Organisation paysanne au Brésil : capital social, réciprocité et valeurs humaines

Les organisations productives paysannes brésiliennes en prise avec le marché s’étayent sur des valeurs (confiance, loyauté, justice) qui sont inscrites dans les relations de réciprocité qu’entretiennent les personnes, ou encore dans le don. Que l’économie n’est pas un ordre autonome qui obéit à ses seules lois prétendument naturelles ...

Résumé : L’approche participative du développement « durable », le désengagement de l’Etat des appuis directs à l’agriculture paysanne et familiale, la segmentation des politiques et programmes publics ont conduit les collectifs d’agriculteurs à assumer de nouveaux rôles, justifiés par les agences de développement sur la base des vertus associées au capital social des communautés rurales et de leurs organisations. Les explications quant à l’origine du capital social évoquent toutes la mobilisation de valeurs humaines (confiance, responsabilité, justice) qui seraient insérées dans les pratiques sociales et culturelles. A partir d’exemples en milieu rural brésilien, cette communication examine dans quelles conditions et selon quelles modalités, les diverses formes d’organisation des agriculteurs parviennent à maintenir ou à garantir la production de ces valeurs humaines, y compris via des structures économiques et productives généralement destinées à les intégrer au système de libre-échange. Les exemples mobilisés concernent les formes d’entraide paysanne, les associations et coopératives agricoles, la gestion de ressources communes, mais également les nouveaux dispositifs d’interaction entre organisations paysannes et services publics.

Introduction

Parmi les notions clef citées pour justifier le recours aux organisations d’agriculteurs et la participation des populations aux projets de développement durable, la référence à la mobilisation du capital social est devenue incontournable depuis la reprise des travaux de Putnam et al (1993) par la Banque Mondiale (1997).

Les explications quant à l’origine du capital social renvoient toutes à la mobilisation de valeurs humaines affectives ou éthiques (confiance, responsabilité, justice, etc.) qui seraient insérées dans les pratiques sociales et culturelles. Cet article questionne l’origine de ces valeurs constituées et cherche à expliquer leur genèse, en particulier dans le principe de réciprocité. Dans quelles conditions et modalités les diverses formes d’organisation des agriculteurs parviennent-elles à maintenir ou à garantir la production de ces valeurs humaines éthiques, y compris dans le cadre de structures économiques et productives généralement destinées à les intégrer au système de libre-échange ? Les exemples mobilisés en milieu rural brésilien, concernent les formes d’entraide paysanne, la gestion des ressources communes, les associations et coopératives de crédit et de réforme agraire, mais également les nouveaux dispositifs d’interaction entre organisations paysannes et services publics : banques de semences, crédit solidaire, formation.

La première partie questionne les explications en termes de capital social et propose le recours aux catégories économiques identifiées par Polanyi (1957) : échange, réciprocité et redistribution. Dans la seconde partie j’analyse comment sont produites ou, au contraire, inhibées, ces valeurs éthiques, dans divers cas d’organisation des agriculteurs familiaux en matière de production, de commercialisation, de crédit, selon une lecture des relations socio-économiques mobilisées à partir des structures de réciprocité. La troisième partie examine quelques limites et perspectives posées par cette proposition en termes de stratégie de développement durable et de pistes de recherche non utilitaristes.

La mobilisation du capital social des organisations rurales

La question de l’origine des valeurs à la base du capital social

L’approche « participative » du développement « durable », le désengagement de l’Etat des appuis à l’agriculture familiale et la segmentation des politiques et programmes publics ont conduit les organisations d’agriculteurs à assumer de nouveaux rôles, justifiés par les agences de développement sur la base des vertus associées au capital social des communautés rurales et de leurs organisations.

La notion de capital social est due à deux sociologues, Bourdieu (1980) et Coleman (1988) qui l’ont mobilisée de façon différente, mais en l’appliquant aux individus. Dans sa reprise par les économistes et les institutions internationales, le capital social devient une caractéristique des groupes, des organisations, voire un attribut des territoires ruraux (Abramovay, 2002). La notion de capital social a été appliquée au développement économique à partir des travaux de Putnam (1993) [1] en Italie et en particulier au développement rural par divers auteurs : Evans (1996), Narayan & Pritchett (1997), Durston (1998), Winter et al., (2000), entre autres. Le recours au capital social des communautés a été promu par les agences de développement internationales (World Bank, 1997, 2000 ; PNUD, 2000) et brésiliennes (INCRA, 1999 ; MDA-Condraf, 2003) pour vanter les mérites de la coopération et de l’organisation, comme l’avait été auparavant la notion de réduction des coûts de transaction (North, 1977 ; Williamson, 1979).

Qu’en est-il dans les communautés ou les organisations étudiées au Brésil et comment expliquer l’origine et la création du capital social ?

L’efficacité de ce capital social, à la fois produit et cause des relations interpersonnelles en réseau, de l’action collective et de l’organisation a été ainsi associée à diverses formes de bénéfices collectifs : la réduction des coûts de transaction (North, 1984, Laville et Nyssens, 2004), l’apprentissage et la diffusion d’innovations (Narayan et Pritchett, 1999), la résolution de problèmes de gestion des ressources communes (Ostrom, 1994) ou encore à des systèmes d’assurance informels à l’efficience dans la gouvernance territoriale (Winter et al., 2001) et, finalement, à l’entreprise sociale et solidaire (Laville et Nyssens, 2004). L’application de la notion de capital social au développement économique des populations les plus pauvres, en particulier des zones rurales des pays en développement, a été largement commentée et critiquée (Fine, 1999 ; Schüller et al., 2000).

Malgré cette redécouverte des vertus économiques des relations humaines, peu d’auteurs expliquent l’origine, non pas du capital social, mais des valeurs qui le fondent : confiance, réputation, responsabilité, ou encore des normes qui sont invariablement évoquées et associées à ces valeurs : solidarité, réciprocité et interdépendance, empiriquement mises en évidence par Douglas (2004) et par Ostrom (1998).

La critique de Portes (1998) est en ce sens exemplaire. Portes propose d’abord une définition qui a le mérite de dévoiler, d’emblée, le caractère utilitariste de la notion de capital social qui « correspond à la capacité des acteurs d’obtenir des bénéfices par le fait d’appartenir à des réseaux sociaux ou à d’autres structures sociales ».

Il reconnaît que le capital social ne produit pas que des vertus (liées à une vision tautologique et téléologique comme celle de Putnam [2]), mais également des aspects négatifs. Portes cite ainsi les cas d’exclusion par la pression du groupe, d’imposition d’une conformité de normes au sein du groupe, de replis sur le groupe local ou encore la solidarité dans l’exploitation ou dans le crime.

Selon Portes, il existe quatre sources de capital social, toutes liées à des relations qu’il qualifie de réciprocité et de solidarité :

  • l’obéissance à des règles ou normes internalisées par le groupe collectif ;
  • les obligations envers les autres en fonction de normes de réciprocité bilatérale ;
  • la solidarité restreinte : la norme de réciprocité est le produit émergent d’un objectif ou d’une situation partagés par le groupe (partage) ;
  • la réciprocité indirecte (ternaire) : le retour au donateur ne vient pas nécessairement de celui à qui il a donné ; la collectivité devient garante de la dévolution des prestations (pouvoir de pression sociale du groupe).

Pour Portes, ces relations d’échange médiatisées par le capital social sont différentes des échanges purement mercantiles, car il n’existe pas le besoin d’une équivalence entre les biens (ou services) échangés, ni de délais pour revendiquer ou obtenir l’accès aux ressources offertes. En fait, Portes redécouvre la différence entre échange et réciprocité (encadré 1) identifiée par Mauss (1924), définie par Polanyi (1944) et les formes de réciprocité analysées par Temple & Chabal (1995).

En 1992, Ostrom proposait déjà trois modes de création du capital social à partir d’études empiriques des situations de gestion des ressources communes : la délégation de pouvoir, l’apprentissage et l’élaboration de normes. Ces trois modes peuvent correspondent à trois formes d’institutionnalisation des relations de réciprocité ou de redistribution. Ostrom propose d’ailleurs plus tard (Ostrom, 1998) de considérer la confiance, la réputation et la réciprocité comme des normes centrales des processus de gestion partagée des ressources. Les auteurs qui se réfèrent à ces gains en capital social traduisant des intérêts économiques, admettent donc que ceux-ci dépendent de relations humaines (proximité, interconnaissance, solidarité, entraide) et de la reconnaissance partagée de valeurs éthiques universelles (confiance, réputation, responsabilité, justice, équité, liberté, fraternité, etc). Mais ils n’expliquent ni la nature des relations entre intérêts matériels et liens sociaux (Sabourin, 2005a) ni l’origine des valeurs éthiques, qui seraient insérées dans les représentations sociales (Putnam, 1993), culturelles (Ostrom, 1998) ou même symboliques (Polanyi, 1975).

