Pour nous, Occidentaux, la mondialisation évoque d’abord des faits économiques qui témoignent de l’importance des relations des personnes aux choses, aux dépens des relations entre les personnes. Or, cette même réalité peut recevoir d’autres significations, comme chez les Orokaivas de Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui voient d’abord dans l’abondance des biens des Blancs une relation continue avec l’invisible - Dieu, les dieux, les ancêtres, bref la source de toute fécondité - qu’eux-mêmes ont perdue en abandonnant leurs rituels traditionnels. De ce point de vue la mondialisation renvoie d’abord à des relations entre visibles et invisibles, et entre personnes, auxquelles sont subordonnées les relations aux choses. Beau renversement de perspective, qui interroge peut-être en retour, se demande André Itéanu, notre propre manière de concevoir la mondialisation. N’y a-t-il pas dans la primauté de l’économie qu’elle est censée consacrer autre chose que de l’économique, comme de la morale - des croyances, et notamment celle en la primauté de l’économique ! - ou même du religieux ? SD
La mondialisation – au sens large d’extension d’un modèle occidental dominé par l’économisme à l’ensemble de la planète – a deux caractéristiques qui la font paraître indubitable : son évidence, en ce qu’on la retrouve dans un nombre considérable de faits convergents, et sa généralité, en ce qu’elle se produit partout à la fois dans le monde. Son caractère téléologique constitue son troisième trait distinctif. Contrairement aux deux autres, celui-ci n’a pas pour effet d’attester sa réalité. Il souligne l’importance exorbitante de la mondialisation qui engage non seulement le monde d’aujourd’hui, mais aussi celui de demain. Car les tenants de la mondialisation considèrent toujours, explicitement ou non, que ses manifestations actuelles ne sont que les éléments avant-coureurs d’un régime globalisé, à venir, plus parfait.
Ma propre expérience m’a cependant enseigné à être prudent en matière de téléologies. Dans les années 70, comme d’autres, j’ai connu l’apothéose du marxisme dont les principales caractéristiques ressemblaient à celles de la mondialisation : évidence, en ce que nous pensions – tant ceux qui soutenaient le marxisme que ceux qui s’y opposaient – que l’histoire était indubitablement engagée dans la direction que Marx avait tracée et généralité, en ce qu’on lisait, alors, sur les cinq continents les signes d’un mouvement historique universel incontournable pointant vers le socialisme. Avant tout, comme on le sait, il s’agissait d’une téléologie, d’un état à venir. L’histoire a pourtant balayé le marxisme, tant dans la théorie que dans les faits, comme un amas de poussière et m’a appris que le futur, comme le présent, ne saurait être interprété à partir d’un « agenda critique spontané » bâti sur des évidences.
Ce constat n’implique cependant pas que les certitudes en cause n’ont aucun impact sur les sociétés et les représentations qui les définissent. Le marxisme a bel et bien disparu comme projet historique, mais ses idées ont essaimé dans l’ensemble de l’idéologie. Entre autres, les discours faisant état de la mondialisation reprennent plusieurs de ses aspects fondamentaux y compris son économisme. Ils partagent donc aussi avec lui certaines de ses faiblesses, dont la difficulté d’intégrer véritablement le social dans l’analyse. Dans les deux cas, cette impuissance découle de la priorité donnée à l’économie qui, dans ses courants dominants, s’appuie sur des notions idéales éloignées des réalités sociales comme le marché transparent, la concurrence ou l’équilibre maintenu par une main invisible. En conséquence, elle modélise toujours les faits sociaux au prix de considérables simplifications. Comme l’écrit Mark Granovetter, tel que le rapporte André Orléan « l’atomisation sociale est perçue comme une condition nécessaire de la concurrence parfaite » (Orléan 2003:181).
Parce qu’elle fait fi des relations et des différences sociales, l’économie crée, avant tout, l’image trompeuse d’une continuité en nature entre toutes les sociétés. Cette continuité n’admet pour toutes distinctions que celles qui s’expriment en termes de quantité. Un exemple représentatif de ce biais et, pour un anthropologue, parfaitement absurde est d’évaluer et d’ordonner les sociétés en termes de leur revenu per capita.
