Extrême droite et autoritarisme partout, pourquoi ?

La démocratie au risque de ses contradictions

Au tournant du millénaire tous les politologues estimaient que les dernières dictatures encore existantes allaient s’effondrer rapidement pour laisser partout la place à des démocraties parlementaires de marché.

Vingt ans après, on se demande plutôt quelles démocraties vont encore tenir le coup face à la montée mondiale de l’extrême-droite et des régimes autoritaires. Comment l’expliquer ?

Ce livre suggère qu’il n’est possible de le comprendre qu’au regard de l’indétermination relative de l’idéal démocratique et des expériences totalitaires du XXe siècle.

Alain Caillé est professeur émérite de sociologie. Il est notamment l’auteur de : Anthropologie du don. Le tiers paradigme (2000) ; Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique, Le convivialisme en 10 questions (2015), Pour une nouvelle sociologie classique (2016 avec Frédéric Vandenberghe), Extensions du domaine du don (2018).

Commande et achat (10.00 €)
https://www.editionsbdl.com/produit/extreme-droite-et-autoritarisme-partout-pourquoi

Cet ouvrage approfondit un texte antérieur de l’auteur qui en donne une présentation d’ensemble :
http://www.journaldumauss.net/?L-extreme-droite-partout-Pourquoi

Entretien dans Marianne :
https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/alain-caille-plus-les-paniques-sintensifient-plus-lextreme-droite-rassure

****

Table des matières

Introduction ................................................................. 5

Chapitre 1. La résistible (?) ascension mondiale de la droite
extrême et de l’autoritarisme
........................................ 13

Une extrême droite protéiforme ...................................... 17
Premières réponses ......................................................... 19

Chapitre 2. L’idée même de démocratie....................... 25

La démocratie définie par ses institutions
et par son esprit ............................................................. 26
Tensions et incertitudes
de l’idéal démocratique .................................................. 29

Chapitre 3. Démocratie et totalitarisme classiques ..... 33

Singularité du totalitarisme ............................................ 35
Le totalitarisme comme exacerbation
et corruption de l’idéal démocratique ............................ 39

Chapitre 4. Démocratie et totalitarisme à l’envers....... 45

La société totalitaire à l’envers ....................................... 47
Oppositions entre totalitarismes
à l’endroit et à l’envers .................................................. 53
Par-delà les oppositions,
de troublantes ressemblances ....................................... 58
Le point commun nodal ................................................. 61

Chapitre 5. L’ambivalence démocratique du totalitarisme
à l’envers (néolibéral)
................................................... 63

Extensions de la dynamique d’égalisation
des conditions ................................................................ 64
Glissements progressifs de la norme
de justice ........................................................................ 68
Entre déni et exaltation des identités ............................. 70
Les six trajectoires de la dynamique
démocratique ................................................................. 74

Chapitre 6. Le rapport paradoxal et mondial
de l’extrême droite et de l’autoritarisme
au néolibéralisme
.......................................................... 77

Le paradoxe de la gauche par défaut .............................. 78
Le soubassement autoritaire caché
du néolibéralisme .......................................................... 81
À l’échelle mondiale ...................................................... 84
Le cas de la Chine ......................................................... 87
L’islamisme radical ........................................................ 90

Conclusion. Alors, pourquoi ?..................................... 95
Approches psychanalytiques :
paranoïa et ressentiment ............................................... 96
La lutte pour la reconnaissance
à l’échelle mondiale : les trois paniques .........................103
Revivifier, actualiser et stabiliser
l’idéal démocratique ......................................................107