Le problème de la théorie de Polanyi est qu’elle n’explique pas non plus comment sont produites les valeurs dans lesquelles seraient insérées les prestations économiques. Ce sont des normes qui tombent du ciel, qui sont transmises ou inculquées par la société, comment ? Pour Temple (1998), ces valeurs humaines ne sont pas données ; elles doivent être constituées, c’est-à-dire, socialement construites. Elles sont, précisément, engendrées et reproduites par l’institutionnalisation des relations de réciprocité et de redistribution, au travers de structures, qui ne sont pas seulement sociales, mais aussi économiques, et qu’il qualifie de « structures de réciprocité”. Temple (idem) identifie et associe la production de valeurs spécifiques par les structures élémentaires de réciprocité.

Les structures élémentaires de la réciprocité

Selon Lévi-Strauss (1947) la notion de structure désigne les diverses manières par lesquelles l’esprit humain construit ces valeurs et systèmes de valeurs. Mais il n’établit pas une différence entre système d’échange et système de réciprocité, puisqu’il considère celle-ci, comme un échange réciproque symétrique. Le système de valeurs reflète la structure d’une société et tend à la conserver, la reproduire. La notion de système évoque deux idées : celle de pluralité et celle d’organisation. L’expression “système de valeurs” renvoie à l’idée de plusieurs valeurs, non pas seulement juxtaposées, agrégées, mais articulées, organisées [3]. Les structures élémentaires de réciprocité sont systématisées par Temple (1998) qui identifie certaines des valeurs humaines qu’elles produisent ou reproduisent (fig.1).

Encadré 1 Qu’est-ce que le principe de réciprocité ?

Mauss (1924) avait vu la primauté de l’obligation de rendre, dont-il dit qu’elle est totale et impérative du fait social, mais sans extraire de cette prééminence, le principe de réciprocité : « dans les prestations totales, tout est symbolique et tout est réciproque » dit Mauss. Lévi-Strauss (1950) reprochera à Mauss, de n’avoir pas postulé l’échange au centre de la fonction symbolique. Mais, associant alliance et parenté à la triple obligation “Donner, rendre et recevoir”, Mauss dessina un projet que Lévi-Strauss propose ensuite dans les Structures élémentaires de la Parenté.

Pour Godbout (2004) « la réciprocité, on peut la définir simplement de la manière suivante : quand on a reçu quelque chose sous la forme d’un don, on a tendance à donner à notre tour. On n’est pas porté à se dire « ah, quelle bonne affaire ! », comme le prévoit l’appât du gain. Le don transporte avec lui une impulsion à donner chez celui qui reçoit. Ce n’est en aucune manière une contrainte, à l’opposé par exemple du contrat où les obligations de chacun sont définis le plus précisément possible et sont régies par la loi. Non. C’est une incitation, une invitation. Mais ce phénomène est tellement important qu’on peut en parler comme d’une force sociale élémentaire [4]. Un grand sociologue américain, Gouldner (1960), a dit de la réciprocité qu’elle était aussi fondamentale que le tabou de l’inceste ».

Pour Becker (1986) la tendance à la réciprocité (rendre le bien comme le mal) est une puissance forte de la vie humaine et ce concept est étroitement lié aux notions et valeurs de justice, d’équité, d’obligation de gratitude, de responsabilité envers les générations futures et d’obligations d’obéissance aux lois. Becker considère bien la réciprocité comme un principe de base pour les obligations sociales volontaires, qu’il s’agisse de relations intimes comme distantes. Il identifie comme Mauss, la relation entre valeurs éthiques et structures sociales, comme par exemple, les structures de parenté, les charges sociales et citoyennes.

Temple part également du constat du don de M Mauss et pose la question : peut-on donner par principe, c’est-à-dire sans réciprocité ? Comme Caillé (1998) il constate que le don n’est pas désintéressé, mais motivé, avant tout, par l’intérêt pour l’autre, par la reconnaissance de l’autre - comme soi même - pour reprendre la notion d’ipséité de Ricoeur (1990). Temple (2004b) propose donc de considérer la réciprocité comme le redoublement d’une action ou d’une prestation, entre autres, comme la reproduction du don. Il distingue ainsi l’échange de la réciprocité : « L’opération d’échange correspond à une permutation d’objets, alors que la structure de réciprocité constitue une relation réversible entre des sujets ».

Portes utilise d’ailleurs pratiquement la même terminologie que celle mobilisée par Temple (1998) pour caractériser les structures élémentaires de réciprocité (figure 1). Il associe également des valeurs spécifiques à ces quatre sources de capital social.

L’obéissance est associée au respect des normes imposées par un centre de redistribution.

Le respect des autres est associé à la réciprocité bilatérale.

La solidarité restreinte (non généralisée) est associée au partage (une des structures élémentaires de réciprocité ternaire).

La réciprocité indirecte est associée à l’obligation de rendre c’est-à-dire à la forme élargie de réciprocité ternaire que Temple qualifie de réciprocité généralisée, mobilisée entre autres, dans le cas des marchés de réciprocité (2003b). Ce sont donc ces valeurs et ces structures qu’il convient d’identifier et de caractériser en particulier quant à leur polarisation, selon qu’elle est régie par le principe d’échange et de concurrence ou le principe de réciprocité et de redistribution.

Figure 1 : Représentation schématique de quelques structures de réciprocité

La reconnaissance du principe de réciprocité permet une autre lecture des prestations économiques et sociales. Cette lecture ne prétend pas être exclusive. Elle ne nie pas l’existence et l’utilité des relations d’échange via le marché capitaliste des biens et du travail. Elle propose une base théorique différenciée pour analyser les pratiques et relations économiques qui ne relèvent pas de la catégorie de l’échange marchand, comme, par exemple, diverses initiatives et prestations souvent réunies sous le terme d’économie solidaire ces dernières années. Je propose l’application de cette hypothèse à diverses situations dans le domaine de la production, de la commercialisation, du crédit et de l’organisation en milieu rural au Brésil.

Organisation des agriculteurs et structures de production de valeurs

Malgré les succès de divers des dispositifs institutionnels des agriculteurs familiaux étudiés au Brésil et leur reconnaissance progressive par les pouvoirs publics (Sabourin et al, 2005), ceux-ci connaissent des tensions liées à la nature des logiques sociales et économiques mobilisées. Cette tension est particulièrement vive entre, d’un côté, le processus d’intégration des communautés rurales au marché d’échange capitaliste et, de l’autre, les dynamiques de construction d’espaces, de territorialités permettant la modernisation ou l’expression de formes de réciprocité et de redistribution.

Les dispositifs non formels et la réciprocité dans la production

Au Brésil, la communauté rurale, l’entraide, les groupes de crédit mutuel, les banques de semences, constituent des formes d’organisation rurale d’origine paysanne, sans statut juridique. Elles continuent à assurer à la fois des fonctions économiques d’appui à la production et une fonction sociopolitique de reproduction de valeurs humaines. Ces deux catégories de fonction garantissent des structures de relations humaines qui permettent, non seulement de cohabiter entre proches, mais de cohabiter avec la pauvreté, avec l’exploitation capitaliste ou encore de résister à l’injustice et à l’exclusion.

L’entraide dans les communautés rurales

L’entraide appelée mutirão au Brésil, recouvre diverses formes et correspond à au moins trois types de structures de réciprocité (Sabourin, 2006b, Sabourin, 2007b) :

  • la réciprocité binaire dans le cas d’une relation régulière entre deux familles, généralement entre voisins, amis. Dans cette structure d’alliance qui peut être symétrique (entre pairs) ou asymétrique (une famille plus aisée peut fournir plus de travail ou de produits à l’autre) le principal sentiment produit est l’amitié. Celle-ci peut se trouver instituée dans des relations de compérage et de parrainage mutuel des enfants, constituant une extension des relations de parenté.
  • Le partage de travail constitue une structure de réciprocité ternaire spécifique : chacun donne à la communauté et reçoit des autres. Par exemple, quand toutes les familles de la communauté se mobilisent pour réaliser un travail au bénéfice d’un agriculteur : défricher une parcelle, creuser un puit, il y a partage bilatéral. Quand c’est pour construire la maison d’un jeune couple, le partage est unilatéral. Temple (2004a) rappelle en effet que l’on ne construit pas la maison de ses parents, mais de ses enfants. Au-delà de l’amitié et de l’alliance, cette structure produit du prestige quand le donataire rétribue l’aide avec des aliments, des boissons ou une fête.
  • La réciprocité en étoile (Temple, 2004a), autre variante du partage, correspond au mutirão mobilisant l’ensemble des membres du groupe local ou de la communauté, par exemple, pour construire l’école, réparer la salle communale, une citerne ou une route, creuser ou nettoyer une retenue collinaire commune. Cette structure produit en plus des services matériels, de l’amitié, mais aussi de la confiance entre ses membres. Ceux qui ne participent pas, perdent prestige et honneur.

Les évolutions différenciées des formes d’entraide témoignent de la dynamique de ces structures de réciprocité et de leur capacité d’adaptation. C’est le cas, précisément, parce qu’au-delà de la nécessité réelle des apports matériels, les communautés y voient une façon de maintenir des règles de partage et de solidarité qui produisent ou reproduisent des valeurs de confiance, d’amitié. C’est aussi le cas dans des environnements institutionnels hostiles ou quand les conditions de reproduction des sociétés paysannes ne sont plus garanties.

C’est important, car dans le Brésil rural, les relations d’entraide, de partage ou de redistribution souffrent de la concurrence de nouvelles relations d’échange : paiement des journées de travail, vente de boisson ou entrée payante dans les fêtes des communautés. Quand de telles pratiques sont dominées par la logique de l’échange, elles ne garantissent plus l’actualisation des structures de réciprocité à même de maintenir la production des valeurs humaines.

La gestion partagée de ressources communes

Le milieu rural brésilien est encore riche de pratiques de gestion de ressources communes : les rivières et les étangs, l’eau des réservoirs et barrages communautaires, les vaines pâtures (appelées fundos de pasto au Nordeste semi-aride, faxinais au Paraná, ou les derniers campos gerais de Minas), une partie des terres des périmètres de reforme agraire et les aires forestières de gestion collective, les reservas extrativas, en Amazonie. Ces systèmes correspondent à une structure de réciprocité ternaire de partage, engendrant des valeurs de confiance et de responsabilité. On peut symboliser cette structure par un cercle (fig 1) extensible en fonction du nombre de participants.

Chabal (2005 :5) insiste sur le fait que « ce n’est pas tant l’objet du partage qui importe que les actes des sujets ». C’est bien ce qui pose problème avec les infrastructures hydriques ou les équipements distribués ou subventionnés par l’Etat ou la coopération internationale. On ne partage pas de la même façon le fruit d’un effort entre pairs et ce qui émane d’un centre de redistribution extérieur au groupe. Par exemple, il y a souvent litige en matière d’entretien des équipements collectifs issus de don, les donateurs publics ou privés considérant que c’est une tâche qui revient aux usagers et ceux-ci, souvent démunis et en situation précaire, invoquant la continuité de la responsabilité de l’Etat ou de l’institution qui a assuré le don (surtout dans le cas d’équipement sophistiqués, pompes, plaques solaires, moteurs, dessalinisateurs d’eau, exigeant des pièces de rechange ou des techniciens spécialisés).

Dans la structure de partage, le faire ensemble de même que le fait de dépendre d’une même ressource « finie » (l’eau en zone semi-aride) engendrent un sentiment d’appartenance au groupe. Chabal (2005 :5) poursuit « le partage cherche à produire l’union. La parole exprime cela par « nous ». La devise est : " un pour tous, tous pour un …c’est l’idée de totalité qui domine ». On peut symboliser la structure de partage par un cercle (figure 1) extensible en fonction du nombre de participants.

L’aliénation spécifique à cette structure de réciprocité c’est la fermeture du cercle, le repli sur le groupe, sur la communauté. Chabal (2005 :6) explique « le grand danger du partage est la clôture du cercle : partage et mutualité à l’intérieur, réciprocité négative à l’extérieur, ou bien même échange à l’extérieur, c’est-à-dire sortie de la réciprocité » et de la production associée de valeurs humaines spécifiques.

La gestion collective de ressources communes peut donner lieu à l’actualisation de relations de réciprocité paysanne dans des structures associatives modernes. Le cas des pâturages communs de la Bahia est exemplaire, car, tous les membres des communautés rurales, sont devenus, de droit, membre des associations de producteurs et ont à ce titre accès aux terres communes. Le statut de l’association n’est pas incompatible avec les pratiques communautaires de partage de la ressource, il permet des actualisations en termes de répartition des droits en cas de pression sur la ressource (limitation du nombre d’animaux par famille). Il donne également droit à une reconnaissance publique : cadastre de la propriété collective et subventions publiques pour la clôture extérieure ou la mise en place de points d’eau. Contrairement aux prophéties de Hardin (1968:1243-1248) proclamant la dégradation inévitable des biens communs par excès d’usage, les paysans du Sertão ont su, au cours de l’histoire, trouver des modes de gestion commune des réserves d’eau ou des vaines pâtures, sans en compromettre systématiquement ni l’accès, ni la reproduction. Les communautés paysannes ont ainsi créé une série de mécanismes qui permettaient à chacun (chaque famille qui participe de ce système de réciprocité) de consommer selon ses besoins.

Dans le cas des banques de semences de la Paraíba, une pratique paysanne de partage de semences ou de redistribution d’aliments en cas de crise se trouve réhabilitée par les pouvoirs publics à des fins de développement durable (conservation de la biodiversité et sécurité alimentaire locales). Des associations communautaires sans activité retrouvent une fonction collective. Cependant, la gestion des biens publics (semences ou financements issus de l’état) n’a plus rien à voir avec le comptage (sans écriture) de quelques kilos ou paniers de graines de maïs, et ne bénéficie pas toujours d’une rigueur dans l’enregistrement et les écritures. Des détournements privés par les leaders existent, qui sont d’ailleurs ouvertement justifiés par leurs auteurs, comme compensation ou rémunération de leur travail gratuit. Il en va de même des fonds de roulement collectifs pour la construction de citerne : la règle de réciprocité de la pression du groupe pour le remboursement du crédit est mise en défaut par diverses formes de concurrence, souvent déloyales et inégales, soit des pouvoirs publics locaux, soit de l’Etat, des églises ou des élus locaux, qui offrent des citernes gratuites à des fins clientélistes.

Limites des organisations professionnelles d’agriculteurs

La flexibilité du modèle associatif

L’intégration au marché d’échange capitaliste et à la société nationale (administration, école, Eglises, services techniques) a conduit les communautés rurales à se doter de nouvelles structures de représentation, de coopération et d’échange monétaire, sans abandonner pour autant complètement les formes d’organisation patriarcale ou communautaires, ni les pratiques et valeurs de réciprocité et de redistribution d’origine paysanne.

Tout en apportant des solutions matérielles immédiates, les formes d’organisation professionnelle créent donc de nouveaux problèmes dans la mesure où elles ignorent ou ne respectent pas les règles de réciprocité, ayant été formatées selon les principes de la concurrence et de l’échange.

L’organisation formelle des producteurs correspond à une structure juridique socioprofessionnelle. On ne devient pas membre de l’association par essence ou par naissance, comme dans le cas de la communauté, mais par choix libre et volontaire, moyennant une relation contractuelle (paiement d’une part sociale). En dépit de l’inadaptation de ces structures juridiques d’ordre productif, la création des organisations d’agriculteurs peut donc correspondre à la modernisation de la réciprocité ou au contraire, privilégier le développement de l’échange.

Les nouvelles organisations sont souvent destinées à gérer l’interface entre le monde domestique local (les familles, la communauté) et la société externe : le marché d’échange, l’administration, la ville. Parfois, le changement de système d’organisation conduit à une confusion en termes de valeurs. Mais cette confusion peut conduire aussi à l’adoption, involontaire ou inconsciente de stratégies et de logiques de nature différente voire opposée. Ce fut le cas avec l’installation de paysans éleveurs du Sertão dans les périmètres irrigués de la Vallée du São Francisco. Confrontés à la logique de l’intégration au marché par la production intensive de fruits, ils doivent réaliser une véritable mutation, non seulement de leur système de production, mais de leur système de valeurs et de références ou, alors, abandonner leur terre.

Dans le premier périmètre irrigué de la région, Bebedouro (Pétrolina - Pernambouco), il y eut conflit entre la logique de concurrence pour le marché et celle du développement de la réciprocité. En effet, une partie des producteurs installés par l’Etat continue à privilégier une logique d’élevage paysan. Satisfaits d’un système d’élevage assuré par les fourrages irrigués, ils recherchent un complément de revenu et un prestige local dans les courses de taureaux, les vaqueijadas. Cette situation en est venue à préoccuper les pouvoirs publics qui désiraient imposer la production de mangues et de raisins considérée la plus lucrative, de façon à assurer la rentabilité de la coopérative qui vit de la commercialisation de fruits, mais non pas de bétail ou de trophées.

