« Il m’est venu un jour à l’idée que si l’on voulait réduire un homme à néant, le punir atrocement, l’écraser tellement que le meurtrier le plus endurci tremblerait lui-même devant ce châtiment et s’effrayerait d’avance, il suffirait de donner à son travail un caractère de complète inutilité, voire même d’absurdité. » - Fiodor Dostoïevski.
« La trique finit par fatiguer celui qui la manie, tandis que l’espoir de devenir puissants et riches dont les Blancs sont gavés, ça ne coûte rien, absolument rien. Qu’on ne vienne plus nous vanter l’Égypte et les Tyrans tartares ! Ce n’étaient ces antiques amateurs que petits margoulins prétentieux dans l’art suprême de faire rendre à la bête verticale son plus bel effort au boulot. Ils ne savaient pas, ces primitifs, l’appeler « Monsieur » l’esclave, et le faire voter de temps à autre, ni lui payer le journal, ni surtout l’emmener à la guerre, pour lui faire passer ses passions. » - Louis-Ferdinand Céline.
John Maynard Keynes annonçait en 1930 la fin du travail [1] à l’horizon d’un siècle grâce au remplacement du travail humain par la machine et s’en réjouissait. Appelons cette analyse la thèse du grand remplacement technologique. Cette idée a été régulièrement avancée depuis les luddites et les canuts au début du XIXe siècle et un consensus portant sur la réalité de ce remplacement émerge depuis quelques années au sein de la communauté scientifique et des dirigeants d’entreprise [2]. Cette crise structurelle est plus profonde que les crises historiques du capitalisme. En effet Randall Collins écrit que « les cycles des affaires peuvent être brumeux et imprécis dans leurs périodicités et variables dans leurs amplitudes, comme les cycles de Kondratieff ou les hégémonies des systèmes-mondes au niveau global. Les crises financières peuvent être contingentes et évitables grâce aux mesures appropriées. Mais peu importe. La structure de la crise du remplacement technologique transcende les cycles et les bulles financières. [3] » Nous verrons que la thèse du grand remplacement technologique offre une explication cohérente et profonde aux bouleversements socio-économiques des dernières décennies. Le remplacement technologique est au cœur de la lutte des classes contemporaine du fait que les élites détenant les capitaux cherchent à bénéficier des gains de productivité pour mieux s’enrichir sans partager cette richesse accumulée. Ce processus de remplacement a déjà commencé et il menace à la fois l’existence d’une classe moyenne forcée de s’endetter de plus en plus afin de maintenir son niveau de vie et l’existence d’une démocratie dont la politique est de plus en plus inféodée à ces élites. Ainsi la compréhension de ce remplacement technique est nécessaire à l’intelligibilité de cette nouvelle lutte des classes. Comme le milliardaire américain Warren Buffett l’a déclaré : « Il y a une guerre des classes mais c’est ma classe, celle des riches, qui mène la guerre et nous sommes en train de gagner. ». Or le remplacement du travail humain par la machine est au centre de cette guerre décrite par Warren Buffett et constitue la cause principale de la crise économique et de l’accroissement des écarts de richesses exposés récemment par l’économiste Thomas Piketty [4]. L’absence de redistribution des gains de productivité n’est pas seulement néfaste en termes de justice sociale mais elle l’est encore moralement parce qu’elleentraîne une nouvelle captation de la rente publique et privée dont la nature est essentiellement prédatrice. En conséquence, la mentalité de prédation issue du grand remplacement technologique ne cesse de se répandre au sein de la société depuis des décennies et de provoquer des dommages psychiques que le sociologue Alain Ehrenberg [5] a récemment décrits dans son ouvrage « La société du malaise » ainsi qu’une montée du nihilisme et de ses expressions (extrémismes politiques et religieux, délinquance, criminalité, sports extrêmes suicidaires, addiction, corruption, harcèlement moral, psychopathie, perversion narcissique, manipulation,…). Cet article se propose d’expliquer la crise économique, la montée des inégalités, le développement d’une nouvelle féodalité et d’une nouvelle mentalité prédatrice à travers le prisme du grand remplacement technique de l’homme par la machine [6] qui avait été annoncé dans les années 90 par Jeremy Rifkin et Paul Krugman.
Le capital et l’automatisation au XXIe siècle
Les développements récents en intelligence artificielle ont étonné les spécialistes eux-mêmes. Dans les dernières années, un ordinateur a battu le champion des Etats-Unis au jeu Jeopardy [7]. Ce jeu, qui a pour finalité de trouver des questions à des réponses, nécessite un degré de maîtrise du langage par la machine que les spécialistes ne pensaient pas possible encore récemment. L’entreprise Google qui est à la pointe de la recherche dans le domaine de l’intelligence artificielle a révolutionné le secteur de l’automobile en élaborant des voitures sans chauffeur testées sur des milliers de kilomètres aux Etats-Unis [8] et en amenant certains Etats à légiférer en vue d’en autoriser l’usage commercial dans les années à venir. De plus, cette révolution technique dans le secteur de l’intelligence artificielle n’arrive pas seule. Elle est accompagnée par des révolutions techniques dans le domaine de la matière et dans celui de l’énergie, ces trois composantes économiques entrant toutes dans une même phase de transformation profonde. Dans le domaine matériel, la robotique avec des robots collaboratifs comme Baxter [9], les robots logistiques de la société Amazon [10] et l’impression en trois dimensions allant jusqu’à l’impression de maisons à faible coût en Chine [11] montrent l’ampleur de ce grand remplacement technologique. Dans le domaine énergétique, le potentiel de baisse des coûts dans le secteur des énergies renouvelables est négligé alors que la Deutsche Bank a pourtant annoncé en 2013 la parité de réseau, c’est-à-dire un prix de l’énergie solaire équivalent aux autres formes d’énergie, en Italie et en Inde [12]. En France la parité de réseau devrait commencer à émerger discrètement dans le sud du pays en 2015 et se répandre sur l’ensemble du territoire national dans les années 2020. L’essor des investissements et des résultats de la recherche dans ces domaines laissent présager une transformation radicale de la société dans les prochaines années dont on peut déjà constater les prémisses. Ainsi l’entreprise Google qui domine actuellement cette révolution technologique investit très sérieusement dans ces trois domaines de la matière (robotique), de l’information (intelligence artificielle) et de l’énergie (solaire). Les autres grandes entreprises investissent aussi et IBM qui avait élaboré le robot Watson pour le jeu Jeopardy applique son intelligence artificielle à plusieurs secteurs d’activités parmi lesquels l’aide au diagnostic médical. Les chercheurs et les entrepreneurs tels que Stephen Hawking, Elon Musk [13] ou Bill Gates [14] commencent même à s’inquiéter des progrès récents de la recherche à la fois pour l’emploi et en raison des risques inhérents à ces techniques. Ces progrès surviennent aux Etats-Unis dans un contexte particulier, celui de la hausse des salaires minimums, poussant ainsi les entreprises à automatiser. Le récent mouvement en faveur de l’augmentation du salaire minimum a été mené par les employés du secteur du fast-food qui n’est pas immunisé contre l’automatisation puisque des entreprises comme Momentum Machine [15] travaillent déjà à celle-ci. Symboliquement, le salaire minimum maximum devrait être mis en place en 2018 à San Francisco [16], capitale de l’automatisation avec la Silicon Valley, passant de moins de 11$ en 2014 à 15$ en 2018, confirmant ainsi le constat braudélien du déplacement à l’ouest du centre de gravité du capitalisme après New-York. Or cette transformation technologique, comme le constat historique de Ferdinand Braudel, n’est pas près de s’achever avec l’explosion démographique de la population éduquée en Chine et en Inde qui verra succéder à la mondialisation de l’industrie celle des services de pointe à forte valeur ajoutée, de l’innovation et par conséquent de l’automatisation (robotique et intelligence artificielle) dans les années à venir. On peut ainsi remarquer que sur les trente écoles de l’élite indienne (IIT [17] et IIIT [18]) qui ont tant participé au développement des entreprises de la Silicon Valley, une vingtaine ont été créés depuis 2008 et une douzaine d’écoles consacrées à l’informatique devraient être établies dans les années à venir alors que le secteur de l’informatique commence sa phase de forte progression en Inde avec le déploiement d’internet à grande échelle. Il est donc probable que le phénomène d’automatisation s’accélère dans les prochaines années et n’en soit qu’à ses débuts.
Le grand remplacement technologique du travail humain par la machine
En dépit des récents progrès techniques, la thèse d’un remplacement technologique du travail humain par celui de la machine est contestée et cette contestation se fonde essentiellement sur la thèse que l’on pourrait nommer la thèse du mirage des luddites. Cette thèse du mirage luddite consiste à affirmer que le problème du progrès technique n’est pas nouveau et que si la technologie détruit sans cesse des emplois elle en crée aussi sans cesse. Le problème se réduirait donc à un mirage dont serait victime l’observateur qui se situerait dans un référentiel historique appartenant à une phase de destruction nette de travail humain par le progrès technique lorsque le progrès technique détruit plus d’emplois qu’il n’en crée. L’erreur consisterait alors à déduire des tendances à long terme à partir d’anormalités historiques à court terme. Cependant cette réflexion est plus populaire auprès du grand public et des politiciens que des économistes eux-mêmes. Ces derniers sont généralement plus sceptiques parce qu’ils considèrent qu’il n’existe aucun axiome économique prouvant que le progrès technique crée autant ou plus de travail qu’il n’en détruit. Autrement dit, ils considèrent majoritairement que la question est ouverte et que l’argument du mirage luddite est incapable de la clore. La thèse du remplacement du travail humain par la machine est aussi rejetée parce qu’elle a été annoncée par Marx [19] alors que sa réduction au marxisme n’est pas soutenable tant d’autres économistes, au premier rang desquels figurent Keynes et plus récemment Krugman [20], ont eux aussi partagé cette analyse. Une autre manière d’aborder la thèse du remplacement de l’homme par la machine consiste alors à considérer l’ensemble des capacités humaines. Supposons, en prenant l’hypothèse de Deloitte et de l’Université d’Oxford, que un tiers des emplois disparaitront du fait de l’automatisation dans les vingt prochaines années [21]. La première analyse consiste alors à considérer que le centre de gravité de l’activité humaine se déplacera, comme après la première révolution industrielle et que de nouvelles activités remplaceront celles du secteur tertiaire comme celui-ci a remplacé les secteurs secondaires et primaires. De ce point de vue, le remplacement est évidemment un mirage. Mais ce raisonnement repose lui-même sur une croyance. En effet, selon cette croyance, il existera toujours des tâches que l’homme effectuera mieux que la machine. Or l’analyse scientifique contredit cette croyance en raison de l’appartenance même de l’homme au règne animal. Ainsi, de même que le cheval est devenu économiquement obsolète, il n’y a pas de raison pour que l’homme ne le devienne pas lui aussi. En d’autres termes, il n’y a aucune raison scientifique pour que ses facultés soient sacrées et ne puissent jamais être remplacées par une machine. On pourrait, pour prendre une image du remplacement technologique, penser au Titanic qui coulerait lentement et, à chaque fois qu’un des étages s’enfoncerait, les passagers de cet étage se retrouveraient dans des annexes en dehors du Titanic. Les passagers dont les compétences auraient été remplacées par la technique se retrouveraient ainsi exclus du Titanic et le nombre de passagers exclus augmenterait à chaque fois qu’un étage de travailleurs serait remplacé par la technique. Etage après étage le bateau se viderait et les passagers en haut bénéficieraient de richesses de plus en plus élevées, les repas deviendraient de plus en plus fastueux à mesure que le bateau coulerait puisque le remplacement technologique réduirait les coûts du salariat [22]. Dans cette métaphore, ce ne sont pas tant les métiers qui sont remplacés que les capacités humaines, physiques et intellectuelles. Le remplacement du travail humain n’est alors qu’une conséquence de l’automatisation des facultés humaines par la machine. Penser que le grand remplacement n’arrivera jamais, consiste donc à penser qu’il existera toujours des facultés humaines qui ne pourront pas être remplacées par des machines. Or en l’absence de preuve, cette pensée relève de la croyance et d’une croyance bien fragile tant elle dérive d’un anthropocentrisme qui évoque les analyses pré-coperniciennes et pré-darwiniennes, et relève d’une sacralisation de l’homme. C’est cette thèse d’un second âge de la machine dans lequel le remplacement des tâches cognitives par la machine constituerait la suite du remplacement des tâches physiques par la machine que développent les économistes du MIT (Massachussets Institute of Technology) Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee dans leur ouvrage « The second machine Age », dans la lignée des travaux de Jeremy Rifkin dans l’ouvrage « La fin du travail ». Pourtant, l’expérience prouve que de tels métiers existent et j’essaierai de montrer que le grand remplacement du travail humain par la machine existe mais qu’il est dissimulé lui-même par un autre grand remplacement, mal perçu. C’est le grand remplacement du grand remplacement.
Le grand remplacement technologique comme cause de la crise économique actuelle.
Le grand remplacement par la machine et les robots est donc probable et c’est plutôt la thèse du non-remplacement qui relève d’une croyance en des capacités sacrées et irremplaçables de l’esprit humain. Pour savoir si ce grand remplacement existe, il s’agit d’analyser les dernières décennies afin de tenter de distinguer des signes, des symptômes. Le premier constat que l’on pourrait effectuer sur les dernières décennies est celui d’une hausse tendancielle du taux de chômage [23]. Le second, celui d’une hausse des inégalités démontrée récemment par les économistes Thomas Piketty et Emmanuel Saez. Le troisième, celui d’une hausse de la dette et de la financiarisation. L’hypothèse de la disparition du travail apporte alors une explication cohérente à ces trois constats [24]. Ainsi le progrès technique remplace une portion de plus en plus grande du travail humain. Le chômage augmente et les richesses générées par le progrès technique s’accumulent, amplifiant alors les inégalités. Les manipulations statistiques consistant à modifier le périmètre du chômage de sorte que, comme aux Etats-Unis, le chômage diminue alors que la part de la population active elle-même diminue dans une démographie en croissance ou, comme en France, avec l’évacuation de certaines catégories de chômeurs des chiffres officiels, ne font plus illusion. Le chômage exerce une pression à la baisse sur les salaires et les ménages sont contraints de s’endetter pour maintenir leurs modes de vie alors que les richesses croissantes qui s’accumulent chez les détenteurs de capitaux du fait de la baisse du coût du travail sont investies dans le futur grâce à la dette en contrepartie d’une baisse de la consommation dans le présent. Comme il n’existe plus suffisamment de travail à rémunérer dans le présent, l’on rémunère par la dette un travail dans le futur et l’on crée même autant que possible, un travail artificiel, par l’obsolescence programmée des biens [25] ou par le développement de ce que David Graeber nomme par provocation, les « bullshit jobs [26] », les « boulots à la con ». Comme la richesse s’accumule au sommet de la pyramide sociale du fait de cette rente sur la machine, les métiers de captation de la rente se développent aussi et produisent une mentalité de prédation qui se répand dans toutes les strates de la société. Or des auteurs tels que Alain Ehrenberg [27] ont montré que cette mentalité de prédation affecte le psychisme même des individus. De plus, le progrès technique s’accélérant, le chômage et la concentration des richesses ne peuvent que s’accroître et les tensions socio-économiques devraient gagner en intensité dans les années à venir. Ainsi les crises actuelles et futures [28], qu’elles soient écologiques, économiques ou morales peuvent s’expliquer par un écartèlement de la société causé par une force agissante dans la superstructure, l’idéologie utilitariste, et par une force agissante dans l’infrastructure, le développement technique, les deux forces se renforçant l’une l’autre à mesure que la technique provoque un idéal d’efficacité utilitariste et que le culte de l’efficacité utilitariste accélère le développement de la technique. Le nihilisme amplifié par la technique, déjà annoncé par Jacques Ellul, est ainsi cette mâchoire qui atomise les individus doublement : entre eux et au plus profond d’eux-mêmes dans le déploiement du monde utilitariste comme pulsion et comme calcul qui détruit par l’ingénierie du marketing et de l’économie la convivialité et la créativité en réduisant tout lien social au calcul égoïste et toute aspiration de sublimation élevée aux pulsions les plus basique. Les individus isolés soumis à leurs pulsions et incapables de sublimer sont en effet plus profitables et plus utiles à l’utilitarisme libéral.
La nouvelle féodalité : prédation par la captation de la rente et l’esclavage.
Pourtant, si ce grand remplacement technologique existe, il avance masqué et seule une analyse du travail permet de surmonter la difficulté de comprendre les effets du grand remplacement. Il existe bien ainsi des métiers qui ne peuvent pas être remplacés par la technique. Non pour des raisons théoriques, car toutes les facultés humaines sont théoriquement remplaçables, mais pratiquement. C’est-à-dire que le grand remplacement du travail par la technique provoque un autre grand remplacement plus néfaste encore, celui du travail productif par le travail improductif. C’est là que se situe le nœud du problème car la question de la productivité est complexe et chaque travail n’est pas ou bien productif, ou bien improductif. Il possède un degré de productivité qui lui est propre. Mais si l’on accepte le fait que le remplacement technique existe et que la technique concentre la richesse au sein d’une minorité de la population alors il découle de cette concentration que d’autres personnes tenteront elles-mêmes de s’accaparer une partie de cette richesse concentrée. Or les bénéficiaires de ces richesses, même si tous leurs besoins sont assouvis, ont toujours besoin de pouvoir et ce besoin se traduit à la fois par un pouvoir exercé sur les hautes sphères sociales de la politique économique par le droit, la finance, la fiscalité, le marketing et les médias via la prédation et par un pouvoir exercé sur les sphères sociales populaires avec les services à la personne exercés par les pauvres pour les riches via le servage. Ce qui émerge avec le grand remplacement, c’est une nouvelle féodalité. Pour le dire autrement, même s’il n’existait qu’un seul homme ou une petite oligarchie possédant une société entièrement automatisée, alors cet homme ou cette oligarchie seraient contraints de créer des emplois pour conserver le pouvoir [29]. Mais ces emplois ne seraient pas productifs puisque toute la productivité serait déjà assurée par l’automatisation. Ce seraient des emplois de contrôle [30] et il reviendrait à cette personne ou à cette oligarchie de déterminer l’utilité des activités humaines. Ainsi il existerait un monde sans travailleur productif mais avec une classe de prédateurs publics et privés au sens de Michel Volle, de Thorstein Veblen [31], de David Graeber et de James Galbraith [32] - des prédateurs en ceci ce qu’ils s’accapareraient le bien commun [33]- , et une classe de serviteurs. Les analyses de Michel Volle à propos de la prédation et celles de David Graeber portant sur la bureaucratie sont d’ailleurs complémentaires. Il s’agit dans les deux cas de prédation dans le sens d’une activité essentiellement improductive qui capte sous forme de rente la richesse produite par les activités essentiellement productives. Que la prédation soit libérale (Wall Street, lobbys privés,…) ou socialiste (administration, régulation,…), cela ne change rien au fait que le progrès technique (Rifkin, Trenkle, McAfee [34], Ford [35], Lohoff) entraîne le remplacement du travail productif par un travail improductif de prédation [36] (souvent sous forme de services aux entreprises) et de servitude [37] (souvent sous forme de services à la personne des pauvres aux riches). Les transitions du secteur primaire, puis au secteur secondaire et enfin au secteur tertiaire témoignent bien de la montée de la prédation. Toute cette prédation étant bénie par le socialisme et le libéralisme au nom de l’idéologie du travail, conséquence de l’utilitarisme, critiquée par André Gorz et Jacques Ellul [38]. Comme l’écrit James Galbraith [39], « ce n’est pas une lutte entre la démocratie et le monde de l’entreprise mais entre ceux (scientifiques, ingénieurs, économistes, intellectuels) qui représentent l’intérêt commun et futur et ceux (banques, entreprises, lobbyistes et les économistes et penseurs qu’ils emploient) qui représentent seulement l’intérêt tribal et actuel ». Ainsi pour prendre une autre métaphore, si dans une société simplifiée 1000 personnes vivaient en construisant des maisons et que l’impression en trois dimensions de maisons réduisait cette force de travail à 100 personnes alors l’idéologie du travail issue de l’utilitarisme et l’absence de redistribution des gains techniques agiraient comme une pression à la prédation et à l’esclavage car sans travail, c’est tout simplement la rue. C’est alors que 100 personnes créeraient d’autres innovations comme Google après internet. Seulement une proportion d’environ 300 personnes plus douées pour la prédation imposerait via le lobbying des régulations dont elle fournirait la maîtrise en créant le problème en même temps que la solution. Ces trois cents personnes taxeraient l’essentiel de la richesseOr créée par les 200 personnes productives et dépenseraient leur argent en louant les services des 400 esclaves dans des services à la personne. Les 100 autres personnes constitueraient l’épouvantail social, le bâton du déclassement. La prédation et la servitude sont alors les deux faces d’une même pièce, d’une même féodalité, et sont intrinsèquement liés car ils dérivent tous deux de la suppression du travail productif par le progrès technique. Le but des entreprises est en effet d’augmenter les profits, de produire plus de biens et de services avec moins de coûts, c’est-à-dire avec moins de travailleurs et à ce sujet l’ouvrage récent de Trenkle et de Lohoff intitulé « la grande dévalorisation » est éloquent.
L’ironie est que cette automatisation devrait être bénéfique pour tout le monde et pas seulement pour une faible proportion de la population mais le développement du travail productif ne pourrait se faire qu’en donnant aux gens à la fois le temps et l’argent d’acquérir des compétences productives [40]. Or ce temps de formation (avec par exemple les moyens open-source de l’économie distributive chers entre autres à Bernard Stiegler ou à Jean Zin [41]) n’est disponible qu’avec un revenu de base qui est à la fois une création monétaire publique et démocratique [42] et une redistribution démocratique des gains apportés par la technique [43]. Les activités les plus pénibles et les moins rémunérées verraient alors le niveau des salaires et le niveau d’automatisation monter sous la pression du revenu de base. Mais sans une telle mesure [44], la précarité amène les citoyens à accepter n’importe quel travail dans des conditions d’anxiété et donc de santé et de délinquances évidentes, sans parler d’une conscience citoyenne moindre due à des conditions de vie difficiles qui nuisent à l’investissement politique.
La création monétaire comme source de la prédation utilitariste.
Le point commun des analyses de Nietzsche, Heidegger, Marx, Ellul, Caillé, Polanyi réside dans la soumission du monde à l’économie et donc au chiffre, au calcul et à l’arraisonnement comptable du monde par la technique. L’émancipation de l’hégémonie économique, la possibilité que toutes les activités humaines ne soient pas soumises au seul calcul marchand n’est possible qu’en diminuant la nécessité pour l’individu de se vendre au marché afin d’échapper à l’exclusion. C’est alors bien plus la nécessité de se soumettre au capital que le capital lui-même qui est critiquable. Or cette nécessité de se vendre augmente du fait d’un accroissement des inégalités plus rapide encore que l’accroissement des richesses obtenu grâce aux gains techniques. L’individu est soumis à l’utilitarisme lorsqu’il lui est nécessaire d’être utile, cette utilité étant définie en grande partie par les bénéficiaires de la rente monétaire. La pression utilitariste ne peut donc baisser que si l’individu a la possibilité de sortir de la sphère économique de la richesse abstraite comptable. L’encastrement de la sphère économique abordé par Polanyi ne peut être rendu possible que si l’existence est envisageable en dehors de cette sphère et ces conditions ne peuvent exister qu’en vertu d’une création monétaire démocratique sous forme de revenu de base. Encore une fois, soit la création monétaire est démocratique, soit elle est oligarchique et le peuple se contente du déversement monétaire en vivant sous la domination du capital. Or non seulement le caractère oligarchique est injuste mais il n’existe plus de déversement le long de la pyramide social depuis la création monétaire injectée en haut de la pyramide. Il n’y a plus de déversement car nous ne sommes plus au temps des pyramides mais des gratte-ciels. C’est essentiellement par la création monétaire que les hommes sont enchainés mais dès lors que les chaînes sont recouvertes par le velours soyeux de la propagande utilitariste (utilité du travail apparentée au salaire et donc à l’argent comme dogme au-delà de toute critique), les hommes préfèrent caresser leurs chaînes plutôt que de les briser. Ce sont pourtant les détenteurs de la rente monétaire qui possèdent le pouvoir et qui définissent ce qui est utile, ce qui « maximise le bonheur », notamment à travers la morale de ce qui est définit comme utile, c’est-à-dire un travail abstrait dont la finalité est la valorisation de l’argent et particulièrement de la rente monétaire. La question essentielle et centrale en politique économique consiste à savoir où la création monétaire injecte l’argent dans le système économique. Lorsque la monnaie est injectée via le système bancaire comme dans le graphique ci-dessus, l’argent s’accumule au niveau des centres financiers (New York, Paris, Londres), provoquant un appauvrissement relatif des régions les plus éloignées ainsi qu’une spéculation source de bulles liée à la quantité d’argent injectée dans des zones d’espace-temps limitées (quantitative easing,…) et à la conjoncture économique. Or soit l’argent est injecté de manière oligarchique (publique par l’Etat ou privée par les banques privées), soit il est injecté de manière démocratique par le revenu de base selon un plan d’égale répartition dans l’espace et dans le temps (voir le plan sur le graphique) ou plus exactement selon une répartition épousant la démographie. Comme une injection publique est nécessaire pour les services publics, il faudrait au moins une combinaison de l’injection oligarchique publique et de l’injection démocratique même si l’imposition pourrait suffire aux services publics. La création monétaire occupe un rôle central dans le système de prédation oligarchique utilitariste, qu’elle soit libérale, socialiste ou qu’elle résulte d’une combinaison des deux [45]. Afin de mieux comprendre la rente de la création monétaire, l’on peut se référer aux travaux de Knapp et des chartalistes réintroduits récemment en France par Jean-Baptiste Bersac ou encore aux travaux de Robertson et Hubert [46]. Le schéma ci-dessus inspiré des travaux de Stéphane Laborde donne une représentation intuitive du caractère oligarchique de la création monétaire actuelle. Comme le graphique l’indique, une création monétaire oligarchique est un monde en ébullition socio-économique puisque les bulles naissent de la concentration monétaire oligarchique dans des zones restreintes de l’espace-temps (par exemple à Wall Street vers 