Du mésusage de l’habitation au réapprentissage de l’habiter…

Si nous devons, comme tout l’indique, nous acheminer vers un état de « prospérité sans croissance » (Tim Jackson), de croissance qualitative plutôt que quantitative, ou encore, de décroissance, alors une pièce essentielle du scénario, presque jamais mentionnée et traitée, est celle qui a trait au type d’habitat et d’habiter nécessaire. D’où l’importance des réflexions de Daniel Pinson qui attirent notre attention sur cette question cruciale. A.C.

Résumé :

La question posée ici est celle de savoir si l’ « apprendre à habiter », pédagogie préconisée dans les années 1950 par les architectes pour les destinataires des logements qu’ils concevaient, n’est pas sans trouver aujourd’hui une nouvelle pertinence. En effet, si cette injonction a été rapidement exposée à la critique, compte tenu de l’insistance de la modernité, à son stade de maturité, à vouloir penser l’habitation comme une « machine », elle constitue sans doute aujourd’hui, non dans l’optique d’une surconsommation d’appareils « électro-ménagers », mais dans celle d’une modération des actes de consommation dans la sphère domestique, un accompagnement indispensable à la réalisation et à l’occupation optimale de l’habitation, en termes d’ambiance comme d’économie énergétique. En contexte de réchauffement climatique anthropique vérifié (2007), c’est pour l’homme une occasion qu’il puisse penser son habitat - terme qui concerne toutes les espèces animales -, comme une dimension de l’écosystème qui le lie à une nature envisagée comme partenaire et non comme réserve inépuisable dans laquelle, avec la société industrielle, il a extrait de manière exagérée des ressources rares et précieuses au point d’aller vers leur disparition ou leur altération. L’architecture est très directement concernée par cette perspective car les qualités de l’habitation dépendront non seulement de la façon dont l’architecte aura pris en compte ces dimensions environnementales mais aussi de la façon dont l’habitant saura en user de manière sage et avertie. Une nouvelle conduite de et dans l’habitation est à trouver ou à retrouver en phase avec une culture de l’habiter ancestrale qui n’était pas dénuée de savoir-faire à ce sujet.

Introduction

Le Corbusier avait, en son temps, invité la société machiniste à rompre avec ses vieilles et « mauvaises » habitudes. Dans le célèbre et premier ouvrage qui l’a fait connaître : Vers une architecture (1924), il s’en prend à ces habitants qui « mésuse » (sic) de l’espace, l’encombre d’armoires, sature ses murs de tapisseries et de tableaux qui seraient, selon lui, avantageusement remplacés par des reproductions. Sa critique s’accompagne d’un court Manuel de l’habitation, haut en couleur, qui trace les grandes lignes de son programme architectural pour la maison : en faire une « machine à habiter », reproductible en série. Son projet de maison Citrohan (inspiré par le constructeur automobile Citroën), présenté dans le même ouvrage, va entièrement dans ce sens et les évolutions de la société ne lui donneront pas tout à fait tort. L’invention des appareils ménagers va en effet bientôt accréditer cette évolution. La modernité radicale, provocatrice, du Manuel de l’habitation trouvera cependant des formes d’expression plus modérées, plus rationnelles, chez d’autres partisans de la rupture avec le passé, plus authentiquement convaincus de l’apport des bienfaits des techniques à toutes les couches de la société.
Ainsi s’est donc formée la conviction, dans les milieux du logement social, qu’il existait la nécessité, avec l’introduction de cette idée nouvelle du confort domestique moderne, à la croisée des exigences d’hygiène et d’invention de nouveaux appareils, d’un apprentissage des manipulations inédites associées à ces nouvelles techniques. De raisonnée et raisonnable, l’acculturation au confort moderne aura cependant tendance à devenir déraisonnable en prêchant l’abandon d’habitus (et pas seulement de traditions), particuliers aux modes de vie européens, avec ce qu’ils gardaient d’attaches et de racines locales et régionales. Et si l’initiation au confort est pour certains modernes une sorte de mission de service public tendant à mettre à la portée des habitants ce que Le Corbusier appelait les « cadeaux de la technique », ce dernier ira jusqu’à préconiser l’instauration d’une « pédagogie de l’habitat » qui figurera en bonne place dans sa conception de l’urbanisme [1]. L’habitant y est considéré comme un enfant auquel il faut tout apprendre, les manœuvres qu’appellent ces nouveaux « cadeaux de la technique ». Pourtant cette condescendance ne dura qu’un temps : en 1966, une étude sur le pavillon [2], alors fustigé par Le Corbusier, partisan de l’ « immeuble en hauteur », porta bientôt un coup décisif à la vulgate fonctionnaliste de la « machine à habiter », signa le retour à un examen plus respectueux des pratiques habitantes et érigea l’habitant, auparavant infantilisé, en héros de la nouvelle architecture.

