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Paul Lafargue

La Religion du Capital (1887) - Extraits

Texte publié le 20 avril 2009

En ces temps de crise et, à certains égards, de déjà vu, nous publions ici un extrait du pamphlet du socialiste Paul Lafargue, publié en 1887. Il s’agit probablement d’un des premiers textes faisant équivaloir, sur une base substantive, religion et capitalisme, un thème depuis repris de manière récurrente à la gauche du spectre politique et encore récemment par nos amis Serge Latouche et François Fourquet, ainsi que par Dany-Robert Dufour dans son livre récent Le divin marché. La révolution culturelle libérale, Paris, Denoël, 2007. Aux croisements des réflexions sur le statut du religieux en modernité et sur la nature de la crise actuelle.

Le texte entier peut être consulté gratuitement sur le site des Classiques des sciences sociales en cliquant ici.

I

Le congrès de Londres


Les progrès du socialisme inquiètent les classes possédantes d’Europe et d’Amérique. Il y a quelques mois, des hommes venus de tous les pays civilisés se réunissaient à Londres, afin de rechercher ensemble les moyens les plus efficaces d’arrêter le dangereux envahissement des idées socialistes. On re-marquait parmi les représentants de la bourgeoisie capitaliste de l’Angleterre, lord Salisbury, Chamberlain, Samuel Morley, lord Randolph Churchill, Herbert Spencer, le cardinal Manning. Le prince de Bismarck, retenu par une crise alcoolique, avait envoyé son conseiller intime, le juif Bleichrœder. Les grands industriels et les financiers des deux mondes, Vanderbilt, Rothschild, Gould, Soubeyran, Krupp, Dollfus, Dietz-Monin, Schneider assistaient en personne, ou s’étaient fait remplacer par des hommes de confiance.

Jamais on n’avait vu des personnes d’opinions et de nationalités si diffé-rentes s’entendre si fraternellement. Paul Bert s’asseyait à côté de Mgr Freppel, Gladstone serrait la main à Parnell, Clémenceau causait avec Ferry, et de Moltke discutait amicalement les chances d’une guerre de revanche avec Déroulède et Ranc.

La cause qui les réunissait imposait silence à leurs rancunes personnelles, à leurs divisions politiques et à leurs jalousies patriotiques.

Le légat du Pape prit la parole le premier.

Les savants et les philosophes de l’assemblée, Paul Bert, Haeckel, Herbert Spencer se levèrent tour à tour et proposèrent de dompter le socialisme par la science.

Mgr Freppel haussa les épaules :

- Messieurs, nous ne sommes pas ici pour discuter les articles de la foi catholique, s’interposa doucement le cardinal Manning, mais pour nous occuper du péril social. Vous pouvez, rééditant Voltaire, railler la religion, mais vous n’empêcherez pas qu’elle soit le meilleur frein moral aux convoitises et aux passions des basses classes.

Bleichrœder, Rothschild, Vanderbilt, tous les chrétiens et tous les juifs de l’Internationale jaune, battaient les mains et vociféraient :

Quand l’enthousiasme judaïque se fut un peu calmé, Giffen continua :

Agités par l’esprit de vérité ils trépignaient et hurlaient :

NOTES

[1Nous regrettons vivement que le manque d’espace nous oblige à résumer les remarquables discours prononcés dans ce congrès qui réunissait les sommités de la science, de la religion, de la philosophie, de la finance, du commerce et de l’industrie. Nous renvoyons le lecteur à l’article où M. Spencer préconise la prison cellulaire et le fouet comme méthode de gouvernement des basses classes ; il parut dans la Contemporary Review du mois d’avril et portait le titre de « The Coming slavery » (l’esclavage qui vient). Le communisme est l’esclavage que nous prédit le célèbre philosophe bourgeois.