Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Alain Caillé, Sylvain Dzimira et alii

Discussion autour d’une politique MAUSSienne possible

Texte publié le 12 octobre 2009

Nous retranscrivons ici la discussion qui s’est développée à Cerisy-la-Salle lors de la rencontre internationale Mauss vivant/The living Mauss le 19 juin 2009. Discussion introduite par des explosés de Sylvain Dzmira et Alain Caillé. N’ont été transcrites que les questions posées en français (dont les auteurs n’ont pas toujours été identifiés). Pour les interventions des anglophones, on peut se reporter au document audio

Alain Caillé :

(…) Je crois que cela intéresse tout le monde de discuter des implications politiques des réflexions anthropologiques, sociologiques de Marcel Mauss. Est-ce qu’on peut déduire, non pas un programme politique, mais au moins des valeurs politiques, des orientations politiques, à partir des thèmes que nous avons discutés depuis le début de ce séminaire (…) ? Avant d’envisager en quelque sorte l’avenir, un programme d’avenir, je propose de faire un petit retour en arrière sur les engagements politiques de Mauss, et sur le rapport des engagements politiques de Mauss avec ses engagements scientifiques. Et cela renvoie très directement au travail fait par Sylvain Dzimira dans son livre (…) Mauss, savant et politique. Sylvain, si tu peux nous dire quelque chose…

Sylvain Dzimira :

J’ai dix minutes ! Je vais donc essayer de faire très rapidement. Je vais vous rappeler le projet de Mauss dans son Essai sur le don, en une phrase ; poser les questions qu’il soulève, auxquelles je n’apporterai que des réponses partielles [et parfois pas de réponse du tout] ; et enfin, comment ce projet s’est traduit, au-delà du seul Essai sur le don.

Le projet de Marcel Mauss dans son Essai sur le don, c’est de rechercher le « roc » d’une « morale universelle », sur laquelle il puisse déduire des considérations politiques à l’usage de ses contemporains. Ce projet est également celui du MAUSS : dès sa leçon inaugurale [sa Déclaration d’intention], Alain [Caillé] pose explicitement, en s’appuyant sur Marcel Mauss et Polanyi notamment, que l’ambition du MAUSS est à la fois positive et normative.

Les questions que ce projet soulève – qui se posent également au MAUSS, au Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales – sont d’ordre épistémologique et théorique. Epistémologique. Le problème, c’est que Mauss – et le MAUSS – défend implicitement un savoir qui se veut à la fois positif et normatif. C’est un problème au regard de l’épistémologie dominante, d’inspiration wébérienne, selon laquelle il n’y aurait de science que celle qui ne s’aventurerait pas sur le terrain politique. Pour moi, c’est cette conception de la science qui fait problème, car elle butte sur la question du sens – pour moi, la science se perd si elle ne se donne pas une ambition éthique et politique. La conception du savoir implicitement défendue dans l’Essai n’est pas non plus celle de Durkheim, selon lequel, je le rappelle, tout le monde le sait, « la sociologie ne mériterait pas une heure de peine si elle n’avait qu’un intérêt spéculatif ». Mauss s’inscrit dans cette filiation durkheimienne, et au-delà dans la tradition sociologique française. Depuis Saint Simon, les sociologues français – Saint Simon, Comte, Durkheim, Mauss – sont à la recherche d’une morale dont ils interrogent les fondements de manière scientifique. Néanmoins, Mauss se distingue légèrement de Durkheim. Ce dernier envisage une division du travail entre les savants d’un côté et les politiques de l’autre : au savant la tâche d’éclairer les faits ; au politique, celle d’établir des politiques, à la lumière de ces faits éclairés par les savants. Bref, pour Weber, c’est « savant ou politique » ; pour Durkheim, « savant, puis politique ». Mauss, lui, se veut à la fois « savant et politique ».

Cette épistémologie fait donc problème au regard de ces deux positions épistémologiques. Néanmoins, c’est la plus répandue, assez paradoxalement, parce que c’est tout simplement celle de la science sociale qui tient le haut du pavé : les sciences économiques. Les sciences économiques sont en effet manifestement normatives ; il existe des politiques économiques, qui sont étayées sur des théories, qui reposent elles-mêmes sur une certaine vision de l’homme, celle de l’homo oeconomicus. Néanmoins, les économistes nient, dénient, cette dimension normative, au motif que leurs considérations politiques sont déduites de comportements d’un individu rationnel, strictement calculateurs et intéressés, supposé a-moral, l’homo oeconomicus. Comme les considérations politiques sont déduites d’un individu a-moral, elles seraient elles-mêmes expurgées de toute considération normative. Bien sûr, cela ne tient pas. Les économistes ne rougissent pas de leur science normative, et je crois que nous n’avons pas à rougir de la normativité d’une science qu’on chercherait à construire. Néanmoins, reste entièrement posée la question – à laquelle je ne répondrai pas – du (des) critère(s) de pertinence d’énoncés qui s’inscriraient dans un telle conception du savoir, à fois positif et normatif. Alain pourra peut-être y revenir.

Par ailleurs, le projet de Mauss dans son Essai – et celui du MAUSS – pose encore des questions d’ordre théorique. Ce roc de la morale universelle, tout le monde le sait, Mauss le voit dans le don. Cela pose toute une série de questions, dont les réponses ne font pas l’unanimité. Il s’agit donc de fonder une morale universelle sur un phénomène lui-même universel. Mais le don est-il universel ? Testart le conteste. Le don contient-il une morale intrinsèque ? Arnsperger ne le pense pas, comme beaucoup d’autres auteurs. Cette morale intrinsèque, si tant est qu’elle existe, se suffit-elle à elle-même ? Nombreux sont ceux qui n’en sont pas convaincus, dont certains maussiens comme Jacques Godbout, qui considère que la morale du don a besoin d’une morale qui lui serait extérieure et transcendante. Voilà un ensemble de questions qui se posent à Mauss et au MAUSS. Deuxième série de questions. Sur quel don fonder cette morale ? Manifestement sur le don agonistique. Il n’est question que de potlatch dans l’Essai sur le don. Le problème est que Mauss nous dit lui-même que le potlatch est un phénomène relativement rare. Comment peut-on prétendre fonder une morale universelle sur un phénomène relativement rare ?

Deux réponses possibles à cette question :

1) [même si le potlatch est un phénomène relativement rare], tous les dons sont agonistiques, simplement plus ou moins ; ainsi la difficulté est immédiatement levée. Je ne souscris pas à cette réponse.

2) Deuxième réponse possible : toujours et partout les histoires communes des hommes commencent par des dons agonistiques ; autrement dit, les dons d’alliance – auxquels s’intéresse prioritairement Mauss – contiendraient toujours une dimension de rivalité : dès lors qu’il s’agit de s’allier avec un autre, il faut d’abord s’affirmer soi en tant que différent de l’autre et dans cette affirmation de soi, il entre une dimension de rivalité. De ce point de vue, on peut bien fonder une morale universelle sur un phénomène pourtant relativement rare selon Mauss lui-même.

Deuxième problème théorique. « Déduire des préconisations politiques d’une morale universelle ». En quoi consiste cette opération de déduction ? Tu l’as bien souligné Alain, il ne s’agit pas de déduire un projet politique d’une morale comme on déduit des effets d’une cause ; il s’agit davantage d’une opération de traduction. Comme toute opération de traduction, elle laisse une certaine marge de liberté au traducteur. Mais une liberté contrainte, puisqu’il s’agit de traduire un fait ; et il s’agit de se donner la plus forte contrainte possible en allant étudier de manière très précise et au plus près de la réalité ces faits concrets que sont les dons, comme le fait très bien Mauss. On ne peut donc pas déduire n’importe quelle morale du fait de la triple obligation de donner, recevoir et rendre.

Le troisième problème théorico-normatif porte sur le statut des considérations politiques énoncées à l’usage de ses contemporains. Pour Mauss, comme pour le MAUSS je crois, il ne s’agit pas de dire ce qui serait souhaitable, mais simplement de dire ce qu’il serait possible de faire. Mauss s’inscrit dans la tradition qu’on appelle possibiliste au XIXe siècle, très inspiré de ce qui se fait à l’époque en Angleterre – Mauss est un anglophile. En ce sens Mauss est un réformateur, et non pas un révolutionnaire – même s’il a pu se dire lui-même révolutionnaire. Mais Mauss ajoute : « Je recherche le possible, mais tout le possible, en direction du souhaitable » ; en ce sens, c’est un radical. Mauss est en somme un réformateur radical.

Abordons maintenant les positions politiques de Mauss et ses rapports avec la morale du don. En préambule, je souhaite souligner que je n’ai pu mettre en relation les écrits politiques de Mauss et ses écrits scientifiques qu’après avoir compris en quoi le projet politique du MAUSS s’ancrait lui-même dans l’optique du don et de sa morale. A l’époque le MAUSS défendait trois mesures : un revenu minimum inconditionnel, la réduction du temps de travail et un encouragement de la vie associative ; ces trois mesures pensées dans leur articulation, ayant pour objectif de revitaliser la démocratie. Mais revenons à Mauss, je vais aller vite maintenant. Mauss est pacifiste, socialiste associationniste et démocrate (…).

Voilà donc en quoi le pacifisme de Mauss, son socialisme associationniste et sa défense de la démocratie peuvent s’étayer sur la morale du don.

Alain Caillé :

(…) Si on voulait discuter, il faudrait y passer une semaine entière. Il s’agit là d’un aspect de la pensée de Mauss qu’on n’a absolument pas discuté. C’est tout le rapport à la tradition positiviste et à sa tentative de fonder une morale, une politique, sur une science. Ce n’est pas du tout l’épistémologie dominante aujourd’hui. (…) Il y a quelque chose d’absolument fondamental dans tout ce que tu as dit, ce sur quoi tu as insisté au tout début et qui n’est jamais perçu alors que je crois que c’est vraiment essentiel. C’est que les sciences sociales sont en fait toujours normatives, même si elles passent leur temps à prétendre à la neutralité axiologique. Mais il y a une science sociale qui est particulièrement normative, c’est la science économique. Et tout notre monde actuel est façonné par cette science économique qui se prétend totalement neutre axiologiquement, qui prétend n’énoncer aucune valeur mais simplement des jugements de rationalité. Or elle est la science la plus normative, dans ses effets : toute la politique est fondamentalement une politique économique. Mais on pourrait montrer qu’elle est intégralement normative dans sa structuration interne. C’est encore un autre débat épistémologique compliqué. De tout ceci je crois qu’on peut déduire une conclusion fondamentale, c’est celle à laquelle tu voulais nous conduire, c’est qu’il faut absolument que les autres sciences sociales que les sciences économiques – la sociologie, l’anthropologie – assument radicalement leurs implications normatives, leurs dimensions proprement éthique et politique. Sans cela, on laisse absolument tout le champ à la science économique et il ne faut pas s’étonner alors qu’elle triomphe partout.

Je voudrais maintenant enchaîner sur l’objet principal de la soirée, qui porte non pas tellement sur une philosophie politique maussienne – qui serait l’intermédiaire entre ce que tu viens de dire et ce que je vais développer – mais sur des implications politiques un peu concrètes. Est-ce qu’il y a un programme politique du MAUSS ? Tu l’as rappelé, mais on pourrait le rappeler plus en détail. Mauss a été socialiste. Engagé dans la politique, et même dans la politique politicienne d’une certaine manière : il était compagnon de route de Jaurès, le champion du socialisme associatif. Il est resté le grand ami de Léon Blum, de toute cette tradition politique française. Est-ce qu’on peut traduire cette vision socialiste, coopérativiste, associationniste, humaniste maussienne, en propositions un peu concrètes aujourd’hui, actualisées ?

Pour lancer la discussion, je voudrais procéder en deux temps. D’abord rappeler, ou vous apprendre, ce que le MAUSS a fait dans ce registre-là, en termes de propositions politiques, depuis sa création. Et dans un deuxième temps, je vais tenter de vous présenter des thèmes qui sont repris dans le livre De Gauche ? que j’ai coordonné avec Roger Sue et auquel a participé Philippe Chanial. De Gauche ? Qu’est-ce que ça veut dire qu’être de gauche aujourd’hui ? Comme disais Steven Lukes : What is left ? What is left of the left ? Qu’est-ce qu’il reste de la gauche et qu’est-ce qu’il peut rester de cette gauche humaniste ? (…)

Effectivement La Revue du MAUSS considère qu’il faut à la fois développer le versant positif du savoir et prendre ses responsabilités éthiques et politiques – ce qui ne veut pas dire adhérer à un parti déterminé, mais concevoir la science sociale comme un moment constitutif de la dynamique démocratique. Dans ce sillage-là, il y a plusieurs prises de positions politiques du MAUSS.

LES PRISES DE POSITION POLITIQUES DU MAUSS

Le premier grand combat théorique du MAUSS, sans implications pratiques très nettes, a été un combat contre l’occidentalisme ou l’occidentalocentrisme. Notre ami Serge Latouche a par exemple publié un livre qui s’intitule L’Occidentalisation du monde, et, je voulais le rappeler tout à l’heure, contre la tradition marxiste dominante. L’idée centrale était qu’il ne s’agit pas principalement de combattre l’impérialisme économique, mais de combattre l’impérialisme culturel, l’hégémonie des valeurs occidentales et des valeurs utilitaristes aussi d’une certaine façon. Mais tout ceci n’avait pas, n’a pas eu d’implications programmatiques très déterminées.

Le revenu de citoyenneté

En revanche, nous nous sommes lancé dans un débat plus politique à partir des années 1987, je crois, en introduisant en France le débat sur le revenu minimum inconditionnel. Ce débat, qui a des antécédents historiques, était revenu en Europe notamment via la Belgique sous la plume de Philippe Van Parijs, dans un article qui s’intitulait « Directement du capitalisme au communisme », à travers l’idée d’un revenu minimum inconditionnel. Nous avons été les premiers à relancer la discussion sur cette thématique-là. Très vite après, sans qu’il y ait de rapport de cause à effet immédiat, mais très vite après, le Premier ministre socialiste de l’époque, Michel Rocard, a créé en France ce qui s’est appelé le Revenu minimum d’insertion qui accrédite l’idée que toute porte sur la signification de cet inconditionnellement : il y a eu de grands débats, je ne voudrais pas entrer dans les détails… Il y a un principe inconditionnel de revenu minimum mais est-ce que le revenu minimum doit être donné inconditionnellement, est-ce que ce doit être universally granted, donné à tout le monde riche ou pauvre, jeune ou vieux etc. ou est-ce qu’il doit être un revenu comme vous dites en anglais means tested, proportionnel au revenu des bénéficiaires ? Je ne reviens pas là-dessus. Ce qu’il faut comprendre c’est que très vite après, la gauche avait perdu le pouvoir, le chômage commençait à se répandre considérablement… Le RMI a été créé en 1989, à une époque où le chômage était marginal. On avait l’impression que c’était un accident de l’histoire, que la norme était le plein emploi. Il y avait quelques chômeurs : on allait leur donner le revenu minimum. Quelques années après, le tableau avait changé totalement. On arrivait à des taux de 8-9-10% de chômeurs dans la population active. Et on s’apercevait que le chômage était un phénomène non pas conjoncturel mais structurel.

L’Association pour une citoyenneté et une économie plurielles (AECEP)

Et c’est à cette époque, en 1995 – le taux de chômage atteignait alors 12% – que le MAUSS a pris l’initiative de lancer une sorte d’appel pour réunir des auteurs – philosophes, sociologues, économistes – de bords assez variés, allant de l’extrême-gauche au centre-gauche disons, sur l’idée qu’on ne peut remédier au chômage ni par les politiques néo-libérales, de dérégulation générale, ni par les politiques d’économie administrée, en remplaçant les chômeurs par des fonctionnaires en somme. Si on ne peut pas tout miser sur le marché, ni tout miser sur l’Etat, qu’est-ce qui reste comme solution ? Et bien il reste la société elle-même, en tant qu’elle est représentée par la dynamique des associations, de la société civile. Du coup, on a réussi à rassembler des gens très divers. Par exemple Robert Castel en France. Toni Negri à l’extrême-gauche. Alain Lipietz… – j’hésite à dire les noms, parce que tous ne sont pas connus en Angleterre – André Gorz. Une centaine de personnes. Vraiment des gens très connus. J’abrège pour la France. Et puis d’autres noms en Europe : ( ?) en Italie, Robin Blackburn en Angleterre, Claus Offe en Allemagne, Marco Revelli en Italie. On a réuni tous ces gens sur la combinaison de trois propositions que Sylvain a rappelées :

Ces propositions ont quand même rassemblé pas mal de personnes en France dans les années 1995-96. Il y a eu pas mal de débats politiques. Et quand la gauche française est revenue au pouvoir – par hasard : Chirac avait provoqué des élections anticipées, personne ne s’y attendait – ; tout le monde pensait que la gauche allait perdre, à commencer par la gauche elle-même. Les leaders de la gauche disaient 15 jours avant les élections législatives « on est foutu, tous les sondages nous donnent perdants »… La gauche plurielle est arrivée au pouvoir – l’alliance socialiste, communiste, radicaux de gauche – sans aucun programme ! Aucune idée ! Ils ont repris fondamentalement les trois mesures que je viens de présenter, simplement dans une vision totalement bureaucratique, étatiste, qui devait mener à mon avis à l’échec. Cela a mené à l’échec d’ailleurs, mais je ne veux pas entrer dans le détail.

Le débat autour de la décroissance

Autre combat politique du MAUSS – enfin de certains membres du MAUSS – pas de moi en l’occurrence. Certains animateurs du MAUSS, notamment mon ami-ennemi intime Serge Latouche, qu’on appelle l’anti-pape du MAUSS, est devenu depuis une dizaine d’années, le leader théorique en France (et à l’étranger, notamment en Italie), le Pape de la décroissance. Voilà un autre projet politique qui repose sur l’idée que même le développement durable est intenable. Par hypothèse, le développement ne peut être durable : on ne peut pas projeter d’accroître sans arrêt la production et s’imaginer qu’on va préserver la planète, les équilibres sociaux fondamentaux. Il faut donc aller en direction d’une décroissance. Ce projet est sorti en partie des rangs du MAUSS. Pour Serge Latouche, l’anti-utilitarisme mène nécessairement à la décroissance. Ce n’est pas l’avis de la majorité des MAUSSiens, mais c’est une des implications politiques possibles du courant anti-utilitariste.

La refondation de l’Université

Dernière action politique un peu concrète du MAUSS. Nous avons pris l’initiative il y a deux mois de lancer un manifeste pour la refondation de l’université. Initiative liée au dernier numéro du MAUSS sur la crise et la mort de l’université. Il s’agit fondamentalement de sauver l’imaginaire anti-utilitariste de la vie universitaire, ce refus de réduire le rapport au savoir aux seuls intérêts de marchandisation ou de professionnalisation. Il s’agit de redonner une dynamique à la communauté des universitaires, à l’autonomie de la communauté des universitaires. Est-ce que c’est encore possible ? Est-ce que les universitaires peuvent se mettre d’accord suffisamment sur l’essentiel des valeurs universitaires de façon à pouvoir s’opposer à toutes les politiques de bureaucratisation, d’évaluation quantitative, de bibliométrie, d’enrégimentement de la vie universitaire. C’est la question qui est posée. Sur l’appel que nous avons rédigé, nous avons obtenu très vite, quasiment en une semaine, 5000 signatures d’universitaires en France. Ce manifeste réunit quand même des gens qui sont représentatifs de trois grands courants de pensée au sein de l’université : les représentants de l’université traditionnelle, avec une vision hiérarchique/mandarinale du savoir ; les réformateurs de gauche un peu technocratique, qui ont été un moment favorables aux réformes du Gouvernement Sarkozy, mais qui maintenant s’aperçoivent que c’est une tromperie et qui commencent à s’y opposer ; et puis, j’allais dire la gauche… Non... la gauche de gauche, car un des grands paradoxes de cette affaire, et je crois que c’est au cœur de nos débats, c’est que les principaux initiateurs des réformes universitaires rejetées par les universitaires de gauche…, c’est la gauche. C’est notamment en France la gauche socialiste. Les principaux théoriciens de toutes les réformes de l’université, cela a été en France Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand et Claude Allègre, ancien ministre de Jospin. Touts ces débats sont donc très compliqués, et posent la question de savoir What is left ? Où est la gauche ? Être de gauche, qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui ?

DE GAUCHE ?

Alors, quelques mors rapides pour lancer la discussion. Dans le livre De gauche ? que j’ai coordonné avec Roger Sue (Ed. Fayard, 2009), nous avons réuni une trentaine d’auteurs et avons organisé la discussion de la manière suivante. Nous avons choisi une trentaine de notions. Par exemple « Associationnisme » (c’est Philippe Chanial qui a rédigé ce chapitre qui d’ailleurs est remarquable et a fait beaucoup de bruit) : Associationnisme, libéralisme, république, marché, capitalisme etc. Question posée à tous les auteurs : comment la gauche, ou plutôt les gauches ont-elles pensé ces notions au début, fin XVIIIe, début du XIXe siècle ? Comment ont-elles évolué sur ces questions ? On sait bien que la gauche a été tantôt nationaliste, tantôt antinationaliste, tantôt colonialiste, tantôt anticolonialiste. Où en est-on aujourd’hui ? Et quatrième question : où faudrait-il aller ? Mais tout ceci suppose une discussion plus générale sur l’idée même de gauche. Quelques mots là-dessus.
What is left ? Je vous épargne les aspects historiques, pourtant fort intéressants si on entre dans le détail. Quoique…. puisque nous sommes là avec des anthropologues... en un mot. L’idée reçue est que l’opposition droite/gauche naît avec la Révolution française lors de la Constituante en 1789, où spontanément nous dit-on les représentants du clergé et de la noblesse vont s’asseoir à droite du Président de l’Assemblée, et les représentants du Tiers –Etat à gauche. Cette interprétation conventionnelle est à mon avis en partie fausse. Car si on creuse un peu on s’aperçoit que les pôles de la gauche et de la droite sont déjà significatifs ; que c’est parce qu’on sait déjà ce que veut dire être de gauche ou de droite qu’on se répartit de cette manière-là. On peut le montrer, je n’entre pas dans les détails. Et cela renvoie à une question beaucoup plus fondamentale qui est celle que met en lumière Robert Hertz, sur un débat que connaît fort bien Nick Allen sur l’université relative de l’opposition entre la main droite et la main gauche. Vaste débat anthropologique, historique. Mais ne le développons pas.

Le critère de Bobbio

Restons-en au débat proprement politique. Que signifie la gauche dans le champ politique moderne telle qu’est développée depuis deux siècles, puisqu’on sait que toutes les propositions ont pu être soutenues par la gauche : raciste, antiraciste, pour la religion, contre la religion, colonialiste, anticolonialiste, antisémite, philosémite etc. ? Apparemment, il n’y a qu’un critère qui tient, celui développé par Norberto Bobbio, dans son livre sur la gauche et qui est très séduisant au départ. Bobbio dit que, en effet, n’importe quelle position peut-être soutenue à droite et à gauche, mais que, à un moment donné du débat politique, dans un pays particulier, les gens qui se classent à gauche sont toujours plus favorables à l’égalité que ceux qui se classent à droite. Ils sont peut-être moins favorables à l’égalité que des gens de droite cinquante ans auparavant. Mais à un moment donné, ils sont toujours plus favorables à l’égalité que ceux qui se classent à droite. C’est un critère purement ordinal. La première grande séparation, droite/gauche trouve sa source dans le rapport à l’égalité. Une fois qu’on a posé ce premier critère, intervient un second critère : le rapport à la liberté individuelle ou à l’autorité, qui permet de distinguer entre une droite autoritaire et une droite libérale, d’une part, une gauche autoritaire, stalinienne, marxiste, léniniste, et une gauche non autoritaire d’autre part. Tout cela est apparemment satisfaisant, mais on s’aperçoit que cela ne suffit pas. Le critère de Bobbio ne suffit pas à expliquer le déclin du jeu politique structuré par l’opposition droite/gauche. Pourquoi ? Je crois qu’il y a deux réponses. La première est que nous avons connu depuis vingt, trente ans tout un ensemble d’évolutions qui rendent l’opposition plus complexe que ce qu’en dit Bobbio. Par ailleurs, si on y réfléchit bien, cette caractérisation très séduisante de l’opposition entre la droite et la gauche est intrinsèquement insuffisante.

Des évolutions complexes

Quelles évolutions depuis une trentaine d’année. Je vous donne quelques têtes de chapitre, cités en vrac. Première évolution : bien sûr, la disparition des socialismes réels, du marxisme à l’Est, premier facteur d’affaiblissement de l’opposition droite/gauche. Deuxième évolution : la disparition presque complète des composantes autoritaires de la gauche ; toute la vieille tradition communiste autoritaire a complètement disparu. Il n’y a plus que des franges de gauches libérales, en quelques sortes, non autoritaires. Troisième grande évolution, fondamentale : la substitution massive des luttes de reconnaissance aux luttes de redistribution. Jusqu’à il y a vingt ou trente ans, on se battait principalement pour redistribuer du revenu. C’est toujours vrai, bien sûr, mais ces luttes de redistribution du revenu ont été supplantées par des luttes d’identité collective, des luttes de reconnaissance identitaire, c’est ce qu’a montré Paulo Henrique Martins tout à l’heure pour le Brésil : tout le champ des études postcoloniales porte là-dessus. Et nous n’oublions pas la lutte de femmes bien sûr, pour commencer, puisque cela a été la grande matrice de la chose. Quatrièmement : à partir du moment où les luttes sociales ne sont pas d’abord des luttes de redistribution mais des luttes de reconnaissance, il en résulte presque automatiquement qu’elles se fragmentent, puisqu’on cherche à faire reconnaître non pas la communauté des exploités, mais la singularité des identités collectives. Chaque groupe veut faire reconnaître son identité singulière. Du coup, ils ne peuvent plus s’agréger, chacun lutte pour sa singularité. Et donc le signifiant gauche ne suffit plus à rassembler toutes ces luttes identitaires. Corrélativement, cinquième évolution : ce sont toutes les notions politiques collectives qui sont frappées d’obsolescence : les notions de peuple, de classe, de nations…. tout cela ne fait plus aucun sens ou fait très peu sens. De même que la notion d’Etat-nation. Dernier point enfin. Avec la mondialisation, on constate empiriquement que dans tous les pays du monde, droite et gauche, au fond, convergent pour essayer de sauver la place d’une société, d’un Etat-nation, au sein de la concurrence mondiale. Et on voit assez bien qu’il se produit une coalescence des valeurs de la droite et de la gauche, la droite reprenant les valeurs de redistribution de la gauche, mais prétendant qu’elle a de meilleures solutions pour les appliquer que celle de la gauche – meilleures solution par le marché que par l’Etat. Mais droite et gauche essayent de produire une mobilisation générale de la société pour survivre dans la concurrence internationale. Voilà un ensemble d’évolutions empiriques qui font que le critère simple de Bobbio – la gauche est pour l’égalité, la droite l’est moins – ne suffit pas.

Que la gauche ne se réduit pas à la recherche d’égalité

Et puis, si on y réfléchit par ailleurs, quant au fond, il y a des choses que Bobbio ne voit pas du tout. Premièrement, il ne fait absolument rien de ce qui est en fait peut-être la valeur première de la gauche, à savoir la valeur de solidarité politique collective. Ce n’est qu’une fois qu’on a affirmé qu’il faut produire une solidarité, non pas une solidarité philanthropique, mais une solidarité politique entre les exploités, les dominés, qu’on commence à parler d’égalité et de liberté. Car cela n’empêche pas qu’on cherche aussi à gauche la liberté individuelle, mais je ne voudrais pas entrer dans les détails. On le fera si vous voulez : il y a des hiérarchies de valeurs enchevêtrées, très compliquées, qui se dominent les unes les autres. Par ailleurs, il y a une autre caractéristique de la gauche qui est absolument fondamentale, qu’on voit partout, c’est que la gauche, depuis l’origine, a toujours essayé de conjuguer à la fois un discours de refus de l’existant, de critique radicale de ce qui existe, éventuellement nihiliste dans certaines variantes anarchistes ou marxistes, avec un optimisme radical. C’est la conjugaison d’une critique radicale, d’un pessimisme radical qu’on voit par exemple chez Bourdieu, et d’un optimisme radical : le présent, c’est vraiment pas bien, le passé c’était pas bien, mais l’avenir ce sera mieux. Et c’est la tension entre ce pessimisme et cet optimiste qui a pendant deux siècles alimenté la dynamique de la gauche. Je finis maintenant. Qu’est-ce qu’on peut déduire pratiquement, concrètement, en termes programmatiques, de cette analyse ? Qu’est-ce qui pourrait réalimenter un projet de gauche ?

D’abord pourquoi faudrait-il le réalimenter ? Eh bien parce que la démocratie moderne est liée à cet affrontement de la droite et de la gauche, et c’est toujours la gauche qui a toujours été porteuse de cette dynamique progressiste, de cette dynamique d’approfondissement de la démocratie. Et je crois que les deux choses vont de pair. Soit on renonce à sauver la démocratie, à l’universaliser, soit on y croit toujours, auquel cas il faut refonder en même temps les valeurs de la démocratie et celles de la gauche.
Alors dans quelle direction ? En un mot, que je détaillerai en trois points. Je crois qu’on pourrait dire que ce qu’il faut produire, c’est une radicalisation et une universalisation du projet social-démocrate. Projet qui était trop étroitement confiné dans le cadre de l’Etat-nation. Or c’est une échelle qui n’est plus suffisante. Projet encore trop confiné dans le cadre d’un progressisme économiciste, limité à l’économie, qui pensait que le progrès allait dépendre uniquement de l’accroissement des forces productives, de l’accroissement de la richesse matérielle. Tout cela ne suffit plus. Quelles sont les voies d’évolution. Je pense qu’il y en a trois.

CONCLUSION : TROIS VOIES A EXPLORER

La première, on l’a déjà vue. Le pari premier, c’est celui, très compliqué, de l’autonomisation, et de la redynamisation de la vie associative, de la société civile associative. C’est là où l’on retrouve le socialisme associationniste de Marcel Mauss. On a déjà parlé de tout cela. L’article de Philippe Chanial (in De Gauche ?) rappelle l’histoire de cet idéal associationniste. Le point fondamental est le suivant : c’est que les associations ne sont pas spontanément vertueuses. Ce ne sont pas les associations empiriques qui vont sauver toutes seules la démocratie. Leur cours naturel c’est au fond de se laisser absorber – dans une sorte de routinisation du charisme comme le disait Illana Silber – par les contraintes marchandes d’une part et par les contraintes bureaucratiques d’autre part. Il y a donc un processus circulaire très complexe à impulser dans lequel il faut que l’Etat apprenne à se dessaisir d’une partie de son pouvoir pour le donner aux associations, parce que ce sont elles qui, autonomisées, seront au fondement de la démocratisation. Il faut mener une politique d’autonomisation des associations qui ne les instrumentalise pas au service de l’Etat ou des partis politiques. Première orientation.

Deuxième orientation, qui va de pair à la fois avec le développement des politiques de reconnaissance et avec la question soit du développement durable, soit de la décroissance, comme on voudra. Il faut comprendre que nous devons maintenant développer une solidarité pas seulement avec les membres de l’Etat-nation – c’était la base de la sociale démocratie – mais qu’il nous faut développer des solidarités avec d’autres cultures que la culture dominante de l’Etat-nation. C’est le problème d’une politique de reconnaissance de la diversité des cultures. Reconnaître la diversité des cultures au sein de l’ancien Etat-nation. Et puis reconnaître la diversité des cultures entre les différents Etats-nations. Qu’est-ce que ça veut dire ? Probablement reconnaître que chaque culture a donné quelque chose à l’humanité – c’est la reconnaissance d’un don – et peut encore donner quelque chose à l’humanité. Le point important à comprendre je crois, c’est que nous sommes maintenant obligés de mener un politique de développement durable des cultures en quelque sorte aussi bien que de développement durable de l’économie. Développement durable des cultures : il faut sauver quelque chose des cultures passées, de même qu’il faut sauver quelque chose de la nature que nous avons héritée ; c’est un don qui nous est fait, ce don des cultures passées, on ne peut plus considérer que le progrès consiste simplement à liquider les cultures existantes. Il faut sauver quelque chose de l’ordre des cultures, sans les fétichiser, sans les réifier. Et puis de même bien sûr il faut sauver quelque chose de la nature, il faut éviter les irréversibilités de l’ordre naturel. On trouvera des choses importantes là-dessus chez des auteurs Maussienss comme Francesco Fistetti ou Julien Rémy.

Troisième et dernier point, j’arrive à ma conclusion. Le problème, c’est bien sûr le suivant : dire : « Il faut faire ceci, Il faut faire cela », c’est facile. Mais, problème : qui le fera ? Quel peut-être le sujet collectif d’une action politique – on a déjà parlé de cela. Où est le politique aujourd’hui ? Ma conviction, celle de Sylvain, je crois, aussi, ainsi que celle d’un certain nombre d’amis du MAUSS, c’est que nous ne pourrons pas avancer aussi longtemps qu’il ne se reformera pas un consensus universalisable à différents pays du monde sur quelques valeurs élémentaires. L’action politique a été liée jusqu’à présent à l’existence de grands discours, de grands récits comme on disait avant le post-modernisme – le grand récit marxiste, le grand récit socialiste etc. Nous n’avons plus de grands récits qui permettent de rassembler les luttes au travers le monde. Alors on peut faire semblant de dire que c’est bien, que tous les problèmes vont être résolus par une politique en réseaux. Mais on voit bien que cela ne suffit pas ; les forums sociaux, le mouvement alter-mondialiste se dissolvent dans ces réseaux. C’est sympathique, mais ça ne produit pas la définition des contours d’un monde nouveau. Quelles sont les valeurs universalisables que pourraient nous réunir ? Rapidement. Je ne vais pas les détailler. Il y en a quelques unes. A mon avis, elles convergent toutes vers une valeur centrale, c’est la vieille valeur des Grecs : la lutte contre l’ubris, la démesure, la lutte contre l’illimitation. Et au fond, je ne voudrais pas détailler, mais si l’on prenait toutes les valeurs possibles et imaginables, je crois qu’en les creusant, en les axiomatisant, je crois qu’elles renvoient toutes à cette valeur première. Comment lutter contre l’illimitation (autre forme, peut-être, de ce que Durkheim appelait l’anomie) ? Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Trente-six mille choses compliquées. Mais il me semble qu’un mot d’ordre concret, facilement intelligible, qui permet de traduire ce désir de lutter contre l’illimitation – et là on rejoint certaines des initiatives anciennes du MAUSS – c’est qu’il faut, dans tous les pays du monde – après, on peut entrer dans le détail – affirmer la nécessité inconditionnelle d’un revenu minimum. Pour le dire autrement : affirmer la nécessité qu’aucun être humain ne doit tomber au-dessous d’un certain niveau de ressources ; ça, c’est l’impératif catégorique politique premier. Aucun Etat ne peut être considéré comme légitime s’il n’assure pas ce niveau de ressource minimum. Première considération. Et puis, symétriquement, si on veut vraiment lutter contre l’illimitation, mais c’est beaucoup plus difficile à faire entendre, il faut instaurer un niveau de revenu ou de richesse maximum. L’inégalité est légitime, le désir d’enrichissement est légitime. Mais il y a des limites à l’enrichissement individuel, qui si elles sont franchies, menacent directement le projet démocratique. Eh bien voilà, je peux m’arrêter.

Questions

Un participant :

Je suis admiratif de tout ce que tu as dit. Et ce que je vais dire est moins une critique qu’une extension de ce que tu as dit. Je voudrais pointer sur la dimension franco-française du tableau et de la solution. Pour moi qui suis plus proche du monde anglo-saxon, ce qui prime là-bas, c’est un rapport individuel et non collectif aux valeurs. C’est donc un autre langage qu’il faut leur tenir si tu veux leur présenter un programme politique. Je pense que c’est la religion qui pourrait intervenir. On sait bien combien le religieux compte aux Etats-Unis ; il a sa place en Grande-Bretagne. Et en tous cas, la seule chose qui est fédératrice, c’est l’Eglise. Il y a tout un tas d’Eglises, de confessions, et c’est certainement là que les gens connaissent le collectif. Le dimanche, l’Eglise, c’est le seul lieu de réunion. Je me demande si au niveau de tes valeurs tu intègres cela. Enfin, je voudrais savoir si le projet politique que tu proposes est aussi un projet de sagesse. Dans quelle mesure il s’applique aussi à ceux qui essayent de promouvoir le projet politique, qui est aussi une éthique de vie.

Un autre participant :

Cette opposition entre la droite et la gauche n’est pas universelle (c’est donc assez maladroit de vouloir bâtir sur elle un projet politique universalisable).

Alain Caillé :

Je suis d’accord. Mais je pense malgré tout que l’opposition droite/gauche a été un peu moins theoretical que tu ne le dis. En Amérique Latine notamment, elle a été très importante à une certaine époque. C’est vrai qu’elle est en train de décliner et qu’elle ne sert plus à organiser les luttes au niveau mondial. Mais, retenons une première question : est-ce qu’on peut universaliser les valeurs qui ont été portées par la gauche sous l’étiquette, le signifiant gauche aujourd’hui ? Je n’en sais rien. Ce n’est pas du tout évident, pour les raisons que tu viens de dire. Et qui renvoient à la question que tu posais. Quelle est la place du religieux dans cette affaire-là ? Tu as tout à fait raison de dire que mes formulations sont très largement franco-françaises. Personnellement, je pense que le politique est indissociable du religieux. C’est un débat que j’ai avec Marcel Gauchet – un débat post-maussien d’une certaine façon. La conviction de Gauchet, c’est qu’il n’y a pas de politico-religieux. Que si, historiquement, le politique et le religieux ont toujours été mêlés, ce n’est pas essentiel. Et que le triomphe de la démocratie doit passer par la privatisation du religieux et l’autonomisation du politique. Personnellement, je pense qu’il a tort. Je pense que la définition des rapports entre les sujets humains, qui est le politique, est indissociable du rapport avec ce que j’appelle les entités invisibles, qui est le religieux. Et qu’il faut donc tenir les deux bouts en même temps. Mais, concrètement, comment est-ce qu’on lie un projet politique avec le respect des traditions religieuses ? Je vois les choses de la manière suivante. Je pense qu’on peut soutenir l’idée que l’idéal démocratique moderne s’est développé dans la suite des grandes religions. Qu’il est la forme moderne de l’esprit du don, dans laquelle on ne donne plus à une entité en surplomb, à un dieu, une entité hétéronome, externe au rapport social, mais on donne à la démocratie elle-même. Je crois qu’on a là le soubassement de la démocratie moderne, qui constitue la forme achevée de l’esprit du don tel qu’il s’est développé à travers les différents siècles. (…)

Autrement dit, je pense que les valeurs démocratiques doivent être comprises comme une certaine forme d’aboutissement des valeurs développées par les grandes religions, les éthiques religieuses ou les grandes sagesses. La question plus concrète qui se pose est de savoir comment réussir à faire coexister ces différents systèmes axiologiques, ces différents systèmes de valeurs. Les religions le font. Elles disent : « Nous convergeons tous vers la règle d’or ». Certains théologiens comme Hans Kung organisent des rencontres entre les grandes religions : traditions catholiques, protestantes, bouddhistes etc. Chose étrange : il n’invite pas les sciences sociales ; il n’invite pas les laïcs. Il réserve la discussion aux seules religions, il la cantonne au sein des religions. Tu me reprochais de ne pas m’ouvrir aux traditions religieuses. C’est ici au fond la critique inverse qu’on peut lui faire. Il faut bien sûr dépasser tout cela et rechercher quels sont les fondements axiologiques communs à la fois aux grandes religions et aux traditions des sciences sociales et à la modernité laïque et démocratique.

Paulo Henrique Martins :

Dans quelle direction penses-tu qu’il faille aller si l’on souhaite assumer la normativité des sciences sociales ? Vers une philosophie politique normative ou vers approfondissement de ces schémas disciplinaires : sociologie, anthropologie etc.

Alain Caillé :

En un mot, pour aller très vite. Je pense que les sciences sociales sont nécessairement axiologiques, c’est-à-dire qu’elles ont un rapport aux valeurs ; qu’il n’y a pas de discours purement axiologiquement neutre en sciences sociales ; que c’est une illusion ; et qu’elles n’avanceront que si elles deviennent conscientes de leur normativité, c’est-à-dire des jugements de valeur qu’elles profèrent. L’exemple parfait, c’est celui de la science économique. Elle se croit neutre d’un point de vue axiologique ; elle est totalement axiologique. Elle passe sont temps à proférer des jugements de valeurs. Si on veut un progrès de la connaissance scientifique, positive, il nous faut un progrès de la connaissance normative.

Sylvie Malsan :

Je voudrais revenir sur cette question de la lutte contre l’illimitation. Elle évoque pour moi l’illimitation du désir acquisitif de biens matériels. Mais moi je vois d’abord une limitation de la considération des êtres humains à une partie seulement de ce qu’ils sont, des êtres mus par des sens, dans l’oubli de leur dimension d’êtres de conscience. Je parlerais donc plutôt de lutte contre la limitation. De mon point de vue, c’est davantage en brandissant l’étendard de la lutte contre la limitation, et plutôt que celle de l’illimitation, qu’on se dirigera vers une conscientisation, une autonomisation de l’être humain, autrefois portée d’ailleurs par l’éducation populaire, qui se limite malheureusement aujourd’hui à la simple fourniture de services, plutôt que de proposer un accompagnement vers l’autonomie.

Alain Caillé :

Je suis d’accord avec toi si je te comprends bien. Cela peut peut-être s’interpréter dans les termes de ce que disait Irène Théry tout à l’heure ; l’institution n’est pas ce qui interdit, ce qui oblige, c’est ce qui ouvre des possibles. Alors, effectivement – c’est sûrement le défaut de ma proposition – si on parle seulement de lutter contre l’illimitation, on a l’impression d’un projet totalement négatif. Il faut montrer comment cette lutte contre l’illimitation, l’ubris, ouvre des possibles et donc permet l’autonomisation des sujets et l’accroissement de la puissance de vivre. C’est le point fondamental, pour le dire en positif. Mais ça renvoie aussi à une question posée tout à l’heure à laquelle je n’ai pas répondu concernant la limitation non pas seulement des revenus mais des volontés de pouvoir des uns et des autres. C’est bien évidemment un problème fondamental, mais je n’ai pas de mesures concrètes à proposer à ce sujet. Est-ce qu’on peut traduire cette idée – que tout le monde partage – en propositions concrètes… je ne sais pas.

Un participant :

Nous sommes tous d’accord sur le constat de la globalisation et des violences qu’elle engendre au travers le monde. Mais je ne suis pas sûr que la promotion de valeurs prétendument universelles, alors qu’elles sont très circonscrites historiquement et culturellement – les valeurs de la social-démocratie européenne d’après la Seconde Guerre mondiale -, soit le meilleure moyen de lutter contre ce monde que nous dénonçons.

Alain Caillé :

Deux choses. Première discussion. Est-ce qu’il y a des valeurs universelles dans le don, bien sûr transformables historiquement ? Moi je pense que oui. On peut en discuter. Après, je ne suis pas sûr d’avoir compris. Il y a deux choses. Est-ce que le mot d’ordre d’un revenu minimum est pratiquement réalisable ? Première discussion. Deuxièmement : est-ce que c’est souhaitable, est-ce que ça ne risque pas de déclencher des guerres civiles ? Alors là, je n’ai pas très bien compris pourquoi ? ! La réponse implicite serait qu’il vaut mieux des dictatures que la démocratie pour empêcher les guerres civiles – ce qui est très possible…. C’est la solution de Hobbes fondamentalement. C’est un pari possible, c’est celui de John Gray en Angleterre : « La démocratie c’est bien, mais au regard de l’histoire, il vaut mieux la dictature ». Moi, je pense quand même que … par exemple, en Afrique, mais un peu partout, comment dire… On voit partout des personnages politiques qui ont une stature morale, qui se battent pour des valeurs démocratiques. Je pense que partout il est important que des gens puissent se dresser et dire : « Ce pouvoir, par exemple dans tel ou tel Etat africain – c’est le cas dans presque toute l’Afrique – n’est pas légitime, parce qu’il n’assure pas ce minimum de ressources aux populations ». Cela me paraît la base de la démocratie, d’une politique démocratique.

Un participant :

Mais qui mettra en œuvre toutes ces propositions, et comment ? Il y a de sérieux intérêts…

Alain Caillé :

Cela passera nécessairement par des luttes, par des luttes politiques. Toutes les conquêtes démocratiques se sont faites par des révolutions, de la violence. Mais avant de savoir qui est en lutte, il faut savoir pour quoi on se bat. Mais le problème c’est qu’on ne sait plus pourquoi on se bat. Je crois que c’est l’objet de la discussion de ce soir. C’est de savoir quelles sont les valeurs principales, premières, au nom desquelles on peut essayer de rassembler les différentes luttes qui se mènent partout dans le monde.

Un participant :

Une remarque au sujet de la lutte. Revenons à Mauss, censé nous inspirer. Mauss préconise la non-violence. La lutte doit être non-violente.

Alain Caillé :

Sylvain disait que Mauss était pacifiste. Il n’a pas dit que Mauss était non-violent. C’est tout à fait différent. Mauss encourage toutes les tentatives de sauver la paix. Mais si la guerre est inévitable, il faut faire la guerre, et la gagner.

Un participant :

Je voudrais aborder la question religieuse. Pour moi, le religieux a trait essentiellement à l’expérience de la finitude, de la limite. Il faut faire en sorte que cette limite n’accable pas, qu’elle ne ferme pas l’avenir ni l’action. La limite doit ouvrir en direction de l’imaginaire, d’une virtualité qui abrite des projets qui puissent coexister. Je pense que les monothéismes ont voulu proposer un seul horizon qui soit commun pour toute l’humanité. Un seul discours pour toute l’humanité, cela ne relève pas de la sagesse. Je pense qu’il faut plutôt un espace à l’intérieur duquel plusieurs discours peuvent coexister en face de la même expérience de la finitude. Or, actuellement, l’expérience de la finitude globale, qui se retrouve pratiquement chez tous les peuples, c’est le problème de l’environnement, c’est la menace qui pèse désormais sur la survie de l’humanité. Je pense que s’il y devait y avoir une nouvelle transcendance, un nouvel horizon de transcendance qui peut réconcilier les peuples autour de la nécessité d’une sagesse, c’est dans l’environnement qu’on peut la trouver.

Un participant :

Je voudrais dire quelques mots sur la lutte contre les inégalités et notre rapport aux inégalités. Le libéralisme cherche à nous convaincre qu’il existe des inégalités légitimes. Et il y est parvenu. J’en veux pour preuve un entrefilet lu dans le journal Le Monde où on se félicitait que dans une entreprise, le taux d’augmentation des cadres serait désormais identique à celui des ouvriers. D’abord, cela signifie qu’il était auparavant supérieur. Ensuite, cette pseudo égalité dans l’accroissement se traduit bien sûr par un accroissement des inégalités des niveaux de revenu dont tout le monde semble très bien s’accommoder… Plus généralement, on peut penser que structurellement, notre système crée de l’inégalité. C’est aussi sur ce point qu’il faudrait se pencher.

Wendy James :

Nous voyons tous combien les institutions démocratiques sont corrompues. Nous pouvons toujours nous prononcer au nom de l’idéal démocratique (…) Mais nous pouvons nous demander ce que nous pouvons faire pour la démocratie, ce que les sciences sociales peuvent faire pour la démocratie. Nous pourrions d’abord commencer par mettre en lumière cette corruption de la démocratie.

Keith Hart :

Nous nous demandons quelles sont les relations entre la politique et la vie intellectuelle, interpellés par les positions de Mauss.

(…)

Elena Pulcini :

(…) Juste une petite réaction à chaud. J’ai tendance à voir les choses sous le prisme de la politique italienne… de la catastrophe italienne. De ce point de vue, je pense qu’un des problèmes de la gauche, si on peut continuer à l’appeler comme ça, c’est l’incapacité de reconnaître quelles sont les priorités, à partir de certaines valeurs fondamentales que tu as rappelées, comme la liberté, la solidarité, la lutte contre la souffrance des êtres humains etc. Mais avant, je voudrais dire que ta conclusion me pose un peu problème : elle me paraît – je vais dire les choses brutalement – un peu trop marxiste. Je m’explique. Certes, les inégalités sont fortes, on observe des luttes pour la reconnaissance, parfois violentes, et qui ne sont pas toutes légitimes d’ailleurs – car la différence en elle-même n’est pas une valeur. Mais la nouveauté, qui sort du cadre marxiste, c’est la menace de la destruction de la planète. C’est même, je crois, le point cardinal, qui conduit à tous les autres problèmes comme celui des inégalités par exemple. Par ailleurs, je ne crois pas qu’on puisse se prévaloir de valeurs universelles. Les valeurs naissent des passions, de l’engagement, de la mobilisation. Ce qu’il faut, c’est nous demander ce qui peut mobiliser les gens, au-delà des différences, des inégalités etc. L’institution d’un revenu minimum pourrait être un acte radical, et même révolutionnaire. Mais je crois que qu’il faut faire – excusez-moi, c’est une vieille expression–, c’est une révolution culturelle, qui nous invite à modifier nos styles de vie, nos choix quotidiens, ce qui me semble bien plus radical. En tous cas, les deux choses sont complémentaires.

Sylvain Dzimira :

Oui, mais au nom de quoi le faire, ce changement radical de mode de vie, sinon au nom de valeurs ? Il faut bien commencer par-là !

(…)

Un participant :

Je suis très en sympathie avec ton projet. En même temps, je pense qu’il témoigne d’une certaine naïveté. Je soutiendrai le projet intellectuel, mais je pense que le projet politique doit être réfléchi. Je suis très favorable à un travail collaboratif au terme duquel émergerait un projet politique, plutôt que de proposer une sorte de rêve.

(…)

Alain Caillé :

Je suis très content de cette discussion. Je retiens trois points pour finir. Le premier, c’est un constat très tragique que nous faisons les uns et les autres sur l’état de la démocratie. C’est ce qu’exprimait Wendy James. Là-dessus, deux choses, même si ce n’est pas le lieu d’en discuter. Je développe depuis un certain nombre d’années des thèses sur l’état de la démocratie qui sont très critiques. A ce propos, j’ai découvert récemment un auteur américain que j’ignorais totalement et qui développe les mêmes idées, qui s’appelle Sheldon Wolin. Lui parle de « totalitarisme inversé » - Inverted totalitarialism. Moi je parle de parcellitarisme. L’idée est exactement la même. Je pense effectivement que pour l’essentiel nous ne sommes plus dans des démocraties, mais dans des formes très paradoxales de rapport social, qui reprennent certains traits du totalitarisme en l’inversant radicalement. Il y a là une vaste discussion. Mais le point fondamental, qui rejoint quand même la question sur le statut des valeurs au cœur de la démocratie, et qu’il faut bien affronter, c’est qu’on ne peut pas espérer faire vivre des démocraties ou les faire revivre si on ne développe pas des valeurs démocratiques, et si on ne produit pas des individus qui développent des valeurs démocratiques : il n’y aura pas de démocraties sans démocrates. Or nos sociétés fonctionnent de plus en plus comme des démocraties sans démocrates, avec uniquement des procédures. Donc la question des valeurs est absolument centrale. Soit nous pouvons produire des héros, comme dit Karen, qui sont capables de se dévouer à des valeurs démocratiques, soit il n’y aura rien du tout. C’est le premier point.

Le deuxième touche aux discussions sur la proposition d’une traduction concrète possible du débat sur les valeurs, par l’idée de revenu minimum et de revenu maximum. Comme le dit très justement Elenna Pulcini, tel quel, si on le résume à ça, ce n’est pas suffisant. On ne voit pas les passions qui peuvent animer ce projet là. Il faut qu’il y ait des passions qui permettent de mobiliser des gens. Or le projet d’un revenu minimum et d’un revenu maximum n’est pas un projet qui vaut par lui-même. Tout cela n’est que la traduction concrète en termes de mot d’ordre de certains points plus fondamentaux. Et là je crois que Jacques Pierre l’a très bien dit au début. On se mobilise toujours politiquement contre quelque chose, contre un danger. C’est là les passions dont tu parles. Or la source première de mobilisation ; on devine bien maintenant d’où elle peut venir. Ce n’est pas la mobilisation contre un ennemi identifiable : l’ancienne Russie, ou les Américains, ou les Allemands, ou que sais-je ? Non, c’est la mobilisation contre le risque de mort de la planète, contre la peur de la catastrophe. Et c’est uniquement si cette peur de la catastrophe devient suffisamment puissante – et là je rejoins très largement mon ami Serge Latouche – que l’idée d’un revenu minimum et d’un revenu maximum commencera véritablement à prendre toute sa dimension.

Et puis, troisième point : dans cette histoire-là, que peuvent faire les sciences sociales, les intellectuels que nous sommes ? C’est la question de Keith, de Wendy, de Richard. Deux remarques. La première sur ce que disait Keith. Je suis à la fois d’accord et pas totalement d’accord. C’est évident que le rôle de politique – en tant qu’homme politique – de Max Weber, de Mauss, de Marx, de Locke etc. n’a pas été un grand triomphe. Ce n’est pas par cela qu’ils sont restés dans l’histoire – pour Marx c’est un peu plus compliqué, mais bon… Mais ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas été de bons politiciens, de bons hommes politiques, qu’il faut en déduire que leur œuvre n’a pas été une œuvre politique. Moi, je pense au contraire que c’est parce que toutes ces œuvres – aussi bien celles de Marx, que celle de Weber, de Locke bien évidemment, ou de Mauss – avaient des implications politiques extraordinairement prégnantes qu’elles sont restées importantes d’un point de vue cognitif, d’un point de vue scientifique. C’est là un des paradoxes épistémologiques qu’il faut bien comprendre, c’est que les sciences sociales sont pertinentes scientifiquement, apportent de la connaissance, quand elles sont puissantes du point de vue axiologique, du point de vue normatif. Et au contraire, les sciences sociales actuelles, qui commencent enfin à réaliser leur objectif d’asepsie axiologique, de neutralité axiologique, se vident de leur puissance cognitive. Je pense donc qu’il faut que les sciences sociales assument leur dimension axiologique, leur rapport aux valeurs – ce qui ne veut pas dire qu’il faut passer son temps à faire de l’idéologie, ce n’est pas ça du tout – mais il faut penser ce lien fondamental étroit entre la connaissance et les valeurs. Mais concrètement, qu’est-ce qu’on fait ? Concernant la proposition de Richard Lane, je pense que si on se limitait à créer un réseau de discussion sur le revenu minimum/revenu maximum, cela ne marcherait pas. Parce qu’il y a déjà beaucoup d’expertise, généralement de la part des économistes, de quelques sociologues spécialisés, qui rassemblent un peu d’informations comparatives. Il existe des revues spécialisées à ce sujet, sur les politiques de revenu minimum. Ce n’est généralement pas très intéressant. Personne ne les lit, mais enfin, cela existe. Le travail que nous pouvons faire, ce n’est sans doute pas de nous substituer aux experts de ces politiques sociales. Mais en revanche, pour aller dans ton sens, ce qui pourrait être intéressant, ce serait de créer sur internet, comme tu le suggères, un lieu de discussion qui nous permette de reprendre le débat que nous avons là ; c’est à dire qui permette de reprendre la discussion sur le rôle éthique et politique de la science sociale. Comment cela peut s’organiser, je n’en sais rien. Mais je pense que ce serait un point de départ véritablement tentant : créer un lieu où l’on pourrait échanger des débats à la fois épistémologiques, et normatifs, politiques. Comme nous le faisons ici. Merci à tous.

NOTES