Misère de la convivialité et mirages de la surconsommation


Un demi-siècle plus tard, ce héros, l’habitant, a-t-il su garder les « compétences » (H. Raymond, 1984) que lui contestaient les Modernes et préserver son indépendance vis-à-vis de l’invasion machiniste ? A-t-il été en mesure de conserver les traits essentiels d’une culture domestique populaire construite à la rencontre entre une origine rurale encore vivace et une installation dans la ville industrielle [3], une culture domestique encore dominée par les restrictions du strict nécessaire et « enrichie » par l’apport de l’autoproduction (la maison et le jardin entretenus par l’homme, les travaux de couture assurés par la femme, en plus des pratiques culinaires qui, aujourd’hui érigées en patrimoine mondial de l’humanité, restent peut-être l’une des rares survivances de cette culture domestique, certes désuète et très marquée dans ses attributions sexuées, mais fortement autonome) ? Rien n’est moins sûr : la société bureaucratique de consommation est passée par là et les velléités d’émancipation, que l’on pouvait percevoir dans la persistance, voire la résistance, des modèles culturels ancestraux, n’ont pu résister aux sirènes de la production moderne.
Les mots et les combats de Fathy, d’Illich et de Turner [4] en faveur de solutions, en matière de vie quotidienne et de logement, souvent empruntées à des sociétés qui résistaient à l’occidentalisation [5], qu’on appellerait aujourd’hui durables et qu’ils nommaient autonomes, conviviales ou autogérées, ont été oubliés aussi rapidement qu’ils avaient pu un temps séduire. Aujourd’hui, avec plus de recul, deux auteurs peuvent nous aider à y voir plus clair : David Harvey, qui démontre en quoi la surproduction [6] est inhérente à la survie du capitalisme de l’actuelle modernité, et Hartmut Rosa, qui met en évidence le processus d’accélération spécifique à cette société moderne, qu’il appelle « tardive », et les comportements inconscients qu’elle engendre, source de nouvelles « souffrances sociales ». Il se propose ainsi, dans un ouvrage récent [7], d’articuler cette notion d’accélération avec un concept du jeune Marx, celui d’aliénation. Bien qu’il n’en tire pas toutes les conséquences en ce qui concerne la consommation, ou plutôt la surconsommation, il propose une orientation intéressante pour déjouer le piège qu’accélération et consommation ont tendu aux populations des sociétés fordistes, y compris les plus démunies, pour créer chez elles des « faux besoins », les inculquer dans les comportements comme « vraies pratiques » et ainsi assujettir les pauvres à une exploitation immédiate, et même à crédit, dont la crise actuelle montre la profondeur : admiration des riches et envie maladive de prendre leur place, transformation de la solidarité et du partage en compassion caritative, etc.

