Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Anne-Marie Fixot

Don, corps et dette : questions anthropologiques et philosophiques, une approche maussienne

Texte publié le 23 novembre 2009

Le « don d’organes » relève-t-il bien du don ? Une réflexion anti-utilitariste.

Quels problèmes soulèvent les dons d’organes ? Que nous disent-ils de notre société, de nos rapports à autrui mais aussi à la vie et à la mort ? Comment interfèrent-ils avec nos systèmes de croyances et de valeurs ?

Face à de nombreux patients en attente de greffes, médecins et chirurgiens se heurtent à une grave difficulté : celle d’une pénurie d’organes. En dépit des campagnes de sensibilisation et d’un appareil législatif et juridique mis en place au cours des dernières décennies [1], ils rencontrent une grande résistance quant au processus de donation d’organes réalisée à partir d’êtres humains en état de mort cérébrale. Le recours à une évolution euphémisante du vocabulaire (usage du terme de « don » qui prévaut de plus en plus à celui de « prélèvement ») et à un appel éthique à la générosité assorti de dispositifs de gratitude à l’égard des donneurs atteste des efforts déployés par le corps médical, le législateur et de nombreuses associations pour vaincre les réticences de la société vis-à-vis de ces pratiques médicales.
Mais cette insistance à faire d’un futur défunt ou d’une personne décédée un donneur potentiel n’a guère eu, jusqu’à présent, les effets escomptés. Cette situation engendre donc un double questionnement. D’une part, elle interroge les limites de ces pratiques médicales et des discours qui les accompagnent et cela d’autant plus qu’ils sont souvent placés sous l’égide du don. D’autre part, elle soulève aussi de nombreux problèmes qui concernent l’acte de donner en tant que tel dans nos sociétés modernes : quelle nature de relations met-il en jeu ? Dans le domaine de la santé, quels types de rapports individuels et sociétaux suppose-t-il alors entre les professionnels des soins et les patients ? Quels rôles ces professionnels ont-ils ou peuvent-ils avoir dans ce processus de donation ?

En effet, dans un monde où tout semble s’acheter et être pris dans la spirale du marché, donner n’est pas un acte si banal et anodin que cela. Certes, il peut revêtir des apparences familières et quotidiennes, et prendre des allures qui « vont de soi » dans le cadre de la socialité primaire, c’est-à-dire à l’adresse de nos proches, membres d’une même famille, amis et voisins. Cependant, dans la sphère de la socialité secondaire, à l’égard d’inconnus, il ne constitue pas un geste aussi habituel ; et quand il existe, il en appelle à de la compassion, souvent empreinte de morale charitable et/ou de relents d’assistanat. A l’échelle sociétale notamment, c’est donc un rapport complexe que nous entretenons avec le don. A quoi tient-il ? Cette relation souvent compliquée et peu claire est-elle universelle et a t-elle toujours existé ? N’est-elle pas étrangère à l’idéologie dominante actuelle, adossée à certaines valeurs de la Modernité dont l’emprise n’a pas cessé de croître en Occident au cours des derniers siècles et qui nous gouverne aujourd’hui à un point tel que nous avons même du mal parfois à l’identifier : l’utilitarisme ?
En tant que conception de l’homme et en même temps idéal de société, il promeut comme figure à imiter, celle de l’homo oeconomicus, calculateur intéressé et efficace. Dans tous les domaines de l’existence (politique, social, culturel, sportif, scientifique et notamment médical…), il donne comme modèle à suivre les règles d’un économicisme et d’un technicisme qui renvoient à une vision purement instrumentale des hommes, de leurs relations et du monde. Dans un tel cadre, quel sens accorder alors au don d’organes ? Ne met-il pas en cause le statut symbolique du corps, de la personne humaine, de la vie et de la mort, question qui n’est pas seulement d’ordre technique ou rationnel, régulable et réglable par le Marché, la Science ou l’Etat, mais d’ordre socio-anthropologique voire existentiel ?
C’est pourquoi, je fais l’hypothèse que les attitudes de passivité manifestées par la plupart des personnes à l’égard du don d’organes renvoient à plusieurs types de freins liés à l’idéologie utilitariste sur laquelle se fondent certains discours du corps médical lui-même et qui ne permettent pas à ces personnes de se retrouver dans leurs relations avec elles-mêmes, avec leurs proches ou avec leurs contemporains en général. Ces attitudes de réserve confirment que l’acte de donner n’a pas l’évidence première que certains se contentent de lui attribuer et ne peut pas procéder de manière simple d’une générosité, aussi encouragée soit-elle, et moins encore d’une générosité décrétée. Elles vérifient la grande découverte de Marcel Mauss : le don ou mieux « l’esprit du don » en tant que système de régulation sociale qui fait tenir ensemble une société, ne peut prendre sens et dégager ses énergies positives qu’à la condition de ne pas dénaturer la complexité de son mode de fonctionnement et notamment de ne pas instrumentaliser notre humanité et les êtres qui en sont porteurs.

Je développerai cette position maussienne anti-utilitariste en trois temps :

Les discours utilitaristes modernes à propos des greffes d’organes

De nos jours, cohabitent plusieurs types de discours utilitaristes favorables aux greffes et aux prélèvements d’organes [2]. J’en citerai quelques-uns : d’abord, celui de la science médicale incarnée par certains chirurgiens qui reprennent à leur compte les positions et représentations du « corps-machine » des anatomistes modernes vis-à-vis du corps humain depuis les premières dissections au Moyen Age et surtout à la Renaissance ; celui du prélèvement obligatoire organisé par l’Etat ; enfin celui de la générosité imposée.

Le discours anatomistes du cadavre et du corps-machine

Dans l’étymologie grecque, le terme « anatomie » renvoie à l’acte de couper, démembrer, séparer les différents éléments du corps humain. La dissection fait partie intégrante de l’histoire de la médecine et en est la condition d’avènement. En effet, l’étude systématique de l’anatomie humaine commence réellement au moment où le médecin voit dans le malade un corps à soigner et non pas une forme de mésalliance entre l’homme et le cosmos ou la nature, comme dans toutes les sociétés traditionnelles. Selon David Le Breton, dans son ouvrage La chair à vif, usages médicaux et mondains du corps humain [3], la passion de l’anatomie est une passion du corps qui le considère comme une dépouille indifférente, à l’instar d’un vêtement usé abandonné après un départ ; elle développe un savoir sur l’organisme et non sur l’homme inclus dans son environnement social et culturel. Elle témoigne d’une rupture anthropologique, ne parlant plus de l’homme et de son histoire en tant que personne, mais traitant l’organisme et imposant une distinction entre eux deux ; la maladie n’est plus qu’une chose du corps, ce dernier étant considéré comme un simple véhicule de la relation humaine au monde, essentiel certes lors de l’existence, mais dénué de valeur après la mort qui le rend inutile. Le cadavre n’est qu’une défroque, un reste disponible à tous les usages sans aucun outrage pour celui qu’il incarnait ; cette forme humainement vide devient cependant anatomiquement intéressante pour fournir des organes sains à des vivants dont les leurs sont tombés en panne. Le corps du « donneur » comme du « receveur » est alors identifié à un corps-machine qui, pour le comprendre, se suffit à lui-même. Ainsi – je cite D. Le Breton –, « Pour la seconde fois dans l’histoire de la médecine occidentale, après les luttes autour des dissections anatomiques, le corps humain est objet de convoitise et motif de luttes, divisant le discours médical et le discours social, contraignant […]. Entre le médecin et le patient candidat à la greffe s’interpose sur un mode problématique un autre homme encore vivant, en bonne santé, mais dont la mort est attendue, espérée même, pour rendre possible la transplantation » [4].
De plus, les prélèvements d’organes (cœur, reins, poumons, pancréas…) sont pratiqués sur des personnes en état de mort cérébrale, maintenues en réanimation : le cœur bat, le corps est chaud, le corps est irrigué et garde toutes les apparences de la vie. Cette notion de mort cérébrale, propre à la culture savante du monde médical, contredit d’une part la sensibilité de l’individu extérieur à ce savoir en dépit des critères scientifiques d’inéluctabilité du décès exposés par le médecin ; d’autre part, elle est l’héritière d’une conception dualiste de l’homme qui oppose l’âme et le corps. Dans cette logique biologique, la mort du cerveau serait celle de l’âme, et donc celle de l’individu puisqu’il ne resterait de vivant que son corps. Or, cette identification de la destruction du cerveau à la mort de l’homme renvoie à une vision très limitée de l’humain et de son identité qui soulève bien des questions. Ainsi, la notion de mort cérébrale, appréhendée comme un phénomène technique, apparaît-elle partielle et abstraite pour toute personne qui ne participe pas d’une culture médicale rationnelle et dont les références sont éloignées de celles qui, dans le quotidien, imprègnent les principaux groupes qui composent la société.
Enfin, cette définition très contemporaine de la mort a été retenue pour rendre possible l’extraction des organes que ne permettait pas celle, ancienne, fondée sur l’arrêt du cœur, état qui détruit les organes faute d’être irrigués par le sang. Cependant, d’autres termes sont aussi utilisés : « coma dépassé » voire « mort encéphalique » ; quant au donneur, il peut être tour à tour désigné comme « sujet », « patient » et même « malade » par le corps médical ; toutes ces expressions traduisent un certain flou pour le qualifier aux prises avec le dilemme de la vie et de la mort.

Le discours étatiste de prélèvement systématique d’organes

Ce discours est tenu notamment par un philosophe intéressé par l’épistémologie des sciences, François Dagognet. Celui-ci revendique le prélèvement systématique d’organes post mortem, sans tenir compte de l’opinion des individus concernés de leur vivant ou de leurs proches. Il dénonce ainsi l’hypocrisie de la loi Caillavet qui, à ses yeux, favorise des transplantations d’organes à partir de personnes n’ayant jamais eu l’occasion de se prononcer sur le devenir de leur dépouille après leur mort. F. Dagognet estime préférable, à l’inverse, une transparence absolue sans ambiguïté par une gestion totalitaire des corps post mortem. Selon ce dernier, « les organismes appartiennent à la puissance publique » ; il faut « nationaliser les corps » et il évoque même un « impôt de solidarité ». Au nom de celle-ci, il fait ainsi s’exprimer le pouvoir : « Je t’ai permis de naître, je t’ai protégé, surveillé, éduqué, entouré. A partir du moment où tu cesses de vivre, abandonne moi ton cadavre ! Et tu faciliteras, à travers moi, la santé de tes descendants » [5]. Ces paroles inquiétantes sont l’expression sans équivoque d’autres plus implicites qui veulent à leur façon aussi « forcer le don », don qui se dissout alors dans le concept d’abandon.

Le discours du « don » d’organes au nom d’une générosité imposée

F. Dagognet en appelle à une générosité de commande et à un amour charitable imposé. Relayé, par certains médias et médecins, il est principalement le fait d’associations qui prônent l’obligation des transplantations d’organes sous peine d’être tenu comme moralement responsable de la mort d’un malade en attente de greffe. En effet, afin d’accroître le don d’organes, certains affichent leur volonté d’agir objectivement sur les individus pour les convaincre de devenir des « donneurs volontaires » en usant de la force de persuasion par le biais de méthodes utilisées en marketing ; par ces pratiques plus que douteuses, ils situent alors les organes du corps humain sur le marché des biens de consommation [6]. L’éthique s’efface au nom de l’utilité, celle d’une nécessaire « survie » du patient-candidat au don et pose alors la mort comme un absolu à combattre par tous les moyens. A titre d’exemple, je peux citer ce fragment de déclaration du professeur Cabrol : « Quand des parents refusent de donner les organes d’un enfant qui vient de mourir , ils en condamnent un autre à la mort » [7]. Ainsi, privilégier la vie en attente de greffe, c’est faire un bon usage des organes du défunt ; la destination du prélèvement fait partie de la logique utilitaire qui s’énonce plus ou moins implicitement.
Cette attitude rencontre aussi celle des « systémistes » par opposition aux « intégralistes », catégories de personnes définies dans le cadre de l’enquête nationale sur le don et la greffe d’organes, étude réalisée en 1997 auprès d’un peu plus d’un millier de personnes par un comité d’experts réunis sous la direction de Robert Carvais et Marilyne Sasportes. Je les cite : « Systémisme et intégralisme sont deux façons de se représenter la temporalité du passage de la vie à la mort. Pour la conception systémiste, la mort se produit dès lors que la fonction d’un organe vital (principalement le cœur ou le cerveau) est détruite de façon irréversible et cela même si celle d’autres parties du corps est éventuellement maintenue. Pour la conception intégraliste, la survenue de la mort est un processus. La mort n’est pas conçue en référence à la fonctionnalité des organes les uns par rapport aux autres. Le décès n’est effectif qu’après arrêt de toute manifestation de vie. Autrement dit, pour les intégralistes, la vie n’est localisée dans aucune partie du corps, le siège de la vie étant le corps dans son intégralité » [8]. Ainsi, les systémistes qui conçoivent l’organisme comme un système de fonctions, chacune nécessaire et séparable, constituent, dans l’enquête, le groupe le plus en faveur du prélèvement d’organes sur donneur cadavérique.

Une rapide analyse du contenu de ces types de discours utilitaristes modernes permet de procéder à trois types de remarques :

Force est donc de constater que ces discours utilitaristes ne « marchent » pas, bien qu’ils fassent de plus en plus appel à la générosité du donneur et/ou de sa famille ! En témoignent les difficultés des médecins à pratiquer des greffes faute d’organes disponibles mais aussi les incertitudes d’un certain nombre d’entre eux à les pratiquer, restant eux-mêmes dans l’expectative quant à la « réussite » de la greffe en tant que telle chez le receveur.
En quoi ces discours pêchent-ils et pourquoi n’arrivent-ils pas à vaincre la résistance des donneurs ou de leurs proches qui doivent prendre la décision d’accepter la transplantation ?
La thèse que j’avance est que leurs contenus viennent contredire les principes essentiels du don analysé par Marcel Mauss et apparaissent bien en rupture avec un certain universel anthropologique. Quels en sont les fondements et ressorts essentiels ?

Les caractéristiques du don dans l’Essai sur le don de Marcel Mauss

Le don ne se résume pas à de simples pratiques erratiques d’attribution de biens ou d’objets entre individus, pratiques réalisées dans le but de vivre en tranquillité avec sa conscience et/ou en bonne entente avec les autres. Dans un texte intitulé Essai sur le don, Marcel Mauss montre la place incontournable du don dans toute société en tant qu’il est « un de ces rocs humains sur lesquels sont bâties nos sociétés » [11]. Ainsi, en tant que phénomène social, d’un côté, le don à la fois traduit une « totalité », une « action collective » et est porteur d’une « valeur symbolique » ; et de l’autre, loin d’être un acte simple, c’est un système de reconnaissance mutuelle : un cycle réversible à trois temps (donner/recevoir/rendre) dont chacun comporte une part de conditionnalité (obligation et intérêt pour soi) et une part d’inconditionnalité (liberté et gratuité c’est-à-dire intérêt pour autrui). Ce mode de fonctionnement complexe, porteur de signification d’échanges positifs n’est donc pas neutre et peut à tout moment se retourner en mode d’échanges négatifs.

Le don comme phénomène social total

Pour Marcel Mauss, le don, en tant qu’action sociale, est à considérer comme un tout, une action totale ; il parle de « prestation totale » car dans le don s’expriment en même temps toutes sortes d’institutions, familiales, juridiques, religieuses, économiques, scientifiques, morales… C’est aussi un tout relationnel qui met en rapport des êtres et des groupes d’humains entre eux et qui, tout en se définissant par une certaine complexité, ne renvoie ni à de la confusion, ni à de l’indifférenciation.
Le don étudié par Mauss, principalement dans les sociétés archaïques, a une dimension collective. Il s’agit rarement de simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d’un marché passé entre des individus : « En fait, […] ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales, clans, tribus, familles qui s’affrontent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l’intermédiaire de leurs chefs, soit de ces deux façons à la fois » [12].
De plus la chose donnée est porteuse d’une valeur symbolique : c’est une entité qui ne renvoie pas au seul receveur (ou donataire) mais qui implique une pluralité de rapports qui, à travers l’acte ponctuel du don, recomposent la totalité de la réalité sociale. « La chose donnée rassemble en elle une signification sociale globale qui lui confère sa force et lui impose sa circulation.[…] La valeur symbolique du don relève de la signification qui entoure tout le cérémonial des diverses prestations dans les différents contextes. […] Ce qui apparaît en priorité se réfère à la dimension sociale et symbolique de la relation établie », souligne Jean Gabriel Fokouo [13]. Il s’agit en fait du lien social qui assure la dynamique des relations dans leurs contenus et leur sens, ce qui fait dire à Alain Caillé que symboles et dons sont coextensifs : il n’est de don que de ce qui excède par sa dimension symbolique, la dimension utilitaire et fonctionnelle des biens et des services.
Quel est donc son mode de fonctionnement ?

Le don comme système de reconnaissance mutuelle

Le don n’apparaît pas comme une suite discontinue d’actes individuels aléatoires ou totalement spontanés, déterminés par des sentiments de générosité ou par le poids des circonstances.
Il se déroule en trois actes nécessaires et obligatoires chacun, une sorte de loi d’airain, pour créer ce lien : donner/recevoir/rendre. Marcel Mauss utilise la métaphore du cercle pour décrire le mouvement incessant de dépense et de réciprocité qui se développe par exemple dans les échanges kula. Le don attribue aux hommes, tour à tour, le rôle de donateur et de receveur, et par là même les transforme en partenaires de l’échange, en membres d’un groupe humain. Le don joue le rôle d’embrayeur privilégié de toute socialité sans lequel aucun type de relation sociale ne serait possible. Il convertit aussi les choses en biens. En effet, le don qui médiatise la relation d’homme à homme, l’objective en même temps, rendant cette relation constatable et tangible, transfigurant l’abstraction du social ou du politique c’est-à-dire du vivre ensemble, qui sinon restent impalpables. C’est en ce sens que le don est à considérer aussi comme un opérateur du politique. Le don exprime alors la nécessité pour tout être humain de symboliser sa sociabilité. Or, la sociabilité a un aspect paradoxal. Il réside dans le fait qu’elle émane d’un besoin naturel mais qu’elle est totalement incapable d’être satisfaite à partir de ce besoin. Ce n’est pas, par exemple, parce qu’un enfant a besoin de sa mère que sa relation à celle-ci est créée. La sociabilité ne peut être satisfaite que par un accès au social, c’est-à-dire que par une construction dans l’interaction avec l’autre. Cette interaction avec l’autre passe alors par cette médiation.
En outre, l’obligation de donner/recevoir/rendre pour exister ne peut se passer non plus d’une libre initiative qui décide du moment et de la forme du don, de l’esprit dans lequel il est accompli et de son bénéficiaire. C’est pourquoi, de l’incertitude l’accompagne toujours aussi ; l’imprévu qui l’habite est lié au fait qu’il n’y a pas d’exigence contractuelle de retour, que le donneur ne sait jamais exactement le sens de ce qu’il donne, le receveur ignore en partie le sens de ce qu’il reçoit et qu’il ne sait pas quand, comment ni à qui il va et/ou doit rendre. Le don sort ainsi des règles de la symétrie ; par là même il se différencie de l’équivalence du marché et de l’égalitarisme. De ce fait, il associe à la fois de l’inconditionnalité (qui lui confère le rôle d’un pari) et de la conditionnalité (en étant aussi une contrainte).
Enfin, en tout don, il y a à la fois une part d’obligation et de liberté mais aussi une part d’intérêt pour autrui (de gratuité ou désintéressement) et d’intérêt pour soi (de calcul ou d’égoïsme). Le don, nous explique Mauss, n’est de l’ordre ni de la fusion, ni de la charité, ni de l’amour absolu. Il est porteur d’agôn c’est-à-dire de rivalité tout en se mariant de façon complexe avec du partage. Il est animé en même temps par de la concurrence et de l’entente et, de ce mélange, triomphent le plus souvent des valeurs d’alliance qui prennent le pas sur celles de l’hostilité. De façon concomitante, il unit et sépare. Chacun rivalise pour donner et se bat avec l’autre pour se montrer le plus généreux. Mais dans quel but et selon quelles conditions ? Le don est lutte non pas pour la richesse, la santé, le prestige ou la rivalité (ce qui serait sa finalité), mais par la richesse, la santé, le prestige ou la rivalité : ce sont des moyens au service d’une autre fin ; celle de faire lien.
En effet, il exige de la réciprocité, sinon il peut « crier vengeance » : tout geste qui ne peut pas être reçu ou rendu, devient dangereux. Tout don sans contre-don tue : il devient poison. Le receveur, faute de réciprocité, reste endetté et, à son détriment, en paie le prix. Dans les langues européennes, cette ambivalence du don s’exprime dans le lexique lui-même : le mot « gift », commun en anglais et en allemand, signifie respectivement le don et le poison ; cette même dualité de sens se retrouve dans les racines indo-européennes ; en grec par exemple, « dosis » traduit à la fois le don et le poison, et une « dose » en français a selon les proportions la capacité de guérir ou de tuer ! Comme le souligne David Le Breton, l’inconscient de la langue rappelle que le don reçu lie, à la manière d’un charme, le donateur et le donataire si ce dernier ne parvient pas à en annuler l’effet par un contre-don d’une égale valeur symbolique. L’obligation de recevoir appelle donc celle, non moins insistante, de la restitution sous une forme ou sous une autre, serait-ce celle de la reconnaissance ou de l’estime. Celui qui reçoit et se garde de rendre, perd la face. Un engagement de réciprocité garantit ainsi l’égale dignité des hommes impliqués dans le courant des échanges, même si la contrepartie est de nature autre de celle du don initial. « Le don non rendu, écrit Mauss, rend inférieur celui qui l’a accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour » [14]. L’impossibilité matérielle de restituer, même pour une raison indépendante de sa volonté, provoque la culpabilité du receveur de ne pouvoir satisfaire à la morale du don ; elle l’inscrit dans une dette infinie qui rejaillit sur sa vie entière à la manière d’un blâme ou d’un trop-plein (de gratitude par exemple) impossible à épancher. Certaines sociétés traditionnelles prêtent même une âme aux objets de l’échange ; chez les Maori, il s’agit du hau, l’esprit de la chose qui l’accompagne et incite le receveur à payer en retour le donateur sous peine de perdre une part de lui-même, sa liberté de conscience : « C’est que la chose reçue n’est pas inerte. Même abandonnée par le donateur, elle est encore quelque chose de lui » écrit Mauss [15]. C’est pourquoi, si tout peut faire l’objet d’un don, il y a toujours comme une part du donneur qui s’inscrit dans ce type d’échange.

Ainsi, l’analyse de Mauss et à sa suite la perspective maussienne fait entrevoir le don comme chose et valeur, signe et symbole toujours inscrit dans un cycle dynamique et interactionniste. Le donateur véritable n’est pas celui qui donne pour donner mais celui qui donne aux autres la possibilité de donner à leur tour, c’est-à-dire de rendre ; sinon, le don, signe d’alliance, s’annihile lui-même. A travers la relation de don s’effectue la reconnaissance des sujets humains, constitués et identifiés en tant que tels, individuellement et collectivement, reconnaissance qui s’opère par la réversibilité de la place que les sujets occupent alternativement dans le cycle du don. Ce n’est qu’à cette condition que peut se développer la sphère de coopération.
Faisons alors un retour dans le domaine de la santé. En quoi certaines pratiques médicales, tout en encourageant discursivement l’acte de donner, constituent-elles des freins ou des blocages à sa concrétisation ? En quoi les multiples résistances rencontrées dans le cas des greffes d’organes ne sont-elles pas à interpréter comme l’expression des ratés et des apories sociétales de l’utilitarisme lui-même ?

Retour aux pratiques médicales : les enjeux du don dans les relations individuelles et sociétales de santé

Dans la pratique des prélèvements et greffes d’organes et dans les propos tenus à leur sujet pour les encourager, un certain nombre d’aspects semblent heurter non seulement le fonctionnement du don décrit par Marcel Mauss, mais aussi l’esprit qui l’anime et lui donne sa raison d’être. Il ne s’agit pas pour autant de condamner par principe toutes les transplantations d’organes, même s’il paraît souhaitable que d’autres solutions posant moins de problèmes puissent être mises en place dans un avenir le plus proche possible. En attendant et au-delà de ces situations ultimes, il convient de réfléchir davantage au sens du don au sein même des pratiques de santé. Comment s’inscrit-il dans le cadre des relations malades/corps médical ? En quoi interroge-t-il la nature de ces rapports et notamment leur qualité à faire sens aux yeux des patients et de leurs proches ? Qu’apprenons-nous alors de l’écoute de la parole des donneurs (ou de leur entourage) et des témoignages des receveurs ?

La tyrannie du don

Le paradoxe apparent du don est d’« obliger » celui qui l’accepte, d’ « obliger » le receveur tout en lui laissant la liberté d’action de son retour. De ce fait, le contre-don étant libre, le don engendre un sentiment de dette chez le donataire.
Or, dans les greffes, la restitution symbolique du hau au donneur (l’esprit de la chose donnée) n’est pas possible par la mort même de ce donneur, condition qui a permis le prélèvement. Mais cette mort est d’autant plus difficile à oublier qu’elle est à l’origine de la survie du receveur et de son propre rétablissement. Il doit la vie à la mort d’un autre homme.
L’impossibilité évidente de rendre au donneur instaure alors un état de dette négatif appelée la « tyrannie du don » par Fox et Swezey [16]. Pour tenter de régler ce problème de dette inextinguible, a été instaurée dans un premier temps la règle de l’anonymat du donneur mais, surtout, l’institution médicale s’est mise à prôner une vision mécaniste de l’organe greffé. Aux yeux du receveur, elle vise à neutraliser et objectiver le don reçu en lui enlevant toute empreinte de ce qui pourrait le relier à la personnalité du donneur, en lui ôtant « la valeur de lien des choses », selon l’expression de Jacques Godbout : « C’est dans ce cadre que les professionnels tentent de présenter les organes transplantés aux receveurs : comme des objets aussi dépersonnalisés qu’un produit industriel. Le corps est une machine. C’est pourquoi, disent-ils au receveur, un cœur est une pompe, un foie est un filtre, etc. Rien de plus » [17]. Ainsi, la dette non remboursable est considérée comme néfaste : la seule solution, c’est de la nier, et pour cela, il faut nier tout lien symbolique avec le donneur.
Mais la réalité est là : une part importante des receveurs refusent cette idée et n’arrivent pas à l’admettre comme modèle de référence. Pourquoi ? Selon J. Godbout, cette application du modèle mécanique nie toute possibilité de transformation positive de la dette de la part du receveur ; or ils vivent une autre expérience : celle du don à travers la force de la valeur symbolique du corps.

La force de la valeur symbolique du corps

Celle-ci s’exprime, dans les greffes d’organes, à travers les difficultés rencontrées, d’une part par la question du prélèvement, et d’autre part, par celle de la transplantation. En effet, David Le Breton nous rappelle que « la condition humaine est corporelle, la présence au monde se tisse dans la chair. Le statut donné au corps est la pierre de touche du statut du sujet. Toute altération de la part corporelle de l’homme est une altération de soi .[…] L’individu n’est pas la somme de ses organes, le corps est matière première d’identité.[…] Nulle société humaine ne perçoit le corps comme un cadavre indifférent après la mort. Nulle part, il n’est un reste disponible à la curiosité et à la fantaisie des vivants » [18].
Ainsi, pour ceux – donneurs éventuels et familles proches – qui considèrent que le sujet se confond avec son corps, tout prélèvement constitue une marque de violence puisqu’elle détruit non seulement l’unité du corps mais aussi celle de l’individu en son entier.
Mais la transplantation bouleverse aussi le sentiment d’identité du receveur : l’intégration du greffon en tant qu’élément de soi amène une crise intérieure plus ou moins vive selon les individus. La greffe est une intromission identitaire en même temps qu’organique. Or, cette incarnation est d’autant plus intensément ressentie qu’en tant qu’objet de relation de don, elle est aussi symboliquement l’emblème même du donneur, comme le constate D. Le Breton : « L’obligation de rendre qui accompagne celle de recevoir n’est pas toujours inoffensive ou heureuse […] ; elle peut être vécue comme un piège. La transplantation d’organes en est une illustration saisissante. De recevoir l’organe d’un autre plonge le greffé dans une dette impossible à combler. De l’angélisme du don, on passe alors à la tyrannie de la dette. Le greffé se débat parfois avec le sentiment d’être possédé, hanté par cet autre inconnu à qui il doit la vie ou une meilleure santé, mais au prix d’une « cohabitation » difficile » [19].
C’est pourquoi l’insistance du discours médical sur le mécanisme corporel est démentie par l’ébranlement de l’identité personnelle du receveur. Certains greffés ressentent en eux une part étrangère ou qu’une part d’eux-mêmes leur échappe. L’organe étranger introduit une brèche dans le réel et dans l’image du corps, animant aussi des fantasmes. Le statut de greffé est celui d’un entre-deux, de l’hybride, mélange de soi et de l’autre, mais aussi celui de la transgression, possédant en soi la chair d’un autre homme au risque de perdre les limites de son identité propre.
Les troubles de la personnalité plus ou moins graves et les rejets de greffes en dépit des traitements immunologiques montrent les ruses du symbolique pour s’imposer malgré tout dans une opération que le discours médical voudrait purement mécanique. Mais, d’un point de vue existentiel, le cœur n’est pas une pompe, les reins, une station d’épuration et les poumons des soufflets. Les organes ne sont pas des compensations mécaniques à des défaillances personnelles. Les transplantations impliquent un remaniement de l’identité, la résolution d’un deuil et une forme subtile de greffe imaginaire avec un autre que soi. Si elle est médicale aussi, la réussite existentielle de la greffe est conditionnée par la relation symbolique que le receveur noue avec elle.

Des relations sociales construites autrement

En effet, dans certains cas, le receveur parvient à vivre positivement cette transplantation d’organes comme une transformation et même un enrichissement de lui-même ; elle n’est pas vécue dans le cadre d’un rapport de propriété mais de celui d’un « fil de vie ». Il est alors poussé à donner à son tour à d’autres et sa personnalité en sort grandie. Au lieu d’échapper à autrui, il peut être grandi par lui et voir son individualité s’épanouir dans l’asymétrie d’une dette. Se reconnaît là la force du don rappelée par Mauss dans sa fonction d’embrayage et de convertisseur, qui crée du lien social en tension de la vie et de la mort. Dans cette perspective, quand il n’y a pas d’autres solutions possibles (greffes placentaires par exemple…), sans doute le don d’organes semble une solution possible voire souhaitable si elle parvient à faire sens pour les individus donneurs et receveurs.
Quel est alors le sens du don ? Vivre l’association avec autrui comme enrichissement, comme épanouissement, comme pari de vie. « Contrairement à une approche individualiste, l’expérience de la solidarité communautaire n’est pas nécessairement contradictoire avec l’affirmation de l’identité, elle peut au contraire la développer » nous rappelle J. Godbout [20]. Favoriser un moi plus vaste et plus grand : cela implique pour les intéressés, donneurs et receveurs mais aussi corps médical, qu’au lieu de se focaliser sur la gratuité totale ou l’intérêt égoïste, au lieu d’être satisfait d’une performance médicale technique en tant que maîtrise de la vie et de la mort, il s’agit d’assumer des liens non prévus auparavant car inattendus et participer en cela à construire davantage le champ des relations sociales.
Cette perspective nous donne ainsi un éclairage sur les obstacles qui nous retiennent d’accepter de participer à ce type de dons : non seulement la victoire d’une tradition médicale scientiste, toujours bien vivante, véhiculée encore par les discours, les attitudes et les pratiques d’un certain nombre de médecins et de personnels hospitaliers, imbus de leur science et de leur pouvoir ; mais aussi la toute-puissance actuelle d’une idéologie à dominante utilitariste, qui a largement contaminé la sphère de la santé en général et qui est maladroitement et fallacieusement euphémisée par une rhétorique de la générosité et du don. Ainsi, cette conjoncture ruine tragiquement la confiance intersubjective entre patients et médecins : dans ce contexte, les représentants du corps médical ne sont pas en position de médiateur voire de passeur pour encourager et faciliter l’acte de donner, mis à part un petit nombre d’entre eux aujourd’hui qui, à titre personnel, entretiennent au quotidien avec leurs patients un long rapport de dialogue et d’écoute pour lui-même, sans autre but que la reconnaissance de la dignité et de la valeur des relations humaines dans cet art si noble de « prendre soin » de l’autre et de le soulager de sa souffrance et des disfonctionnements divers qu’il éprouve.
La réflexion sur les difficultés et les ambiguïtés du don d’organes atteste ainsi de la nécessité d’établir, de manière généralisée, un rapport de confiance renouvelé entre les praticiens et les patients et de repenser le sens qui lui est attribué. Il est en effet illusoire de demander aux proches du défunt de consentir en un instant au don de ses organes si la dimension de don a été systématiquement évincée du rapport médecin-système hospitalier-patient au préalable et si la médecine oublie que, dans une large mesure, ce n’est pas seulement la science et la technique qui guérissent, mais aussi le don, dont la présence est indispensable aussi dans un rapport de soin et de bonne et/ou de meilleure santé [21]. Or, la logique du don perd sa signification et sa raison d’être lorsqu’elle est inscrite dans un système strictement technique, si performant soit-il. En effet, elle exige l’instauration d’un rapport de confiance, fondé sur une base non uniquement fonctionnelle mais aussi inséré dans la construction d’une relation humaine qui participe du déroulement de la vie concrète des protagonistes. Le rapport singulier, conjoncturel et dramatique avec le médecin préleveur d’organes ne pourra se dérouler dans des conditions satisfaisantes pour tous que si, de manière beaucoup plus générale, les rendez-vous avec les médecins, dans toutes les circonstances de la vie, sont l’occasion de tisser progressivement ces rapports proprement humains qui transforment et enrichissent la relation à notre corps, à notre vie et à notre mort. Les entretiens effectués avec des familles en plein désarroi en vue d’obtenir un consentement rapide de prélèvements dans l’urgence sous-tendu à des raisons techniques (le maintien en état de fonctionnement des organes vitaux à transférer) ou bien les films médiatiques d’information pour émouvoir nos gènes égoïstes n’ont rien à voir avec l’instauration d’un tel dialogue. Ce dernier ne peut se concevoir en effet que sur le mode d’un cheminement sur le long terme des médecins avec leurs patients et dans le cadre d’une relation de confiance construite ensemble progressivement et établie de longue date de façon que le don fasse sens et s’impose alors sans pression particulière dans un moment de mort clinique de quelqu’un, déjà suffisamment difficile à vivre et violente en elle-même pour l’entourage de ce défunt.

Le don d’organes est sans doute l’une des expériences humaines les plus troublantes et les plus difficiles à assumer malgré le gain de santé et d’autonomie qu’il vise à assurer. Il met en évidence que la source du danger de recevoir demeure non seulement la dette à régler mais aussi le risque de perdre le sens de son identité.
L’exemple du don d’organes nous rappelle que la volonté d’échapper à autrui pour être soi-même c’est-à-dire la volonté d’échapper à toute dette est une illusion. L’être humain ne vit pas seulement de choses et d’équivalences comptables ou techniques, mais aussi de renoncement aux choses et d’asymétries réversibles. Là où l’utilitarisme fonctionnalise son corps et ses organes et veut le réduire à un simple instrument, objet de la Science, du Marché ou de l’Etat, la logique du don le considère en tant que sujet. Dans le refus du don d’organes, c’est cette part de subjectivité déniée voire bafouée, qui fait retour et qui grippe le système illusoirement objectivé de la médecine et de la dispensation des soins.

NOTES

[1La loi dite Caillavet n°76-1181 du 22 décembre 1976 (JO du 23 décembre 1976, p.7365) pose une présomption d’assentiment du défunt à ce prélèvement face à la pénurie d’organes. La loi n°94-654 du 29 juillet 1994 (JO du 30 juillet 1994) relative au don et utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic pré-natal, institue un Registre national automatisé des refus et explicite que sans connaissance directe de la volonté du défunt, le médecin « doit s’efforcer de recueillir le témoignage de sa famille ». Enfin, la loi n°2004-800 du 6 août 2004 (JO du 7 août 2004) relative à la bioéthique crée des obligations d’information auprès de la population et stipule la mise en place de dispositions symboliques de reconnaissance à l’égard des donneurs.

[2Avant de les exposer, j’insiste sur le fait que toutes les personnes favorables aux greffes d’organes à partir d’un donneur en état de mort cérébrale, ne sont pas pour autant des « utilitaristes » qui s’ignorent !

[3David Le Breton, La chair à vif, usages médicaux et mondains du corps humain, Paris, éd. Métailié, 1993

[4David Le Breton, op.cit., p.267.

[5François Dagognet, La maîtrise du vivant, Paris, Hachette, 1988, p. 188.

[6Je reprends la conclusion d’une étude réalisée à la demande de « Transforme », Association fédérative française des sportifs transplantés et dialysés sur Les causes personnelles des résistances au don d’organes par M. Gremillet en décembre 1997 (conclusion citée dans l’ouvrage La greffe humaine, paru sous la direction de R. Carvais et M. Sasportes, p.171) : « Le discours fragile des individus[…], la présence d’inconsistances, de contradictions, nous laissent penser que les causes de résistance au don d’organes sont instables, non ancrées fortement dans les croyances. Si tel était le cas (à vérifier), le changement d’attitudes envers le don serait plus facilement obtenu. Il serait intéressant de poursuivre l’étude…L’objectif serait alors, dans un premier temps, de retirer le plus grand nombre d’informations afin de réaliser un questionnaire dont le but serait de percevoir les causes les plus fréquentes de résistance au don d’organes et le poids de ces résistances. Nous réaliserions ainsi une étude efficace de la représentation du don d’organes. Dans un deuxième temps, il serait intéressant de mettre en place une action adéquate afin de faire augmenter le taux d’acceptation du don d’organes. Certaines techniques ont déjà fait leurs preuves dans d’autres domaines, tels que la persuasion et l’engagement. » (p. 12-13)

[7France-Soir, 9 janvier 1992, déclaration citée par D. Le Breton, op. cit., p.295.

[8Robert Carvais, Marilyne Sasportes (sous la direction de), La greffe humaine, (in)certitudes éthiques : du don de soi à la tolérance de l’autre, Paris, P.U.F., 2000, p. 798-799.

[9Gérald Berthoud, La société contre le don ? Corps humain et technologies biomédicales, La Revue du MAUSS, 1993, n° 1.

[10David Le Breton, op. cit., p.270

[11Marcel Mauss, Essai sur le don, dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1966, p.148.
Dans ce texte écrit en 1925, gît, aux yeux d’Alain Caillé, une découverte majeure de la recherche en sciences humaines au XXe siècle : le don, loin d’être un geste de générosité entre des personnes constitue un des piliers du lien social et, à ce titre, participe en fait des institutions des sociétés. C’est cette dimension fondatrice mise en lumière par M. Mauss qu’Alain Caillé reprend dans sa réflexion sur l’anti-utilitarisme, opposant une conception intersubjective du monde basée sur le « paradigme du don » ou « esprit du don » à une vision utilitariste, économiciste et de plus en plus parcellitariste de notre vie en société reposant seulement sur le calcul égoïste et l’intérêt pour soi. Alain Caillé, fondateur du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales créé en 1980) est actuellement professeur de sociologie à l’université de Paris-Ouest la Défense ; il dirige ce mouvement et La Revue du MAUSS semestrielle (www.revuedumauss.com) publiée aux éditions La Découverte. Cf. aussi La Revue du Mauss permanente sur internet) (www.journaldumauss.net).

[12Marcel Mauss, op.cit., p. 150-151

[13Jean Gabriel Fokouo, Donner et transmettre ? La discussion sur le don et la constitution des traditions religieuses et culturelles africaines, Zürich, LIT Verlag, 2006, p. 45.

[14Marcel Mauss, op.cit., p.258.

[15Marcel Mauss, op.cit., p.159

[16R. Fox, J. Swazey, Square Parts ? Organ Replacement in American Society, Oxford University Press, NewYork, 1992.

[17Jacques Godbout, Le don au-delà de la dette, Revue du MAUSS semestrielle, 1er semestre 2006, n°27, p. 98.

[18David Le Breton, « greffe », in Michela Marzano (sous la direction de), Dictionnaire du corps, Paris, P.U.F., 2007, p.417.

[19David Le Breton, 2004, Le théâtre du monde, lecture de Jean Duvignaud, Québec, Les presses de l’université Laval, p.44.

[20Jacques Godbout, Le don, la dette et l’identité ; homo donator vs homo oeconomicus, Paris, La Découverte, 2000. Se reporter aussi au dernier livre du même auteur dans lequel il continue de développer sa réflexion sur le don aux inconnus dans nos sociétés modernes, et plus particulièrement à partir des dons d’organes : Ce qui circule entre nous, 2007, Paris, Seuil.

[21Se rapporter notamment à deux ouvrages :
Dominique Bourgeon, 2007, Don, résilience et management, Paris, éd. Lamarre.
Paulo Henrique Martins, 2003, Contra a desumanizaçao da medicina, Petropolis, ed. Vozes.
La préface d’Alain Caillé de cet ouvrage brésilien, écrit en portugais, est disponible en français : Alain Caillé, Le don, la maladie et la déshumanisation de la médecine, La revue du MAUSS semestrielle, Paris, La Découverte, 1er semestre 2003, n°23 , p. 330-335.