****

Introduction

Ce petit livre est issu d’un article publié au mois de novembre 2022 sur les sites de La Revue du Mauss permanente (www.journaldumauss.net) et du convivialisme (www.convivialisme.org) sous le titre « L’extrême-droite partout. Pourquoi ? » . Il a aussitôt rencontré un écho auquel je ne m’attendais pas. J’ai donc décidé de lui donner plus d’ampleur, notamment en explicitant un certain nombre des multiples références académiques ou journalistique tout juste sous-entendues dans l’article. Par ailleurs, tout en conservant pour l’essentiel la trame de l’article initial et en visant à la plus grande concision et la plus grande accessibilité possibles, il m’est apparu indispensable de préciser et de développer certains points à peine effleurés dans l’article. C’est ainsi, par exemple, qu’il m’a semblé nécessaire d’étendre la réflexion, au-delà de l’extrême droite, à l’autoritarisme.
L’introduction, dès le titre, de cette notion d’autoritarisme mérite explication. À la fin de ce livre j’interroge le basculement totalitaire de la Chine de Xi Jinping. Or il est difficile de le comprendre en le rangeant sous le registre de l’extrême droite, même si comme la Russie de Vladimir Poutine, la Chine présente des traits fascistes (ce qui n’est d’ailleurs pas sans expliquer certaines sympathies que la Russie suscite du côté de l’extrême-droite). Dans l’article je n’ai pas voulu entrer dans trop de subtilités taxinomiques. L’appellation la plus répandue aujourd’hui en science sociale ou chez les politologues pour désigner les mille et une formes de gouvernements hostiles aux droits de l’homme et au pluralisme politique est celle de « régimes autoritaires » (ou autocratiques). J’ai rechigné tout d’abord à l’utiliser, à la fois parce que le chapeau me paraissait trop large, et parce que, si l’on suit la philosophe Hannah Arendt, l’autorité n’est en elle-même en rien critiquable. Telle qu’Arendt l’analyse, l’autorité est, bien au contraire, ce qui permet d’augmenter la capacité d’action d’un collectif humain . Même chose, d’une certaine façon, chez le sociologue Max Weber, pour qui l’autorité est ce qui, légitimant et tempérant le pouvoir, l’empêche de basculer dans la violence de la puissance brute (Macht). Mais nous avons besoin d’un terme générique permettant d’englober l’ensemble des régimes qui refusent les droits de l’homme et le pluralisme idéologique et politique, quelles que puissent être leurs différences, parfois colossales, par ailleurs. Va, donc, pour autoritarisme - je ne trouve pas de meilleur terme pour l’instant -, et pour régimes ou gouvernements autoritaires. Les nuances et les distinctions viendront après.
Par ailleurs, il m’a semblé opportun d’inscrire en sous-titre : « La démocratie au risque de ses contradictions », parce qu’il résume bien le cœur de mon propos. L’idéal démocratique est multidimensionnel, d’où la difficulté à le cerner et à ranger la démocratie sous une définition simple et univoque. Loin que ses différentes dimensions, ou composantes s’harmonisent spontanément, elles peuvent tirer dans des directions opposées. C’est pourquoi la démocratie peut représenter le meilleur ou le pire des régimes. Le meilleur lorsque ses diverses composantes s’équilibrent à peu près. Le pire lorsque l’une d’entre elles l’emporte sur toutes les autres. Lorsque, par exemple, l’aspiration en elle-même légitime à l’égalité, conduit à supprimer toutes les libertés et qu’elle aboutit à interdire toute expression d’une différence et à stigmatiser ou à diaboliser, voire à exterminer, tous ceux qui présentent une trace quelconque de supériorité, réelle ou imaginaire. Ce qui amène d’ailleurs in fine à l’édification d’inégalités plus fortes et inexpiables que celles qu’on prétendait vouloir éradiquer. Ou encore, lorsque, à l’inverse, l’aspiration tout aussi légitime à la liberté crée des inégalités abyssales et détruit tout lien social et toute forme de solidarité. Ce qui conduit à restreindre toujours plus au bout du compte les marges de liberté du plus grand nombre. Dans le premier cas, pour reprendre la célèbre formulation de George Orwell dans La ferme des animaux, certains deviennent infiniment plus égaux que les autres, et, dans le second, certains se révèlent incommensurablement plus libres que les autres. Ou encore – cas fréquent, dont l’exemple canonique est celui de la victoire de Hitler en 1933 -, lorsque le « peuple », i.e. une majorité électorale, porte au pouvoir démocratiquement un dictateur qui n’aura rien de plus pressé que de supprimer, toute trace de démocratie.
Ces premières précisions apportées, je ne peux que redire ici ce que j’écrivais au début de mon article. Comme mon propos pourra apparaître complexe, il ne sera peut-être pas inutile que je formule en introduction… quelques mots de la conclusion à laquelle je veux aboutir.
Toute la jeunesse est à juste titre particulièrement anxieuse face au réchauffement climatique et à toutes les conséquences dramatiques qu’il va entraîner . Comment ne le serait-on pas avec elle ? Chaque jour, les experts découvrent avec effarement et consternation que leurs scénarios les plus pessimistes étaient peut-être trop optimistes encore, et que les dégradations environnementales s’accélèrent à un rythme vertigineux. Il est donc bien compréhensible que les jeunes se mobilisent avant tout sur les enjeux climatiques qui menacent dramatiquement leur avenir. Ma conviction toutefois est que nous n’aurons à peu près aucune chance d’avancer de manière décisive sur ce front si nous ne réussissons pas à sortir de l’hégémonie que le capitalisme rentier et spéculatif exerce sur la planète, et l’idéologie néolibérale sur les esprits. À s’en tenir au seul constat des dégâts qu’ils génèrent, on ne comprend pas pourquoi dans les pays où se tiennent encore des élections à peu près libres la majorité des électeurs ne vote pas pour des forces humanistes et progressistes, mais porte au pouvoir, au contraire, soit des champions déclarés du néolibéralisme soit des représentants d’une forme ou une autre de droite extrême (ce sont parfois, et même de plus en plus souvent, les mêmes) qui amplifient les ravages du capitalisme rentier et spéculatif, et qui dégradent toujours plus les conditions de vie de leurs électeurs. Et même dans des pays où l’opposition est interdite ou impossible, et où les élections sont manifestement truquées, il n’est nullement exclu que l’autocrate en place puisse être réélu même sans fraudes massives. Ce serait probablement le cas de Poutine en Russie, par exemple.
Il y a là une énigme, qui n’est pas assez perçue, et pensée, comme telle. Pourquoi choisit-on ou soutient-on des leaders en allant subjectivement, bien souvent, à l’encontre de ses intérêts objectifs bien compris ? Comment l’expliquer ? Je voudrais suggérer ici que cette situation a priori presque incompréhensible, même si elle a de multiples causes, ne s’éclaire pleinement qu’à la lumière des tensions inhérentes à l’idéal démocratique. Celui-ci est instable par nature et, à certains égards, protéiforme, si bien qu’il est susceptible d’être revendiqué par des forces, des mouvements, des idéologies ou des démagogues qui lui sont en réalité totalement hostiles. Une des raisons de l’hégémonie mondiale du néolibéralisme et de la séduction qu’il exerce est que, justement, il se présente comme le mieux à même aujourd’hui de tenir la promesse démocratique. C’est cette même séduction qu’ont exercée hier les régimes totalitaires et qui valent aujourd’hui ses succès à l’extrême droite. Si nous voulons sortir du règne du néolibéralisme et échapper à la montée apparemment irrésistible de l’extrême droite, il nous faut nous mettre d’accord sur le type de démocratie auquel nous aspirons.

P.S. Je n’ignore pas que la désignation du néolibéralisme comme facteur premier des dérèglements actuels (je dis bien actuels) du monde (avec la domination d’un capitalisme rentier et spéculatif), pourra agacer ou irriter d’entrée de jeu un certain nombre de lecteurs tant cette notion de néolibéralisme est à la fois galvaudée et problématique. Par exemple, elle est censée, largement à juste titre, avoir été élaborée en août 1938 lors du colloque organisé à Paris par le célèbre politologue américain Walter Lippmann. Ce colloque rassemblait déjà un grand nombre des auteurs ou penseurs qui, réunis après la guerre dans le cadre de la société du Mont Pèlerin, allaient devenir les inventeurs du néolibéralisme actuel. Mais en 1938 le contexte était tout autre. Il s’agissait, en le renouvelant de fond en comble, de sauver le libéralisme face aux menaces totalitaires qui montaient de toutes parts. Si bien que nombre des préconisations de ce colloque apparaîtraient aujourd’hui quasiment gauchistes. À côté d’elles la Nupes semble presque timide .
Pour ma part, il me semble possible de résumer en six propositions la doctrine néolibérale telle qu’elle se présente et s’impose aujourd’hui :

* L’avidité, la soif du profit est une bonne chose. Greed is good.
* La société n’existe pas (There is no such thing as society, disait Margaret Thatcher), il n’existe que des individus.
* Plus les riches s’enrichiront et mieux ce sera, car tous en profiteront par un effet de ruissellement (trickle down effect).
* Le seul mode de coordination souhaitable entre les sujets humains est le marché libre et sans entraves, et celui-ci (y compris le marché financier) s’autorégule tout seul pour le plus grand bien de tous.
* Il n’y a pas de limites. Toujours plus, c’est nécessairement toujours mieux.
* Il n’y a pas d’alternative (There is no alternative, comme le proclamait là-encore Margaret Thatcher).

Chacune de ces propositions est fausse et délétère. Le problème, c’est que si elles s’imposent - et notamment la première, celle dont en réalité toutes les autres découlent, « l’avidité est une bonne chose ; Greed is good » -, c’est parce que, mises ensemble, elles semblent condenser l’essentiel de l’aspiration démocratique, alors qu’en réalité elles rendent sa satisfaction impossible. Elles en sont le poison. On pressent là le cœur de mon argument. C’est en amplifiant de manière unilatérale certaines des composantes de l’idéal démocratique que le néolibéralisme le vide de son contenu et prépare sa ruine.

// Article publié le 6 juin 2023 Pour citer cet article : Alain Caillé , « Extrême droite et autoritarisme partout, pourquoi ?, La démocratie au risque de ses contradictions », Revue du MAUSS permanente, 6 juin 2023 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Extreme-droite-et-autoritarisme-partout-pourquoi
Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette