’exprimer la valeur de lien en faisant comme si cette valeur fondée sur l’attachement, l’amour, la compassion, la solidarité, était si faible qu’il faille la rendre légalement obligatoire. «  C’est justement parce que ces valeurs sont absentes dans le monde appauvri du contrat que la loi doit y jouer un rôle central. » [4]

La valeur monétaire

Le modèle économique ne considère pas la valeur de lien. C’est ce qui conduit Webley [5] à privilégier les cadeaux en argent aux cadeaux «  in kind », après avoir constaté que le receveur recevrait plus (en valeur monétaire) s’il préférait cette forme de cadeau. Un autre économiste [6] part du principe que le mieux que puisse faire un donneur de cadeaux, c’est d’acheter ce que le receveur lui-même aurait acheté avec la même quantité d’argent. Mais la plupart de temps, il fera moins bien, et le cadeau en nature entraîne donc, conclut-il, un gaspillage de valeur qu’il estime se situer entre 4 et 13 milliards de dollars aux États-Unis en 1992. Quel gaspillage, en effet ! Il peut cependant arriver, exceptionnellement, que le donneur connaisse mieux que le receveur ses préférences. Dans ce cas, « il est possible pour le don de créer, au lieu de détruire, de la valeur » [7].

Waldfogel conclut que le cadeau « en nature » détruit de la valeur marchande et de la valeur d’usage et qu’il serait donc préférable de faire des cadeaux en argent. Mais en faisant ce raisonnement, il oublie la principale raison d’être du cadeau : la valeur de lien. En fait il ne l’oublie pas, il décide volontairement de l’exclure, car, dans le questionnaire utilisé pour en arriver à ce résultat, Waldfogel demande aux receveurs combien ils seraient prêts à payer pour les cadeaux qu’ils ont reçus, en spécifiant à chaque fois : « En excluant toute valeur sentimentale au cadeau… » [8] Il demande donc explicitement aux répondants de ne pas tenir compte de la valeur de lien. En évacuant ce pour quoi le donneur fait le choix de cadeaux en nature – leur valeur de lien –, il est facile de conclure à un « gaspillage » tel qu’un cadeau en argent serait préférable.

L’importance de la valeur de lien rend le rapport de don radicalement différent du rapport marchand. Elle explique par exemple que le receveur accorde une grande importance au fait que le donneur devine ce qu’il souhaite recevoir. Voilà un comportement parfaitement irrationnel dans le modèle marchand, et plus généralement dans tout rapport producteur-usager. L’histoire des Magi illustre de manière extrême cette valeur de lien opposée à la valeur d’usage. Dans cette nouvelle de O. Henry [9], le don fait à l’autre rend parfaitement inutile le cadeau reçu de lui. En effet, Jim vend sa montre en or pour acheter à sa sœur une broche pour tenir ses longs cheveux pendant qu’elle, de son côté, se fait couper les cheveux pour pouvoir acheter une chaîne en or pour la montre de son frère. Le don reçu n’a plus aucune valeur d’usage, l’utilité ayant été rendue inutile pour faire le don à l’autre ! C’est pourquoi « chacun a donné beaucoup sans rien recevoir d’utile. Mais Jim dit à Della que leurs cadeaux sont “trop beaux pour être utilisés” » [10].

C’est dans ce contexte que le don en nature a une plus grande valeur que l’argent, et que le don a une plus grande valeur que les autres modes de circulation des choses. Autrement dit, la valeur de lien n’est pas dans un rapport de neutralité avec les autres valeurs. La valeur de lien peut s’exprimer à l’aide de la valeur d’usage, et même de la valeur marchande, mais elle peut aussi la nier. Elle se construit sur ces autres valeurs.

