Laure Gauthier, « Je neige (entre les mots de villon) »

Laure Gauthier, Je neige (entre les mots de villon)

Nantes, éd. Lanskine, 2019

« Le premier poète à la moderne » : c’est ainsi qu’André Suarès présentait François Villon en janvier 1914, dans les Cahiers de la quinzaine. Cette modernité du poète médiéval, les voix les plus novatrices d’aujourd’hui ne l’oublient pas – et l’on se souvient de l’estomaquant Testament de Christophe Manon paru en 2011 aux éditions Léo Scheer. Voici que la figure de Villon, sa langue, sa mémoire, ses mots deviennent la matière première d’un nouveau pari lancé par Laure Gauthier. Après Kaspar de pierre, elle poursuit son exploration aux confins du poème, du son et de la pensée. Sous sa plume, villon devient un nom commun. Poésie de recherche, poésie expérimentale, extrême, se tenant sur une arête, une ligne de crête entre chant, parole et savoir. Je neige (entre les mots de villon) contient ainsi une forme de manifeste où elle définit les contours d’une poétique.

Le livre s’organise en deux volets, deux mouvements. Je neige est un chant vocal entrelaçant « trois voix, peut-être quatre, celle de François Villon, des autres, de ses autres », comme si nous entrions dans l’espace mental de l’œuvre-villon. Le poème reflète une expérience à fleur de peau des mots, de leurs sonorités, de leurs rythmes et de leurs interstices. Rêverie, hiéroglyphe, faits divers, elle joue avec les registres comme avec les formes médiévales (éclats de rondeaux, ballades à fragmentations) en se référant aux plus récentes recherches scientifiques sur un auteur dont Laure Gauthier possède une connaissance fine et sensible. Chaque voix répond à un triple écho : celui, pur, du poème – celui, sourd, de l’histoire et de la mémoire – celui, puissant, de l’expérience sensible – qui troue et traverse les âges. Le second volet (entre les mots de villon) forme comme un antipoème, un manifeste en contrechamp dans lequel Laure Gauthier revient sur sa démarche et son horizon de création – le « devenir-chant ». Il s’agit de « désensevelir la voix qui parle en nous », dire « l’à-côté de la vague », de retrouver et de suivre le « mouvement-villon », ce que Jacqueline Cerquiglin-Toulet nomme le « rhizome Villon ». Laure Gauthier propose de donner vie à des « chants de neige et des mots de vent ». Discrètement, avec une finesse et une justesse rares, elle ouvre de nouveaux espaces et de nouvelles façons de mener « la bataille d’écrire ».

François Bordes

// Article publié le 22 mai 2019 Pour citer cet article : François Bordes , « Laure Gauthier, « Je neige (entre les mots de villon) » », Revue du MAUSS permanente, 22 mai 2019 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Laure-Gauthier-Je-neige-entre-les-mots-de-villon
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