Partout dans le monde désormais les entreprises, qu’elles soient privées, publiques, semi-publiques, mutualistes ou coopératives, se retrouvent sommées et se déclarent fières d’assumer leurs responsabilités sociales et environnementale... Simple trompe-l’œil ou progrès véritable ?
Depuis quelques années, l’entreprise est devenue « responsable » et contribue au développement durable. Du moins, c’est ce que prétendent les grandes corporations tout comme les associations industrielles qui ne cessent d’en faire la démonstration dans des mémoires ou des rapports de performance « extrafinancière » aussi appelés « de responsabilité sociale » ou « de développement durable ».
Est-ce à dire qu’une nouvelle ère s’est ouverte, alors que ces entreprises auxquelles les libellés de missions corporatives donnent des allures d’ONG, viennent remplacer une génération d’organisations autrefois exclusivement axées sur le profit et la production ? Cette simple affirmation suscite d’emblée un malaise qui invite à plusieurs questionnements. Pourquoi parle-t-on aujourd’hui de responsabilité sociale ? L’appel unanime à la nécessaire responsabilisation sociale des entreprises est-il révélateur d’une rupture avec une génération précédente d’organisations ? Pour répondre à ces questions, il faut bien entendu rendre compte du phénomène de la responsabilité sociale, mais ceci suppose préalablement de s’accorder sur le sens à donner à cette expression, étant entendu qu’un tel sens déterminera, le cas échéant, la portée et la nature de la rupture.
Or, l’opération consistant à comprendre ce que signifie la responsabilité sociale va bien au-delà d’un exercice sémantique. Il s’agit en fait de révéler le processus de construction sociale dont est issue l’idée d’une nécessaire responsabilisation des entreprises. Une telle démarche permet de constater, et cela constitue l’argument premier de cette intervention, que la compréhension de l’expression « responsabilité sociale » requiert que le chercheur se penche moins sur « l’interface entre l’entreprise et la société » comme cela a souvent été proposé, que sur l’entreprise comme fait social, et ce non pas tant sur un plan organisationnel mais bien à l’échelle de la structuration des rapports sociaux globaux. Bref, nous avançons que le phénomène de la responsabilité sociale est révélateur de l’éclatement du compromis à la base de l’entreprise capitaliste et plus largement du modèle de développement traditionnel dont elle est au cœur.
Notre réflexion s’articule en deux temps. En premier lieu, nous tenterons de révéler les processus de construction sociale de l’idée d’une responsabilité sociale de l’entreprise en retraçant l’évolution de la notion dans un cadre historique plus large et en analysant les différentes formes sous lesquelles elle se manifeste aujourd’hui, pour aboutir à une conception sociologique de la responsabilité sociale. Cette démarche devrait nous permettre de mieux saisir la signification de la responsabilité sociale à l’échelle de la société afin de proposer en conclusion une perspective des mutations en cours ; sans aller jusqu’à esquisser la nouvelle « entreprise sociale » qui pourrait s’imposer au cours des prochaines décennies, nous évoquerons les conséquences des aménagements comptables que supposera sa nécessaire inscription dans un système économique en phase avec « le progrès social » tel que défini à l’ère des sociétés post-écologiques.
Une large part de la littérature sur la responsabilité sociale encore majoritairement issue des sciences de la gestion, s’est attachée à définir la responsabilité sociale sans véritablement parvenir à ce jour à une définition universelle. Il est vrai que depuis ses premières manifestations il y a plusieurs décennies, les pratiques de responsabilité sociale ont changé, incitant les chercheurs à constamment ajuster leur lecture. Mais plus fondamentalement encore, la responsabilité sociale qui était portée exclusivement par les gestionnaires il n’y a pas si longtemps a été accaparée par d’autres acteurs sociaux qui n’ont pas hésité à contester les acceptions jusqu’alors admises dans la pratique et à démultiplier les angles sous lesquels aborder la question ; jusqu’à convenir récemment d’une définition, la norme ISO 26 000 [1], qui va bien au-delà de la conception réductrice que nous allons étudier ici.
C’est en s’attardant à l’évolution historique de même qu’aux manifestations actuelles de la responsabilité sociale qu’il devient possible d’appréhender le phénomène dans sa globalité et de faire ressortir les tensions et les transformations qui le sous-tendent. Cette démarche permet de restituer le processus de construction sociale de la responsabilité sociale susceptible de mettre au jour les luttes, mais aussi les transformations sous-jacentes à l’émergence du phénomène et à la généralisation de ce discours de responsabilisation des entreprises.
Nous ne sommes pas de ceux qui insistent sur le caractère séculaire de la responsabilité sociale au point de nier toute nouveauté au phénomène. Si l’expression n’est pas nouvelle, sa généralisation dans les discours, mais aussi la prolifération des postes de gestionnaires au sein des entreprises et la multiplication des programmes et des cours de responsabilité sociale au sein des cursus en sciences de la gestion datent d’une décennie à peine. Il n’en reste pas moins que la responsabilité sociale telle qu’elle s’institutionnalise aujourd’hui est le fruit de débats et de questionnements s’étalant sur pas moins d’un siècle. Par conséquent, il est intéressant de s’y attarder pour voir comment l’idée d’une responsabilité sociale de l’entreprise s’est progressivement construite et imposée.
Les historiens de la responsabilité sociale et de l’éthique des affaires dressent un parallèle entre l’évolution du système économique capitaliste et le questionnement éthique et social de l’entreprise [2]. Trois facteurs auraient contribué à ce questionnement qui émerge dès le début du siècle : la désillusion rattachée aux promesses du libéralisme, la volonté de l’entreprise de se montrer sous un meilleur jour alors que quelques privilégiés bénéficient de profits monopolistiques, et la naissance des sciences de la gestion (McHugh, 1988, p. 8). À partir des années 1920, la montée du socialisme stimule les critiques adressées au capitalisme ainsi que les débats sur la distribution de la richesse et le rôle de l’État. Les pratiques monopolistiques issues du mouvement de concentration des entreprises favorisent l’émergence d’un important mouvement antitrust qui mènera au renforcement du cadre législatif. Selon certains chercheurs, c’est pour répondre à l’inquiétude soulevée par le pouvoir grandissant des entreprises et au vu de réponses législatives potentiellement drastiques que les gens d’affaire commencent à discourir sur la responsabilité sociale de l’entreprise (Frederick, 1987, p. 143).
Quelle forme prend alors ce discours ? D’après Banner, la responsabilité sociale de l’entreprise reste attachée à l’époque aux fonctions traditionnelles de l’entreprise : il s’agit de produire des biens et des services utiles, de réaliser des profits, de créer des emplois et d’aménager un espace de travail sécuritaire (1979, p. 21). D’autres chercheurs caractérisent la responsabilité sociale de cette époque comme étant typiquement paternaliste, alors que l’accent est mis sur la charité et la gouvernance : l’entreprise doit être généreuse vis-à-vis les défavorisés et tenir compte des autres acteurs sociaux en les considérant comme faisant partie intégrante de son rôle de mandataire (Frederick, 1987, p. 143-144). Enfin, un dernier courant de recherche estime que cette époque reste marquée par des questionnements entourant la moralité des gens d’affaires, et que par conséquent il s’agit moins d’« éthique des affaires » où l’attention porterait sur l’activité de l’entreprise, que d’« éthique en affaires » qui s’intéresse avant tout au comportement individuel des dirigeants (De George, 1987, p. 201). Même si le questionnement éthique et social de l’entreprise commence à se faire jour, cette période s’apparente davantage à ce qu’on pourrait appeler une préhistoire de la responsabilité sociale.
Il en va autrement de l’époque débutant pendant les années 1960 où la responsabilité sociale devient une thématique beaucoup plus explicite chez les gens d’affaires. Sur le plan économique, les trente glorieuses qui font suite à la seconde guerre mondiale viennent consacrer les politiques providentialistes et la consommation de masse. Le système productif répond à des impératifs de progrès technique et scientifique, de standardisation et d’économies d’échelles propres à la production de masse tandis que les principes tayloriens d’organisation du travail sont à l’honneur. La structure interne des entreprises se complexifie jusqu’à en faire de véritables bureaucraties organisationnelles, et leur contrôle passe aux mains d’une nouvelle classe de dirigeants dissociée des actionnaires. Au fur et à mesure qu’elles se transnationalisent et qu’apparaissent de nouveaux conglomérats, les entreprises semblent jouir d’un pouvoir renouvelé, qui n’est pas étranger à une montée des revendications sociales. Vers la fin des années 1960 en effet, de nouveaux mouvements sociaux interpellent directement les entreprises au sujet de la pollution, des droits de l’homme et de la consommation. En 1972, le rapport du Club de Rome expose les dangers d’épuisement des ressources qu’entraîne une croissance économique illimitée [3]. Ces mouvements dits de contre-culture favorisent le développement d’un courant anti-affaires qui inquiète le milieu économique (Hoffman, 1988 ; Mahoney, 1990, p. 7).
The demands for action and for reform were central and mainstream, not marginal or discretionary. Social critics wanted to change business’s production technology, the design of products, the pricing of goods an services, its personnel practices, the market served, the allocation of capital, and the make-up of the corporation’s official governing body, the board of directors » (Frederick, 1987, p. 149)
Le questionnement éthique et social de l’entreprise prend alors la forme d’un débat polarisé entre les partisans d’une conception élargie de la responsabilité des entreprises et les tenant d’une perspective strictement économique de cette responsabilité, sur fond de « défense du système de la libre entreprise » face à la menace communiste. Il est intéressant de se remémorer les faits à l’origine de la controverse tels que rappelés en introduction du célèbre article de Milton Friedman qui dénonçait de façon cinglante les propositions mises de l’avant par les gestionnaires de GM :
TAMING G.M. – Chairman James Roche of General Motors replies to members of Campaign G.M. at the corporation’s stockholders’ meeting in May. Representatives of the campain demanded that G.M. name three new directors to represent « the public interest » and set up a committee to study the company’s performance in such areas of public concern as safety and pollution. The stockholders defeated the proposals overwhelmingly, but management, apparently in response to the second demand, recently named five directors to a « public-policy committee ». The author calls such drives for social responsibility in business « pure and unadulterated socialism », adding : « businessmen who talk this way are unwitting puppets of the intellectual forces that have been undermining the basis of a free society » (introduction de l’article A Friedman doctrine – The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits, The New York Times Magazine, 1970).
Les arguments de Friedman reposent sur une perspective smithienne de la société selon laquelle c’est en se consacrant à ses objectifs privés que la firme concourre à l’intérêt général. Les partisans de la responsabilité sociale rétorquent que le contrat social à la base du système de la libre entreprise a changé, et que les obligations de l’entreprise ne se limitent plus à faire des profits mais consistent aussi à répondre à de nouveaux enjeux. D’autres rationalisations de la responsabilité sociale se développent avec les nouvelles théories de l’organisation qui proposent de délaisser la métaphore taylorienne de l’entreprise-machine au profit d’une entreprise-organisme dont la survie est tributaire de la constante adaptation à son environnement. En plus de faire de la responsabilité sociale un problème de gestion, ces théories donneront notamment prise à une perspective morale de l’entreprise appréhendée comme sujet, et selon laquelle ses activités ne peuvent être exclusivement jugées d’un point de vue économique. En vertu de ces nouvelles représentations, la responsabilité sociale ne se limite plus à la charité ou au comportement moral de ses dirigeants, mais concerne, et donc interroge, les conséquences du fonctionnement ordinaire des entreprises.
L’institutionnalisation de la responsabilité sociale débute au tournant des années 1990, en plein processus de mondialisation. Les États poursuivent de vastes politiques de déréglementation et de privatisation et se prêtent à un contrôle serré des finances publiques dans un esprit de lutte au déficit. En impulsant des modes de communication inédits, les nouvelles technologies transforment la gestion de la production et l’organisation du travail. Couplé au développement de nouveaux produits financiers et aux politiques « des 3 D » (décloisonnement, désintermédiation, déréglementation), ces nouvelles technologies participent à l’intégration des marchés et à la financiarisation de l’économie mondiale. La structure du capital change alors que s’imposent les investisseurs institutionnels, de grands opérateurs financiers en quête de rendements élevés. Les entreprises adoptent des configurations réticulaires et s’incorporent en holdings financiers. La fonction finance y prend le pas sur les fonctions production et marketing (Jones, 1996, p. 18), faisant du rendement financier la principale variable de performance. À l’ère de ce nouveau capitalisme « patrimonial » (Aglietta), les organisations semblent s’émanciper de leur attache territoriale pour être de plus en plus sujettes aux diktats des marchés financiers.
Sur le plan social, si l’effondrement du bloc soviétique semble consacrer le système capitaliste, ce dernier fait face à des critiques renouvelées devant l’accroissement des inégalités, la persistance de la pauvreté et la montée du chômage, mais aussi la multiplication des problèmes environnementaux qui commencent à s’imposer dans l’agenda international ; en 1987 est signé le protocole de Montréal concernant la couche d’ozone, et Gro Harlem Brundtland publie le rapport Notre avenir à tous qui popularise le concept de développement durable. En 1992 se tient le Sommet de Rio lors duquel les États prendront une série d’engagements en matière de protection de l’environnement dont la convention sur les changements climatiques qui donnera lieu au protocole de Kyoto en 1997.
C’est pendant cette période que la responsabilité sociale s’impose comme pratique mais aussi comme principe managérial. Dans la foulée de l’ouvrage de Freeman publié en 1984 sur l’importance stratégique d’une gestion des « parties prenantes », l’idée que la responsabilité sociale va de pair avec la pérennité de l’entreprise, bref qu’elle est une bonne pratique d’affaires, s’impose peu à peu. Et si la recherche s’ouvre sur de nouvelles questions (la mise en œuvre de la responsabilité sociale au sein de l’entreprise et les outils de mesure et de divulgation de la nouvelle « performance sociale » de l’entreprise), une part importante de la littérature s’attache toujours à démontrer la pertinence de la responsabilité sociale pour l’entreprise, en insistant davantage sur son intérêt plus spécifiquement économique. Ainsi, bien qu’ils mettent en garde les entreprises contre la menace de législations plus sévères ou qu’ils insistent sur les impératifs moraux qui s’imposent à l’entreprise, c’est de plus en plus sur des arguments économiques que les chercheurs se basent pour légitimer les politiques de responsabilité sociale ; au point de développer une véritable rationalisation économique en vertu de laquelle la responsabilité sociale est rentable, magnifiquement résumée par l’adage « Good ethics is good business ». Même si elle n’est toujours pas prouvée et fait encore l’objet de vifs débats entre certains chercheurs, cette concordance annoncée entre la performance sociale de la performance économique et même financière de l’entreprise, a certainement contribué à la diffusion des pratiques et des comportements responsables auprès des milieux d’affaires et des écoles de gestion. Mais elle justifie également une nouvelle perspective de l’entreprise privée : la possibilité pour elle de prendre en charge l’intérêt commun sans renier sa mission première de maximisation des profits.
Cette perspective très optimiste de la responsabilité sociale est ébranlée au tournant des années 2000 alors qu’à la faveur d’un important mouvement de diffusion, de nouveaux acteurs s’invitent dans la discussion : État, ONG et syndicats. Si les mouvements sociaux commencent par rejeter le concept de responsabilité sociale, ils choisissent ensuite de se l’approprier et le réinterprètent en évoquant notamment l’idée d’une nécessaire « responsabilisation » des entreprises. Tributaire d’un nouveau cadre réglementaire qui puisse être opérant dans le contexte de la mondialisation économique, cette responsabilisation repose notamment sur le respect des normes universelles édictées à l’échelle internationale. On constate à quel point cette perspective est à l’opposé d’une conception non seulement volontaire mais relativiste de la responsabilité sociale où les normes de performance sociale sont négociées à la pièce avec chaque partie prenante. La Commission européenne a pris la pleine mesure de ces antagonismes lorsqu’elle a lancé son livre vert et ouvert en 2002 un espace de débat où se sont exprimés les multiples points de vue des différents acteurs sociaux, au point où elle a renoncé à tout cadre réglementaire, qui aurait nécessairement été controversé.
Bref, la période actuelle est marquée à la fois par une généralisation de l’idée de responsabilité sociale de l’entreprise, et par des antagonismes fondamentaux concernant la signification et le modus operandi de cette responsabilité. Toute entreprise se dit aujourd’hui responsable, et la responsabilité sociale est désormais inscrite dans les cursus de diplômes de gestion comme un principe stratégique incontournable. Mais derrière cette apparente unanimité les positions sont on ne peut plus polarisées, comme l’illustre la démarche avortée de la Commission européenne, qui a fait craindre à plusieurs le dérapage du processus ISO 26 000, qui a néanmoins été adoptée non sans suspense en novembre dernier. Reste à voir néanmoins le sort que lui réserveront les législateurs nationaux qui ont la responsabilité de l’adapter sur leur territoire. L’institutionnalisation de la responsabilité sociale s’avère donc difficile dans la mesure où la conception volontariste et relativiste mise de l’avant par les gestionnaires demeure largement controversée. Il n’en reste pas moins que ces controverses fleurissent sur des transformations fondamentales de l’imaginaire économique de l’ensemble des acteurs sociaux que l’on peut synthétiser en trois points :
Il va de soi que cette nécessaire perspective optimiste teinte largement les discours sur la responsabilité sociale émanant des cercles économiques. Afin de poursuivre la démarche de déconstruction que nous avons amorcée par un historique, nous allons examiner plus avant ce discours et le mettre en lien avec les pratiques de la responsabilité sociale.
La responsabilité sociale comme pratique volontaire
La définition « institutionnelle » de la responsabilité sociale constitue pour le chercheur un matériau exceptionnellement riche pour l’analyse dans la mesure où non seulement elle s’avère controversée, mais elle semble paradoxalement contradictoire avec certaines pratiques et certains discours des entreprises elles-mêmes. L’idée que la responsabilité sociale désigne des « initiatives volontaires allant au delà de la loi » nous renvoie au contexte historique que nous avons présenté plus tôt, où la responsabilité sociale fut très tôt présentée comme une alternative à la réglementation. Les chercheurs en gestion ont littéralement exhorté les gestionnaires à être responsables socialement en vue d’éviter que le gouvernement, sujet aux pressions de la population, ne légifère pour contraindre les entreprises récalcitrantes à devenir responsables. Si cet argument est toujours utilisé aujourd’hui, il trouve un écho renouvelé dans le contexte de la mondialisation économique qui consacre une véritable autonomie législative de l’entreprise. Bref, la responsabilité sociale apparaît dans ce contexte comme la seule alternative puisqu’il n’existe pas d’autorité législative ni de réglementation à l’échelle mondiale.
Tout aussi séduisant qu’il puisse paraître, cet argument ne résiste pourtant pas à l’analyse dans la mesure où ce n’est pas tant l’absence de droit qui caractérise l’échelle mondiale que la difficulté d’application des normes édictées à ce niveau. D’une part, au delà des difficultés que suppose leur formulation compte tenu de la diversité des intérêts et des acteurs en présence, ces normes doivent être transposées en droit interne pour trouver application et sont donc sujettes à la bonne volonté, mais aussi à la capacité des États à les mettre en œuvre. D’autre part, à l’échelle internationale, les mesures de sanction en cas de défaut restent souvent d’ordre diplomatique, et sujettes à bien d’autres considérations que la réprobation d’un comportement délinquant. Or, les discours mettant en exergue l’absence de « réglementation » à l’échelle mondiale se trouvent en fait à nier l’existence du droit international et à discréditer les normes édictées à ce niveau, pour reléguer en arrière-plan les difficultés de sa mise en œuvre faute d’institutions appropriées mais aussi en raison précisément du comportement des entreprises. On voit ici toute l’incongruité du raisonnement voulant que la responsabilité sociale pallie les manques du droit dans la mesure où les difficultés d’application sont liées aux stratégies d’évitement et de contournement des entreprises qui font fi des conventions internationales ou se soustraient au droit national en délocalisant leur production. Ce raisonnement permet néanmoins de présenter les initiatives volontaires comme une alternative crédible, alors qu’une analyse davantage axée sur l’effectivité des normes met au jour non seulement le fait que les mesures volontaires n’offrent guère plus de garantie de mise en œuvre que le droit international, mais de façon encore plus provocante le fait que ce sont les entreprises elles-mêmes qui freinent cette mise en œuvre.
En second lieu, l’idée que des initiatives volontaires puissent voir le jour en lieu et place de la réglementation suscite un paradoxe. Si, comme nous l’avons vu plus tôt, la responsabilité sociale est rentable, la législation est superflue puisque la mission économique de l’entreprise obligerait cette dernière à adopter le comportement responsable précisément parce qu’il est rentable. À l’inverse, si l’initiative responsable correspond à un coût et ne peut être justifiée en regard d’une rationalité économique, il n’est pas possible à l’entreprise de la mettre de l’avant sans y être contrainte par une législation sous peine de représailles de la part des actionnaires. Entre ces deux situations toutefois existe une dynamique dont le discours commun cherche à rendre compte par l’évocation du long terme, mais qui correspond plus prosaïquement au jeu entre l’évolution de la législation et l’anticipation stratégique qu’en font les dirigeants d’entreprises. En effet, bon nombre de pratiques non rentables aujourd’hui peuvent le devenir demain selon l’évolution du cadre normatif ; ainsi en va-t-il des mesures de gestion des gaz à effet de serre qui, le jour où s’imposeront des plafonds d’émissions et un système de permis échangeables s’avéreront potentiellement très rentables. L’anticipation de la loi, et par extension la compréhension des demandes sociales qui présideront à des modernisations législatives, sont à la base d’un comportement stratégique de l’entreprise par lequel celle-ci adopte de nouveaux procédés avant même d’y être contrainte par la loi, ce qui lui donne une image d’avant-garde et la distingue de ses concurrents. Mais plus déterminant encore, il faut garder à l’esprit que les politiques publiques et les réglementations ne s’élaborent pas en vase clos : même sans relever d’un processus participatif formel, la législation est le fruit d’un compromis social arbitré par l’État où la meilleure pratique existante sert bien souvent de référence à la formulation de nouvelles exigences légales. En entérinant « la meilleure technologie disponible », une réglementation confirme la position de chef de file de l’entreprise qui l’a développée et consacre son niveau de performance qui devient le nouveau « level playing field ». On voit donc comment la réglementation peut faire office de véritable ressource stratégique pour une entreprise et, en modifiant la structure de coûts de toute l’industrie en fonction de sa propre performance, lui conférer un avantage concurrentiel exceptionnel, bref « rentabiliser » une initiative volontaire apparemment non rentable au départ.
Bref, la définition usuelle de la responsabilité sociale suggère un rapport de l’entreprise à la loi qui, s’il est très simpliste par rapport à ce qui est observable dans la pratique, lui permet de poser les initiatives volontaires comme des alternatives crédibles à la réglementation. Or cette définition de la responsabilité sociale comme alternative à la réglementation ou initiative « au-delà de la loi » est d’autant plus incongrue qu’elle est contredite par le discours des entreprises elles-mêmes si l’on se fie à leurs rapports de développement durable et de responsabilité sociale.
Avant d’approfondir cette question, il faut relever le statut tout à fait particulier de ces rapports ; l’objectif et le public visé par ces documents ont amené les entreprises à développer des stratégies de rédaction qui les érigent en véritables co-constructions, et les éloigne d’un discours plus unilatéral tel que les mémoires déposés en commission parlementaire par exemple [4]. Ainsi, même s’il est rédigé par les gestionnaires à partir de la vision et des réalisations de l’entreprise, le contenu de ces rapports est élaboré dans la perspective d’un dialogue avec les acteurs sociaux qui sont de plus en plus invités à y contribuer, que ce soit à l’étape de la vérification du rapport, ou plus en amont pour circonscrire les enjeux ou même faire des témoignages. Le contenu de ces rapports reflète donc une perspective de la responsabilité sociale proposée par l’entreprise, certes, mais dont on souhaite qu’elle reçoive l’assentiment des acteurs sociaux à qui le rapport est destiné.
Or, l’analyse de ces rapports montre bien que la conformité aux lois est un élément incontournable de la responsabilité sociale. Ces rapports n’hésitent d’ailleurs pas à évoquer les conventions internationales que les entreprises se targuent de respecter. Bref, la responsabilité sociale n’y est pas définie en opposition à la loi, mais bien par le principe premier de sa conformité. Quant aux initiatives « volontaires », elles correspondent rarement à une surperformance par rapport à des normes réglementaires ; il s’agit le plus souvent de mesures se déployant dans des espaces non-réglementés, où une réglementation future est possible même si incertaine. Bref, la responsabilité sociale « s’appuie sur le droit », « promeut le droit » et l’entreprise qui se dit responsable « affiche son légalisme » (Lacheze, 2008). Par ailleurs et a contrario de ce qui est sous-entendu par la définition volontariste de la responsabilités sociale, le droit est même utilisé pour limiter les engagements des entreprises :
(…) le droit, ou ses principes, offre aux entreprises une possibilité de retrait vis-à-vis de leurs engagements. Au-delà de capter la légitimité et l’autorité du droit (Cochoy, 2007), les entreprises l’utilisent (…) afin de limiter leurs engagements (…). Ce désengagement s’appuie notamment sur la convocation du principe de subsidiarité, typique de l’action communautaire, ou le jeu sur l’architecture du droit en mobilisant notamment le droit dit « local » (Lacheze, 2008, p. 20).
Ainsi, on constate que la définition de la responsabilité sociale comme initiatives allant au delà de la loi est lourde de confusion et masque plusieurs dynamiques comportementales des entreprises. Alors qu’elle ne correspond pas même à la pratique de ces entreprises, elle propose une perspective du droit et de la régulation sociale non seulement erronée, mais trompeuse. Comme on va le voir dans ce qui suit, le deuxième élément de la définition institutionnelle de la responsabilité sociale, s’il s’avère davantage en phase avec les pratiques réelles des entreprises, suscite aussi une interprétation trompeuse de la dynamique sociale qui, en naturalisant l’entreprise, a pour effet d’interdire certaines questions fondamentales.
La responsabilité sociale comme dialogue avec les parties prenantes
L’idée que l’entreprise doive maintenir un dialogue avec ses « parties prenantes » a été formalisée comme on l’a dit plus tôt par Freeman dans son célèbre ouvrage de 1984 Stakeholder managment. A Strategic approach. Ce dialogue n’y est pas présenté comme une fin en soi, mais bien comme une stratégie permettant de réduire les risques sociaux associés aux activités de l’entreprise. Bref, si le dialogue avec les parties prenantes peut s’apparenter à une responsabilité sociale, il s’agit néanmoins bel et bien de conforter l’entreprise dans sa mission économique. La thèse développée par Freeman est à l’effet que le contexte socio-politique requiert de l’entreprise une vision élargie des opportunités et menaces de son environnement qui suppose qu’elle ne s’inquiète plus seulement de ses interlocuteurs traditionnels (État, concurrents, actionnaires), mais soit à l’écoute de ses parties prenantes (ou parties intéressées) définies comme tout groupe susceptible d’affecter les activités de l’entreprise ou d’être affecté par elles, dans la mesure où en étant affecté, un groupe pourrait réagir et affecter à son tour l’entreprise. D’un point de vue managérial, on comprend l’intérêt d’une telle perspective qui a été reprise par la plupart des courants en stratégie d’entreprise. Mais cette théorie et son vocabulaire ont été exportés bien au-delà des pratiques stratégiques pour être au cœur de l’analyse des « rapports entre l’entreprise et la société ».
Or, en dehors d’une perspective managériale, la théorie des parties prenantes obscurcit plutôt qu’elle n’éclaire la dynamique sociale. En premier lieu, la terminologie « partie prenante » assimile les différents acteurs sociaux et masque par conséquent la nature du lien entre l’acteur et l’entreprise qui était explicite dans le vocabulaire traditionnel. Travailleurs, gouvernement, actionnaires, ONG : tous ne sont que des parties prenantes de l’entreprise avec lesquelles celles-ci entre « en dialogue ». Le modèle érige ainsi l’entreprise en acteur social, ce qui a pour effet de la naturaliser et de gommer sa réelle nature de structuration des rapports sociaux. Il devient impossible, dans cette représentation, de percevoir le contrôle exercé par les dirigeants sur les salariés à travers l’entreprise, bref de comprendre comment l’entreprise hiérarchise les acteurs sociaux entre eux et constitue un véritable véhicule de domination des actionnaires et des dirigeants sur les travailleurs, les consommateurs et les communautés locales. À cela s’ajoute la réduction du gouvernement à un acteur parmi d’autres, ce qui interdit de penser sa fonction de structuration de l’environnement dans lequel évolue l’entreprise, et encore moins son pouvoir de réformer l’entreprise elle-même et par conséquent de redéfinir les rapports sociaux qu’elle structure. En résumé, la terminologie des parties prenantes naturalise l’entreprise et gomme son rôle structurant, c’est-à-dire le fait qu’elle hiérarchise les acteurs sociaux et sert de véhicule à la domination.
Mais au delà d’une visée rationalisatrice, la théorie des parties prenantes a d’abord une ambition pratique visant à outiller l’entreprise pour faire face à un contexte social de plus en plus menaçant. Et à cet égard, elle a non seulement présidé à de nouvelles pratiques, mais aussi participé à banaliser la communication directe entre l’entreprise et les mouvements sociaux qui s’adressaient jusqu’alors à l’État. S’il est vrai que ce dialogue peut sembler vain compte tenu de la disparité des forces en présence, il a constitué une importante force de modernisation ces dernières années pour des entreprises soucieuses de démontrer leur pertinence sociale et d’asseoir leur légitimité. Progressivement, les mouvements sociaux ont ainsi fait incursion dans l’évaluation de la performance sociale et environnementale de l’entreprise et ce, non plus dans un espace contestataire mais bien dans un nouvel espace de dialogue et de concertation qui n’interdit pourtant pas les débats et la confrontation.
La théorie des parties prenantes capte par contre moins bien la transformation des stratégies des mouvements sociaux qui, ne se limitant pas à ce dialogue direct dont elle veut rendre compte, ont choisi d’investir des statuts proprement économiques pour faire valoir leurs revendications. Les ONG ont cherché à politiser le consommateur pour stimuler une demande assortie d’exigences sociales et environnementales et ainsi structurer le marché en fonction de ces nouveaux critères de performance. Inspirées par les mouvements religieux, elles ont aussi redéfini le rôle de l’actionnaire qui est devenu militant en portant certaines causes sociales et environnementales devant les assemblées d’actionnaires.
En plus de s’exprimer sur la scène proprement sociale en investissant notamment ses nouveaux espaces virtuels, le dialogue entre les gestionnaires et les mouvements sociaux se formalise donc dans des arènes traditionnellement économiques qui tendent à se politiser au fur et à mesure qu’elles sont investies par ces nouveaux acteurs. En conséquence, les mesures unilatérales de responsabilité sociale ont peu à peu cédé le pas à des initiatives multipartites où l’entreprise a accepté le principe d’une co-définition et d’une co-évaluation de sa performance sociale et environnementale. Les initiatives multipartites se sont ainsi imposées dans plusieurs industries comme des lieux de débats et de négociation sur les enjeux sociaux et environnementaux de l’industrie et les principes de gestion socialement acceptables en présidant à des mécanismes inédits de régulation. Depuis une quinzaine d’années en effet, des certifications, des labels, ainsi que des codes de conduite de plus en plus issus de forum multipartites (même si certains sont encore exclusivement soit industriels, soit gouvernementaux, soit issus des mouvements) offrent des garanties aux consommateurs et aux investisseurs concernant la performance sociale et environnementale de l’entreprise et de ses produits.
S’ils correspondent à une véritable innovation sur le plan de la régulation sociale, il ne faut pas envisager ces mécanismes en opposition avec le système réglementaire. La soft law que les juristes préfèrent désigner sous le terme de norme privée, participe de sa modernisation. Sous le couvert de la « gouvernance » en effet, les autorités publiques ont laissé davantage de place aux acteurs sociaux dans la définition des normes au cours des dernières décennies, et tendent à reconnaître les consensus déjà conclus entre acteurs sociaux plutôt qu’imposer une politique sans ancrage. Bref, la nouvelle dynamique réglementaire entérine des compromis réalisés ex-ante dans de nouveaux espaces.
Plus en aval par ailleurs, les rapports de responsabilité sociale, même s’ils sont rarement obligatoires (loi NRE et législation canadienne sur les banques), accréditent l’idée que l’entreprise a des compte à rendre non seulement quant à ses résultats financiers auprès des actionnaires, mais relativement à sa performance sociale et environnementale auprès de « ses parties prenantes ».
Si bien que l’entreprise se trouve aujourd’hui exposée sur tous les fronts : sujettes aux revendications sociales traditionnelles que les nouvelles technologies peuvent rendre dévastatrices, elles doivent tenir compte d’un marché de plus en plus politisé et d’actionnaires revendicateurs. Et si elles semblent participer de bonne grâce, et même diront certains avec un enthousiasme suspect, à la co-définition de leur responsabilité sociale, elles continuent à faire l’objet de revendications qui ne semblent guère s’atténuer. Dans la mesure où cela s’avère à ce point inefficace pour calmer le climat social et apaiser les revendications des mouvements sociaux, on peut donc se demander pourquoi les entreprises s’efforcent tant de déployer des mesures de responsabilité sociale et de structurer un discours sur la question.
Au delà des dimensions stratégiques inhérentes à la nouvelle structuration politique du marché qui pourrait s’avérer encore assez marginale [5], nous posons l’hypothèse que le mouvement de la responsabilité sociale est symptomatique de la rupture du compromis social à la base de l’entreprise capitaliste et plus largement du modèle industriel de développement. Le courant de la responsabilité sociale peut en effet s’expliquer lorsqu’on s’intéresse à la nature institutionnelle de l’entreprise et aux transformations complexes qui ont marqué la société au cours des dernières décennies.
De la Compagnie des Indes aux sociétés commerciales en passant par les fabriques industrielles, l’entreprise a toujours été le véhicule d’intérêts privés, mais en s’inscrivant dans un projet social plus général, qu’il s’agisse de la conquête, de la modernisation de la production, ou de l’accès à la consommation. C’est ce que le sociologue Alain Touraine a formalisé en définissant l’entreprise comme une institution sociale privée, c’est-à-dire une institution qui, tout en étant dédiée à des fins privées, doit également servir l’intérêt général pour être légitime. La conception de l’entreprise comme institution sociale privée permet dès lors de comprendre la responsabilité sociale comme adéquation entre la finalité de l’entreprise et le projet de société d’une époque donnée, que celui-ci se traduise par des lois ou, de façon plus diffuse, par ce qu’on appelle les « attentes sociales ». L’entreprise responsable est donc celle qui contribue positivement à la société, et est en mesure de le démontrer.
Or, cet intérêt général se définit différemment à travers l’histoire : un bien-être défini en termes de niveau de vie et de production il y a vingt ans à peine se décline davantage en termes de qualité de vie et de préservation de l’environnement aujourd’hui. L’entreprise qui se contente d’offrir des biens et des services en fournissant des salaires était certes en parfaite adéquation avec le projet de société productiviste qui caractérisait la deuxième moitié du siècle dernier. Mais sa contribution à une société qui définit l’intérêt général en se référant au développement durable est moins évidente. D’où l’effort particulier des entreprises ces vingt dernières années pour démontrer et publiciser cette contribution, que ce soit par des messages publicitaires, des discours officiels, des rapports de développement durable et de responsabilité sociale ou des énoncés de missions à consonance philanthropique. Bien qu’elle demeure privée, l’« entreprise nouvelle » que dépeint l’idéologie de la responsabilité sociale embrasse l’intérêt général et ouvre sa gouvernance aux préoccupations des parties prenantes, dans le cadre d’un « capitalisme démocratique » où, via les régimes de pension et les investisseurs institutionnels, tous profitent de la valorisation du capital.
Si l’avènement de cette nouvelle génération d’entreprise n’a pas semblé apaiser les mouvements sociaux et suspendre leurs revendications, c’est qu’ils ne sont guère convaincus de sa capacité à s’inscrire dans un nouveau modèle de développement, et pour cause. L’entreprise capitaliste demeure fondée sur une valorisation de la transformation au détriment de la conservation ; l’impératif du rendement l’incite à déployer des stratégies d’externalisation des coûts et à évacuer le long terme comme paramètre de décision ; sa vigueur repose sur une consommation toujours accrue, si bien qu’elle ne peut être pensée hors d’une société de consommation et même de sur-consommation. Quant à sa gouvernance, elle demeure dominée par des impératifs financiers qui ne semblent profiter qu’à quelques-uns malgré une participation élargie de la population à son capital.
Bref, à la question de savoir si la responsabilité sociale telle qu’encore largement définie aujourd’hui de même que la nouvelle génération d’entreprises à laquelle elle aurait donné lieu suffisent pour répondre à des revendications sociales qui traduisent les nouveaux impératifs d’un développement durable, nous n’hésitons pas à répondre non. C’est qu’au delà des apports que permet la marge de manœuvre du dirigeant, la contribution de l’entreprise à la société est dictée par sa structure même, c’est-à-dire sa forme en tant que construction juridique au sein d’un ensemble plus vaste constitué par le système économique et comptable lui aussi balisé par le droit et les conventions normatives. En d’autres termes, plutôt que de penser la responsabilité sociale comme l’action bienveillante d’une entreprise envisagée comme acteur social, il est nécessaire de reconnaître la dimension juridiquement (et socialement) construite de l’entreprise comme du système économique afin d’interroger des éléments structurels que la compréhension usuelle de la responsabilité sociale tient pour immuables. Or, certains indices nous permettent de constater que des transformations institutionnelles sont bel et bien en cours, qui tentent par différentes voies de reconstruire l’adéquation délitée entre les finalités de l’entreprise et le modèle de développement durable. Dans les prochaines années, ces transformations modifieront substantiellement l’entreprise et le système économique dont elle est l’institution centrale.
Pour commencer, les discussions concernant l’ouverture de la gouvernance de l’entreprise à d’autres acteurs sociaux que les actionnaires mettent en cause l’exclusivité du lien économique comme accès légitime à sa gouvernance. La persistance de la représentation de l’actionnaire comme propriétaire de l’entreprise, malgré son inexactitude juridique, est symptomatique du système de légitimation propre au capitalisme financier. Mais cette représentation, de même que la réduction de l’intérêt de la firme à celui de ses actionnaires qui lui est intimement liée, est battue en brèche ces dernières années. Comme l’explique Rousseau (2011), les tribunaux canadiens ont récemment clairement distingué l’intérêt de la firme de celui des actionnaires, jugeant que c’est envers la première qu’est défini le devoir de loyauté des administrateurs, et non envers ses parties prenantes, actionnaire compris ; de plus, si l’intérêt de l’entreprise concorde le plus souvent avec celui de « l’ensemble des parties prenantes », la Cour estime qu’aucun principe ne donne préséance à un groupe plutôt qu’un autre [6].
L’arrivée d’actionnaires militants au sein des assemblées générales, c’est-à-dire d’acteurs qui détournent le statut d’actionnaire-investisseur pour porter des revendications à caractère social, témoigne elle aussi d’un requestionnement fondamental de la primauté financière de l’entreprise, même si les principes pour l’investissement responsable développés sous l’égide de l’ONU envisagent les considérations de d’environnement, société et gouvernance (ESG) principalement comme des facteurs de réduction du risque. Par ailleurs, l’élargissement du statut d’actionnaire à des considérations extrafinancières est d’autant plus plausible qu’il a l’intérêt, pour la classe dirigeante, de consacrer la mission économique de l’entreprise de même que son caractère privé.
Mais ce caractère privé n’est pas non plus immuable. Outre qu’il est le fruit d’une construction historique et non intrinsèque à l’entreprise comme le démontre McLean (2004), il est questionné par la participation de plus en plus évidente des mouvements sociaux aux instances de régulation de l’entreprise. Ceux-ci contribuent à l’énoncé des normes et plus généralement à la définition du contenu des performances sociales et environnementales exigées dans le cadre de certifications, de labels ou de codes de conduite. Qu’ils y soient invités ou non, ils se prêtent à l’évaluation des performances effectives des entreprises dans ces domaines que ce soit en proposant des classements, en menant des campagnes, ou encore en participant aux vérifications des rapports de responsabilité sociale publiés par les entreprises. Les expériences actuelles semblent témoigner d’une certaine ouverture, ou à tout le moins d’une résignation des dirigeants à l’égard de l’incursion des mouvements sociaux dans la sphère économique, et reconnaissent généralement leur légitimité à se prononcer sur les aspects sociaux et environnementaux de leurs activités même s’ils en contestent le plus souvent le résultat (Gendron, 2006).
En soutien à cette participation des mouvements sociaux à l’évaluation des entreprises, les pouvoirs publics pourraient insister, comme l’illustrent actuellement l’article 116 de la Loi NRE ou encore l’obligation que la législation britannique impose aux régimes de pension de divulguer l’existence (ou la non existence) de leur politique d’investissement responsable, sur des législations procédurales qui tendent à faire sortir le débat social de l’enceinte gouvernementale afin qu’il se déploie sur la place publique dans de nouveaux espaces « civils ». Au sein de ces espaces, la dynamique est complexe et les rapports de pouvoir pas toujours faciles à saisir. Internet tout autant que les médias traditionnels sont mis à contribution pour mobiliser une opinion publique qui finit par avoir raison de certains comportements. Ainsi, la campagne de courriels orchestrée par CARE a fait plier Novartis dans un conflit lié à l’accessibilité des médicaments dans les pays du Sud [7]. Les campagnes des actionnaires militants illustrent aussi très bien ce jeu complexe alors que même si leurs résolutions ne sont jamais acceptées, la seule menace qu’elles soient présentées en assemblée des actionnaires et médiatisées incitent la direction de l’entreprise au dialogue et à la négociation.
Ces nouveaux espaces hybrident de façon inédite les logiques sociale, politique et économique et bousculent la conception traditionnelle des rapports entre les acteurs qui y sont associés tout en présidant à l’apparition de nouveaux acteurs. Les revendications que les mouvements sociaux ont souhaité relayer à travers la consommation sont à l’origine du commerce équitable et plus largement de la consommation responsable où foisonnent des organisations à vocation non seulement militante mais aussi normative et économique. Parallèlement, le désir des entreprises de se distinguer par leur performance sociale et environnementale de même que le mouvement des investissements responsables ont stimulé l’éclosion « d’agences de notation » spécialisées dans l’évaluation de la responsabilité sociale alors qu’émergeaient plusieurs indices boursiers de responsabilité sociale.
L’intérêt de ces espaces pour les pouvoirs publics est que soient stabilisés les termes du débat avant d’entrer en scène pour éventuellement entériner par une législation le compromis social émergent. Cette logique préside à une articulation des normes publiques et privées bien plus qu’à un remplacement des premières pas les secondes comme le craignent certains. Par ailleurs, les normes privées peuvent être mises à contribution pour relayer et diffuser d’éventuelles normes publiques, par exemple pour pallier à la transposition déficiente du droit international dans le droit interne de certains pays.
Or, parmi ces normes privées il faut souligner l’adoption récente d’ISO 26 000 sur la responsabilité sociétale de l’entreprise. Cette norme issue de l’organisation internationale de normalisation est en fait le fruit d’un vaste dialogue social organisé à l’échelle internationale entre six catégories d’acteurs sociaux : les consommateurs, les industriels, les gouvernements, les ONG environnementales, les syndicats et les experts. Ce texte dont la richesse résulte assurément de ce dialogue social dont la réussite n’a d’égale que sa difficulté, a su transcender la définition institutionnelle de la responsabilité sociale pour construire une définition portée par une nouvelle conception de l’entreprise en lien avec les défis du développement durable. Il vient par conséquent consacrer non seulement une responsabilité sociale négociée entre les acteurs sociaux, mais proposer une nouvelle perspective de l’entreprise tenant compte à la fois du contexte économique mondialisé et du défi de la protection de l’environnement et du développement et de l’équité sociale.
Simultanément, d’autres transformations institutionnelles se font jour : la comptabilité environnementale et la fiscalité verte à laquelle recourent de plus en plus de pays promettent de modifier radicalement la structure de coûts des industries. Même s’ils font encore l’objet de débats aujourd’hui, les conséquences des changements climatiques incitent les gouvernements à imposer des plafonds d’émission de gaz à effet de serre. La production de gaz à effet de serre se traduira dès lors par d’importantes pénalités économiques et les scandales financiers pourraient être relégués au second plan face aux éventuels « délits carbone » des entreprises retardataires. Mais on peut se demander jusqu’où iront ces mesures, car en ajustant la profitabilité des entreprises par une comptabilisation des coûts environnementaux actuellement non reconnus et par conséquent assumés par d’autres acteurs sociaux, il n’est pas impossible que celle-ci devienne rare au point de mettre en cause le principe d’accumulation, et en corollaire la pertinence sociale de la production de biens par rapport à la conservation du milieu [8].
Bref, une internalisation intégrale des coûts environnementaux pourrait fragiliser la dynamique économique au point de questionner le principe d’accumulation, mais irait néanmoins de pair avec la montée en force de la préservation comme élément incontournable du développement. En effet, au fur et à mesure que les problèmes environnementaux se font jour, la transformation cède le pas à la conservation comme principe de bien-être. La crise environnementale préside ainsi à de nouvelles conventions sociales qui pourraient faire basculer le principe premier de notre économie, fondée sur l’accumulation, pour faire place à une économie de la préservation axée sur la gestion des passifs environnementaux. Dans cette économie des passifs qui pourrait caractériser les sociétés post-écologiques, on voit mal comment l’entreprise capitaliste traditionnelle pourrait demeurer une institution centrale ; si l’enjeu passe de la répartition des richesses à une répartition des passifs qui n’est pas étrangère aux risques évoqués par Beck, peut-être des organisations s’apparentant davantage à des ONG seront-elles mieux placées pour assurer, telles des organisations bureaucratiques dédiées à des causes particulières, les coordinations nécessitées par cette nouvelle économie. Se poseront dès lors de nouveaux problèmes de gouvernance, de légitimité et de contrôle dont on peine à esquisser les contours tant l’hypothèse que nous esquissons semble improbable à l’heure qu’il est.
Corinne Gendron est Professeur titulaire, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, à l’École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal (UQÀM).
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En novembre 2010, au terme de près de cinq ans de discussions, était adoptée la nouvelle norme sur la responsabilité sociale des entreprises ISO 26000. Rassemblés dans une organisation de normalisation transformée en véritable lieu de débats, des représentants des consommateurs, des syndicats, des ONG, des gouvernements, des entreprises et des experts provenant du Nord comme du Sud on été invités à construire les éléments d’une définition universelle de la responsabilité sociale. En résulte un document d’une centaine de pages qui précise à la fois le contexte, les concepts et le rôle de la responsabilité sociale.
Contrairement aux normes de gestion ISO 9000 (qualité) et ISO 14001 (environnement) qui l’ont précédée, ISO 26000 n’est pas destinée à la certification. C’est à dire que ni un produit, ni une entreprise ne pourront, à l’échelle internationale, prétendre respecter les « critères » de responsabilité sociale qu’elle définit. Malgré cela, ISO 26000 pourrait avoir un impact important pour les entreprises au cours des prochaines années, non seulement parce que l’interdiction d’une certification internationale par ISO n’empêchera pas le développement de certifications 26000 nationales, mais aussi parce que le texte a une portée qui dépasse celle des normes ISO antérieures.
Cela est visible dans la facture même du document, qui n’a pas grand chose à voir avec les quelques pages d’exigences des normes 9000 ou 14001. La norme 26000 est un véritable texte de référence qui situe la responsabilité sociale en regard des défis auxquels nous sommes confrontés, qu’il s’agisse de la précarisation de l’environnement ou de fracture sociale, dans un contexte où la mondialisation économique a bousculé les schèmes régulatoires. Elle reconnaît à l’entreprise sa position hégémonique, et se distance ainsi clairement d’une perspective autorégulatoire de la responsabilité sociale. C’est ainsi qu’elle s’écarte des définitions institutionnelles qui ont encore cours : ISO 26000 n’assimile pas la responsabilité sociale aux initiatives volontaires et à la discrétion managériale. Elle la définit au contraire comme l’ensemble des responsabilités des organisations, que celles-ci soient institutionnalisées dans des lois, le droit et la coutume internationale, ou pas. Ces responsabilités découlent non seulement des interrelations de l’organisation avec les acteurs sociaux - ses parties prenantes - mais aussi de son inscription dans une société traversée par des enjeux comme la montée des inégalités, et aux prises avec des défis tels que la protection de l’environnement.
On trouve, dans cette perspective de la responsabilité sociale, une autre distanciation des définitions institutionnelles antérieures : la responsabilité sociale ne se dissout pas dans un dialogue avec de multiples parties prenantes, où l’entreprise est en position d’arbitrer un bien collectif toujours relatif. Elle s’appuie aussi sur les textes qui ont défini les paramètres de ce bien collectif dans une perspective universelle en matière de droit du travail, droits de l’homme, droit des enfants, droit de l’environnement…
Outre le respect de plusieurs principes de base, la norme recommande aux organisations de tenir compte, pour évaluer leur responsabilité, de : la gouvernance, les droits de l’Homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs et les communautés et le développement local. Ces préoccupations vont au-delà des frontières légales de l’organisation et s’étendent à sa sphère d’influence (sous-traitants, fournisseurs…).
Les enjeux et les initiatives qui découlent de cet examen doivent être gérés à même le système de gestion global de l’organisation et intégrés à la gouvernance. Même si 26000 se défend de proposer un système de gestion de la responsabilité sociale, elle n’en suggère pas moins une série d’outils en vue d’identifier la responsabilité sociale, d’évaluer la performance, de la vérifier, d’en rendre compte, etc.
Le texte couvre ainsi toutes les dimensions de la responsabilité sociale, qu’il s’agisse de ses fondements, de son contenu ou des méthodes de gestion qu’elle requiert. Reste à se demander s’il aura un impact sur le comportement des entreprises. À notre avis, la norme 26000 aura une portée qui pourrait surprendre ceux qui seraient tentés d’en minimiser l’importance, et ceci pour au moins trois raisons.
Premièrement, le texte auquel le processus de rédaction élargi, à la fois multipartite et international, a conféré une légitimité qui n’était pas acquise, vient stabiliser le contenu et les contours d’un concept qui était, et est encore aujourd’hui, sujet à d’abondantes controverses. À titre d’exemple, ISO 26000 distingue la responsabilité sociale du développement durable, la première n’étant qu’un outil permettant aux organisations de contribuer à un développement durable qui relève davantage des grandes orientations et politiques publiques. Par ailleurs, cette norme établit clairement les fondements à la fois légaux et volontaires de la responsabilité sociale sans la limiter aux initiatives allant « au-delà de la loi ». Ce faisant, elle met un terme à la principale controverse opposant les gestionnaires aux ONG quant au contenu « obligatoire » de la responsabilité sociale.
En deuxième lieu, la norme pourrait devenir un outil de dialogue et même de négociation entre l’entreprise et les différents acteurs sociaux. En effet, contrairement à ISO 9000 ou à ISO 14001 qui ont été élaborées exclusivement par des experts au sein de comités techniques, ISO 26000 a été modelée par toutes les catégories d’acteurs sociaux qui ont pu y insuffler leurs préoccupations. Parce que le texte porte leur marque tout en ayant acquis le statut de norme universelle, il est probable que ces acteurs s’y référeront dans leurs dialogues avec les entreprises elles-mêmes partie de la démarche.
Enfin, et malgré ce que prétend explicitement son texte, ISO 26000 formalise le droit coutumier international en matière de responsabilité sociale ; elle sera vraisemblablement invoquée dans les tribunaux qui seront saisis d’affaires concernant l’une ou l’autre des questions centrales constitutives de la responsabilité sociale, acquérant ainsi le statut de véritable norme juridique.
C’est ainsi qu’après avoir fait l’objet de débats académiques interminables ne débouchant sur aucun consensus, la responsabilité sociale est aujourd’hui clairement balisée dans un document susceptible de servir de référence autant aux entreprises désireuses de mettre en œuvre une stratégie de responsabilité sociale qu’aux acteurs sociaux dans leurs revendications auprès des entreprises. Reste à voir à quelle vitesse et comment chacun s’appropriera le document, et si les gouvernements sauront mettre à profit cet outil pour augmenter l’effectivité des mesures visant le contrôle des activités économiques.
- Les sept principes de responsabilité sociale
- Les sept questions centrales et leurs domaines d’action
Gouvernance de l’organisation
Droits de l’Homme
[1] Présentée en annexe.
[2] Citons notamment Mahoney 1990, McHugh 1988, Buchholz 1989, De George 1987, 1990. Cette section s’inspire largement d’une de nos recherches antérieures : Gendron C. 2000. Le questionnement éthique et social de l’entreprise dans la littérature managériale, Cahiers du CRISES, No 0004, 74 p. Précisons que toute périodicité est sujette à caution et que nous ne prétendons pas ici déterminer de façon définitive les différents « âges » de la responsabilité sociale. Notre ambition est plus modestement de présenter quelques grandes configurations de la responsabilité sociale au cours de l’histoire.
[3] Meadow The Limith to Growth, Londres, Pan Books, 1972
[4] Il est aussi intéressant de noter la différence, lorsqu’on analyse les mémoires issus des acteurs économiques, entre le discours des entreprises généralement très pragmatique et stratégique, et celui de leurs associations industrielles, beaucoup plus idéologique.
[5] Les parts de marché des produits responsables demeurent modestes, et une entreprise comme Wal-Mart continue de s’imposer par rapport à ses concurrents. Des études provocatrices ont aussi démontré la profitabilité des « vice funds » pour défier l’argument voulant que la responsabilité sociale est gage d’une plus grande rentabilité.
[6] Pour prendre connaissance de ces développements judiciaires, voir : Palmer c. Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd., (1989) 67 O.R. (2d) 161 (Gen. Div.). Teck Corporation Ltd. c. Millar, [1973] 2 W.W.R. 385, 412 (B.C. S.C.). BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69, par. 37 ; 1394943 Ontario Inc. v. Roy, [2009] O.J. 922 (Ont. S.C.), Magasins à rayons Peoples Inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, 2004 CSC 68.
[7] « Novartis avait intenté un procès au gouvernement indien à propos d’un médicament contre le cancer dont le version générique était vendue deux cents dollars contre deux mille six cents pour la version princeps. L’Inde a développé une puissante industrie du médicament générique et est devenue en quelques années « la pharmacie du tiers monde » en fournissant des génériques à des prix abordables. Elle développe parallèlement une industrie pharmaceutique innovante. Cette double ambition la conduit à suivre de façon créative les règles de l’Organisation mondiale du Commerce. (…) Lors de l’affrontement entre Novartis et le gouvernement indien à propos des génériques, des millions de donateurs de Care, d’Oxfam, de MSF, du secours Catholique, ont envoyé des messages électroniques à l’entreprise, bloquant son site. En quatre jours, ils ont fait plier la multinationale ». Marie-Noëlle Auberger, « Entreprises et ONG », La Missive de Gestion attentive, N°31 – juillet - octobre 2008. http://www.gestion-attentive.com/missive31.htm#pap12
[8] La principale question qui se pose lorsqu’on évoque les sociétés post-écologiques est celle de la cohésion sociale. Comment penser une telle cohésion hors de la consommation alors que cette consommation est en amont du système productif dans le cadre duquel est redistribué une partie d’une plus value désormais illusoire. La crise économique qui sévit actuellement est emblématique de ce rôle particulier de la consommation que semblent ignorer les utopistes de la simplicité volontaire.