  • (Jacques T. Godbout)

23 février 2011

Bonjour

Je ne crois pas être en désaccord avec ce qui m’a été répondu, à ce niveau de généralité bien sûr il serait difficile de l’être. C’est donc moi qui n’ait pas été très clair. Ce que je voulais pointer du doigt est l’absence, dans ces réponses, de liens explicites d’une part avec les problématiques classiques de philosophie politique d’autre part avec les enjeux contemporains. Du coup les projets proposés semblent d’une part ambitieux (« reprendre Marx ») mais difficiles à situer, donc risquant l’isolement et l’incompréhension, et d’autre part déconnectés des enjeux contemporains (quels liens avec l’économie sociale et solidaire ? avec les mouvements ouvriers ? écolo ? avec l’histoire ? etc.).

La diversité du « faire productif » a été largement exploré par le socialisme utopique, par exemple, est-on en train de réactiver cette approche ? Auquel cas il ne serait pas intéressant de reprendre quelques objections classiques qui lui ont été faites, par exemple. Par ailleurs la théorie de la valeur de Marx n’a pas beaucoup de sens sans la subjectivité ouvrière qui va avec, si on l’ôte évidemment tout devient « mécanique » - idem de la théorie néoclassique, le rôle de l’entrepreneur, la cosmologie sous-jacente aux thèses de Romer, etc.
Bonne journée

  • Fabrice (Flipo)

23 février 2011

Je ne suis pas sûr de bien comprendre la discussion. Qui portait au départ non sur ce qui fait valeur en général, mais sur la théorie de la valeur au sens de l’économie politique classique (et marxiste) : qu’est-ce qui détermine la formation des prix sur le marché ?

  • Alain (Caillé)

23 février 2011

Mon interrogation générale et qui pourrait faire un beau sujet pour le séminaire que je signalais est dans le fil de celle d’Alain. Quel rapport peut-on établir entre les épopées de la théorie de la valeur au sens économique, d’une part, et du concept de valeur en sociologie et en anthropologie d’autre part ?
Existe-t-il déjà des travaux sur cette question ?

  • Sylvain Pasquier

23 février 2011

A mon sens l’ouvrage de référenc est celui de David Graeber, « Toward an anthropological Theory of Vaule » qui tenter d’articuler la valeur au sens de la théorie économique, la valeur au sens linguistique (saussurien), et au sens ethnologique (culturaliste) dans une perpective marxo-maussienne. A bit hard cela dit...
Amitiés,

  • Alain (Caillé)

23 février 2011

La discussion portait sur le travail abstrait au sens de Marx, lequel est déterminé par la dynamique de la valeur. Ça explique l’ordre social moderne, en bonne partie, et de manière plus secondaire, les prix. Mais de manière plus secondaire, même si c’est ça qui a ensuite passionné les économistes - et causé la perte, à mon avis, du marxisme. Marx a peut-être échoué sur les prix, mais en rester là c’est quand même oublier le reste, qui a été repris notamment par Jacques Bidet, ou bien d’autres quand on s’est intéressé aux Grundrisse (« l’intellect général » et la question de l’organisation, véritable origine de la valeur, si on peut dire, et non l’échange, qui n’en est qu’un aspect).

A partir de là ce que je dis est qu’il est dommage de reprendre la discussion (de la valeur) sans l’insérer dans une discussion de la modernité, d’une part, et sans la situer par rapport aux mouvements sociaux, de l’autre, car c’est nécessaire si on veut penser une alternative (mais peut-être n’est-ce pas le cas) ou même plus modestement les dynamiques contemporaines autour des « nouveaux indicateurs de richesse », par exemple.

  • Fabrice (Flipo)

23 février 2011

Mon objectif n’est pas de « reprendre » Marx, encore moins de le juger, mais de faire de la sociologie (ici économique), c’est à dire (pour moi) de rendre intelligible des configurations singulières en atteignant, autant que faire se peut, un certain degré de généralité (principe d’« économie de la pensée » de Mach). En l’occurrence, effectivement, comprendre la genèse des prix marchands.

Je me réfère à Marx, parce qu’il a affirmé, plus clairement que quiconque, la nécessité pour cela de porter son regard en amont du marché. C’est là, je crois, un utile rappel, parce que toute la théorie économique moderne se limite au marché, et que, de plus, la « nouvelle » sociologie économique a adopté une topique similaire en se constituant, pour l’essentiel, en sociologie des marchés. Je ne suis pas en revanche Marx sur sa solution du problème pour des raisons que j’ai déjà évoquées et sur lesquelles je ne reviendrai donc pas.