Crédit solidaire et coopératives de l’agriculture familiale

Les pratiques de crédit solidaire en milieu rural brésilien se développées via divers systèmes : caisses mutuelles pour les funérailles, tontines, fonds rotatifs solidaires, cautions solidaires et coopératives de crédit (Magalhães, 2005). Les fonds rotatifs alimentes en partie par les agriculteurs bénéficiaires et en partie par des institutions d’aide ont été adaptés pour l’acquisition de machines agricoles, de clôtures mais et également de citernes de stockage des eaux de pluies en zone semi-aride (Duque et al, 2004, Sabourin, 2006a).

Ces pratiques peuvent être assimilées à des structures de partage de ressources financières et de mutualisation de garanties ou de caution. Pour fonctionner les expériences de crédit solidaire dépendent de relations de don (travail bénévole des administrateurs et des animateurs) et de réciprocité (partage et rotation des charges et responsabilités) qui concourent à maintenir la production de valeurs éthiques de confiance, responsabilité et équité entre leurs membres. Mais ces initiatives dépendent aussi de fonctions instrumentales et techniques (comptabilité et gestion) qui ne sont guère différentes de celles des institutions financières privées. La solidarité ne résout pas tout.

La plupart de ces expériences connaissent des difficultés de gestion et de contrôle des remboursements, également à cause des liens sociaux privilégiés : « faire pression sur un voisin ou un ami pour qu’il paie n’est pas facile » témoignent divers responsables.

Sidersky (2006) à partir d’études dans la Paraíba, note l’absence d’interface, mais également de lecture différenciée, entre pratiques de réciprocité sous contrôle social ou public et pratiques liées exclusivement à des intérêts privés (logique de l’accumulation via l’échange marchand ou via le détournement). Cette confusion conduit souvent à une érosion rapide de ces initiatives ou à leur paralysie. Elle révèle une attitude de complaisance, de manque de rigueur, d’évaluation de la part des promoteurs de ces projets et une absence de réflexion méthodologique et théorique. Du coté des services publics la simplification des procédures pour montrer des résultats et « faire du chiffre » avant les élections renforce le clientélisme et la corruption. Ou, au contraire, l’excès de bureaucratie des procédures décourage les bénéficiaires potentiels.

Au Brésil, cette association entre absence de rigueur et d’interface entre logique de solidarité et logique d’efficacité économique a caractérisé l’échec des premières coopératives agricoles (Sabourin, 2001). Elle peut expliquer également le succès des coopératives de crédit en milieu rural et leur rôle essentiel dans la rénovation du mouvement coopératif de l’agriculture familiale et de l’économie solidaire.

Les coopératives de crédit ont été créées suite à la fermeture de nombreuses agences des banques publiques en milieu rural et de leur peu d’enclin pour traiter de multiples petites opérations financières pour les paysans. Les coopérative agricoles du Brésil souffrent de la réputation et de l’héritage de pratiques paternalistes et clientélistes, qui ont conduit à l’asymétrie ou à l’aliénation des relations de solidarité et de réciprocité (Sabourin, 2001 a et b) comme l’exprime le document de fondation de l’Union des Coopératives de l’Agriculture Familiale et d’Economie Solidaire, UNICAFES [5]. L’UNICAFES définit sa mission autour de l’articulation d’une pluralité d’initiatives qui vont de la production à la commercialisation et redistribution de revenu et d’aliments, afin d’améliorer la qualité de vie des agriculteurs et non pas seulement le niveau des gains. Elle réunit des associations et fédérations régionales de coopératives de crédit rural, de coopératives agricoles et de services de l’agriculture familiale et de la reforme agraire et revendique une législation spécifique afin de se différencier des coopératives affiliées à l’OCB (Organisation des Coopératives du Brésil) qui, dirigée par le secteur de l’agro-industrie, se limite à appuyer une dynamique de fusion d’entreprises capitaliste [6].

Enfin, Unicafes formalise une alliance caractéristique de l’élargissement de la dynamique de réciprocité entre les diverses formes d’initiatives économiques solidaires en milieu rural, de l’agriculture paysanne et familiale aux activités rurales non agricoles (services, artisans, etc) en passant par les pêcheurs et les communautés amazoniennes extractivistes.

Commercialisation des produits agricoles et structures de réciprocité

La pluralité des formes de marchés

La monétarisation croissante des relations sociales et économiques, y compris en milieu paysan, est une des raisons des initiatives de crédit solidaire et également de la nécessité d’accès à des marchés à la fois justes et adaptés aux agriculteurs familiaux. On peut certes défendre un projet renouvelé d’agriculture paysanne plus autonome du marché capitaliste (V der Ploeg et al, 2000, V der Ploeg, 2006) moins dépendante des intrants des firmes multinationales, plus respectueux des ressources naturelles. Mais on ne peut ignorer cette nécessité et refuser aux agriculteurs les plus pauvres l’accès aux biens de consommations les plus élémentaires comme l’observe Demo (2003), dans ses analyses de la pauvreté au Brésil. Le principe économique de réciprocité passe précisément par la préoccupation de la satisfaction des besoins élémentaires des proches (la famille, la communauté villageoise, etc) et, par extension, des membres de la collectivité humaine. D’ailleurs, c’est cette notion de satisfaction des besoins qui fait la pertinence de la définition « substantive » de l’économie par Polanyi (1957) : un processus d’interaction entre l’homme et la nature afin de pallier à la satisfaction de ses nécessités. C’est elle qui marque véritablement la rupture par rapport à la définition formaliste : l’allocation de ressources rares à des fins préférentielles. Dans son ouvrage, Dé-penser l’économique, Caillé (2005), tout en défendant des alternatives anti-utilitaristes, reconnaît que la monétarisation de l’économie et sa mondialisation réduisent les perspectives de l’autoproduction et pourraient même prétendre effacer la distinction entre économique substantif et économique formel [7].

La question de la distribution de la production et de sa valorisation économique sur les marchés et non pas sur le seul marché d’échange capitaliste est donc incontournable. C’est aussi l’occasion, vis-à-vis des paysans comme des techniciens, mais surtout, face aux rejets idéologiques, de dé-diaboliser le marché (Démo, 2005) pour mieux cibler la critique sur les limites et les dangers du marché d’échange capitaliste. La limite de l’analyse de Polanyi réside dans son interprétation de l’encastrement et non pas dans sa différentiation entre échange d’une part, et réciprocité et redistribution, d’autre part. En ce sens, la reconnaissance d’une coexistence dialectique entre principe d’échange et principe de réciprocité confirme la nature parfois hybride de bien des situations économiques contemporaines, mais elle confirme également la stérilité de l’hybride. La réciprocité ne fusionne pas avec l’échange et vice-versa. Au mieux, ils cohabitent et souvent, l’un domine l’autre.

Des dispositifs de réduction de la concurrence de l’échange marchand

La mise en marché des produits agricoles ne peut être réduite aux règles du marché d’échange. En dépit des processus de mercantilisation capitaliste que connaît l’agriculture paysanne et familiale brésilienne, il existe de plus en plus de marchés socialement contrôlés. Temple (2003b) et divers auteurs africains parlent de marché de réciprocité.

Au Brésil, les foires locales et les marchés de proximité hebdomadaires offrent des exemples de marchés produisant des liens sociaux et mobilisant la sociabilité, par les relations directes entre producteurs et consommateurs (Encadré 2).

Il existe donc diverses configurations de marchés, souvent réunies sous la bannière de l’économie solidaire, qui correspondent en réalité à des relations et structures de réciprocité, ou à des dispositifs mixtes associant pratiques d’échange et pratiques de réciprocité.

– lors de la vente directe à la ferme, dans les marchés locaux de producteurs ou lors des fêtes de produits régionaux s’établissent des relations de réciprocité bilatérale symétrique entre agriculteurs et consommateurs ; c’est également le cas des filières courtes contrôlées socialement par des groupements de producteurs ou des coopératives de consommateurs [8]. Ces structures produisent des sentiments et valeurs d’amitié, de respect, de fidélité et de confiance entre producteurs et consommateurs.

  • Quand la relation directe (par la rencontre physique entre producteur et consommateur) n’est pas possible, il existe la possibilité de l’intermédiation qualifiée et interpersonnelle du courtage. Le courtier permet d’établir une relation de réciprocité ternaire par l’interconnaissance, l’effet réseau et l’information sur la qualité du produit et du producteur. Cette structure produit la confiance, la responsabilité et la réputation (du producteur comme du courtier). La réputation est d’ailleurs source de prestige.

Encadré 2 : Les marchés agro-écologiques dans la Paraíba

Ce sont des marchés de vente directe de produits écologiques [9] par les agriculteurs familiaux de la région. Le premier marché a été organisé par le Syndicat des travailleurs paysans du Municipe de Lagoa Seca. L’objectif est de développer la vente de produits de qualité et l’autonomie économique des agriculteurs, tout en encourageant la réduction du recours aux pesticides et la diversification d’alternatives de commercialisation. Les agriculteurs ont créé une association, adopté des règles et normes communes : stratégie de vente, kiosques, logotype et contrôle de qualité. Le Pôle Syndical de la Borborema (16 municipes) a organisé un marché agro-écologique dans le pôle urbain régional, Campina Grande. Il favorise la participation des agriculteurs convertis à l’agriculture écologique qui ne sont pas assez nombreux dans leur commune pour constituer un marché différencié. Une association régionale d’agriculteurs agro-écologiques s’est constituée pour structurer un processus de certification de la qualité et une articulation avec les associations équivalentes d’agriculteurs et de marchés de l’ensemble de l’Etat de Paraíba et des Etats voisins.

La certification des produits est assurée par des commissions d’agriculteurs désignées par l’association des producteurs agro-écologiques qui visitent régulièrement chaque producteur et vérifient le processus de culture, l’itinéraire technique et la nature des intrants utilisés. Chaque agriculteur pouvant se retrouver tour à tour évaluateur ou évalué, les risques de fraude sont très limités, car l’intérêt primordial est de maintenir une clientèle encore fragile et donc de ne pas tricher sur la qualité. Le contrôle de la qualité devient inhérent à la structure de production si celle-ci se trouve repositionnée dans un système de réciprocité. Le système de certification mutuelle (ou réciproque) a l’avantage d’être gratuit, de ne pas augmenter le coût de production et de ne pas engager les agriculteurs dans la dépendance de firmes de certification.

La politique de qualification (le label ou l’appellation), limite les effets de concurrence et de spéculation de l’échange capitaliste et peut contribuer à construire des territoires de réciprocité. Quand le nom du producteur est en jeu, ce sont bien des relations de réciprocité qui engendrent les valeurs de réputation, d’honneur et de responsabilité (Bom Konde, 2003). Ce sont souvent ces valeurs éthiques qui garantissent la légitimité et l’autorité du processus de certification des normes de qualité et d’origine. Les entreprises capitalistes ont identifié ces valeurs éthiques pour les transformer en service mercantile de vérification des normes de qualité. Mais, de fait, pour des produits agro-alimentaires, la sanction est d’abord celle du consommateur et la garantie est souvent inhérente au processus de production lui-même. Au Brésil, il existe ainsi diverses initiatives de mise en place de systèmes de co-certification ou de certification de groupe ou encore de certification dite participative, entre producteurs ou entre producteurs et consommateurs (Medaets et Medeiros, 2004).

Le commerce juste ou solidaire, en est une variante qui propose sur la base de valeurs humaines, une rémunération privilégiée, à défaut d’une relation, entre producteurs et consommateurs. Simplement, la distance, le recours aux mêmes réseaux et systèmes d’intermédiation que ceux du libre-échange de commodités, dénature ou biaise souvent la possibilité d’établir des relations de réciprocité dans de telles transactions (Le Velly, 2004).

L’actualisation de relations de réciprocité dans de nouveaux dispositifs

Les pratiques et initiatives des communautés rurales pour produire et partager des savoirs peuvent également se consolider quand sont établies des relations de réciprocité nouvelles avec des acteurs externes, moyennant la création de structures de réciprocité, via des dispositifs d’interaction entre organisations paysannes et pouvoirs publics.

Réciprocité et religion dans les périmètres de réforme agraire

Dans le périmètre de réforme agraire (assentamento) de Jiboia (Minas Gerais) profondément divisé en deux clans, la religion catholique est le seul facteur d’unité et de proximité. Le groupe informel organisé par les femmes est parvenu, sans aide extérieure, à réunir les fonds et construire une chapelle en quelques mois, alors que l’association de Jiboia ne parvient pas à s’organiser pour terminer le toit de la salle de réunion. Les agents de recherche et de développement ont proposé d’appliquer la méthode des femmes catholiques, fondée sur l’entraide et les pratiques de réciprocité (organisation de lotos, ventes aux enchères de volailles, chantiers d’entraide) pour terminer la construction du toit du salon de l’association, en vain. En fait, il s’agit de distinguer la réciprocité dans la production qui se développe sur le plan du réel et permet d’assurer et de reproduire des prestations matérielles mutuelles ou collectives et la réciprocité sur le plan symbolique, ici de la religion catholique. On ne passe pas automatiquement d’un plan à l’autre, ces structures étant régulées par des valeurs de nature différente. Dans le cas de l’entraide mutuelle, c’est non seulement le bien être matériel, sur le plan du réel, qui est produit, mais surtout l’amitié. L’amitié devient alors efficiente et contribue également à reproduire la structure élémentaire de réciprocité binaire de l’entraide. D’autre part, la parole d’union exprime la valeur produite par les structures de réciprocité collective de type partage, valeur qui, dans la structure centralisée, est l’obéissance.

Dans le cas de la religion, il s’agit, de réciprocité sur le plan symbolique gouvernée par la parole d’union de la religion qui exprime la valeur produite par une structure de réciprocité collective mais centralisée, produisant une valeur d’obéissance (à un tiers inclus de nature divine) représentée par le prêtre ou le leader religieux. Si ce leader cherche à maintenir son autorité ou ses valeurs, il est impossible de transposer la structure symbolique à une application au niveau matériel, sur le plan du réel.

On retrouve le même type de mécanisme autour de la mystique politico-religieuse mobilisée par le Mouvement des sans terre - MST, au moyen de chants, de jeux, d’exercices de motivation mutuelle, etc. Le partage de la mystique crée un sentiment d’identité collective et la parole d’union permet la mobilisation de très grands collectifs motivés et disciplinés pour les marches, les occupations de terre ou de bâtiments publics, les grands rassemblements et meetings. Mais on reste dans le cadre d’une structure de réciprocité centralisée par la redistribution d’une parole d’union, qui produit l’obéissance à la parole de Dieu ou de son représentant ou d’un leader du mouvement. Pour des petits groupes de « nouveaux propriétaires » à l’échelle de l’assentamento, la religion ne fonctionne pas pour reconstruire des structures de réciprocité dans la production. De telles pratiques dépendent soit de la proximité, soit de relations binaires d’amitié, de compérage, de parenté, soit de la capacité à partager une ressource, un équipement, dans une relation de réciprocité ternaire. Mais pour cela, il faut qu’il y ait reconnaissance de l’autre et ouverture du cercle à l’ensemble du groupe de familles de l’assentamento, et non pas division ou replis sur de petites cliques. Au contraire, de telles situations et relations engendrent des sentiments d’impuissance, d’incompétence et de frustration, c’est dire le contraire des sentiments d’identité collective positifs, de conquête de la terre, des moyens de production, de reconstruction d’une dignité et d’une citoyenneté qui sont issus de la réciprocité dans la lutte et de l’apprentissage collectif.

L’Université paysanne du Cariri : apprentissage de savoir et production de valeurs éthiques

Les paysans bénéficiaires de l’Unicampo (Université paysanne de la Paraíba) associent le succès de cette formation collective à la qualité de l’apprentissage (individuel et institutionnel) d’une part et, d’autre part, à la production de valeurs éthiques comme la confiance, à partir de relations de don et de partage de savoirs (Coudel et Sabourin, 2007). La production du sentiment de confiance a été possible car la méthodologie de la formation a institué une relation humaine ouverte, de respect et humilité, entre formateurs et formés. Il ne s’agit plus tant de transmettre des connaissances, mais de créer les conditions de l’apprentissage, ce qui suppose de redonner dignité et parole aux paysans en formation. A l’Unicampo on partage des savoirs, des opinions, des prises de consciences mutuelles, mais aussi des pratiques : visites d’étude, travaux manuels et artistiques, etc.

Les élèves expliquent l’efficacité des apprentissages par l’importance :

  • du respect de l’autre (élève ou professeur), de la capacité d’écoute qui engendre la confiance au sein du groupe ;
  • des relations de réciprocité avec d’autres professionnels ou acteurs sociaux et techniques (agriculteurs, artisans, poètes, artistes) ;
  • de la pratique collective du travail manuel dans les cours d’arts plastiques, y compris des professeurs, qui a créé des relations horizontales entre pairs.

Les apprentissages les plus notables sont associés à des relations qui produisent donc aussi des valeurs humaines et des sentiments importants : confiance (en soi et dans les autres), respect mutuel et reconnaissance de l’autre, sentiments de justice (la notion essentielle du droit et du devoir de « prendre » ou de « donner » la parole) ; enfin de responsabilité (envers les partenaires de la formation et envers la communauté ou l’organisation d’origine). Ces valeurs éthiques sont produites par des relations structurées de réciprocité symétrique.

  • Le respect, la reconnaissance et l’amitié sont produits par le « face à face » de la réciprocité binaire symétrique
  • La confiance collective est produite par la structure de partage au sein du groupe : partage de savoirs, apprentissages mutuels ou croisés, partage de responsabilités et solidarité ;
  • Le sentiment de justice dans l’apprentissage et dans la prise de conscience est produit par l’équidistance entre la nécessité de connaissance (son application, pour soi et pour les autres) et la source de la connaissance (personnifiée par le formateur), il correspond a une relation de réciprocité ternaire bilatérale.

Par ailleurs, les agriculteurs formés insistent sur le fait que l’Université paysanne n’est pas seulement “proche d’eux” ; mais « à eux ». Ils ont ainsi été motivés pour créer des relations de proximité et d’interconnaissance : entre eux, en montant une association des anciens élèves et avec l’ensemble de la population de leurs communautés, par des initiatives éducatives (atelier pour les enfants, les femmes) et des projets productifs de développement local. Les élèves de l’Unicampo ont organisé un élargissement des relations de réciprocité productive et de redistribution/apprentissage de savoirs et de valeurs. C’est là tout le contraire du repli sur soi, de l’isolement (autarcie et dépendance) qui caractérise les formes d’aliénations généralement associées aux sociétés paysannes (Mendras, 1976). La valorisation et la récupération de leurs racines paysannes, auparavant méprisées ou cachées, permettent de construire une relation de réciprocité dans l’apprentissage qui produit une valeur de dignité et de prestige collectif. L’institutionnalisation de ce type de relation, sa reproduction ou son élargissement peut contribuer à créer une structure de réciprocité ternaire unilatérale. Elle constitue aussi une condition potentielle pour la mise en valeur des ressources matérielles, éthiques et spirituelles (ou symboliques) de leur territoire local ou régional.

Discussion et perspectives de recherche : les interfaces de systèmes

La théorie de la réciprocité contribue à l’interprétation du sens social des logiques économiques construites par les communautés humaines au long de leur histoire. Il est en effet des prestations, qui, de manière parfois imperceptible, ont été naturalisées comme des relations d’échange à cause du poids du modèle de rationalité de l’échange capitaliste. Mais le capitalisme ne se détermine pas en fonction de valeurs humaines, affectives ou éthiques, ni d’un projet plus juste, ni même plus durable pour l’humanité. C’est pourquoi, nous avons besoin d’identifier et de construire des interfaces entre les prestations régulées par le principe de réciprocité et du don, et celles gouvernées par le principe du libre -échange.Il s’agit de pouvoir articuler les antagonismes ou encore de négocier et d’encadrer, quand cela est possible, les complémentarités entre ces deux tendances.

Capital social, réseaux sociaux et coûts de transaction

D’une part, on rencontre une justification de la mobilisation du capital social selon une logique utilitariste clairement associée à l’efficacité en matière de coopération et de coordination des transactions économiques. Par extension, les relations humaines (proximité, interconnaissance, réseaux) et les processus d’organisation sont encouragés dans la mesure où ils permettent de réduire les coûts de transaction, de mettre en valeur le capital humain (apprentissage, production et diffusion d’information, d’innovation, de savoirs), de développer les capacités (capabilities de Sen, 1999), au service de la production et de l’accumulation de valeurs matérielles. On mesure la différence de projet humain, en termes d’éthique, tout comme en termes de résultat social (la distribution des richesses) entre la seule production de valeurs matérielles d’échange à des fins d’accumulation privée d’une part et le développement de relations humaines de complémentarité et de réciprocité entre des sujets. Comme l’illustrent les exemples cités, les contradictions entre ces deux projets ou tendances sont sources de tension ou de confusion.

D’autre part, il existe également une production matérielle (d’usage et de marché) engendrée ou multipliée par des formes de réciprocité productive (entraide, gestion partagée de ressources communes ou publiques, redistribution de savoirs, production de biens publics locaux, etc.) dont la maintenance et la reproduction dépendent de la préservation de structures de réciprocité, plus ou moins instituées ou fragilisées. Mais, ces structures ne sont pas seulement mobilisées pour leurs aspects matériels ; elles fonctionnent également sur le plan symbolique, par la parole, par des règles, des normes ou des coutumes, associées ou non a une tradition, ou encore par leur actualisation dans des conditions nouvelles, dans des structures économiques et sociales qui relèvent de représentation et décisions politiques.

L’organisation non formalisée constituée par les réseaux sociaux et sociotechniques (Callon, 1991) a été également promue en pariant sur les relations humaines d’interconnaissance ou d’interdépendance pour faciliter le transfert d’information et la diffusion d’innovations. Mais les attributs associés aux réseaux technico-économiques (Callon, 1991) d’information, d’innovation ou de commercialisation peuvent être analysés sur deux plans distincts. D’un côté, la confiance, valeur morale renvoie au plan affectif ou spirituel et, de l’autre, l’entraide, la solidarité, les pratiques et relations de réciprocité peuvent concerner, directement ou non, une production matérielle. Comment séparer ce qui relève d’une logique utilitariste de réduction des coûts de transaction ou de facilitation des transferts de connaissances en vue d’une activité matérielle, de ce qui dépend d’une logique de réciprocité en vue de l’élargissement des relations humaines, de l’intérêt pour les autres ?

Depuis les contributions de Polanyi on a pu considérer comme North (1984) que les transactions et prestations matérielles ou informationnelles apparaissent comme “insérées” dans les coutumes ou dans les expressions culturelles et symboliques des valeurs éthiques. De fait, comme ces valeurs coutumières sont gratuites, elles contribuent certes à réduire les coûts de transaction et sont ainsi reconnues par l’économie néo-institutionnelle (Williamson, 1979). Mais ce courant considère ces valeurs comme des données historiques et culturelles et n’admet pas qu’elles doivent être constituées. La théorie des coûts de transaction cherche à maximiser les profits en vue de leur accumulation et ne présente pas une véritable alternative à l’approche néo-classique. Elle se justifie en redécouvrant le rôle et le potentiel économique des relations humaines de sociabilité primaire (Caillé, 2001) et des valeurs éthiques comme la confiance, la responsabilité ou la justice (Temple, 1997). Ces valeurs perdurent dans bien des cas, malgré l’extension du libre-échange. Cependant, pour promouvoir des formes de développement de la collectivité en s’appuyant sur les réseaux sociotechniques ou socioéconomiques, il est nécessaire d’en caractériser les structures constituantes : celles qui, en plus de contribuer aux activités matérielles, produisent également des valeurs éthiques. Cependant, l’option des ruraux pour travailler au sein de petites entreprises familiales autonomes, mais interdépendantes et organisées en réseaux, peut exister, également, parce que ceux-ci tiennent à maintenir et reproduire un système de valeur ajoutée éthique qui vient informer de la nature « morale » ou « utilitariste » de l’économique. En d’autres termes : ces réseaux fonctionnent-ils uniquement pour réaliser des profits ou également pour maintenir des relations humaines avec les autres et pour participer d’une société humaine et citoyenne ?

Enseignements et limites de l’approche

La différence entre l’analyse de Polanyi et celle du principe économique de réciprocité proposé par Temple réside dans l’origine des valeurs humaines ou éthiques qui orientent les prestations. Polanyi et certains de ceux qui se réfèrent à ses travaux, comme North (1977) et Ostrom (1998) insèrent les valeurs éthiques dans le domaine de la compétence, de la sphère privée [10] ou dans les faits culturels qui n’ont rien à voir – ou très peu- avec l’économie. Pour Temple, les structures de réciprocité sont des structures économiques.

