Journée d’études « L’expérience politique du présent contre le catastrophisme et le passéisme »

Sophiapol, Paris-Ouest-La défense, le 11 mai 2011

Journée d’études organisée par Nicolas Poirier dans le cadre du laboratoire Sophiapol de l’Université Paris Ouest Nanterre-La Défense.

Cette journée d’études entend revenir sur le problème des rapports que les sociétés entretiennent avec le temps, plus particulièrement sur les difficultés que connaissent actuellement les sociétés occidentales à assumer leur présent, pour se réfugier dans la fiction d’une origine vierge de toute corruption ou se projeter dans l’horizon d’un avenir apocalyptique. On doit en effet chercher à saisir ce qui est en jeu dans l’émergence conjointe d’une perspective catastrophiste, liée notamment à la place centrale occupée par la problématique écologique depuis quelques années, et d’un discours passéiste, où une certaine tradition largement mythifiée est dès lors conçue comme le référentiel critique qui permettrait de pointer les maux engendrés par la modernité tardive.

Si l’on fait l’hypothèse que la démocratie se distingue de toutes les autres formes de régime par la primauté qu’elle accorde au présent, une société démocratique ne pouvant se projeter dans le futur et se confronter à son passé qu’à partir de la réflexivité qui la met aux prises avec son présent, que penser dès lors d’un projet politique qui tend à diluer toute responsabilité envers le présent dans l’unique souci de protéger les « générations futures » des maux que notre trahison des idéaux traditionnels nous aurait conduit à endurer ? Il n’est d’ailleurs nullement évident que le temps long de la nature, comme celui de l’histoire, soit comme tels symbolisables en des termes expressément politiques, passé et futur ne constituant pas des entités données qui devraient imposer ses lois au présent, mais résultant d’une élaboration politique conflictuelle dans laquelle le rapport au présent est primordial.

C’est de la centralité du présent comme constitutive de l’action politique démocratique que nous devons partir pour cerner les rapports féconds qu’il faut effectivement nouer avec ces dimensions du temps que sont passé et futur, et saisir de la sorte les apories d’une conscience du temps qui ne prendrait pas en compte le caractère central du présent pour la détermination d’un projet politique ; en ce qui concerne la relation au futur d’une part : la perspective d’une mobilisation des énergies politiques afin d’éviter la catastrophe future peut-elle s’articuler au projet démocratique de détermination d’un bien commun, qui doit certes dépasser l’horizon du présent et de la quotidienneté, mais qui n’est sans doute pas aisément référable à un futur que l’on prétend d’un côté indéterminé tout en lui donnant de l’autre le visage d’une catastrophe inéluctable ? L’idée « catastrophiste » d’une expansion technique sans limite conduisant fatalement l’humanité sur la voie de son autodestruction ne reproduit-elle pas la mythologie marxienne d’un effondrement inéluctable du capitalisme en vertu de lois nécessaires ? Le gouvernement d’une société en référence à un horizon qui est celui de la catastrophe ne débouche-t-il pas finalement sur une politique qui tend à mobiliser les affects de la peur au détriment de la réflexivité propre à l’action politique soucieuse de prendre en charge le présent ? En ce qui concerne la relation au passé d’autre part : la nécessaire prise en compte du passé, comme dimension inhérente au mouvement de distanciation critique impliqué par l’agir démocratique, consiste-t-elle en la réactivation des potentiels émancipateurs contenus dans les mouvements de lutte passés, et qui formeraient une paradoxale « tradition révolutionnaire » à laquelle il faudrait demeurer fidèle ? Si oui, comment penser la reprise dans le présent de cette tradition, en évitant que le légitime souci d’installer le présent dans une continuité d’action avec le passé ne reproduise la primauté de la théorie (vraie de toute éternité) sur la praxis (marquée par la contingence), et en refusant de voir dans cette tradition les traces d’une altérité miraculeusement préservée de l’aliénation qui caractérise la modernité ?

Quelles sont les modalités par lesquelles la nature et l’histoire peuvent faire sens pour l’homme ? Comment rendre pensable l’articulation du temps long du cosmos et du temps humain de la tradition avec la temporalité propre à l’historicité qui est celle de la politique, en évitant de sacrifier le présent en tant que dimension constitutive de l’agir démocratique ? D’ailleurs, si compte-tenu du caractère foncièrement complexe des problèmes de l’écologie, il semble impossible de faire autrement que confier ces problèmes à des experts, comment penser dès lors la possibilité d’une écologie politique réellement démocratique ? Le recours à l’idée de complexité et au principe de l’expertise dans le domaine de l’écologie ne reproduit-il pas les impasses qui sont celles de l’économicisme interdisant de facto tout débat véritablement public sur les orientations des politiques économiques ? De même, étant donné le caractère indiscutable de ce qui se donne pour tradition, surtout lorsque celle-ci est comprise comme la mémoire « progressiste » des différentes luttes menées contre la domination, comment concevoir la possibilité d’un rapport fécond au passé, qui n’écrase pas l’autonomie du présent sous prétexte de faire revivre des origines oubliées ? La référence à l’idée de modernité, comprise comme un rouleau-compresseur détruisant toute trace de singularité et de différence dans un monde homogénéisé, ne conduit-elle pas à l’écriture d’un nouveau « grand récit », tout aussi mythique que les histoires auxquelles croyaient les hommes de la tradition ?

Le but de cette journée d’études est donc de chercher à saisir de façon critique ce qu’implique en termes politiques la primauté qui est désormais accordée au passé et au futur au détriment de la réflexivité politique, en se demandant si cette reconnaissance peut s’accorder avec les présupposés du projet d’émancipation démocratique dans lequel le présent joue un rôle primordial.

Matinée, présidence : Stéphane Haber (Université Paris Ouest, Sophiapol)
10h - Nicolas Poirier (Université Paris Ouest, Sophiapol) : « L"expérience politique du présent contre le catastrophisme et le passéisme ».
10h30 - Jean-Claude Monod (CNRS-ENS, Archives Husserl) : « Vertus et périls d’une ontologie de l’actualité au miroir de Foucault ».
11h - Antoine Chollet (Université de Lausanne, CHIPI) : « La démocratie au présent ».
11h30 - Discussion.
12h30 - Clôture de la matinée et déjeuner.

Après-midi, présidence : Nicolas Poirier
14h - Romain Felli (FNS, Université de Manchester) : « Le catastrophisme écologique contre la démocratie ».
14h30 - Jean-Loup Amselle (EHESS) : « D’un principe espérance tourné vers l’avenir à la nostalgie pour un monde que nous avons perdu ».
15h - Magali Brailly (Université Paris Est, Centre de recherche Cultures et Sociétés) : « Le temps présent, entre dette et promesse : les équivoques du paradigme éthique de la responsabilité ».
15h30 - Discussion.
16h30 - Clôture de la journée.

// Article publié le 28 février 2011 Pour citer cet article : RDMP , « Journée d’études « L’expérience politique du présent contre le catastrophisme et le passéisme », Sophiapol, Paris-Ouest-La défense, le 11 mai 2011 », Revue du MAUSS permanente, 28 février 2011 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Journee-d-etudes-L-experience
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