« Silence, ça tourne ! » ou le silence en hypnothérapie
Le silence est une question centrale en psychothérapie. On parle alors du silence du patient, de ce qui n’est pas dit ou dit autrement. On évoque aussi la posture du thérapeute faisant silence afin de créer le dispositif adéquat pour faire émerger la parole, l’acte de changement. En hypnothérapie, le silence est également partie prenante de « ce qui se dit » et de ce qui se passe. Nous l’aborderons sous l’angle du silence thérapeutique et de ce qu’il évoque du point de vue du praticien.
Stéphane Breton est psychologue et hypnothérapeute.
Le silence en question
Evoquer le silence est une tâche paradoxale tant il est difficile de nommer ce qui relève a priori de l’insondable, de l’innommable. On parle plus volontiers d’acte de parole que d’acte de silence même si le langage familier ouvre quelques brèches à cet « espace infranchissable » en utilisant l’expression « qui ne dit mot consent ». Et, de manière plus littéraire, on peut citer « le silence dit oui » de Euripide [1]. Comme le souligne habilement Paul Watzlawick « tout acte de communication porte sa part de silence, puisqu’on ne peut pas ne pas communiquer » [2].
Pour autant, le silence a la particularité de relever du non-verbal, du pré-verbal ou de l’infra-verbal selon les appréciations. Le silence est l’autre mode du « parler », de la communication, de la mise en relation avec soi et le monde qui nous entoure. Il est une modalité singulière de « l’être-au-monde » [3] à la fois présent dans l’immédiateté de la vie qui passe, sous-tendant l’élan vital [4], et une plongée dans cette « inquiétante étrangeté » [5] : de quoi est-il le nom ?
Chez Freud [6], la question du silence est associée à la résistance du patient. Se taisant lors de la cure, il est manifestement cueilli par l’effroi de ce « barrage psychique » qui l’empêche d’accéder à ce qui le fonde : le désir d’être libéré du voile de l’inconscient. Du côté de l’analyste, le silence n’est pas un concept qui s’est immédiatement imposé. La psychanalyse devenue « institution thérapeutique » à part entière, le silence est apparu dès lors comme une question centrale pour certains praticiens. Ainsi, Sacha Nacht [7] s’est intéressé à la nature du silence produit par le psychanalyste, à sa « présence », à « son inconditionnelle acceptation » et à sa « compassion authentique ». Et de souligner ensuite : « Chaque parole constitue en elle-même la preuve incontestable que l’objet est séparé. » Séparé par le silence. Nous pourrions avancer qu’avant même de parler, pour pouvoir l’envisager, la personne doit faire l’expérience du silence. L’expérience d’un silence qui vous cloue, qui vous sidère de désespoir au point d’apparaître comme la seule issue pour vivre. Un « vivre » plein, fait d’un désir assumé.
Chez Ferenczi [8], le silence devient le canal de communication d’inconscient à inconscient. Il relève d’une perspective presque télépathique [9] entre l’analyste et le patient.
Dans le silence analytique, le thérapeute « oscille donc entre deux pôles, l’intervention ou l’interprétation d’un côté, et de l’autre un silence que Lacan cherche à associer, dans ses ’Remarques sur le rapport de Daniel Lagache’ [10], avec le terme ignosco, pardonner » [11] . En somme, un silence d’apparence religieuse, un silence d’accueil, un « par-don » très lacanien.
Si le silence est plurivoque [12], le premier sens à prendre forme est celui in utero de l’in-fans, « celui qui ne parle pas » écoute ce qui l’entoure depuis sa position centrale d’observateur/acteur attentif. Ce même silence fait dire à Reik [13] : « Il est clair que le silence est venu avant le mot et que le mot est né du silence comme la vie de la mort. » Karl Jaspers souligne que « ce qui lie, c’est l’origine du silence, non ce qui se dit ; ce qui se dit lie seulement si c’est soutenu par cet arrière-plan. […] Pour la pensée comme la communication, le lieu d’arrivée est le silence. » [14]
En hypnothérapie, le silence est considéré comme une « mise en suspens » du langage et du logos pour faire émerger les forces vitales nécessaires à une réactualisation, une re-composition des événements traumatiques vécus. Une perception intégrale de ce qui compose le trauma pour y porter un nouveau regard : plus large, plus complet, plus sensible : ce que François Roustang nomme la perceptude [15]. Ainsi, la transe permet au patient de passer d’un système perceptif discontinu - « je vois cela, j’entends cela, je goûte cela » - à un autre mode de perception où tous les éléments de la situation sont mis en relation, en correspondance. Pour Roustang, on passe ainsi d’une « veille restreinte qui conduit l’état ordinaire de notre existence à la veille généralisée sous-jacente au fondement de notre existence et définie par notre rapport au monde ». C’est dans la transe, lieu où « l’on se tient à l’écart, pour se retirer, où il ne se passe rien mais où les contraires sont possibles en même temps, lieu de liberté et de souplesse où les positions s’ouvrent et se ferment »…que les choses s’opèrent [16].
De cette qualité de silence naît une « mise en attente » des mécanismes de répétition relationnels et émotionnels du patient. Ainsi, le silence participe à une mise en acte, une véritable effectuation du changement. François Roustang évoque « l’acte – ou le geste ou le faire – est une réponse nécessaire pour qu’un individu s’engage dans la situation qui lui est faite aujourd’hui » [17].
Ancré dans son présent expérientiel, le patient ne sait pas ce qu’il en ressortira, sous quelle forme ni selon quel horizon. Un après « informe » mais déjà en partie présent dans la « transe muette » qui dévoile les courbures d’une solution en mouvement. Le silence est ce « non savoir » dont parle Tchouang Tseu. « Accomplir sans savoir pourquoi », donc ne pas se poser la question du comment. Il s’agit d’être indifférent au succès pour que la solution apparaisse car il ne sert à rien de « forcer ». La « solution la meilleure demande du temps ». Dès lors, il faut demander au contexte, à l’environnement d’agir, pour son propre compte, sans que le patient n’ait à agir en tant que tel pour que ce changement apparaisse. Tchouang-Tseu nous invite à « s’asseoir et à oublier tout » ce qui fonde nos présupposés, nos habitudes et nos désirs. « Quitter toute forme, supprimer toute intelligence. » Le thérapeute est poussé à déposer « son corps et son âme » pour accueillir l’autre sans rien opposer à l’ouverture car « évoluer sans cesse exclut toute fixité ». Evelyne Micollier précise que « le corps vécu des taoïstes donne à voir une limite diffuse et extensible au point de ne plus exister puisque le corps peut non seulement englober mais aussi devenir l’univers lui-même ; dans un mouvement réciproque, un processus dynamique met en relation le microcosme (humain) et le macrocosme (univers) ». [18]
Véritable aporie de la pensée, le silence en créant une « impasse » à la plainte, à ses multiples expressions et ses tentatives de consolidation, convoque la modification. François Roustang insiste précisément sur l’importance de cette rupture de rythme plus ou moins radicale : « Nous voyons, entendons, sentons toujours les mêmes choses et de la même façon. […] La question centrale de la thérapie sera donc la suivante : comment redonner de l’ampleur et du mouvement à nos perceptions ? Ce ne peut pas être par la compréhension, même la plus subtile, car comprendre suppose que l’on prenne la pose plus ou moins figée du spectateur. Ce sera donc par la pratique. Il faut s’exercer à voir, à entendre, à sentir autrement. » [19] C’est que le silence nous propose.
Dès lors, le silence invite le patient à cette « présence au présent » [20],nécessaire à l’instauration d’une liaison intime avec le corps vivant. François Roustang précise : « Dans cet état [d’hypnose], je n’ai affaire qu’au présent et je ne peux plus m’y opposer. Parce que je ne dispose plus du passé pour m’en plaindre et du futur pour en rêver. Je n’ai même pas, dès l’abord, la possibilité de le modifier, je suis contraint de l’adopter tel qu’il est. Il me faut bien m’en accommoder et le prendre pour ami. » [21]
Au sujet d’une « hypnose sans parole », Léon Chertok témoigne de son expérience clinique en relatant l’un de ses cas princeps : « Il y a quelques années, une jeune femme est venue me voir, en détresse profonde. Elle était en analyse depuis deux ans - des séances de dix à quinze minutes trois fois par semaine - pour tenter de se débarrasser de la pulsion qu’elle avait de tuer sa petite fille. Quand elle est arrivée, elle venait de passer à l’acte : elle avait cassé la figure à l’enfant. C’était en juillet, son analyste était parti en vacances. Je me suis dit : « on pinaille avec cette femme depuis deux ans…. et elle ne vit plus » ; mettre sur le divan une femme avec un petit problème comme ça, c’est ce que j’appelle de l’irresponsabilité. Je lui ai fait trois séances d’hypnose « sèche », sans parler, sans interpréter. Une intervention « d’urgence », en quelque sorte. […] Avec le temps, je me rends compte, dans bien des cas, l’hypnose sèche, aussi frustrante qu’elle soit pour le thérapeute, est la forme la plus effective de traitement, celle qui fait bouger le plus de choses. Certains patients m’ont demandé après que nous avons tenté de parler, d’en revenir au silence. Ils sentaient que parler ne leur convenait pas, qu’ils se mettaient de nouveau à aller mal. » [22]
Chez François Roustang, le silence s’est imposé au fil de son travail clinique [23]. De nombreuses références éclairent ce point. Tout d’abord l’idée d’un silence comme lieu de dépossession des « habitus » du thérapeute : « L’expérience du non-savoir [le silence]. Ne pas penser pour pouvoir penser, ne pas penser pour pouvoir agir en pensant. Il s’agit d’obtenir un décentrage des habitudes de penser et d’agir liées à des visées ou des circonstances qui ne sont plus de mise. » [24]Ensuite, le silence comme la « mise en espace » d’une nouvelle relation thérapeutique : « Ce qui compte d’abord et avant tout, c’est la position prise par le thérapeute, c’est cela qui sera les prémices d’un changement éventuel. […] D’une certaine façon, nous n’avons rien à faire et rien à dire. C’est dans le silence de la relation que la modification s’est effectuée. […] Si le silence est attentif et serein, c’est-à-dire s’il est libre de toute angoisse et de toute intention bienfaisante, s’il est silence qui fait […], ce silence suffit pour apaiser la souffrance. […] Tous les mots sont dits dans le silence, tous ceux que l’on aurait pu dire, tous ceux que l’on risquait de prononcer par maladresse, tous ceux que l’on n’aurait pas su imaginer. » [25]Enfin, le silence comme une invitation au déploiement d’une créativité thérapeutique effective : « Dans une thérapie, il faut que le patient invente mais que le thérapeute invente, lui aussi. C’est à ce moment qu’il se passe quelque chose. » Et de poursuivre : « L’avarice des mots n’est autre que le silence, et un silence qui va peu à peu permettre aux mots de trouver leur densité. On ne peut pas dire n’importe quoi, n’importe comment si on veut que les mots soient des actes. » [26]
Une clinique du silence
Mélanie, 35 ans, vit avec son compagnon depuis six ans. Elle est mère d’une petite fille. Elle travaille comme fonctionnaire dans une mairie.
Elle vient nous consulter parce qu’elle éprouve une « période de vide » dans sa vie ; une « perte de sens » qui perdure depuis quelques mois et qui la démobilise dans sa vie quotidienne : perte d’énergie, baisse de motivation, lassitude prolongée, « plus d’envie de faire » [27]. Mélanie nous précise qu’elle a été dès l’adolescence confrontée à des périodes d’angoisse, de mal-être, de peur sans qu’elle puisse identifier les causes de ses sensations corporelles. Elle tient à souligner qu’elle a, durant sa période d’étudiante, été confrontée à une tristesse envahissante qui s’est manifestée entre autres choses par des somatisations périodiques (dérèglement du sommeil, rhumatisme passager, douleur récurrente au ventre, mal de tête, problème gynécologique…) et des difficultés à entrer en contact de manière sereine avec son entourage (famille, amis, amoureux). Enfin, Mélanie revient sur ses difficultés à être en harmonie avec elle-même, à vivre et accepter ce qui vient à elle, ce qui change, sans qu’une angoisse ressurgisse soudainement. Nous demandons à Mélanie de décrire ce qui se passe sur le plan émotionnel et corporel lors de la venue d’un événement irritant (professionnel ou personnel) entrainant une remontée d’angoisse. Elle précise qu’elle « fait tout pour éviter de sentir », qu’elle « fuit au plus vite », qu’elle arrive à provoquer une situation connexe pour « détourner d’elle ce qui l’angoisse ». Nous sommes face à une femme qui, par l’expérience des situations stressantes, met en mouvement toute une série de stratégies psychocorporelles pour éviter la réalité qui s’impose à elle. On peut noter :
•Une tendance à l’anesthésie émotionnelle afin d’isoler le fait générateur d’angoisse de la réaction somatique en cours ;
•Une capacité à déployer une stratégie d’évitement psychique et physique face à autrui ou devant une situation embarrassante ;
•Un fonctionnement qui vise à dénaturer la réalité en tant que telle pour recréer une « réalité imaginaire » plus en adéquation avec ce que la patiente est capable de tolérer ;
•Un certain déni de réalité afin d’éviter ce qui pose problème sans jamais le nommer ou l’identifier ouvertement.
Mélanie reste « résistante » à nous en dire plus. Les paroles, claires dans leur présentation, restent cependant rares. Nous proposons à Mélanie une première séance en lui demandant de centrer son attention uniquement sur ses sensations corporelles afin d’apprivoiser ce qui vient sans retenue, interprétation ou correction. Nous invitons Mélanie à apprendre à « re-sentir » son corps, à percevoir sa place dans son environnement, à écouter ce qui la traverse sur le plan émotionnel, sans qu’aucun mot ne soit prononcé. Avec un peu de difficulté, Mélanie se prête à cet exercice. Au bout de quinze minutes, elle « capitule » [dira-t-elle en fin de séance] et « laisse vaciller » ses résistances somato-psychiques pour laisser « remonter » ses sensations d’enfance, ses émotions adolescentes ou plus récentes. Nous faisons le pari thérapeutique de limiter notre propos à l’induction hypnotique puis de saupoudrer « ça et là » quelques « mots clés » (ouverture, fluidité, labilité, croissance, assurance, tranquillité) afin de faire levier sur ce qui résiste et de permettre la venue d’un processus d’ouverture psychique et de mise en mouvement sensoriel. Entre l’utilisation des mots clés, nous laissons le silence imprégner la séance, tisser sa « toile bienveillante » sur la patiente afin de l’accompagner dans une présence accrue à l’instant présent. Une présence confiante et sensible. Ne rien faire de plus qu’écouter, sentir et absorber ce qui vient. François Roustang nous rappelle l’importance de cette mise en acte sensorielle : « Lorsque le cours des pensées s’arrête d’épuisement, il laisse place au sentir. Ce n’est pas le sentir particulier qui a besoin des cinq sens pour s’effectuer, mais le sentir global de la situation dans laquelle on se trouve. » [28]
Au sortir de cette première séance, Mélanie se sent « déboussolée ». Elle souligne : « Je suis comme à nouveau propriétaire de mon corps, de mes émotions, de ce que je sens en moi. J’ai mis du temps avant de pourvoir ressentir ça, de me l’autoriser. Je sens mon corps animé par des sensations d’enfance, de tendresse et de joie, qui étaient cachées jusque-là. » A la question « comment avez-vous perçu le silence dans la séance ? », Mélanie répond de manière claire et rapide : « Facilement, simplement. Je n’avais pas besoin de vous entendre ; je n’en avais pas envie en fait. Cela n’était pas nécessaire pour moi. Le silence a été une aide, un précieux accompagnateur. [Une émotion étreint Mélanie] Je suis troublée par ce que je viens de vivre. C’est très fort pour moi. Un plein d’émotion remonte et je suis heureuse de me sentir comme ça. On peut arrêter d’en parler ? » nous dit-elle. Nous avons revu Mélanie durant quatre séances supplémentaires selon le même mode opératoire.
James, 46 ans, est marié et père de famille. Il nous consulte pour une addiction à l’alcool suivie de troubles du sommeil et de passages colériques assez soutenus. Son addiction dure depuis plus de quinze ans. Il a été suivi à l’hôpital par un psychiatre et en libéral par un psychothérapeute. Il a également effectué une cure de sevrage dont les résultats ont été satisfaisants pendant un an. Après une période d’intérim, il est sans emploi et recommence à boire régulièrement. Depuis peu, de nouveaux accès de colère s’emparent de James qui ne tolère plus les comportements de ses enfants et les remarques récurrentes de sa compagne.
Lors de la première séance, après une phase d’écoute, nous questionnons James sur sa relation à l’alcool. Il nous confie « qu’elle a débuté très tôt à l’adolescence, vers 12-13 ans. C’était en famille d’abord puis avec des amis sur les plages du Nord de la France. Je viens d’une famille où l’on considère l’alcool comme « normal ». On boit à tous les repas, du vin et de la bière. Dès l’entrée au collège, mes frères et moi avions le droit de boire un verre ou deux à table. Du vin avec de l’eau ou de la bière blonde dans un petit verre. Avec l’âge, la quantité augmentait. Mes amis faisaient pareil ».
A la question : que vous apporte l’alcool ? James répond : « Jeune, c’était une découverte, un amusement, une manière de frimer, de faire l’adulte avant l’âge. Plus tard, lorsque je suis arrivé à la fac, c’était socialisant, bien vu et cela me permettait de masquer mes inquiétudes, mon manque de confiance en la vie. […] Avec ma femme, au début, on sortait souvent, je buvais un peu trop mais elle ne disait rien. A la naissance de nos enfants, tout a basculé. J’ai très vite perdu pied. Je ne savais pas comment faire avec eux. J’ai continué à boire, à la maison et surtout dehors avec mes amis. C’était un cycle infernal. »
Nous invitions James à « plonger dans son corps » pour revivre une scène de son passé récent en présence d’alcool puis d’observer les émotions qui le traversent au moment où les choses lui apparaissent. La transe induite, James pèse de tout son poids sur le fauteuil. Il épouse la totalité de l’espace disponible. Il est totalement ancré dans son expérience. Nous laissons la séance se déployer en assistant James seulement par deux fois en lui rappelant « qu’il n’y a rien à faire, juste à laisser faire sans chercher à obtenir quoi que ce soit », selon deux suggestions pour relancer le processus sensoriel, émotionnel et psychophysiologique. La séance se déroule de manière apaisée. James alterne entre des signes idéomoteurs (automatismes des doigts et de la tête), une phase de relaxation complète (« je me suis senti complètement détendu ; sans crispassions »), des altérations sensorielles (lourdeur des membres, légèreté, modification de la perception du volume du corps) et enfin une distorsion spatio-temporelle, sensation que James évoquera en sortie de la séance.
Sur le plan émotionnel, James nous relate « des passages de joie, de tendresse, de lumière et d’énergie. Il y avait aussi du plus sombre, de la souffrance, des pleurs, des cris, des réprimandes, des mots violents ». Et de poursuivre : « c’est le reflet de ma consommation d’alcool. Je bois pour ne pas affronter mes souffrances d’enfant, mes relations conflictuelles avec mon père et l’absence d’amour de ma mère… En fait, je veux vivre heureux, pouvoir partager ma vie avec ma famille sans entrer dans des moments violents. »
Nous interrogeons James sur sa perception du silence lors de cette séance, il explique : « J’ai apprécié qu’il n’y ait pas de paroles. J’ai pu vivre cette expérience sans être gêné, sans devoir vous suivre. C’est une sensation de disponibilité, de présence à soi. Le silence, c’est une forme de liberté pour moi. Alors, oui, j’ai trouvé cela important. C’est plus souple, léger, simple. »
Nous allons revoir James durant plusieurs séances afin d’approfondir son champ émotionnel et relationnel en faisant « usage » du silence.
Conclusion : le silence, partenaire du thérapeute
Nous considérons le silence comme un véritable partenaire thérapeutique. Notre parti-pris clinique ne se veut ni automatique ni systématique, bien évidemment. Il ne s’agit pas de proposer un tel dispositif à tous les patients et pour toutes les séances. Il convient de pouvoir le faire avec certains d’entre eux en fonction de leur capacité à pressentir, entendre et ressentir le silence.
Nous soumettons à la réflexion quelques apports cliniques laissant entendre que le silence est à la fois un « réceptacle bienveillant » des symptômes des patients, un levier face aux résistances psychocorporelles et un (re)médiateur sensoriel et émotionnel puissant. Le silence devient partie prenante de l’alliance thérapeutique.
Avec François Roustang, nous soulignons : « […] que la fin de notre travail, aux deux sens du mot, ne réside-t-elle pas dans la construction d’un espace de silence. Sans doute faut-il beaucoup de paroles pour que le silence acquière son poids, son épaisseur, sa densité. […] Ne nous arrive-t-il pas de penser que nous en avons trop dit, parce que nous n’avons pas su donner à notre présence en corps une force et une simplicité qui suffisent à faire passer le comprendre dans le faire silencieux qui transforme ? » [29]