2007) et ces bulles nuisent à une affectation appropriée de la création monétaire afin de stimuler l’économie réelle. Dans une création monétaire dite libérale (en réalité non libérale car oligarchique), ce sont les banques qui bénéficient en priorité de la rente monétaire et dans une création monétaire dite sociale, les états. Aujourd’hui il s’agit d’une combinaison des deux selon le régime avec une priorité aux banques privées qui dominent les états, ne serait-ce que par l’obligation des états de s’endetter auprès des banques. L’économie consiste alors moins en un marché public et privé d’offre et de demande qu’en une compétition des individus pour s’accaparer les parts les plus élevées possibles de la création monétaire. Ce système aboutit dans le cas socialiste à une prédation administrative et dans le cas libéral à une prédation privée. Il s’agit dans tous les cas d’un terrible gâchis des ressources humaines et donc des forces créatives d’une société par une pression qui éloigne de la production de richesse réelle pour se focaliser sur la production de richesse abstraite. Etant donné qu’en dernier ressort les établissements financiers au somment de la rente de la création monétaire ont besoin des états pour être sauvés (« too big too fail »), les états sont soumis à ces établissements, notamment par l’obligation de s’endetter auprès de ces établissements (loi de 1973 en France). La prédation est alors essentiellement privée (finance, multinationales, conseil, droit des affaires, lobbying…) et dans une moindre mesure publique (élus, associations subventionnées,…). Il est alors illusoire de penser comme Thomas Piketty qu’un système d’imposition puisse diminuer les inégalités puisque ces inégalités sont les conséquences des montages d’ « optimisation fiscale » causés par le pouvoir politique des banques privées qui provient de la rente monétaire dont ces établissements bénéficient. Comme le disait Bossuet, « Dieu se rit de ceux qui se plaignent des conséquences alors qu’ils chérissent les causes. » Il n’est pas cohérent de défendre une création monétaire de type oligarchique et de critiquer ensuite les effets de cette oligarchie. Le système d’imposition proposé par Piketty accroitrait même encore les inégalités entre les plus riches (particuliers ou entreprises multinationales) qui bénéficient de comptes dans les paradis fiscaux et les autres dans une économie mondialisée. Le système d’évasion fiscal des paradis fiscaux est la conséquence d’une création monétaire oligarchique qui bénéficie en premier lieu aux établissements financiers qui organisent l’évasion fiscale. Tant que l’oligarchie bénéficiera de la rente monétaire, elle aura le pouvoir et elle organisera les lois selon ses intérêts comme l’atteste les avortements systématiques de toutes les réformes du système bancaire. Or, si le problème des paradis fiscaux ne peut être réglé dans le système de création monétaire actuel, alors le problème des inégalités des richesses ne peut pas être traité non plus. La réponse au problème de la spéculation est similaire. Lorsque la création monétaire produit une rente colossale dirigée vers les institutions financières, il est logique que celles-ci spéculent comme il est logique que celles-ci bloquent par le lobbying toute tentative de régulation de la spéculation. La spéculation est la conséquence de la concentration des richesses qui est elle-même la conséquence de la création monétaire oligarchique. Il est évident qu’après avoir acheté plusieurs villas, plusieurs voitures de sports et plusieurs yachts, l’argent accumulé est alors orienté vers une gestion de fortune et par conséquent vers des formes de spéculations plus ou moins agressives suivant le profil de l’investisseur. Cette spéculation est encore plus prononcée lorsqu’il s’agit de l’argent d’une banque privée qui n’appartient pas aux traders de cette banque. Tant qu’il y aura une création monétaire oligarchique privée ou publique, il y aura donc un accroissement des inégalités, un développement des paradis fiscaux et de la spéculation ainsi qu’une destruction de la démocratie achetée par le lobbying des élites (le référendum de 2005 est à ce sujet éloquent). De plus, un modèle démocratique de création monétaire favoriserait l’économie réelle en alignant l’enrichissement des entrepreneurs avec les services et les biens fournis démocratiquement alors que le régime actuel tend en moyenne à aligner l’enrichissement des entrepreneurs avec des biens et des services fournis aux bénéficiaires principaux de la rente monétaire à travers notamment le luxe, les services financiers, les services fiscaux ou juridiques et tous les services qui s’adressent essentiellement aux bénéficiaires de la rente monétaire. Il s’agit alors de reconnecter la richesse réelle avec la richesse abstraite, le travail réel avec le travail abstrait. Il est enfin crucial d’articuler la création monétaire et la thèse du remplacement du travail. Lorsque la technologie est moins avancée, l’essentiel du travail est productif et les détenteurs de la rente monétaire ont alors intérêt à distribuer de l’argent aux industries productives qui emploient de nombreux salariés afin d’augmenter leurs profits. Les écarts de richesses diminuent car ces industries ont besoin de la main d’œuvre et la rente monétaire est essentiellement investie vers des industries à forte rentabilité et à faible degré d’automatisation. Mais lorsque le travail productif est remplacé par la machine, la création monétaire est alors dirigée vers les activités de prédation et de contrôle afin d’augmenter le rendement de la création monétaire (finance, marketing, conseil fiscal et juridique,…) tout en contrôlant les populations (lobbying, médias, politique,…). Il ne sert donc à rien de traiter les conséquences de la création monétaire oligarchique sans en traiter la cause. Il faut que la création monétaire soit démocratique, c’est-à-dire qu’il faut que la création monétaire soit distribuée sous forme de revenu de base de manière universelle et inconditionnelle aux citoyens. La création monétaire n’alimenterait alors plus l’économie spéculative mais l’économie réelle. Il y aurait, comme dans le schéma ci-dessus, un plan d’égale répartition de la création monétaire dans l’espace et dans le temps au lieu des pics de concentration monétaire du système actuel. Il faut à ce sujet évoquer le cas de Milton Friedman qui a défendu le revenu de base car beaucoup de personnes, par méfiance et parfois par sectarisme, rejettent le revenu de base pour cette raison. Le revenu de base de Friedman est un impôt négatif, ce qui est tout de même différent pour plusieurs raisons. Friedman se doutait que le développement technique allait probablement amener de telles inégalités que l’idée du revenu de base deviendrait de plus en plus évidente et s’imposerait. Or Milton Friedman est un des principaux théoriciens de la création monétaire oligarchique actuelle et son intention était probablement de séparer l’idée du revenu de base de l’idée de la création monétaire afin de conserver le système de création monétaire actuel par le contrôle des individus. Le revenu de base n’est alors ni universel, ni inconditionnel. C’est une aide apportée aux citoyens qui n’ont pas de revenus afin que l’oligarchie puisse continuer à s’enrichir grâce à la création monétaire tout en réglant un impôt négatif dont le montant a pour but d’éviter les émeutes des populations les plus abîmées par le système oligarchique. Le revenu de base ne devrait pas être une aide mais un droit pour la simple raison que l’argent doit être injecté dans l’économie, d’une manière ou d’une autre. La question est de savoir si cette injection doit être oligarchique (oligarchie publique par l’état ou privée par les banques) ou démocratique. Il faut par ailleurs comprendre la différence psychologique une aide accompagné d’un flicage amenant à une société de contrôle lorsque le travail disparaît et un droit de participation à la création monétaire. Il faudrait encore poser la question suivante à tous les gens qui refusent le revenu de base sous prétexte que Friedman a défendu une version perverse de cette mesure : « Les SDFs qui refusent par orgueil de recevoir des aides ou les individus qui se suicident pour éviter l’exclusion dans la rue, allez-vous les laisser mourir parce que vous êtes contre Friedman et que celui-ci a défendu une version pervertie du revenu de base ? ». Enfin, il faudrait revenir une dernière fois sur le sujet des inégalités des richesses alors que l’imposition dans un contexte de mondialisation et de paradis fiscaux est de moins en moins efficace à mesure que le progrès technique et la rente de la création monétaire concentrent les richesses au sein d’une faible proportion de la population bénéficiant d’ « optimisation fiscale ». Le revenu de base est encore le meilleur moyen de les réduire. Supposons ainsi qu’au temps t, 1% de la population possède 50% des richesses de la planète et que la masse monétaire soit égale à M. Alors si la masse monétaire augmente en quelques années ou en quelques décennies à 2M, les 1% ne possèderont mécaniquement que 26% des richesses mondiales avec la création monétaire démocratique. Ce n’est pas le cas avec une création monétaire oligarchique qui ne cesse d’amplifier les écarts de richesse et une telle création monétaire démocratique constitue ainsi un formidable outil de régulation des inégalités suivant la proportion d’argent injectée dans une période donnée. Le système associe alors le meilleur du socialisme et le meilleur du libéralisme puisque tous les individus échappent à la misère et ont alors le temps et l’argent de créer des entreprises mais surtout, l’enrichissement est alors moins lié à la prédation qu’à la création de biens et de services qui bénéficient aux individus quand ceux-ci choisissent d’allouer une part de leur revenu de base à ces biens et à ces services. C’est une société d’hommes libres dans laquelle le but de la vie ne consiste plus à s’enrichir par la prédation dans la lutte pour la captation de la rente monétaire mais à suivre ses passions sans être effrayé de l’exclusion si ces passions n’aboutissent pas à un enrichissement. C’est enfin une société créatrice et productrice dans laquelle les métiers les plus pénibles seront les plus rémunérés et les plus automatisés mécaniquement alors que les esprits se tourneraient vers les arts et les sciences plutôt que vers la prédation. C’est une société enfin libérée de l’utilitarisme défini par une oligarchie et où la créativité et la convivialité remplaceraient le calcul stratégique et la compétition prédatrice. Ce qui est utile serait défini par chaque citoyen de manière démocratique en non par une oligarchie. La pression pour se soumettre à la richesse abstraite de l’argent baisserait mécaniquement. Evidemment, une création monétaire n’est rien sans une création de biens et de services et des indicateurs de l’économie réelle (surface habitable par individu, énergie électrique par individu,…) seraient les bienvenus afin de remplacer les indicateurs économiques oligarchiques tels que la croissance qui ne profite plus qu’à une minorité et dont la principale utilité est la valorisation de la valeur abstraite des actions financières.