Une telle démarche conduit toutefois à mon sens à penser l’articulation entre la valeur économique et le concept plus général de valeur, si, toutefois, on l’aborde sur un mode non-normatif, mais « positif », redevable de l’enquête : ce à quoi les sujets sociaux accordent de la valeur...

La question qui se pose alors est celle de la quantification. Peut-on, en adoptant une définition anthropologique de la valeur, raisonner « en plus ou moins »...Ou, autrement dit, ce raisonnement en plus ou moins est-il propre à la valeur économique qui serait en ce sens étrangère au monde des valeurs sociales ?

Cette question avait fait l’objet d’un échange vigoureux lors d’un colloque organisé à Nanterre entre Arnaud Berthoud et François Eymard-Duvernay. Arnaud Berthoud posait « la valeur » comme un idéal platonicien, irréductible à toute mesure. François Eymard-Duvernay, dans une démarche proche de la mienne, récusait une opposition aussi tranchée. (J’ai eu une nouvelle très intéressante discussion à Lille avec Arnaud Berthoud sur ce sujet).

La question peut se poser dans les termes de Max Weber : la distinction entre la « rationalité en valeur » (irréductible au calcul) et la rationalité en finalité (celle de la raison calculatoire). Dans « Le lait et la raison marchande » (1996), j’ai soutenu que l’on pouvait définir la rationalité en valeur comme un cas limite de la rationalité en finalité : il suffit de donner une valeur infinie à la fin, pour qu’elle mérite d’être poursuivie à quelque coût que ce soit. Mais je pense qu’aucune fin n’a, en pratique, de valeur infinie à long terme. Le « réel » vient alors percuter les « valeurs », ce qui permet de penser le changement social.

  • François (Vatin)

24 février 2011

Remarques plus concrètes pour d’autres éclairages.
Cela peut être intéressant pour comprendre la genèse de la formation effective des prix sur les marchés de regarder par exemple la formation des prix des matières premières alimentaires : voir aujourd’hui la chaine qui va du dérèglement climatique aux feux de foret en Russie puis l’interdiction d’exportation du blé, au renchérissement des denrées partout dont en Afrique du Nord et aux mouvements sociaux qui s’y déroulent
Autre exemple : la formation des taux de change un des rares endroits, sur une Bourse où la formation des prix ressemble tant soit peu à « la loi de l’offre et de la demande », on échange 4 000 milliards de dollars par jour ce qui est des centaines de fois le nécessaire aux transactions internationales (de marchandises ou de capitaux) et ses diverses conséquences sur l’Euro, la Grèce et d’autres
Le prix « fixe » des théories n’est même pas un prix tendanciel, la volatilité des prix à l’échelle globale est vécue au niveau individuel :
quel est le prix d’un billet d’avion en classe économique de Paris à X, Quel est le prix de la minute de communication de téléphone mobile entre R et .., quel est le prix d’un litre d’eau du robinet ? Aucun ajustement à un croisement qui serait l’intersection d’une courbe d’offre et de demande si quelqu’un arrivait à démontrer qu’on peut les calculer. Il a d’ailleurs été démontré de manière incontestable que c’est impossible.
Il faut qu’un gouvernement décide que le livre sera vendu le même prix dans toutes les librairies et tous les supermarchés pour qu’on y change quelque chose ; qu’une même chose est « un prix unique ».
Cela a peut être quelque chose de platonicien.
Bien amicalement

  • Marc (Humbert)

24 février 2011

Mais qui sont « les sujets sociaux » ?... les entrepreneurs ne vont évidemment pas évaluer les choses de la même manière que les ouvriers, par exemple, ni que les écologistes. De plus parle-t-on du rôle professionnel ou du rôle consommateur ? Maintenant on peut récuser tout groupement et chercher à se baser sur l’homme moyen, mais alors ça revient à vouloir « percer le secret de la valeur », dans l’absolu.
Je doute qu’on puisse le faire sans prendre en compte les spécificités des sociétés modernes, à nouveau. Plus encore, je doute que ces distinctions intéressent Callon, pour qui la sociologie de l’homme moyen suffit, gommant ainsi les antagonismes.

De plus on pourrait contester que Marx aie échoué dans une théorie de la valeur qui soit antérieure au marché. Si on considère que Marx n’a parlé que du marché, n’a fait la théorie que du marché, capitaliste, dès lors il n’a proposé qu’une théorie de la valeur du marché capitaliste, ce qu’il n’a pas résolu c’est deux choses : la valeur au sens capitaliste, finalement, contrairement à ses intentions affichées, en effet - mais le marginalisme ne l’a pas résolue non plus, la théorie des préférences révélées permet simplement de laisser tomber la question, par de la résoudre -, et le problème d’une alternative à cette valeur, quelque chose qui permette de fonder une société postcapitaliste (abolition de la valeur au sens capitaliste), et non « antérieure au marché ». Ces deux échecs sont fort différents,me semble-t-il, de même que les réponses qui sont données de nos jours à ces deux questions. De la première tout le monde se désintéresse, grâce à la théorie des préférences révélées. Callon me semble faire quelque chose de ce genre : une socioéconomie des préférences révélées ; la dimension sociale est ajoutée mais on reste dans la préférence révélée, donc l’enjeu principal est un débat académique entre sociologues et économistes car, comme le suggère Bidet et d’autres, Marx lui-même avait bien conscience que la dynamique de la valeur est socioéconomique (dimensions du marché mais aussi de l’organisation), même s’il échoue à le mettre clairement en évidence - ce qui explique que les alternatives fondées sur l’abolition du marché n’aient pas aboli la valeur. De la seconde il existe plusieurs solutions, Negri, Postone etc.

Bref, et ce sera mon dernier message à ce sujet, pour ne pas plus encombrer la liste, le sujet m’intéresse mais je vois mal le cadrage théorique d’une part, et le lien avec les mouvements sociaux, de l’autre, alors que ces deux points me semblent importants pour tout travail de ce genre.

  • Fabrice (Flipo)

24 février 2011

Deux mots rapides pour ne pas non plus encombrer cette liste.

1. Pour Fabrice : bien sûr, les sujets sociaux sont inégaux dans leur capacité à déterminer les valeurs. Mais je ne pense pas que la dissymétrie soit à penser dans un rapport 0/1 contrairement à des modèles sommaires de « sociologie de la domination ». Seule l’investigation concrète peut montrer comment ce pouvoir d’évaluation est (inégalement) distribué. Qu’on veuille bien excuser les relents crozériens de cette formule.

2. Pour Marc : assurément aussi, un même bien n’a pas une valeur homogène. Cela fait partie des éléments de la question. L’énoncé est gênant pour les théologiens du marché, puisque l’unicité du prix est un élément essentiel de leur dogme. Ce n’est pas en soi un problème dans le cadre d’une sociographie de la genèse des valeurs économiques.

  • François (Vatin)

25 février 2011

Bonjour,

J’ai suivi avec beaucoup d’attention le fil maussien des derniers jours sur la valeur. Merci à tous les intervenants. Je suis particulièrement intéressé par la question plus spécifique de la *création de la valeur économique* dans le mode de production contemporain fortement marqué par la présence des *technologies numériques*. Il me semble que nous pouvons identifier au moins deux caractéristiques singulières de ce mode de production numérique.

D’une part, le bien informationnel n’est pas tout à fait une marchandise comme les autres puisque je peux le vendre ou le donner et en même temps, je le conserve (exemple : je distribue un fichier mp3 mais il est toujours sur mon disque dur). D’autre part, Internet a généré au fil du temps une véritable « culture de la contribution » qui rend obsolète toute réflexion sociologico-économique qui ne prendrait en compte que les seules valeur d’usage et valeur d’échange pour saisir comment est créée la valeur économique dans le mode numérique. En ce sens, la « valeur de lien » suggérée par Jacques T. Godbout est intéressante pour cerner ce phénomène de la contribution cognitive en ligne (exemple : j’évalue / je commente un resto, un livre, un bien de consommation, etc. et je diffuse cette information via des plateformes internet). Les « collectifs en ligne » (appelés aussi - mais abusivement - « communautés virtuelles ») sont en quelque sorte un nouveau support social permettant de générer cette « valeur de lien ».

Ce que je trouve fascinant c’est que plusieurs de ces « dons de commentaires » ou de ces « dons d’information » sont pratiquement anonymes, donc ils n’appellent pas de contre-partie directe. Ce sont des dons pour le plaisir, des dons qui sont faits simplement pour le plaisir d’appartenir à un collectif (qui pratique l’échange). D’ailleurs, de manière plus ou moins engagée : il y aurait une répartition / oscillation des contributeurs entre un pôle de « l’engagement communautaire » où le contributeur se sentirait plus engagé au regard de la finalité affichée du collectif, et un pôle du « simple plaisir d’être connecté en réseau » où le contributeur laisserait son don d’information mais en ne s’identifiant que faiblement aux objectifs de la plateforme. C’est ici un contributeur nomade qui croise telle ou telle plateforme au fil du hasard de ses explorations.
Amicalement

  • Serge Proulx

25 février 2011

Merci, Serge, c’est bien intéressant. Je me demande s’il n’y aurait pas un lien à développer avec les Grundrisse de Marx, qui ne serait pas seulement une resucée du débat sur le General Intellect, mais se centrerait précisément sur la création de valeur. Plus généralement, je trouve la discussion globale qui s’esquisse bien intéressante même si (ou parce que) elle part un peu dans toutes les directions. Ca vaudrait la peine, je crois, de la mettre sur la RDMP. Mais il faudrait recoller tous les morceaux. Je n’arrive pas à le faire facilement et manque trop de temps. S’il y avait un volontaire...
Amitiés à tous,

  • Alain (Caillé)

26 février 2011

le temps et la vie ne peuvent être produits et sont une richesse ....
rare !
amitié

  • Marc Humbert

THÉORIE CONVIVIALISTE DE LA CONTRIBUTION


26 février 2011

Une excellente manière d’aborder le sujet est de prendre sous un angle différent que celui en termes d’économie de l’échange ou de la répartition ou de la production : les pékéistes Philippe Béraud et Frank Cormerais viennent de publier un texte sur une théorie de la contribution (théorie convivialiste de fait) sous le terme d’économie de la contribution ((Innovations, 2011/1), qui permet de bien éclairer les questions soulevées par Serge Proulx. Je ne sais si le pdf passe sur la liste.
Le message précédent était une réaction au manque de temps signalé par Alain. Bien à vous

  • Marc Humbert

26 février 2011

Je ne vois pas bien a priori la différence entre production et contribution ...

Par ailleurs, Jean-Baptiste Say distinguait déjà dans sa discussion avec Ricardo « richesses naturelles » et « richesses produites ». Il y a derrière cette question tout le problème de la contribution de la nature à la constitution de la valeur économique, soit la question écologique.

  • Vatin

27 février 2011

C’est déjà fait, Negri, Hardt, Moulier-Boutang ont fait ce lien - qui
ne me semble pas très convaincant, pour différentes raisons, j’en
citerai trois : 1/ beaucoup d’études portent sur la production en
ligne, très peu portent sur la lecture/consommation ; or pour qu’il y
ait lien il faut des lecteurs, pas seulement des producteurs 2/ la
production numérique, par son apparente facilité d’accès, atténue
certaines inégalités mais en renforce d’autres, regardez les pages
« afrique » sur wikipédia, désespérément vides... exemple aussi des
sites de commentaires qui ont été envahis par de faux commentaires
intéressés (commercialement parlant), du financement fréquent par la
publicité qui laisse un petit peu songeur quand au contenu du message
ubiquitaire que véhicule le web... si on prend au sérieux les
publicitaires, qui ne dépensent pas de l’argent de manière inefficace
3/ en général ces approches s’intéressent peu à la dimension
matérielle du support, énergie, déchets etc. dont l’étude dévoile une
autre forme de lien.

  • Fabrice Flipo

27 février 2011

http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/53/03/73/ANNEX/IC08_transparents-atelier.pdf

Economie de la contribution est développé par Stiegler et Yann
Moulier-Boutang notamment. On contribue volontairement, on produit en
étant forcé, il y a là derrière l’idée fouriériste d’une harmonie des
passions possible. Ce qui n’est pas bien expliqué, c’est comment on
est rémunéré...

Côté théorie écologique de la valeur économique, la référence est
Costanza-Odum et Robert Ayres, ce dernier ayant calculé que le "résidu
de Solow" est justement la contribution/le travail/l’exploitation de
la nature, qui explique 80% de la valeur ajoutée (je dis ça de
mémoire). Les trésors d’imagination en matière d’organisation de la
production ne peuvent remplacer la compacité énergétique du pétrole,
d’ailleurs aucun pays ne s’est jamais développé sans pétrole. Le
passage à discuter dans Marx est celui qui est relatif à la plus-value
relative : l’emploi de machines ajoute de la valeur. Marx dit que les
machines sont « du travail accumulé » mais une telle expression est peu
expliquée, elle est à mettre en lien avec l’idée que le capitalisme
n’existe qu’avec la grande industrie. Sous cet angle l’économie de la
contribution se situe dans le prolongement du capitalisme classique.

  • Fabrice Flipo

Quoting « Vatin, François »  :

> Je ne vois pas bien a priori la différence entre production et contribution...


27 février 2011

J’avais bien compris le sous-entendu. Mais il suffit de dire que l’on ne produit pas « que » parce que l’on est « forcé ». Il faudrait s’entendre d’ailleurs sur le sens de « forcer ». Distinguer la part libre de la part contrainte de toute activité sociale ne m’a jamais paru évident.

  • F. Vatin

27 février 2011

C’est pour ça que je signalais que la question de la rémunération est
peu claire dans leur démonstration. J’ai l’impression qu’on parle de
gens qui d’une manière (salaire) ou d’une autre (minimas sociaux,
allocs) ont un revenu qui n’est pas lié à l’activité étudiée, ou que
ce sont des revenus intermittents (de type artiste). Bref c’est un cas
assez particulier et je doute qu’on puisse en faire un "nouveau modèle
économique" - mais les partisans détaillent peu ce point...

  • Fabrice Flipo

28 février 2011

« je doute qu’on puisse en faire un »nouveau modèle économique« - mais les partisans détaillent peu ce point... », dit Fabrice.
I agree.

  • Alain Caillé
// Article publié le 8 mars 2011 Pour citer cet article : RDMP , « Débats sur la valeur (II). Le fil de discussion des « Maussiens » sur la valeur et la contribution (20-28 février 2011) », Revue du MAUSS permanente, 8 mars 2011 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Debats-sur-la-valeur-II-Le-fil-de
Notes

[1Mauss, Sociologie et anthropologie, p. 258.

[2Caillé, Dé-penser l’économique, p. 158.

[3Yorio et Thel, 1991, cité par Eisenberg, « The World of Contract and the World of Gift », p. 852 sq.

[4Ibid., p. 849.

[5P. Webley, S.E.G. Lea, et R. Portalska, « The Unacceptability of Money as a Gift », Journal of Economic Psychology, 4, n° 3, 1983.

[6Joel Waldfogel, « The Deadweight Loss of Christmas », The American Economic Review, 83, n° 5, 1993.

[7Ibid., p. 1330.

[8Ibid., p. 1331.

[9O. Henry, « The Gift of the Magi », in E. Current-Garcia et W.R. Patrick (éd.), What Is the Short Story ?, Glenview (Illinois), Scott, Foresman & Co., 1974 (1905), p. 296-301. Anspach présente un excellent commentaire sur cette nouvelle de O. Henry, où on y apprend notamment l’histoire passionnante et combien pertinente de cet auteur (Mark R. Anspach, À charge de revanche, Paris, Seuil, 2002, , 2002, p. 111-112).

[10Anspach, À charge de revanche, p. 108.

Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette