Bibliothèque du Mauss. Brèves de lectures (n° 29, 1er sem. 2007)

Les notes de lecture de la Revue du Mauss parues au cours des trois dernières années. Ci-après les « notes » du n° 29 (« Avec Karl Polanyi, contre la société du tout-marchand »).

  • Généreux Jacques, La Dissociété, Le Seuil, 2006, 446 p., 22 €.
    (par Philippe Chanial)

Voilà, enfin, un ouvrage ambitieux. Économiste bien connu et professeur à Sciences po, membre du conseil national du Parti socialiste, Jacques Généreux ne propose pas moins qu’une critique anthropologique des fondements propres au néolibéralisme contemporain, une analyse des conséquences de son hégémonie – la restructuration des sociétés de marché en « dissociétés » – et l’esquisse d’une anthropologie alternative propre à inspirer un socialisme libéré tant de son fantasme d’une « hyper-société » collectiviste et productiviste que de la « dérive néolibérale » de la gauche européenne depuis les années 1980. Une question, faussement naïve, constitue le fil conducteur de cette enquête : « Pourquoi et comment des millions d’individus persuadés que la coopération solidaire est cent fois préférable à la compétition solitaire restent-ils impuissants à refonder sur elle leur système économique et politique ? »

Généreux suggère à la fois de démontrer la fausseté de l’anthropologie implicite du néolibéralisme et de démonter les ressorts de son emprise pratique sur nos représentations du monde, de nous-mêmes et d’autrui. À l’évidence, ces deux aspects sont liés. Si le néolibéralisme nous parle, c’est en raison du fait qu’il est « l’enfant naturel de tous les discours politiques jumeaux dont a accouché la modernité ». En ce sens, il y a là moins une « révolution culturelle » qu’une « involution » de l’individualisme, de l’économisme, du déterminisme et du productivisme dominants dans les principaux courants de la pensée moderne. Si le néolibéralisme passe si aisément, c’est bien qu’il prolonge la conception de la nature humaine et de la société la plus commune dans la pensée occidentale. Poussant à l’extrême l’idée moderne de l’individu « rationnel », les néolibéraux identifient rationalité et égoïsme absolu : l’individu cherche et calcule toujours, partout, uniquement et obsessionnellement son intérêt – l’entrepreneur en quête de marché, l’ami généreux en quête de reconnaissance, mais aussi le délinquant, balançant les coûts et les bénéfices de son forfait, ou le RMIste, arbitrant entre la perte de sa CMU et son retour sur le marché de l’emploi. Cette anthropologie utilitariste ouvre ainsi à une singulière « histoire naturelle de l’humanité », justifiant l’état de guerre économique mondial comme une lutte inévitable entre des êtres non seulement doués pour la compétition, mais naturellement prédateurs et agressifs. Elle justifie également une étroite conception de la société identifiée à un contrat d’association utilitaire entre des individus par nature dissociés et égoïstes. Des individus qui n’ont pas besoin des autres pour être eux-mêmes, mais pour satisfaire leurs intérêts mieux qu’ils ne pourraient le faire en restant isolés. Bref, non seulement ces individus autosuffisants pourraient exister sans lien, mais la société elle-même ne créerait aucun lien, seulement des connexions dans un réseau d’échanges. Une arithmétique simple régirait ainsi la vie sociale : ou bien chacun reçoit l’exact équivalent de ce qu’il donne et c’est là la seule justice – la justice comptable du donnant-donnant – ou bien certains reçoivent plus qu’ils ne donnent, et ceux-là, quels que soient les noms par lesquels on les désigne, sont des assistés, des parasites. D’où notamment cette rhétorique néolibérale du « on n’a rien sans rien » qui vient progressivement substituer le workfare au welfare.

La contre-anthropologie que mobilise Généreux avance sur un terrain bien connu et bien balisé par la Revue du MAUSS dont il mobilise les travaux, comme ceux de nombreux ethnologues (Salhins, Hoccart, Polanyi), paléo-anthropologues (J. Cauvin), psychologues (Damasio, Cyrulnik), éthologues (de Waal) et théoriciens de l’évolution (Pelt, Picq). Il renoue ainsi avec toute une tradition intellectuelle que le matérialisme historique marxien avait enterrée et ridiculisée, avec ce projet d’un fondement indissociablement anthropologique et moral du socialisme. Projet au cœur de la « socialo-sociologie » de Marcel Mauss, mais aussi du « socialisme intégral » de Benoît Malon ou de l’anarchisme de Kropotkine, et avant eux des socialismes français dits « utopistes » (Saint-Simon et les saint-simoniens, Leroux, Fourier, Considérant, etc.). Bien sûr, affirmer que l’être humain est avant tout un être de relation, voire un animal sympathique, que l’individuation suppose la socialisation, ou plutôt l’association donc la coopération, que l’être-soi et l’être-ensemble sont corrélatifs, pourrait paraître banal ou même irénique. Mais tel n’est pas le cas. Si Généreux appuie sa morale social(ist)e sur une synthèse solide de travaux scientifiques qui font légitimement autorité, il en explore, ce qui est plus neuf, toutes les implications pour démonter ces diverses fables du néolibéralisme, naturalisant tout aussi bien la violence des rapports humains que le prétendu penchant de l’homme pour l’échange marchand ou son « aspiration productiviste ». Plus encore, Généreux n’esquive pas la question qui fâche : il y a bel et bien « une vérité » du néolibéralisme. En effet, dans un contexte de compétition débridée, les individus semblent n’avoir d’autre choix que de se conduire effectivement comme cette anthropologie, fallacieuse, le prétend. L’auteur s’en explique longuement, en s’appuyant non pas sur la théorie marxiste (qui partagerait avec le néolibéralisme « 90 % de son patrimoine génétique ») du « reflet », mais sur les récentes recherche en psychologie sur la résilience ainsi que sur les ressorts de la servitude volontaire (notamment à partir de l’ouvrage de notre ami Michel Terestchenko). Ainsi montre-t-il comment cette dissociété piège les communautés humaines dans un gigantesque « dilemme du prisonnier ». L’immense majorité d’entre nous aurait intérêt à une société coopérative et solidaire, mais dans le contexte anxiogène qui est désormais le nôtre, la réaction la plus rationnelle pour faire face et sauver son intégrité psychique consiste à adopter ou à tolérer ce modèle « dissociétal » de la compétition solitaire généralisée.

On le voit, le diagnostic est sévère. Clinique même. Cette « mutation anthropologique » majeure définit « la plus imminente des catastrophes qui nous menace », cette « maladie sociale dégénérative » qui dresse – au double sens du terme – les individus les uns contre les autres et « altère les consciences en leur inculquant une culture fausse mais autoréalisatrice ». Fasciné par l’hégémonie de l’idéologie néolibérale, Généreux semble parfois perdre confiance dans les potentialités même de la nature humaine et des formes de solidarité ordinaire dont il reconnaît pourtant, théoriquement, toute la portée. Affirmer, avec raison, que la menace d’une dissociété ne résulte pas d’un simple dysfonctionnement technique le conduit ainsi, à tort selon nous, à poser que l’invention de politiques nouvelles ne saurait faire face à ce stade suprême de l’aliénation qu’elle incarnerait. Suggérer que « la majorité résiliente n’a pas besoin d’être convaincue par un exposé détaillé des politiques alternatives », car ces solutions – celles qui feraient le choix de la coopération – existeraient déjà et que cette majorité souffrirait avant tout d’un sentiment d’impuissance politique savamment entretenu, pour en conclure que « le seul moyen dont dispose un citoyen pour reprendre la main » consiste à « adhérer aux partis politiques et [à] y mener la bataille interne pour changer la ligne majoritaire », paraît un peu court. Car ce dont il s’agit, c’est bien de rendre possible, réaliste – et agréable – ce pari du don et de la coopération constitutif de la démocratie elle-même. Si ce pari démocratique suppose, comme le soulignait John Dewey, une « foi dans la nature humaine », totalement étrangère à l’anthropologie néolibérale, cette foi peut-elle être ravivée seulement d’en haut, par une croisade contre-hégémonique menée à partir de nos seules vieilles Églises partisanes ? Rien n’est moins sûr.
S’il y a bien une contradiction entre ce que nous tenons pour vrai dans nos relations interpersonnelles, dans l’espace de la socialité primaire – le primat de la solidarité, de la coopération et du don – et ce que nous tolérons ou même valorisons dans la vie sociale, dans l’espace de la socialité secondaire – la compétition généralisée –, n’est-ce pas en vertu de la structure même des jeux peu coopératifs dans lesquels nous nous trouvons prisonniers et qui, en quelque sorte, laissent en friche notre sens ordinaire – et naturel – de la solidarité ? La professionnalisation outrancière de la démocratie représentative, un néocorporatisme étroit, une division du travail anomique, la bureaucratisation et la marchandisation de la solidarité, etc., ne ferment-ils pas, pratiquement, tout horizon au déploiement de cet « appât du don » (Jacques Godbout) qui caractérise les Homo non-œconomicus que nous sommes aussi ? Dès lors, plutôt que de privilégier la seule lutte idéologique et partisane, cette politique de la coopération ne suppose-t-elle pas davantage de subvertir, pratiquement, la structure de ces jeux non coopératifs, d’ouvrir d’autres espaces de jeux et de valoriser toutes les expérimentations sociales qui réussissent à faire un usage efficace de cette force productive que constitue la solidarité ?

La riche analyse de Jacques Généreux nous invite ainsi à donner davantage de prolongements à un autre aspect de la tradition socialiste avec laquelle il appelle à renouer : cette dimension indissociablement morale et expérimentale si chère à Pierre Leroux, à Benoît Malon ou à Marcel Mauss – qui aujourd’hui encore nous rappellent que l’idéal socialiste est moins un dogme qu’une morale pratique de la solidarité et de l’association, et la politique réformiste moins un renoncement qu’une expérimentation constante et pluraliste.

  • Supiot Alain, Homo juridicus. Essai sur la fondation anthropologique du droit, Le Seuil, 2005, 25 €.
    (par Fabien Robertson)

Guère besoin d’avoir des connaissances approfondies en matière juridique pour apprécier le dernier livre d’Alain Supiot qui, indéniablement, se lit – et mérite d’être relu – avec attention et surtout avec un grand plaisir. Les questions qui y sont traitées, pour variées qu’elles soient, tiennent toutes d’un seul souffle, celui d’un juriste qui s’efforce de montrer comment l’existence du droit implique déjà une certaine conception du monde et comment il se trouve, aujourd’hui comme toujours, au cœur d’enjeux de premier ordre.
L’ouvrage se présente d’abord comme une étude de « dogmatique », dans la lignée de Pierre Legendre, qui écarte toutes les conceptions technicistes du fait juridique pour le considérer comme l’un des meilleurs outils pour déceler nos croyances les plus profondes, autrement dit comme le support d’une véritable réflexion anthropologique. « Le droit n’est pas l’expression d’une vérité révélée par Dieu ou découverte par la science ; il n’est pas davantage un simple outil qui pourrait se juger à l’aune de l’efficacité (efficace pour qui ?). Comme les instruments de mesure de la Melencholia de Dürer, il sert à approcher, sans jamais pouvoir l’atteindre, une représentation juste du monde. »
Dans le fil de cette conception du droit se trouvent des développements étonnants de vigueur sur la question de la personnalité (la « clef de voûte » sans laquelle « notre modèle anthropologique s’effondre »), sur les abus récurrents et dangereux de l’économisme et du contractualisme en la matière (des analyses toujours urgentes, au cours desquelles Mauss est appelé en renfort), sur les biotechnologies ou encore sur le droit du travail…
S’il fallait ne choisir qu’un aspect de cet ouvrage, ce serait certainement la critique des théories de la gouvernance, qui, aux yeux de Supiot, sont bien plus qu’une mode passagère puisqu’il s’agit là d’une véritable transformation, et plus précisément d’un affaiblissement, de notre façon de concevoir et d’évaluer les liens sociaux et politiques. « La gouvernance est au gouvernement ce que la régulation est à la réglementation et l’éthique à la morale : une technique de normalisation des comportements qui tend à combler l’écart entre la loi et le sujet de droit. Il s’agit dans tous les cas d’obtenir des êtres humains un comportement spontanément conforme aux besoins de l’ordre établi. » Ainsi, l’affaiblissement des États et des puissances publiques ne s’accompagne pas d’un accroissement des libertés individuelles, mais du risque de leur inféodation à des intérêts privés, que le droit serait amené à reconnaître comme pleinement légitimes, en plaçant par-dessus tous les autres principes celui de la liberté contractuelle et marchande.
Il est encore nécessaire de répéter que, dans nos sociétés, la liberté « ne peut se déployer pleinement que si la loi prend en charge tout ce qui n’est pas réductible à un échange de biens et services, c’est-à-dire tout ce qui excède la négociation des valeurs mesurables ». Plus d’un siècle après la Division du travail social de Durkheim et bien que les approches soient différentes, le lecteur trouvera dans cet ouvrage une inspiration et une profondeur d’analyse de même nature, à partir d’une analyse du droit fermement et conséquemment anti-utilitariste.
http://www.journaldumauss.net/spip.php?page=imprimer&id_article=1

Autres lectures (par Alain Caillé)

  • Simiand François, Critique sociologique de l’économie, textes présentés par Jean-Christophe Marcel et Philippe Steiner, PUF, « Le lien social », 2006, 279 p, 30 €.
    « Je pars, écrit F. Simiand, d’un postulat, de l’unique postulat que la science économique a pour objet de connaître et d’expliquer la réalité économique [souligné par F. S.]. Cette simple proposition, qui en elle-même peut, au premier abord, paraître un truisme aboutit en réalité, si toutes les conséquences en sont tirées, à exclure de la science économique proprement dite, soit pour une raison, soit pour une autre, soit pour plusieurs raisons à la fois, la majorité, sinon la plupart des travaux, théories et systèmes qui à l’heure actuelle se réclament d’elle et prétendent la constituer » (p. 130). Peut-on mieux dire ? F. Simiand est connu comme le responsable de la sociologie économique au sein du groupe des durkheimiens de l’Année sociologique, le seul qui traite d’égal à égal avec Durkheim, et comme l’auteur d’un livre monumental, Le salaire, l’évolution sociale et la monnaie. Connu ? Mieux vaudrait dire à peu près inconnu, puisque l’œuvre est si monumentale qu’à peu près personne ne l’a lue à l’exception de quelques spécialistes. Et ce qu’ils en écrivent ne donne pas toujours envie de la lire. Le choix de textes que nous proposent J.-C. Marcel et Ph. Steiner, qui lui adjoignent une très claire et utile présentation, est donc particulièrement bienvenu. Enfin la possibilité est offerte de découvrir Simiand à ceux qui ne sont pas des rats de bibliothèques. À le lire, on comprend mieux pourquoi il n’est guère lu et réédité. Son écriture solennelle, quelque peu pontifiante et truffée de considérations et d’incises ou de considérants méthodologiques, rebute. Même la phrase percutante que nous citions au début pourrait agréablement être allégée de ses multiples nuances lourdes et inutiles (« pour une raison », « pour une autre », « pour de multiples raisons », etc.). Reste que, si on fait l’effort de le lire on découvre une œuvre d’une rare profondeur. Quant à la critique de la science économique, elle va très au-delà des critiques rituelles de l’abstraction et du réductionnisme inhérents à la figure de l’Homo œconomicus qu’on trouvait chez Comte ou Durkheim. En fait Simiand qui connaît remarquablement son affaire traque impitoyablement tous les faux-semblants, les postulats douteux (rendements décroissants, utilité marginale décroissante, etc.) et les tautologies (il faut en fait supposer que les agents économiques ont à l’avance une connaissance approchée du prix auquel ils sont supposés devoir parvenir – p. 141-142) de la science économique. Disons-le plus fermement : on trouve chez lui à peu près toutes les critiques qu’il est possible d’adresser à la science économique, et l’ensemble des découvertes effectuées depuis une trentaine d’années par les diverses écoles économiques institutionnalistes, para ou néo-institutionnalistes n’apparaissent que comme des fragments tardifs du programme critique de Simiand. Éternel retour des idées ! On ne peut s’empêcher de penser que, si Simiand avait été plus lisible et donc mieux lu, cela aurait pu éviter aux économistes et aux sociologues de l’économie des décennies de piétinement théorique. Mais Simiand, au-delà de la force de ses critiques, jette-t-il effectivement les bases de l’approche positive, et non spéculative, de l’économie qu’il appelait de ses vœux ? Ici, le choix de textes qui nous est offert se révèle peut-être un peu trop court pour permettre d’en bien juger. Il laisse malgré tout apparaître un thème fondamental : celui de la détermination proprement sociale des prix de marché. Comme l’écrivent nos présentateurs, le point de référence central est pour lui que « la détermination sociale des taux d’échange dépend des représentations sociales qui organisent la conduite des agents économiques » (p. 14). N’est-ce pas cette intuition centrale que développait Paul Jorion dans divers numéros de la Revue du MAUSS (cf. aussi une esquisse de généralisation critique chez A. Caillé) ? À se demander, là encore, si une bonne partie du travail effectué par le MAUSS n’aura pas consisté à refaire, sans le savoir, le chemin déjà emprunté par F. Simiand.
  • Le Portique, n° 17, 1er semestre 2006, « Marcel Mauss et les techniques du corps », 14 €.
    Que peut-on penser aujourd’hui de ce texte de Mauss parmi les plus connus : « Les techniques du corps », si souvent utilisé dans l’enseignement de l’éducation physique et sportive ? Sur ce point, ce numéro du Portique déçoit, qui n’en propose pas une véritable actualisation. Mais on trouvera d’intéressants éléments permettant de mieux appréhender son statut. À signaler plus particulièrement l’article de Bernard Andrieu, qui nous propose une très suggestive histoire des techniques de la nage, et celui de Jean-François Bert, très informé et donc très instructif sur « ce que Mauss a lu » pour rédiger son article.
  • Laval Christian, L’Homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Gallimard, « Essais », 2007, 396 p., 24,90 €.
    Si les Maussiens fidèles ne devaient lire qu’un livre cette année, ce serait sans doute celui-ci. Là où Critique de la raison utilitaire se bornait à quelques intuitions et hypothèses sur la formation de l’utilitarisme aujourd’hui dominant, C. Laval nous offre le dossier complet en réalisant un très impressionnant et vivant parcours à travers tous les auteurs qui, depuis le XIXe siècle, et même parfois avant, ont façonné notre modernité idéologique. Toutes les citations sont éminemment parlantes. Prenant pleinement au sérieux la thèse que l’utilitarisme constitue « le socle de la pensée moderne », C. Laval montre bien comment la figure de l’Homo œconomicus des économistes n’est que la cristallisation d’une conception du monde infiniment plus générale et englobante, de cette axiomatique de l’intérêt dont il nous donne la généalogie la plus précise et exhaustive à ce jour. On regrettera seulement – excès de modestie ? – que C. Laval ne nous présente pas une confrontation plus directe et systématique avec des généalogies complémentaires et/ou rivales comme celles de M. Foucault, L. Dumont ou A. Hirschman. Mais tous les éléments en sont déjà là, et je crois savoir que cette discussion frontale ne devrait pas tarder.
  • Dardot Pierre, Laval Christian et El Mouhoud Mouhoud, Sauver Marx ? Empire, Multitude, Travail, Immatériel, La Découverte, « L’Armillaire », 2007, 259 p., 23 €.
    Comme le sous-titre l’indique assez clairement, ce livre se propose de mener une discussion serrée des thèses d’Antonio Negri (et Michael Hardt) posées comme plus cohérentes et rationnelles d’un point de vue marxiste que bien des critiques qui leur sont adressées au nom même du marxisme. Il s’agit là d’une critique charitable, au bon sens du terme, comme toute critique devrait toujours l’être, c’est-à-dire d’une critique qui porte sur la version la plus intelligente et la plus profonde possible des thèses soumises à discussion (seul moyen d’être vraiment méchant en somme…). La thèse centrale des auteurs est que la fidélité paroxystique de Negri au marxisme, en en outrant certains traits, fait apparaître au grand jour ses limites, qui sont celles-là mêmes de la pensée de gauche (car qu’est-ce qui est plus au cœur de la gauche que le marxisme ?). Or on ne la renouvellera pas de fond en comble, comme il est urgent de le faire, sans soumettre à un examen radical ses impensés. Reste alors à se débarrasser de « trois illusions fondamentales » du marxisme (. 249 sq.) : celle de « l’élection messianique d’un sujet social défini par son absolu dépouillement », celle « d’une identification de l’émancipation humaine à l’illimitation du développement des forces productives », celle, enfin, de la nécessité purement immanente d’un passage au communisme. Le plus décisif sans doute est de récuser la « croyance progressiste », « l’alternative trop simple du “progrès” et de la “régression”, de la “révolution” et de la “réaction” » (p. 254). Finissons-en avec le progressisme, surtout sous sa forme scientiste, pour retrouver le sens du progrès, semblent nous dire nos auteurs. Le progrès ne passe pas par le communisme version Marx-Negri, mais par l’institution de « communs » à l’échelle mondiale (ressources naturelles, biodiversité, espaces, connaissances, etc.).
  • Lefort Claude, Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Belin, 2007, 1052 p., 42 € ; Prat Jean-Louis, Introduction à Castoriadis, La Découverte/Repères, 2006 ; Combemale Pascal, Introduction à Marx, La Découverte/Repères, 2006.
    Ne serait-ce que par son souci de ne pas dissocier œuvre de pensée, œuvre de connaissance et engagement à la fois politique (dans le politique, vaudrait-il mieux dire), éthique et existentiel, de lier science sociale et philosophie politique, La Revue du MAUSS peut être considérée comme l’héritière de Socialisme et barbarie (un des héritiers, ai-je d’abord été tenté d’écrire. Mais y en a-t-il d’autres ? ). On suivra donc avec un intérêt tout particulier les soixante années de travail de la pensée de son cofondateur, Claude Lefort, et la présentation de la pensée de l’autre cofondateur, Cornelius Castoriadis, que nous donne Jean-Louis Prat. Sans oublier de les resituer, avec Pascal Combemale, dans le sillage de Marx puisque c’est le rapport de sympathie critique au marxisme qui a fait toute la richesse des pensées respectives de Lefort et de Castoriadis, sans doute les plus riches et les plus puissantes de la seconde moitié du XXe siècle en France.
  • Verdrager Pierre, L’Homosexualité dans tous ses états, Les empêcheurs de penser en rond-Le Seuil, 2007, 346 p., 22 €.
    La lecture de ce livre se recommande à deux titres, le second quelque peu paradoxal. Tout d’abord, loin des brillants essais littéraires ou philosophiques, postmodernes, queer, etc., qui abondent sur la question, il se borne à laisser entendre la parole des homosexuels « ordinaires ». Mais cette modestie bienvenue est curieusement contrebalancée par des attaques en règle et virulentes contre des sociologues ou des anthropologues connues, I. Théry, F. Héritier ou N. Heinich, jugées coupables d’avoir failli à l’impératif de neutralité axiologique pour ne pas s’être d’emblée montrées enthousiastes face au projet du PACS. Seul le citoyen doit décider, nous affirme l’auteur, pas le savant en tant que savant. La chose devient ici amusante et d’autant plus intéressante que N. Heinich (à laquelle P. Verdrager adresse par ailleurs ses remerciements) est justement une championne particulièrement intraitable du devoir de neutralité axiologique. Or il est bien clair que l’asepsie axiologique à laquelle prétend P. Verdrager concourt à une célébration du PACS et plus que vraisemblablement dans sa foulée, du mariage homosexuel et de l’homoparentalité. Pourquoi pas ? Mais il est déroutant de se présenter alors comme immune de tout jugement de valeur. On a donc là un beau cas d’école sur l’impossibilité d’un discours scientifique en science sociale qui soit totalement value-free, wertfrei. Morale de l’histoire : comme toujours, il vaut mieux assumer et expliciter ses choix axiologiques plutôt que de faire semblant de n’en point avoir.
  • Brunon-Ernst Anne, Le Panoptique des pauvres. Jeremy Bentham et la réforme de l’assistance en Angleterre, postface de Jean-Pierre Cléro, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2007, 270 p., 25 €.
    On sait comment, pour M. Foucault, le panoptique, modèle par excellence de la prison rationnelle permettant à un surveillant central de tout voir sans être vu lui-même, incarnait l’essence de l’utilitarisme. On sait aussi comment Bentham a déployé une énergie inlassable pour faire réaliser son projet dans divers pays, et notamment la France révolutionnaire. Grâce à A. Brunon-Ernst, nous apprenons qu’il en a dépensé tout autant pour réaliser un panoptique des indigents présenté comme le seul remède rationnel, i.e. à la fois efficace et économique, à la misère. L’auteur restitue parfaitement les débats de l’époque à la suite de la longue histoire des lois anglaises sur les pauvres depuis la période élisabéthaine (mais on s’étonne qu’elle ne fasse aucune référence aux analyses de K. Polanyi). Où l’on voit bien comment l’utilitarisme au sens strict, l’utilitarisme benthamien, est en effet – pour reprendre les termes d’Élie Halévy – une théorie de l’harmonisation artificielle des intérêts et combien celle-ci suppose l’instauration d’une surveillance généralisée.
  • Dakhli Leyla, Maris Bernard, Sue Roger et Vigarello Georges, Gouverner par la peur, Tranversales-Fayard, 2007, 178 p., 15 €.
    Est-ce que le gouvernement par la peur n’est pas aujourd’hui la forme de contrôle social et de surveillance la plus efficace ? se demandent nos quatre auteurs. Sans doute y a-t-il quelques raisons objectives d’avoir peur (encore que, se demande R. Sue, « si tout nous semble aller plus mal, n’est-ce pas parce que fondamentalement nous allons mieux ? » – p. 164) et sans doute aussi existe-t-il un lien troublant entre la montée en puissance de la démocratie et la montée des peurs. Mais il y a aussi production délibérée et manipulation de la peur et par la peur contre lesquelles cet ouvrage en appelle à une déontologie des hommes politiques et des médias.
  • Kaufmann Jean-Claude, Agacements. Les petites guerres du couple, Armand Colin, 2007, 255 p.

    J.-C. Kaufmann poursuit ici sa minutieuse sociologie de la vie quotidienne (ou de la socialité primaire, si on préfère), toujours aussi juste, bien vue, instructive et divertissante à la fois. Comme dans Casseroles, amour et crises, on entend de multiples harmoniques maussiennes qu’il serait intéressant de développer et d’expliciter si on voulait monter en généralité théorique, car ce que Kaufmann nous propose, c’est en fait une sociologie de l’alliance, de l’« adsociation », de ce passage incessant de la guerre à la paix – et retour – de ce conflit et de ces irritations toujours là et qu’il faut sans cesse tenter de surmonter. D’autant plus significatives et importantes qu’elles surviennent dans le cas présent au cœur même de l’alliance primordiale, le couple, dont elles sont en partie constitutives. « Libres ensemble », la femme et l’homme contemporains ? Les conclusions de notre auteur sont moins optimistes que celles de son ami F. de Singly. Les agacements ont existé chez tous les couples de l’histoire. Mais ils se multiplient avec la dissolution des rôles assignés par la tradition. La liberté nouvellement conquise a un prix : l’exacerbation des agacements (et notamment chez les femmes…). À ce point que les couples ne parviennent à les dépasser qu’à « creuser la spécialisation de chacun et à établir des rôles complémentaires ». Disons-le différemment : il n’y a de paix possible que là où l’on sait à peu près qui donne et qui reçoit quoi.
  • Alter Norbert (sous la direction de), Sociologie du monde du travail, PUF, « Quadrige », 2006, 368 p., 18 €.
    Un panorama très complet dans lequel les amateurs du MAUSS s’intéresseront plus particulièrement à la troisième partie (« Les perspectives actuelles. Échanges et relations »), où ils trouveront des articles de François Cusin sur la sociologie économique, Emmanuel Lazega sur l’analyse de réseaux (dans laquelle il a toujours autant de mal à intégrer la question du don qui y est pourtant centrale…), Maud Simonnet sur le monde associatif et, bien sûr, l’article de N. Alter, prolongement de celui qu’il avait publié sur le même thème dans la Revue du MAUSS et qui introduit de plain-pied et de plein droit le paradigme du don au cœur de la sociologie des organisations.
  • Vatin François (sous la direction de et avec la collaboration de Sophie Bernard), Le Salariat. Théorie, histoires et formes, La Dispute, 2007, 346 p., 25 €.
    Comme le note F. Vatin dans son introduction, la sociologie du travail classique a été une sociologie du salariat, mais elle ne s’est intéressée explicitement qu’au travail et non au fait salarial lui-même. C’est ce manque que comble cet ouvrage qui réunit nombre des meilleurs spécialistes français (F. Demier, F. Eyard-Duvernay, B. Friot, A. Jobert, B. Mottez, Th. Pillon, E. Reynaud, G. Rot, J. Saglio, etc.). Les lecteurs de ce numéro du MAUSS consacré à Karl Polanyi seront particulièrement sensibles au fil directeur explicité par F. Vatin : si le salariat est une institution particulièrement instable, c’est que le travail n’a pas les attributs d’une marchandise (p. 24) et que son organisation oscille donc perpétuellement entre le projet de se l’attacher ou, au contraire, de pouvoir s’en débarrasser à tout moment.
  • Deauvieau Jérôme et Terrail Jean-Pierre (sous la direction de), Les Sociologues, l’école et la transmission des savoirs, La Dispute, 2007, 330 p., 25 €.
    Comment les savoirs sont-ils transmis ? Les lecteurs qui se sont intéressés au précédent numéro de la Revue du MAUSS consacré à la crise de l’école le seront également par ce recueil qui réunit huit articles classiques de la sociologie de l’éducation sur ce thème (dont des textes de P. Bourdieu, L. Tanguy, B. Lahire, etc.).
  • Rey Françoise et Sirota André (sous la direction de), Des clés pour réussir au collège et au lycée, Érès, 2007, 332 p., 21 €.
    Un des remèdes essentiels à la crise de l’école et de la transmission des savoirs réside dans l’autonomie accordée aux équipes pédagogiques qui en ont le désir. À cette condition, il (re)devient possible d’avoir « des élèves et des enseignants qui réussissent et qui sont heureux de travailler ensemble », comme le montre éloquemment ce recueil de témoignages, d’analyses et de réflexions menées à partir de l’expérience du collège-lycée expérimental d’Hérouville-Saint-Clair.
  • Bouchard Pascal, École cherche ministre, ES, 2007, 127 p., 12,90 €.
    Toujours dans le prolongement du dernier numéro de la Revue du MAUSS, on lira avec intérêt ce livre écrit par un journaliste spécialisé (agrégé de lettres et docteur en sciences de l’éducation) qui connaît admirablement le système de l’éducation nationale – la plus grosse entreprise du monde aujourd’hui, semble-t-il – et qui nous en propose ici une visite guidée, très clairement et agréablement écrite sous la forme d’une série de conseils à un futur ministre de l’Éducation nationale. Voilà qui permet de mieux comprendre pourquoi tous les diagnostics ou les grandes querelles théoriques et idéologiques sur l’école s’annulent, pourquoi les multiples évaluations (le niveau monte-t-il ? baisse-t-il ?) ne permettent jamais de conclure et pourquoi toutes les réformes échouent. Pourquoi, plus profondément, toutes les grandes proclamations en la matière, qu’elles soient « républicaines » ou « pédagogiques », sont vouées à rester nulles et non avenues aussi longtemps qu’elles ne se doubleront pas d’une sociologie fine de l’institution scolaire. À laquelle cet ouvrage apporte de nombreuses pierres. Pour conclure que seules des réformes très modestes mais pour autant indispensables, trois « micro-réformes », ont quelque chance de succès : 1° « créer un « super-établissement » qui réunisse le premier et le second degré sur un territoire donné » ; 2° « constituer des interlocuteurs en dehors du système » ; 3° « faire évoluer sans forcément toucher à leur statut les carrières des enseignants » (p. 106 sq.). On pourra trouver ces propositions trop modestes. Et juger que l’auteur sous-estime les ravages induits par la suppression de la syllabique, de l’enseignement de la grammaire ou de l’histoire littéraire (dont il dédouane largement son ami Philippe Meirieu). Mais il y a là une contribution très bien informée et honnête à la discussion qui ne pourra pas être ignorée.
  • Flahault François, « Be yoursef ! » Au-delà de la conception occidentale de l’individu, Mille et une nuits, 2006, 270 p., 12 €.
    Partout, à tout moment, on nous enjoint de devenir nous-mêmes, de développer notre moi authentique, d’affirmer « c’est mon choix », etc. Par là nous croyons arriver à l’acmé de la dynamique démocratique, celle qui enfin va définitivement « libérer le sujet ». On toucherait là au versant à coup sûr positif et enthousiasmant de l’individualisme, au bon individualisme – pas celui de l’égoïsme, mais celui qui désaliène. Dans ce petit livre particulièrement clair et chargé d’enjeux existentiels (comment trouver « le sentiment d’exister » ?), F. Flahault nous donne les éléments d’une généalogie de cette injonction à être soi, notamment par un détour chez Emerson et Thoreau, et en amorce la critique On comprend bien, à le suivre, pourquoi il est en définitive, au-delà du mirage, si fatigant d’être soi (comme l’avait observé A. Ehrenberg). C’est qu’il y a quelque chose de profondément illusoire dans l’idée si ancrée en Occident d’un moi qui serait toujours déjà là et qui se développerait de lui-même à la manière d’une plante (p. 48). On n’est en réalité soi qu’avec les autres. Voilà pourquoi « plus on est préoccupé par le désir d’être soi, moins on a de chances que ce désir se réalise » (p. 75). Mais, pour le comprendre, il faut passer d’une conception monadique à une conception délibérément relationnelle du moi. Maussienne, donc, nous permettra-t-on peut-être d’ajouter.
  • Kempf Hervé, Comment les riches détruisent la planète, Le Seuil, 2007, 150 p., 14 €.
    Un bilan simple, précis, clair et donc utile sur la catastrophe écologique qui nous menace. Placé dans une juste perspective : il est parfaitement illusoire de prétendre y échapper si on ne lutte pas contre les mécanismes sociaux et psychiques qui alimentent la course à la démesure, et si on ne voit pas que cette dernière s’alimente au premier chef à l’exacerbation de l’inégalitarisme qui submerge le monde depuis une trentaine d’années maintenant. Où l’auteur, en conséquence, rejoint le MAUSS (non cité) et quelques autres dans le mot d’ordre d’un RMA (revenu maximum admissible).
  • Husson Édouard et Terestchenko Michel, Les Complaisantes. Jonathan Littell et l’écriture du mal, François-Xavier de Guibert, 2007, 255 p., 18 €.
    Il existe certainement un lien étroit entre l’explosion des inégalités, la course généralisée à la croissance à tout prix, le pillage de la planète qui en résulte et la complaisance croissante que nos sociétés manifestent envers la mise en scène de la violence, de la torture et de l’abaissement des victimes. Glorification des forts, étrangeté ou mépris des vaincus. Dans tous ces cas, on voit à l’œuvre ce désir de toute-puissance qui alimente l’hubris, la démesure. L’intérêt de ce petit livre d’un historien et d’un philosophe, notre ami Michel Terestchenko, au-delà de son opportunité conjoncturelle – la discussion très critique du livre de Littell –, vient de ce qu’il interroge frontalement cette complaisance que nous nous autorisons au nom, nous dit-on, de la liberté littéraire et artistique, voire d’un devoir de vérité ou de mémoire, qui nous ferait obligation, en somme, de tout montrer, y compris et surtout le plus abject. Or il y a des choses que les victimes préfèrent ne pas dire, que les écrivains authentiques qui ont été effectivement confrontés à l’horreur des camps, de la torture et de l’extermination se refusent à montrer, à dire ou à décrire pour ne pas entrer à leur tour dans le mal et ne pas contribuer à son retour sous prétexte de le mieux faire connaître. Vu sous l’angle que choisissent nos auteurs, le succès incroyable de Littell revêt une bien étrange apparence : celle d’une sorte d’apothéose du divin marquis – si bon prophète de ce que s’autoriseront ensuite les nazis.
  • Dewitte Jacques, Le Pouvoir de la langue et la liberté de l’esprit. Essai sur la résistance au langage totalitaire, Michalon, 2007, 263 p., 23 €.
    « Est-il vraiment possible de créer une langue nouvelle telle que toute pensée hérétique serait d’avance exclue, faute de mots pour la dire ? » À cette question, J. Dewitte répond que « le point capital n’est pas tellement que toute pensée divergente soit ou non radicalement exclue, mais qu’il serait presque impossible de la concevoir et de la dire » (p. 75). C’est que, comme l’expliquait Orwell, auquel J. Dewitte consacre un premier chapitre admirable, appelé à devenir un texte de référence (les autres étant dédiés à Victor Klemperer, Dolf Sternenberger et Aleksander Wat), « en novlangue, il était rarement possible de suivre une pensée hérétique plus loin que la perception qu’elle était hérétique ; au-delà de ce point, les mots nécessaires étaient inexistants ». Une réflexion fascinante non seulement sur l’emprise exercée sur les cerveaux par les langages totalitaires et leurs clichés obligés – qui vaut aussi mutatis mutandis pour nos sociétés « à la fois antitotalitaires et néototalitaires » (p. 28) –, mais aussi, plus généralement, sur les pouvoirs réciproques de la langue et de la pensée.
  • Fokouo Jean Gabriel, Donner et transmettre. La discussion sur le don et la constitution des traditions religieuses et culturelles africaines, LIT Verlag (Zurich et Münster), 2006, 271 p.
    Il est très difficile de se faire une idée un peu synthétique des religions et des cultures africaines. En ce domaine, les monographies et les études spécialisées sont nettement plus nombreuses que les ouvrages généraux. Existe-t-il d’ailleurs une unité quelconque des religions et des cultures africaines ? On pourrait en débattre longtemps, mais on observera que les propos généralisants ne manquent pas sur la civilisation et la société chinoises, de Granet à Jullien en France par exemple. De ce point de vue, l’ouvrage de Jean-Gabriel Fokouo est particulièrement et doublement précieux : d’une part, il nous présente une sorte d’axiomatisation, d’élucidation grammaticale des valeurs africaines, de l’autre, il y procède dans le langage fortement revendiqué et maîtrisé du paradigme du don. Son livre est donc un must pour les Maussiens et au-delà. Publié dans une maison d’édition germanophone, il est à craindre qu’il ne soit pas aisément accessible en France. Demandons-nous comment y remédier.
  • Servet Jean-Michel, Banquiers aux pieds nus. La microfinance, Odile Jacob, 2006, 511 p., 30 €.
    Tous les lecteurs de ce numéro de la Revue du MAUSS interpellés et intéressés par la remise en cause d’un certain discours trop convenu et apologétique sur la microfinance qu’ils y ont lue se reporteront à ce livre de notre meilleur spécialiste de la question pour en savoir plus et avoir une perception exhaustive du domaine.
  • Fregosi Renée, Altérité et mondialisation. La voie latino-américaine, Ellipses, 2006, 254 p.
    Les n° 25 et 26 de la Revue du MAUSS s’interrogeaient sur le statut actuel et le degré de vivacité de l’idéal démocratique : progresse-t-il à l’échelle mondiale ? Régresse-t-il ? La réponse optimiste à cette question générale présuppose une réponse optimiste sur le statut de la « transition démocratique » en Amérique latine et sur la consistance dont y font preuve les forces progressistes et de gauche. On trouvera beaucoup d’éléments d’information dans cet ouvrage d’une des meilleures connaisseuses françaises de la vie politique du sous-continent (mais il n’y a pas grand-chose sur le Brésil…). Et la réponse ? Mitigée.
  • Mead George H. Mead, L’Esprit, le soi et la société, présenté (et retraduit) par Daniel Cefaï et Louis Quéré, PUF, « Le lien social », 2006, 434 p., 32€.
    À signaler cette nouvelle traduction d’un des principaux classiques de la sociologie, précédée d’une longue introduction qui retrace très précisément le contexte d’écriture de l’ouvrage (des cours dans la tradition du pragmatisme et du behaviorisme social) et montre pourquoi il est actuel.
  • Laville Jean-Louis (sous la direction de), L’Économie solidaire. Une perspective internationale, Hachette-Pluriel, 2007.
    À signaler également cette réédition, revue et actualisée, de l’ouvrage qui a « lancé » l’économie solidaire en France et au-delà.
  • Bitoun Pierre, Le Rire au village, INRA-Mona, 2007, 182 p.
    Et pour finir dans la joie, ce signalement de l’ouvrage et recueil de notre ami P. Bitoun. De quoi rit-on au village ? Comment rit-on du village ? Et de la ville. Une sorte d’anthologie raisonnée qui est aussitôt une anthropologie. Qui se lit toute seule et avec grand plaisir.
// Article publié le 26 novembre 2009 Pour citer cet article : , « Bibliothèque du Mauss. Brèves de lectures (n° 29, 1er sem. 2007) », Revue du MAUSS permanente, 26 novembre 2009 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Bibliotheque-du-Mauss-Breves-de
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