De fait, dans les sociétés rurales actuelles, à la différence des sociétés humaines des origines, on se trouve en situations mixtes de cohabitation entre pratiques d’échange et de réciprocité, parfois complexes (Sabourin et Tyuienon, 2007). Souvent, le système de libre-échange s’est imposé progressivement, parvenant à masquer ou paralyser les pratiques et relations de réciprocité. Cela complique le travail d’analyse. Par exemple, les formes de réciprocité bilatérale ou symétrique sont, généralement, interprétées comme des échanges réciproques ou des trocs mutuels. Les normes de réciprocité ternaire entre générations sont assimilées aux intérêts des donneurs à s’assurer une assurance vie via leurs descendants. Les formes de redistribution assurées par l’Etat (sécurité sociale et retraites) sont interprétées comme des compléments de salaire, des profits collectifs ou des droits acquis, alors qu’elles constituent la plus importante et, peut-être, l’une des dernières formes de réciprocité centralisée et généralisée (de redistribution élargie) dans nos sociétés. Notons que le Brésil, bénéficie de la législation nationale de réciprocité généralisée la plus avancée au monde, même si elle n’est pas encore appliquée et réglementée, avec la Loi de Revenu Inconditionnel de Citoyenneté, votée en janvier 2003, provisoirement initiée via le programme « Bolsa Familia » (Suplicy, 2002).

Dans ces conditions épistémologiques, outre les confusions dues aux terminologies académiques, en particulier entre réciprocité et échange [11] et au succès des notions polysémiques comme capital social, solidarité, développement, durabilité, la méthode pour différencier les prestations régulées par le principe de réciprocité de celles gouvernées par l’échange, consiste à identifier les polarités économiques des relations sociales, les valeurs produites et les structures de vase qui garantissent ou contribuent à la reproduction de ces relations et des valeurs humaines.

Divers analystes de l’économie solidaire reconnaissent la différenciation et la possibilité d’interface entre le système d’échange marchand concurrentiel et les systèmes de réciprocité - redistribution. Roustang (2003 :4) rappelle que « l’économie solidaire plaide pour la reconnaissance de la réciprocité comme mode d’échange, à coté de l’échange marchand et du système de redistribution ». Il poursuit : derrière le principe de réciprocité et redistribution, apparaît l’idée de construction des besoins sociaux et que l’organisation de la production - je dirai aussi de sa commercialisation ou distribution- passe par des formes de délibération entre acteurs, plus ou moins codifiées, qui se différencie d’une relation de concurrence régulée par les prix comme d’une redistribution administrative.

Il s’agit de la reconnaissance de la réciprocité comme une relation qui prend en compte, au delà de nos propres besoins, les nécessités vitales, matérielles, sociales et symboliques de notre groupe humain ou de l’humanité.

Chacune des deux logiques, réciprocité et échange, peut donc être vérifiée dans les faits. Les deux peuvent se prévaloir d’avantages respectifs et de précédents, dont certains sont sans doute irréversibles. Comme le propose Temple (1997), la reconnaissance politique et publique de l’économie de réciprocité permettrait de tracer une interface de systèmes et d’ouvrir un débat entre les partisans de l’une ou l’autre logique pour traiter de la nature des organisations, du développement, de la gestion des ressources.

Il existe un besoin de mieux caractériser les polarités économiques contradictoires, mixtes, métisses, ou hybrides qui traversent les sociétés rurales. Parler d’hybridation suppose par nature deux catégories : échange/réciprocité, selon notre proposition, plutôt que marchand/non marchand ou non monétaire. Pour permettre l’articulation, plutôt que l’hybridation entre relations de réciprocité et relations d’échange, il y a besoin d’une interface de système.

En termes de perspectives de recherche complémentaires, je propose trois exemples brésiliens d’instruments de politiques publiques qui permettent ou intègrent l’établissement de cette interface entre systèmes : la politique de qualification des produits, les marchés institutionnels et les dispositifs collectifs des agriculteurs assurant la production de biens communs ou publics (Sabourin, 2007a).

Trois instruments à l’interface entre échange et réciprocité

La qualification des produits

Tout processus de qualification qui garantit l’origine (le nom du producteur), la spécificité, le procédé ou les normes de qualité d’un produit, contribue à réduire les effets de concurrence et de spéculation propres à l’échange capitaliste. De fait, il se crée ainsi une territorialité de réciprocité autour d’un produit spécifique. Cependant, en dehors de ce groupe de producteurs et y compris pour commercialiser d’autres produits qui ne seraient pas labellisés, ce sont les règles du marché d’échange capitaliste qui fonctionnent.

C’est pour cela que, dans le cas du processus de qualification centrifuge, on a recours à un type d’interface : celui du mécanisme de certification, qui permet de réintroduire une production de réciprocité (l’unité familiale, la communauté paysanne, la coopérative) dans le système du marché d’échange capitaliste. Mais toutes les possibilités de la qualification des produits ruraux n’ont pas encore été explorées. Temple (2003b : 361) propose de radicaliser le processus par un autre type d’interface, celui de la qualification centripète ou personnalisée ; en d’autres termes, sous le nom de Souza, on ne peut produire que du Souza.

“ Personne ne peut concurrencer une production unique dont la valeur intrinsèque est potentiellement, infinie…symbolique ou prosaïque, la valeur sera d’autant plus grande que le produit sera plus qualifié. Et il n’y a pas besoin de contrôle de la qualité par une compétence externe à celle de la production, car la qualité est inhérente à la structure de production” (Temple, 2003a :11).

Par ailleurs, la certification de la qualité par une entreprise ou une compétence extérieure à la production n’est plus nécessaire, car l’exigence de qualité est inhérente à la structure de production. Temple oppose l’émulation pour améliorer la qualité à la concurrence pour accumuler des profits. La qualification centripète et le label personnalisé constituent ainsi une des clefs d’un développement rural endogène ou autocentré qui satisfasse en priorité les besoins des communautés locales.

Il existe également dans l’idée de produits de qualité associés à des terroirs spécifiques, un potentiel de création de territorialités socioéconomiques et culturelles, via la relation entre hommes, produits, cultures, identités et territoires diversifiés.

Les marchés institutionnels
Le recours à la protection des marchés internes par des prix agricoles garantis ou compensatoires, tel qu’appliqué avant 1992 dans l’Union Européenne a montré ses limites en termes d’équité : il favorise excessivement les grands producteurs. Une alternative d’interface entre agriculteurs paysans et familiaux (unités mixtes d’échange et réciprocité) et système d’échange capitaliste déjà appliquée au Brésil est celle offerte par les marchés publics et institutionnels. L’Etat, par l’intermédiaire de ses administrations décide d’acheter en priorité des biens ou des services produits par certaines catégories de producteurs défavorisés par le marché capitaliste, éventuellement en assurant des prix garantis. Ce mécanisme protége les unités paysannes et familiales ou les entreprises d’économie solidaire de la concurrence du marche capitaliste. Au Brésil ce système est mobilisé aux trois échelles de l’Etat et est administre de façon décentralisée : à l’échelle municipale (cantines et mobiliers scolaires, crèches), à l’échelle de l’Etat fédéré (hôpitaux, collèges et administration publique) et à l’échelle fédérale : marchés des entreprises d’état et régulation des stocks.

Dans les Etats de Rio de Janeiro, Santa Catarina, Paraíba, entre autres, les cantines scolaires se fournissent auprès des associations d’agriculteurs agro-ecológiques. Le gouvernement Lula a réactivé un important marche institutionnel fédéral, celui de la Centrale Nationale d’Approvisionnement en Aliments (Conab) gérée par le Ministère de l’Agriculture) en l’ouvrant aux produits de l’agriculture paysanne et familiale grâce à un Programme spécifique d’Achat Anticipé d’Aliments (PAA) financé par le Projet Fome Zero (Delgado et al, 2007).

Les dispositifs collectifs d’agriculteurs produisant des biens communs ou publics

Face au retrait de l’Etat de ses engagements régulateurs et re-distributifs républicains, démocratiques et humanistes, via la privatisation ou la réduction des services publics, les paysans, agriculteurs familiaux et les communautés rurales constituent des dispositif alternatifs. On assiste au Nordeste semi-aride, à une multiplication d’initiatives locales d’accès ou de gestion de ressources commune (banques de semences, réserves d’eau communautaires, vaines pâtures…) ou de biens publics ou communs (articulations thématiques et forums régionaux, pôles syndicaux, réseaux territorialisés), innovation (banques de semences, groupe de crédit mutuel pour la construction de citernes, groupes d’agriculteurs expérimentateurs), savoirs et savoir-faire (Université Paysanne, Ecoles Familiales Rurales). Les agriculteurs, assurent donc, à l’échelle locale ou régionale, via ces dispositifs, des fonctions d’intérêt commun ou général de recherche, d’expérimentation, de vulgarisation, de formation et éducation, gratuitement, et souvent sans appui public. Ces dispositifs fonctionnant sur des règles de réciprocité (entraide, partage, etc) assurent à la fois la production de bien publics locaux et des valeurs humaines de responsabilité, de confiance, de justice et de dignité. Appuyer la durabilité de ces dispositifs d’intérêt public, leur institutionnalisation, comme forme d’articulation entre action publique et organisations d’agriculteurs, permet de négocier des interfaces positives, surmontant les blocages et paralysies habituels. Ces instruments constituent un exemple d’interface entre système d’échange, de réciprocité et de redistribution publique (Sabourin, 2007,a)

Dans ce dernier cas, ou dans celui de la qualification, ce sont les communautés d’agriculteurs qui régulent cette articulation via la préservation ou l’actualisation de leurs structures collectives de réciprocité. Dans l’autre cas c’est l’Etat qui est garant des règles à l’interface, indiquant quels sont les groupes d’agriculteurs qui ont accès aux marches publics ou institutionnels et selon quelles modalités. La qualification et certification des produits peuvent être assurées par l’organisation des agriculteurs ou de la société civile, avec ou sans appui et intervention des services publics.

Conclusion

Les exemples et cas mobilisés confirment une pluralité des formes économiques de l’agriculture paysanne et familiale du Brésil. Les prestations ou relations économiques d’entraide, de gestion partagée des ressources, des savoirs, de coopération, correspondent à des pratiques économiques gratuites fondées sur le principe de réciprocité. Ces pratiques ne relèvent pas de l’altruisme ou d’une quelconque tradition paysanne, elles sont nécessaires au processus de production, parfois indispensables dans les conditions précaires des périmètres de reforme agraire, des communautés paysannes du Nordeste semi-aride ou d’Amazonie. Mais, elles sont aussi, essentielles pour assurer la cohésion de l’organisation sociale à partir de la production de valeurs humaines ou éthiques communes.

La mobilisation collective des organisations et des réseaux d’agriculteurs familiaux peut suivre deux orientations. D’un côté, elle peut se développer sur la base du libre échange capitaliste. Celui-ci a été capable d’engendrer un progrès technologique inégalé, des richesses matérielles sans nul doute intéressantes pour l’humanité, mais limitées et toujours réparties de manière plus inégale, produisant plus d’exclus. Ce développement économique fondé exclusivement sur l’économie de libre-échange et de concurrence n’est pas durable. Il engendre aussi l’exploitation des hommes, des ressources naturelles ainsi que l’exclusion des plus pauvres des droits à une véritable humanité. D’un autre cote, les formes d’organisations des agriculteurs, des ruraux, mais aussi d’autres acteurs socio-économiques, peuvent participer du développement de relations et de structures économiques et sociales de réciprocité. Ces relations et structures sont parvenues et parviennent, même si ignorées ou masquées, et en dépit de la domination du système de libre-échange à assurer la survie matérielle de la grande majorité des populations rurales, des modestes aux plus pauvres, et surtout, à maintenir dans nos sociétés, un minimum de valeurs humaines.

Dans la thèse proposée ces valeurs humaines ne sont pas données culturellement ou socialement et insérées dans les structures symboliques et les représentations, elles sont au contraire construites et reproduites par les relations humaines, constituées en structures de réciprocité. Un des aspects les plus graves de la confusion entre ces catégories et logiques (même si ce ne sont que des catégories théoriques), est bien de justifier la mobilisation de processus sociaux s’appuyant sur des valeurs humaines des communautés (ici rurales) pour favoriser, essentiellement, le développement de l’économie d’échange capitaliste. Cette confusion est aussi maintenue par les organisations des populations rurales elles-mêmes, dans la mesure ou, faute de critique interne ou d’explication externe, elles ignorent les différences entre les deux logiques et prolongent le qui pro quo historique né avec la découverte des mondes nouveaux par les colons européens (Todorov, 1972). Ce type d’approche tient à la fois de l’ignorance et de la tromperie. Il peut aussi relever de l’économicide comme le rappelle Temple (1992) quand les populations concernées n’ont pas la maîtrise des deux logiques ou les moyens politiques et économiques du choix entre l’une ou l’autre.

Sur un autre plan, les communautés rurales maintiennent des structures de réciprocité, non pas uniquement par conscience de leur production quotidienne des valeurs humaines, mais par la référence à leur cristallisation dans des représentations symboliques : coutumes, rituels, philosophies et religions. Il s’agit donc également, d’opérer les passages entre le réel et le symbolique et de savoir reconnaître les structures symboliques de réciprocité, garanties par le recours à un « tiers inclus » : expression artistique, relation à la nature, divinités, etc.
Au sein de chacune de ces dimensions (corporelle, éthique, intellectuelle, artistique, religieuse) les hommes doivent pouvoir trouver leur liberté : la liberté d’approfondir une profession, un art, ou une science de leur choix, de pratiquer la religion de leur choix. Le bien commun est commun à deux titres ; d’abord parce qu’il est réalisé au moyen des efforts de tous, et ensuite parce qu’il appartient à tous.

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Contacter l’auteur : sabourin@cirad.fr

// Article publié le 7 août 2007 Pour citer cet article : Eric Sabourin , « Organisation paysanne au Brésil : capital social, réciprocité et valeurs humaines  », Revue du MAUSS permanente, 7 août 2007 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Organisation-paysanne-au-Bresil
Notes

[1Pour Putnam, “ le capital social correspond aux caractéristiques des organisations sociales comme les réseaux, les normes et la confiance qui facilitent la coopération pour un bénéfice mutuel ou qui permettent aux participants d’une action collective d’être ensemble plus efficaces dans l’atteinte de leurs objectifs communs out partagés »

[2Portes critique une vision qui ne prend pas en compte les différences de classes et, surtout, son raisonnement tautologique : le capital social étant à la fois cause et effet. On part des effets (les villes et les régions qui gagnent ou qui perdent) pour arriver aux caractéristiques qui les distinguent, niant des explications alternatives. Il s’agit d’expliquer toutes les différences observées par l’élimination des exceptions et la survalorisation de facteurs comme le civisme et l’organisation sociale.

[3Blais (1983) distingue une hiérarchisation entre valeurs “moyens” et valeurs “fins” (ou valeurs éthiques). Pour lui, quand on connaît le système de valeurs d’une société il est possible de reconstituer le mode d’organisation, les structures dont elle s’est dotée pour les cultiver. Le contraire est possible, l’analyse des structures permet de reconstituer le système de valeurs d’une société.

[4Temple (1998) parle de structures élémentaires de la réciprocité en réponse aux structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss (1947).

[5“A cause de cet héritage, nos traditions coopératives en sont venues à représenter le pouvoir économique dominant. Les “coopératives entreprises” en vinrent à affronter la concurrence par l’augmentation de leurs gains et de leur patrimoine et non par l’organisation, l’éducation, la participation et l’inclusion socio-économiques de leurs membres. De ce fait, beaucoup de coopératives agricoles devinrent de grandes entreprises capitalistes et se sont éloignées de leur base sociale - légitime responsable des destinées de la coopérative – réduisant l’action des coopérateurs è une participation passive ” (traduit de Unicafes, 2005)

[6“Une nouvelle culture politique est nécessaire, une pratique capable d’interagir selon un mode pluriel en créant des mécanismes capables de surmonter la culture de la dépendance du pouvoir économique ou de l’Etat clientéliste. Pour autant, le renforcement d’une autre logique de production du pouvoir est nécessaire, celle de l’autonomie, de l’autogestion et du renforcement des capacités des agricultrices et agriculteurs” (traduit de Unicafes, 2005)

[7Ceci dit, la distinction entre économie formelle et économie substantive perd de son importance à partir du moment où l’on pose le principe théorique d’une tension entre une logique économique d’échange et une logique économique de réciprocité.

[8ou par les deux ensemble, comme c’est le cas dans la région de Porto Alegre entre coopératives du MST et coopératives de consommateurs.

[9Marchés de vente directe de produits de l’agro-écologie (forme d’agriculture écologique à base biologique, sans intrants chimiques) par les agriculteurs familiaux.

[10Les valeurs humaines fondamentales ne sont pas culturellement données à un groupe, ni spécifiques de chaque individus comme la bonté ou les cheveux roux : elles sont produites et reproduites au moyen de pratiques et de relations de production, de travail et d’action entre pairs.

[11En ordonnant les relations de parenté au principe de réciprocité, Lévi-Strauss traite de la réciprocité directe (ou bilatérale) par le terme d’échange restreint ou symétrique (mariage avec la cousine croisée bilatérale) et de la réciprocité indirecte par celui d’échange généralisé ou asymétrique.

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