Le désenchantement de l’avoir plus


D’un bout à l’autre de la ville, la surconsommation règne : dans les cités [8] gangrénées par l’économie de la drogue, souvent condition d’accès aux nouveaux « cadeaux de la technique » : télévisions, ordinateurs et smartphones, voitures et vêtements de marque et autres gadgets dont on a du mal à suivre le renouvellement productif, comme dans les plus lointaines périphéries où les moins pauvres ont pu échapper aux ghettos pour se réfugier dans une illusion de nature. Leur éloignement des services urbains, qu’ils ont pris l’habitude de fréquenter et qui leur sont désormais indispensables, obligent ces périurbains à une utilisation systématique de la voiture, pour une baguette de pain comme pour aller faire pisser leur chien [9]. Leur inconscience de la dépendance est à la mesure d’un sentiment de réussite dans leur projet de vie que vient cependant interroger et troubler un regard rétrospectif sur la galère de cette vie passée à gérer les déplacements de leurs bébés devenus ados, aussi démunis pour se rendre au collège que pour rencontrer leurs copains [10].
Depuis que Henri Raymond a, dans la suite de l’habitat pavillonnaire, dévoilé la « compétence » de l’habitant, concept qui était effectivement opératoire pour montrer le diktat des tenants de la « machine à habiter » et l’étroitesse des exigences fonctionnalistes qui constituaient le fonds de commerce de ce courant, il est de bon ton pour les sociologues de considérer que l’habitant a toujours raison et que ses envies de villa ou de pavillon à l’écart participent d’une aspiration légitime que les urbanistes, ou les politiques qui les écoutent, n’avaient pas des raisons très fondées pour les condamner. La résistance des urbanistes à ce modèle, fort prisé des Nord-Américains, n’a donc pas tenu : la dénonciation du « mitage » est ainsi apparue comme un argument esthétique insuffisant et on a considéré que de meilleurs conseils pouvaient en atténuer les effets paysagers.
C’est au moment où cette fuite en avant a atteint des situations de crise diverses, aux USA, notamment dans la région urbaine de Los Angeles, avec l’effet associé de l’engorgement autoroutier et de l’augmentation de la pollution, puis la crise des subprimes, dont Detroit est l’exemple le plus spectaculaire, en France, avec la crise du foncier conduisant à des installations de plus en plus éloignées, que ce modèle a été remis en cause. Encore cette révision, engagée avec le « développement durable », n’a-t-elle pu être pleinement prise en considération qu’avec la vérification du réchauffement climatique (2007) et la mise en évidence de ses conséquences environnementales. Cependant la perspective d’un autre modèle de développement et ses applications sur le cadre construit ne conduisent pas plus à des solutions évidentes qu’à des renoncements douloureux. C’est en effet souvent sur un aspect parmi d’autres que l’on intervient, sans prendre en compte l’interdépendance des différents aspects de la question.
Prenons l’exemple, présenté dans un reportage télévisé, de cette maison hypermoderne réalisée en métal (ossature et bardage) avec de grandes baies en verre triplex. Le confort y a été calculé de telle sorte que la consommation d’énergie externe y soit nulle, le bâtiment trouvant, dans son propre système, les ressources de l’ambiance intérieure la meilleure pour ses habitants. Or cette maison est située dans une campagne sauvage sans qu’on devine la moindre présence d’une activité agricole, tout au plus une exploitation forestière. La rencontre d’un idéal technique, en matière de consommation énergétique, inscrit dans une architecture réduite à son expression minimale (juste ce qu’il faut de matière pour faire abri), d’une part, et une nature à laquelle la main de l’homme ne semble pas avoir touché, d’autre part. Il faut bien cependant supposer que les habitants qui occupent cette habitation moderne et énergétiquement « parfaite » ne vivent pas en vase clos et qu’ils entretiennent quelques relations avec un environnement plus large : un village, une ville où des enfants vont à l’école ou au collège, où des parents, vont, à moins qu’ils ne s’adonnent qu’au télétravail et qu’au téléachat, vers divers centres urbains ou périurbains. Un non-dit qui ne trouble en aucune manière le commentaire.
Or voilà une conception de la maison du futur qui l’isole du monde et la pense comme un objet en soi, parfait en regard de son économie énergétique. Une vision tronquée que divers travaux de recherche contestent, comme une approche actuelle de l’urbanisme qui remet en cause la pensée par secteurs d’activité séparés, héritière du fonctionnalisme. C’est cette illusion de l’isolement dans la nature et de la retraite absolue du monde humain qui mérite d’être soulignée car cette aspiration moderne au retrait, si elle relève le défi d’une habitation moins consommatrice d’énergie dans son fonctionnement quotidien, ignore par ailleurs les effets du choix de l’écart sur les déplacements de la petite société familiale qui vit dans une telle maison. De nombreuses études ont en effet montré l’importance qu’avaient prise, en matière de consommation énergétique et d’émissions polluantes, la multiplication et l’allongement incessant de ces déplacements motorisés entre le domicile éloigné et les centres d’activités.
Cet exemple est typiquement celui d’une architecture de prestige – le prix de la maison n’est pas donné – mais on est en droit de supposer que cette construction, qui pousse les modèles nord-américains de Mies van der Rohe ou de Richard Neutra jusque dans leurs sophistications les plus outrées pour parvenir aux résultats énergétiques souhaités, en fonctionnement, n’a sans doute pas les mêmes prétentions, en production. Son rendement au quotidien ne peut en effet nous dispenser de prendre en compte les dépenses énergétiques associées à l’extraction des matières qui la composent, à leur transformation comme à leur transport. Et si un tel projet peut s’inscrire dans une influence nord-américaine quant à son rapport déclaré à la nature, il n’a pas grand-chose à voir avec le modèle de la cabane de Thoreau à Walden (1850) [11] ; il en est plutôt la dérive consumériste que dénonçait déjà chez ses propres contemporains l’écrivain-poète.
Un tel exemple montre que les bonnes idées du « développement durable » peuvent aboutir aux solutions les plus trompeuses, ici pour servir le projet d’une luxueuse villa, et ailleurs pour se dédouaner à bon compte d’une réflexion et d’une pratique constructive en accord avec des normes administratives ou un ensemble de lois (Grenelle de l’environnement) bien vite oubliées au plus fort de la crise des dettes souveraines.

Une désaliénation est-elle possible ?


Aujourd’hui l’intérêt averti que la sociologie critique des années 1970 portait sur les pratiques des habitants, placées sous la contrainte des instigateurs de la modernité machiniste, a tendance à évoluer en une compassion pour les comportements aliénés que la lente acculturation à cette modernité fordo-machiniste est parvenue à inculquer à ces larges pans de la population mondiale. On peut donc considérer qu’elle est inspirée par une position idéologique populiste.
Au demeurant, en Europe et plus particulièrement en France, la « tranquillité » que vont chercher les habitants de villas et de pavillons à la faveur de l’imprévision qui a marqué l’urbanisme des lisières entre ville et campagne, participe d’un modèle clairement consumériste dont l’automobile, et tout particulièrement le séduisant 4X4, constitue une pièce essentielle. Il est terriblement envié par ceux dont le revenu ne permet pas l’accession. Ces derniers, souvent captifs des grands ensembles, ont pour leur part jeté leur dévolu, à défaut, et piégés par le crédit facile, sur ce qui fait le contenu d’un projet pavillonnaire, y compris la voiture et le chien, plus souvent de garde que de compagnie. Alors que, pour les premiers - que l’on classe dans les catégories moyennes -, les économies domestiques deviennent une préoccupation incontournable étant donné les augmentations des prix des combustibles fossiles, tant pour le chauffage et d’autres charges de la maison que pour les déplacements, ceux qui restent locataires dans les immeubles collectifs se voient de plus en plus invités par les bailleurs à des démarches de rationalisation de leur consommation énergétique [12]. Cependant la lisibilité de ces dépenses reste pour eux souvent énigmatique étant donné que le coût réel de leur séjour en logement social est en partie masqué par les aides dont ils bénéficient. Si le crédit de la télévision relève de la responsabilité du locataire, la quittance de son loyer emprunte une trajectoire complexe, transitant par les organismes sociaux, ce qui a permis de limiter les loyers impayés, cauchemar des bailleurs sociaux. La gestion économe de l’immeuble, qui, bien entendu, a des incidences sur le coût réel du loyer, n’est donc pas vraiment une préoccupation qui puisse être pensée comme partagée par le locataire. L’aide au logement participe de cette sécurité sociale, comme la santé, dont le bénéficiaire pense qu’elle est un devoir de la société à son égard, un droit qui lui est dû naturellement et qui ne l’engage ni à réduire sa consommation de cigarettes, pas plus que celle du Prozac, ni celle de la crème Chantilly, pas plus que de baisser la température de son logement d’un degré, ou de remplacer le joint de son robinet d’évier qui fuit, ou de contrôler l’ouverture de la serre solaire installée par le bailleur. Il s’agit pourtant d’un chantier important pour les organismes de logement social : plusieurs sont engagés dans des démarches innovantes sur ce terrain et certains travaux de recherche commencent à y porter attention, soit dans le cadre d’opérations ciblées dans des immeubles existants, soit dans le cadre d’opérations de constructions nouvelles.
La thèse récente – et remarquable - de Vincent Renauld, soutenue à l’INSA de Lyon [13], fait partie de ces recherches qui s’intéressent à la conception et à la gestion de quartiers durables. Elle s’est notamment penchée sur l’un des quartiers les plus en vue en matière de « durabilité », la ZAC de Bonne à Grenoble. Conduite à l’interface entre dispositif technique et usage des habitants, la recherche met en évidence les zones de friction entre les choix techniques opérés par bailleur et maîtres d’œuvre et la manière dont les habitants en font ensuite l’utilisation. L’auteur souligne le décalage entre la conception et l’usage : la pédagogie des bailleurs, qui transite pourtant par la remise d’un livret-mode d’emploi sous forme de bande dessinée, ne parvient pas à écarter les « objections » des habitants. Celles-ci, obstinations autant qu’ « objections », s’expriment dans le travail d’évitement et de détournement vis-à-vis des nouveaux dispositifs proposés par les bailleurs, eux-mêmes inspirés par le Grenelle de l’environnement. Mais là où l’auteur, à l’instar de Michel de Certeau et dans la foulée de cette sociologie d’attention aux pratiques de l’habitant, voit de la « virtuosité », un œil plus froid et moins empathique est bien obligé d’admettre que de nouvelles « mauvaises habitudes » ont été distillées dans le comportement consommateur des habitants : comment interpréter autrement le recours immodéré aux détergents industriels, dont la publicité a été assénée de façon insistante dans les interludes publicitaires de la télé, en dépit d’une consigne à n’utiliser que de l’eau pour assurer la propreté d’un nouveau matériau auto-nettoyant inventé à des fins écologiques : le marmoleum [14] ? Le nombre des gestes anti-écologiques est impressionnant, à la hauteur de l’aliénation de populations pauvres auxquels ont été attribués ces logements durables. Ils l’ont été dans la plus belle tradition d’assistance sans réciprocité inculquée par des organismes HLM qui ont à peine renouvelé la part de l’idéologie compassionnelle et paternaliste du Mouvement HBM de la fin du XIXe siècle. Aliénation qui n’est pas tant engendrée par le refrain d’un Etat-Providence qui peut tout faire que par une société industrielle bureaucratique de consommation qui a distillée l’idéologie trompeuse de l’achat à crédit pour des produits toujours plus superflus, indifférents à l’épuisement des ressources naturelles. Une telle idéologie est en réalité décisive pour élargir la clientèle de cette surproduction caractéristique de la modernité tardive, indispensable à la survie du capitalisme et dont David Harvey dit : « Si le pouvoir d’achat disponible sur un marché ne suffit pas, alors il faut trouver de nouveaux marchés, en développant le commerce extérieur, en promouvant de nouveaux produits et styles de vie, en créant de nouveaux instruments de crédit ou en recourant à la dette pour développer les dépenses publiques ou privées. » [15].

Vigilance planétaire, modération et partage…


Il ne faut surtout pas compter sur le capitalisme pour réduire cette surproduction-surconsommation. Au contraire il a remplacé sa brutalité initiale par des ruses d’une redoutable perversité en se saisissant des meilleures résolutions nées de la prise de conscience écologique pour placer les plus inutiles voire les plus contestables des produits sous l’enseigne du « développement durable ». Le domaine alimentaire est un excellent exemple de ces promesses de bienfaits diététiques et l’on ne doit qu’à la vigilance des associations de consommateurs le dévoilement quotidien des tours de passe-passe des technico-commerciaux engagés dans ce qu’ils appellent la « force de vente ». Cette contre-expertise, souvent de nature associative, de « plein air » ont dit Barthes, Lascoumes et Callon [16], joue un rôle de déniaisement, de désaliénation tout à fait important ; elle participe de l’action de contre-pouvoirs d’autant plus indispensables que, en dépit des contrôles de validité des produits censés être examinés de façon indépendante, « scientifique et objective », les lobbys industriels parviennent à infiltrer ou à corrompre les structures de veille sanitaire et autres. D’où l’importance de cette « démocratie cognitive » qu’Edgar Morin, dans le dernier tome (6) de sa « Méthode » : « Ethique », et dans d’autres textes ultérieurs, appelle de ses vœux [17]. L’aliénation par l’ignorance et la tromperie constituent en effet le mode préliminaire de captation par l’envie, de l’ « intoxication consumériste » (Hessel-Morin, 2011), suscitées chez les consommateurs. Tout ce qui contribue à l’élévation de la connaissance est donc essentiel pour accéder à la pertinence d’un choix et « substituer à l’impératif unilatéral de croissance, comme le préconisent Hessel et Morin, un impératif complexe, déterminant ce qui doit croître mais aussi ce qui doit décroître. » [18].
Après avoir donné lieu à un débat contradictoire riche, la décroissance est aujourd’hui, en contexte de crise, disqualifiée, et la croissance est, du moins en France, rarement associée à des productions et des modes de consommation pensés dans le sens d’une utilisation plus économe et plus écologique : la crise automobile le montre. Le temps est pourtant venu de penser la résolution de la crise autrement qu’à travers l’augmentation de ce qui est déjà produit, en trouvant des productions qui épuisent moins la nature en même temps qu’elles emploient plus intelligemment un plus grand nombre de personnes, tout en rendant un meilleur service à la société. Or la qualité de ce dernier dépend du jugement des usagers, qui tournera à la frustration, si l’étalon reste la richesse matérielle, et si ne s’y substitue pas la satisfaction qu’apportent d’autres types de valeurs. On peut regretter à ce sujet que nos sociétés occidentales entretiennent leurs peuples dans l’illusion du maintien d’un niveau de vie matérielle dont on doit aujourd’hui se demander s’il ne résulte pas, à la fois, de la spoliation matérielle et humaine de contrées entières de la planète, des siècles durant, et d’une utilisation aveugle et inconsidérée, au détriment de la nature, de la progression prodigieuse des connaissances, au cours des deux siècles écoulés.
Dans le cadre de la mondialisation, dont pourtant chacun convient, le mode persistant de raisonnement au sujet de la crise reste enfermé dans le cadre européen, voire, et c’est encore plus désastreux, dans le cadre national. Or, si le sous-développement concerne encore de nombreuses régions du monde, l’émancipation et le développement des peuples autrefois colonisés ou dominés a pris une dimension qu’il est nécessaire d’intégrer, au moins autant que le réchauffement climatique, pour penser ce que certains caractérisent comme le déclin de l’Occident [19].
Chacun connait le nouveau tableau de cette mondialisation où le moteur de la richesse n’est pas tant, comme aux siècles de la colonisation, la spoliation des ressources humaines et naturelles (esclaves, minerais, produits agricoles…) que la vente de produits à moindre coût et l’orchestration financière et spéculative des échanges qui en résultent par les trois ou quatre grandes places financières mondiales (New York, Londres et Tokyo). Ce reste de suprématie occidentale, probablement provisoire, est largement lié à la sophistication informatique, à la langue (l’anglais) et à la monnaie étalon (le dollar). Tout en opérant un rééquilibrage entre pays dominants et dominés, cette mondialisation exprime le triomphe du capital, celui d’une surproduction matérielle qui lui est consubstantielle (D. Harvey). Dans un contexte conjugué d’expansion démographique, d’épuisement des ressources et de réchauffement d’origine anthropique démontré (2007), elle crée aussi en interne un prodigieux accroissement des inégalités, prélude probable à des mouvements sociaux de formes diverses.
En même temps, ce bouleversement ne peut qu’alerter les Occidentaux de la fin d’une situation privilégiée dont une part a aussi profité aux peuples des pays dominateurs sans qu’ils en soient exactement conscients. Cette part peut se comprendre d’une certaine manière comme la récompense de leur collaboration à l’entreprise de spoliation coloniale ou néocoloniale.

Pour conclure


Au-delà des constructions folles de tours qui s’édifient dans les pays rentiers ou émergents, comme au cœur (Londres) ou en marge (Paris) des places financières - et qui, souvent, ne trouvent pas d’occupants-, une autre voie est à tracer aujourd’hui pour un cadre de vie dont les qualités, comme le coût de réalisation et de fonctionnement, puissent s’inscrire dans les exigences de modération qui s’imposeront à l’humanité entière [20]. Un autre modèle naîtra donc nécessairement, soit qu’il s’impose à l’humanité soit que cette dernière l’anticipe en prenant des mesures que les actuels dirigeants n’ont cessé de repousser jusqu’à présent.
Cette modération, cette forme de l’économie qui s’apparente à l’une de ses significations et s’oppose à cette autre forme économique qu’est la dépense, avec son versant extrême que constitue le gaspillage [21], concerne aussi bien la production des biens que leur utilisation, mais aussi le niveau d’exigence et le comportement des hommes et des femmes qui en font leur profit, et devront donc les envisager, non comme les fruits d’un réservoir inépuisable, mais au contraire d’un potentiel limité et rare…
Après que le modèle capitaliste ait subtilement distillé le venin de la surconsommation, modèle contre lequel la sociologie des années 1970 avait raison de soutenir les habitus habitants, souvent construits dans la résistance à la disette, il faudra au modèle écologiste désapprendre à l’habitant ses comportements surconsommateurs et construire une pédagogie de la modération et du partage, source de nouveaux modes de vie « plus proches de la nature », pour reprendre une expression banalisée, mais une nature autre que celle, extérieure, qui est visée par cette formule rebattue, une nature qui nous inclut, comme la totalité de notre environnement, y compris urbain, et que nous traiterons comme partenaire respecté, notamment dans l’usage du logement.
La question de cette modération et de ce partage se pose à tous les niveaux de pouvoir : aux plans planétaire et continental comme au plan domestique, en passant par la région et le lotissement, comme pour toutes les formes d’habitat, du collectif à l’individuel, et pour tous les modes de gestion de la résidence, entre location et propriété. Le niveau informatif est essentiel : il faut rendre la connaissance attractive et réduire l’emprise de l’entertainment basée sur le culte des stars. La démocratie cognitive prônée par Edgar Morin est la condition d’une vigilance démocratique qui permettra de réduire des inégalités aujourd’hui fondées sur les ruses de la finance tout autant que sur l’oppression des dictatures. Mais elle est aussi celle d’une posture écologique qui réduira l’éthique de surpuissance qui anime l’humanité et la laisse penser que la nature a été mise à son service par Dieu ou par la Science. Humanité, on le remarquera, rime avec humilité.
Voilà deux conditions qui peuvent orienter différemment le monde : engager un plus juste partage entre les hommes et un partenariat respectueux entre les hommes et la nature. Les grandes décisions comme les plus minuscules découlent d’une telle éthique.
Dans le domaine des plus grandes, les sources d’énergies ont besoin d’être repensées au plus haut niveau comme au plus petit : du parc d’éolienne, qui relaie le charbon, le pétrole ou l’atome, à l’éolienne domestique ou au capteur photovoltaïque, pensés en relation avec le contexte géographique. Remplacer les sources d’énergie, mais aussi réduire sa consommation : le travail sur une meilleure isolation des constructions existantes est un gisement considérable d’emploi, tant en nouvelles filières spécialisées qu’en autoproduction, mais aussi en inventions inattendues comme les terrasses cultivées en milieu urbain dense à la manière de la Brooklyn Grange Farm [22].
De même la construction de nouveaux logements appelle une bonne articulation entre des mesures générales, techniques et financières, concernant les produits utilisés, la localisation et l’accessibilité des habitations, puis la maintenance et gestion des opérations réalisées, tant sur le plan du logement lui-même que de l’ensemble immobilier – et paysager - dans lequel il s’insère. Certains équipements aujourd’hui individualisés peuvent y devenir ou redevenir partagés (véhicule de service, laverie, outils de bricolage et de jardinage, etc.). Le partage participe aussi de la modération : en partageant des savoirs, on augmente ses propres performances (en bricolage, en jardinage) et on évite l’achat d’outils parfois onéreux qui n’ont qu’un service limité à l’échelle individuelle. Plus qu’une liste de dispositifs ou de d’actes écologiques, c’est en fait une vision, une philosophie, qui est déterminante pour donner naissance et amplifier un environnement construit et paysager plus confortable et plus sain.
La conscience écologiste existe, certes, depuis longtemps : elle est contemporaine du mouvement industriel, mais les « cadeaux de la technique », avant qu’ils ne deviennent les « dégâts du progrès », ont d’abord masqué sa face sombre, et les petits pas de cette prise de conscience, dont les alarmes prémonitoires, à propos du réchauffement climatique comme de la disparition d’espèces et de ressources, sont désormais , du moins en apparence, écoutés, ont dû été relayés par les déclarations de sagesse au plus haut niveau. Mais l’avidité des partisans du libéralisme sauvage qui domine le monde est telle que ces velléités sont bientôt oubliées et ne tardent pas à être de nouveaux étouffées par le brouhaha de la publicité productiviste.
Et pourtant, les appels aux « gestes verts », ces comportements de modération ou de restrictions, ne manquent pas, qui prennent à rebours les fâcheuses habitudes du gaspillage et de la négligence, en quantifiant avec la belle expression d’« empreinte écologique » [23] les traces négatives qu’elles laissent. On peut espérer que l’engrammation-incorporation de ces « gestes verts » accumulés finira, aidée par les coups de semonces d’une nature (le climat comme l’humanité) poussée à bout (épisodes plus rapprochés de turbulences naturelles et sociales), par construire une autre vision du monde, un autre modèle de vie, une « sobriété heureuse » telle que la préconise aujourd’hui l’architecte chinois Wang Shu.

Daniel Pinson, architecte, sociologue, professeur d’urbanisme à l’Université d’Aix-Marseille

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Rosa (Hartmut), Aliénation et accélération, Vers une théorie critique de la modernité tardive, Paris : La Découverte, 2012.
Stébé (Jean.-Marc), Marchal (Hervé), Mythologie des cités-ghettos, Paris : Le Cavalier bleu, 2009.
Thoreau (Henry David), Walden ou la vie dans les bois, Paris : Gallimard, 1922.
Turner (John FC), Le logement est votre affaire, Paris, Le Seuil, 1976.
Wackemagel (Mathis) et Rees (William), Notre empreinte écologique, Montréal : Les éditions Ecosociété, 1999.

// Article publié le 26 novembre 2012 Pour citer cet article : Daniel Pinson , « Du mésusage de l’habitation au réapprentissage de l’habiter…  », Revue du MAUSS permanente, 26 novembre 2012 [en ligne].
https://www.journaldumauss.net/./?Du-mesusage-de-l-habitation-au
Notes

[1Le Corbusier, Manière de penser l’urbanisme, Paris : L’architecture d’Aujourd’hui, 1946.

[2Henri Raymond et alii, L’habitat pavillonnaire, Paris : L’Harmattan, 2001.

[3Voir à ce sujet D. Pinson, Du logement pour tous aux maisons en tous genres, Paris, Plan Construction, 1988.

[4Ivan Illich, La convivialité, Paris : Le Seuil, 1973 ; Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Paris : J. Martineau, 1969 ; John FC Turner, Le logement est votre affaire, Paris, Le Seuil, 1976 .

[5Serge Latouche, L’Occidentalisation du Monde, Paris : La Découverte, 1989.

[6David Harvey, Le capitalisme contre le droit à la ville, néolibéralisme, urbanisation, résistances, Paris : Ed. Amsterdam, 2011.

[7Hartmut Rosa, Aliénation et accélération, Vers une théorie critique de la modernité tardive, Paris : la découverte, 2012.

[8Jean.-Marc Stébé, Hervé Marchal, Mythologie des cités-ghettos, Paris : Le Cavalier bleu, 2009 ; Luc Bronner, La loi du Ghetto, Enquête sur les banlieues françaises, Paris : Callman-Lévy, 2010.

[9Habitant désormais en lisière d’un village de 800 âmes, je suis témoin au quotidien des sorties pipi-caca d’un couple maman-toutou : la maîtresse roule avec son véhicule derrière la bête et fait station sur le chemin en même temps que l’animal se soulage…

[10Voir, bien avant que d’autres ne s’en émeuvent (cf. la page de couverture de Télérama n° 3268 (1-7sept 2012) : Loin des villes, un rêve qui tourne mal…), notre étude : D. Pinson et Sandra Thomann, La Maison en ses territoires, de la villa à la ville diffuse, Paris, L’Harmattan, 2002.

[11Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Paris : Gallimard, 1922.

[13Vincent Renauld, Fabrication et usage des écoquartiers français, Eléments d’analyse à partir des quartiers De Bonne (Grenoble), Ginko (Bordeaux) et Bottière-Chênaie (Nantes), Thèse en Aménagement de l’espace, urbanisme (Dir. J.-Y. Toussaint), Lyon : INSA, 2012.

[14Extrait du site : http://materiaux-ecologiques.kenzai.fr/83-marmoleum-click-dalle.html : « Présentation : Le Marmoléum est un revêtement de sol de haute qualité et facile à poser. Composé de matières premières : huile de lin, résines naturelles, farine de bois, pigments, charges minérales et toile de jute, il est entièrement biodégradable. Idéal pour les chambres d’enfants, salle de jeux, salons, salles de séjours, couloirs…Entretien : Le Marmoléum est protégé par un traitement de finition, qui simplifie le nettoyage et l’entretien du sol. Ce produit de revêtement de sol est naturellement antibactérien, même contre les bactéries MRSA. ». Voir aussi :
http://accueil.habitat-ecologique-normand.fr/images/stories/habitat/telechargement/ne_marmoclick.pdf

[15David Harvey, op. cit.

[16M. Callon et alii, Agir dans un monde incertain, Paris : Le Seuil, 2001.

[17Edgar Morin, La Méthode 6. Ethique, Le Seuil, 2004, p. 193.

[18Stéphane Hessel, Edgar Morin, Le chemin de l’espérance, Paris : Fayard, 2011, p. 13.

[19Voir ce que dit à ce sujet Jon Moynihan, un consultant écouté dans les milieux économiques et universitaires :
http://www.youtube.com/watch?v=mwnb8YgSgxo.

[20Le premier architecte chinois, Wang Shu, lauréat du Pritzker Price, considéré comme le Nobel en architecture, parlant de xiao kang : « petite prospérité », fait entendre une voix de sagesse en opposition radicale à la maladie de l’argent qui frappe la nouvelle Chine : http://www.pritzkerprize.com/laureates/2012 .

[21Serge Latouche, Bon pour la casse, les déraisons de l’obsolescence programmée, Paris : LLL Les Liens qui Libèrent, 2012.

[22La ferme installée sur le toit d’un bâtiment de Brooklyn est en effet tout à la fois spectaculaire et exemplaire : http://www.brooklyngrangefarm.com/about-the-grange/ .

[23M. Wackemagel et W. Rees, Notre empreinte écologique, Montréal : Les éditions Ecosociété, 1999.

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