Conclusion
De nos jours, la conjonction de la disparition du travail productif et de la création monétaire oligarchique provoque une hausse sans précédent de toutes les formes du nihilisme (tueries de masse, délinquance, corruption, extrémismes religieux et politiques,…). La corrélation entre la criminalité et les inégalités économiques est prouvée [47] et il importe de traiter le mal à sa principale racine, c’est-à-dire par le remplacement d’une création monétaire oligarchique par une création monétaire démocratique. C’est ainsi en traitant ces problèmes à leur même racine par un « quantitative easing for the people [48] » que les tensions nihilistes pourront se réduire. Se lamenter sur les conséquences du nihilisme sans s’attaquer à ses causes est inutile et défendre sans réflexion la création monétaire actuelle et l’idéologie du travail sans s’interroger sur la disparition et sur la nature même du travail revient à encourager le ressentiment, la haine, les inégalités et les effets destructeurs de celles-ci telles que les tueries de masse et les attentats terroristes qui ne peuvent être réduits au remplacement du travail productif par le travail de prédation et à la création monétaire oligarchique mais qui s’en nourrissent chaque jour un peu plus. Evidemment, les oligarchies veulent par définition rester des oligarchies et ne souhaitent pas l’avènement d’une telle société. Elles accuseront toutes ces idées de conspirationnisme et de fascisme mais il ne s’agit ni de l’un, ni de l’autre. Il s’agit simplement de démocratie car il n’y a pas de démocratie réelle sans création monétaire démocratique, c’est-à-dire sans revenu de base universel et inconditionnel.
Enfin, en ces temps troublés par le terrorisme, il faut se rappeler que le mal se fait toujours au nom de la morale comme l’ont montré Jésus Christ dans ses dialogues avec les pharisiens et Nietzsche dans sa généalogie de la morale. La morale du monde moderne est la morale de l’utilitarisme, c’est-à-dire la morale du travail. Autrement dit, l’homme doit être utile. Mais qui décide de l’utilité ? Ce n’est pas un marché libre et non faussé qui n’existe pas. C’est bien plus l’État (socialisme) ou bien les banques privées (libéralisme) ainsi que les multinationales et c’est généralement une combinaison oligarchique des deux. Pour que les hommes décident de l’utilité et puissent même être libérés de l’utilité comptable s’ils le souhaitent et de la réduction du monde à la comptabilité décrite récemment par Régis Debray, c’est à eux de décider de ce qui est utile. Or seule une démocratie et donc seul un revenu de base peut donner aux individus les moyens de décider eux-mêmes de ce qui est utile démocratiquement et d’échapper à l’hégémonie de l’utilitarisme s’ils le souhaitent. Le slogan inscrit à l’entrée des camps de concentration nazis était « Le travail rend libre. ». Il semble au contraire que la liberté consiste en la possibilité de ne pas travailler afin de travailler non pas par obligation mais par choix et par vocation. A une époque où la technique produit un tel niveau de richesse, le refus d’un tel droit ne peut que s’accompagner de tensions à mesure que la montée chômage et du travail de prédation et d’asservissement réduit les possibilités d’épanouissement des individus et à mesure que les inégalités économiques continuent de s’accroitre. Pourtant, le remplacement du travail productif par le travail de prédation et de servitude du fait du progrès technique ne cesse de restreindre la liberté, l’égalité et la fraternité de par la criminalité engendrée par la montée des inégalités socio-économiques et de par le sentiment justifié que la liberté qu’aurait dû nous apporter le progrès technique a été supprimée pour l’accumulation de pouvoir et d’argent d’une infime partie de la population. Malheureusement, pendant ce temps, dans l’inertie d’une prétendue absence d’alternative qui satisfait l’oligarchie en place, les hommes caressent les dorures de leurs chaînes et se plaignent de ne plus pouvoir bouger. Sous une prétendue liberté contemporaine, il y a un asservissement et une prédation qui ne cessent de se déployer. Contrairement au slogan de mai 68, sous la plage il y a aujourd’hui les pavés.