Les théories de la mondialisation, lorsqu’elles formulent des règles universelles, sont les héritières de cette forme de généralisation qui les éloigne des réalités sociales. Parce qu’elles insistent sur la similarité, les notions qu’elles utilisent semblent approximatives au regard de l’anthropologie. Elles sont souvent traitées comme des concepts universels, car ni leur niveau de validité, ni leur contexte ne sont spécifiés. Il est pourtant facile de voir que leur statut de vérité générale est usurpé. Par exemple, bien des théoriciens de la mondialisation affirment que les États s’affaiblissent, voire disparaissent, sous la pression de la mondialisation. Or, si cette allégation paraît justifiée dans certains contextes, entre autres économiques, elle est absurde quand on examine, par exemple, la politique européenne. Pour prendre en compte les faits, les théories de la mondialisation sont alors obligées de faire marche arrière et aujourd’hui, des auteurs affirment, à l’inverse, que lorsque la mondialisation affaiblit les États au niveau global, elle les renforce au niveau de la politique (Wang 2002). C’est pourquoi, disent ces théoriciens, l’expansion de l’idée de globalisation économique va de pair avec la naissance de toute une série de revendications particularistes, contradictoires et symétriques. Cette analyse rend effectivement mieux compte des données de fait, mais, en même temps, elle affaiblit les prétentions généralisantes des tenants de la mondialisation en reconnaissant qu’il faut la cantonner au domaine de l’économie.
Les « mondialisants » ne prétendent pas, bien entendu, qu’il n’existe pas de différences autres qu’économiques, mais ils considèrent celles-ci comme peu significatives par rapport à l’aspect objectivement crucial des faits économiques globaux. Ils mettent ainsi l’accent sur ce qu’ils considèrent comme l’universel de la condition humaine au détriment des distinctions qu’ils renvoient au domaine esthétique. Cette idéologie de la continuité en nature entre diverses sociétés, axée sur l’économie, devient aujourd’hui si dominante que l’anthropologie a de plus en plus de mal à formuler et à faire partager aux autres sciences de l’homme les différences proprement « sociales » qu’elle a pour vocation de mettre en évidence.
L’anthropologie doit donc éviter d’utiliser des évaluations économiques ou économisantes globales dont elle n’a aucun moyen de vérifier la pertinence sociale et s’en tenir à sa propre manière de fonder la généralisation. Celle-ci consiste à mettre en œuvre la comparaison de faits monographiques particuliers, en s’appuyant sur leurs différences. La perspective relativise ainsi les données analysées en montrant qu’elles ne représentent à chaque fois qu’une lecture particulière – une idéologie – d’une réalité que l’analyse ne peut qu’indirectement atteindre. Loin des données économiques globales, la mondialisation apparaît alors, non comme un ensemble de faits « matériels » déterminés, mais comme une idéologie partagée dans le monde, par un nombre important de personnes issues de sociétés caractérisées par des systèmes sociaux fort différents les uns des autres.
Je défendrai donc ici un point de vue qui relativise la mondialisation. De ce fait, je ne tenterai pas de répondre à la question de savoir si le monde d’aujourd’hui est ou n’est pas mondialisé et s’il va le devenir encore plus dans le futur – question légitime d’ailleurs – mais j’essayerai de mettre en regard deux variantes idéologiques de la mondialisation pour conclure en émettant une hypothèse sur les relations qui les lient entre elles.
L’argument n’est pas ici proprement scientifique, car il fait appel, par moments, à des données intuitives. De même, le raisonnement peut parfois paraître simpliste et on aura, de manière répétée, l’impression d’enfoncer des portes ouvertes. Mais, je crois que tout cela n’est pas inutile, car il s’agit de proposer, à l’intérieur d’un débat complexe et pourtant très univoque, une voie qui à la longue peut s’avérer alternative. Il s’agit en somme de présenter une hypothèse de travail que l’on s’attachera à vérifier et à développer par la suite.
Comme on l’a dit précédemment, la notion de mondialisation ne peut pas être réduite à la considération de sa « réalité objective ». Qu’elle soit « réelle » ou non, d’innombrables personnes dans le monde pensent, au moins en partie, en termes de mondialisation et cette idéologie va bien au-delà des universitaires et des anthropologues.
Dans certaines sociétés, presque tout le monde, y compris ceux qui n’ont rien à voir avec les sciences sociales, pense que l’économie de marché a envahi la planète entière. Cette conviction s’exprime alors sous une multitudes de formes allant de la théorie scientifique à des affirmations aussi triviales qu’« il y a désormais du coca-cola partout » ou que « tous les citoyens du globe regardent la télévision les soirs de coupe de monde de football ». Dans ces sociétés, il existe donc, semble-t-il, une croyance bien enracinée en ce que l’on peut appeler, au sens large, une américanisation de l’ensemble de la planète. Dans d’autres sociétés, plus nombreuses sans doute, presque tous pensent que le développement viendra un jour et qu’alors, leur ville ou leur village changera du tout au tout.
Dans notre perspective, le terme de mondialisation s’applique également à chacun de ces discours. Tous deux parlent d’un même objet, « le développement », mais dans un registre différent : le premier, sur le plan du capitalisme international, le second, sur celui du village ou de la petite ville périphérique. Pour le premier, la mondialisation est déjà advenue en partie, alors que pour le second, elle reste à venir. En général, on suppose une continuité entre ces points de vue dont l’ambition explicative est différente. J’essayerai cependant de démontrer que leur opposition ne recouvre pas seulement une divergence empirique relative au degré d’avancement de la mondialisation, mais un véritable hiatus entre des systèmes sociaux et idéologiques aux structures contrastées.
On trouve, bien entendu, de par le monde, de nombreuses variantes de l’idée de mondialisation. Aussi, les deux configurations retenues ici ne prétendent pas rendre compte de l’ensemble de la question. Néanmoins, elles ne sont pas négligeables car on les retrouve, sous des formes variées, dans un grand nombre de sociétés où elles s’appliquent également à certaines des idéologies qui s’opposent à la mondialisation. En tout état de cause l’ambition est surtout ici de démontrer que, pour l’anthropologie, l’idée monolithique de la mondialisation est dénuée de sens.
Des deux variantes retenues, je m’intéresserai d’abord à la seconde grâce à l’exemple d’une société dont les membres s’attendent à ce que leur vie soit bientôt profondément modifiée par des forces externes.
Je travaille chez les Orokaivas de Papouasie-Nouvelle-Guinée depuis plus de 25 ans, au cours desquels cette thématique s’est dévoilée, par moments. Mais je n’ai pu évaluer son ampleur qu’en 2000, alors que je me trouvais là pour filmer un documentaire (Iteanu et Kapon 2002). Ce film ambitionnait de rendre compte de la place qu’occupaient dans la vie des Orokaivas les nombreuses églises charismatiques récemment installées dans la région. Il devait faire le point sur les rapports qu’entretenaient ces Églises tant avec le culte rituel « traditionnel », qu’avec l’Église anglicane, dominante dans la région, depuis les années 30. Son tournage m’a fourni l’occasion de mener une véritable recherche. En arrivant, je ne savais que relativement peu de chose sur ces Églises et ce que j’ai appris a été en grande partie une surprise. Le film lui-même a pris une tournure inattendue et son sujet a dévié de la visée originale. Je vais résumer succinctement ce qui a alors émergé.
Tous les Orokaivas, appartenant ou non à l’une de ces Églises charismatiques, s’accordent pour dire que leur société affronte une crise. Depuis une trentaine d’années, la vie devient de plus en plus difficile. Les biens traditionnels (nourriture, matériaux de construction, parures) sont de plus en plus rares et les relations qui unissent les personnes (parents, amis, voisins), de moins en moins respectées. Les jeunes n’obéissent plus à leurs parents et deviennent des bandits de grand chemin, rascal .Toutes ces dégradations ne sont pas, dit-on, compensées par un surcroît de revenus monétaires. L’argent reste très rare et insuffisant à couvrir même les nouveaux besoins de base tels que les vêtements, le savon et le pétrole d’éclairage. Bref, tout va mal.
Est-il encore besoin de nos jours de souligner que les Orokaivas, comme les autres peuples de Papouasie-Nouvelle-Guinée ou d’ailleurs, ne sont ni des primitifs, ni des naïfs. Ils discutent sans relâche chaque dimension de cette crise et tentent de lui trouver une interprétation. Chaque analyse, construite, entendue ou encore lue dans les journaux, est sans cesse remise en cause. Car, les Orokaivas savent que rien n’est sûr et qu’il convient de confronter constamment faits et interprétations pour atteindre une quelconque certitude.
Si l’on s’en tient aux faits, il est possible d’expliquer cette situation dans les termes d’un discours qui considère que la mondialisation est déjà advenue. On dira alors que les Orokaivas sont victimes de la dégradation écologique de leur environnement, consécutive à l’utilisation sporadique de moyens mécaniques, qui réduit la production horticole et le vivier de gibier, de l’esprit mercantile qui peu à peu envahit la région et perturbe les relations de parenté et de voisinage, de l’interdiction des rituels d’initiation par les autorités coloniales, qui engendre des difficultés à éduquer et à contrôler les jeunes et enfin, du désir de plus en plus intense, bien qu’insatisfait, de biens nouveaux que chacun éprouve. Sous cet angle, les doléances des Orokaivas correspondent à des faits que nous appellerions de mondialisation. Mais l’interprétation trahit alors leur discours et nie sa spécificité pour le traduire dans des formules, non pas objectives, mais importées d’un autre univers d’idées où l’économie est dominante.
Par contre, si l’on adopte le point de vue des Orokaivas, voici comment on peut interpréter ces faits. Tous s’accordent à dire que cette crise est liée à la disparition des fantômes des morts (ahihi) qui traditionnellement peuplaient la forêt avoisinante. Lorsqu’ils étaient encore là, ces ancêtres aidaient les vivants à trouver un confort matériel et surtout à organiser des rituels somptueux de dons qui assuraient à leurs descendants une vie cohérente, basée sur des relations solides.
Avant, nous priions les esprits de nos ancêtres et, sans le savoir, à travers eux, nous étions en contact avec Dieu. La procédure [le rituel] était claire et à la portée de tous. Par exemple, lorsque l’on avait besoin de cochons ou de taros, on allait dans la forêt et on disait : « Lucien, tu es mort, envoie-moi un cochon ! ». Alors tout de suite, un cochon apparaissait et on le tuait à la lance. C’était la même chose pour les taros. Avant de les planter, on demandait l’aide de l’ancêtre et on obtenait de magnifiques taros.
En ce temps-là, on priait les yeux ouverts. Maintenant, on ferme les yeux pour voir Dieu, mais en vain et, contrairement aux ancêtres, sa réponse met beaucoup, beaucoup de temps à nous parvenir. Alors, les gens disent : « Bien que j’aie beaucoup prié, je n’ai pas rencontré Dieu. C’est donc que le pasteur nous a menti. Je vais changer d’Église. Les Anglicans nous enseignent la prière, mais même en la pratiquant assidûment, on ne rencontre jamais Dieu et on ne reçoit jamais rien. [Lucien Vevehupa, Jajau, 2000]
Comme Lucien nous le laisse entendre, la disparition des ancêtres n’a pas été fortuite, mais consécutive à l’arrivée des Blancs. Un homme m’a expliqué ce lien d’une manière simplifiée et qui va droit au but.
Avant, les Morts n’allaient pas au Paradis. Ils étaient mis dans une tombe où ils changeaient de peau comme les serpents. Quand les Blancs sont venus, ils ont obligé tout le monde à travailler très dur pour eux. Ils nous ont donné des couteaux et des haches, mais c’était pour nous faire trimer. En maniant ces instruments dont on n’avait pas l’habitude, on attrapait de sévères courbatures. Alors quand les ancêtres ont vu ce qui nous arrivait, ils ont pensé que les Blancs allaient bientôt les obliger à travailler eux aussi. Cette idée les a mis sur leur garde. Puis, quand l’Église nous a interdit de pratiquer nombre de nos traditions [le rituel d’initiation dédié aux ancêtres], ils se sont dit que cela ne valait plus le coup de rester et ils se sont sauvés. Maintenant, ils ne se manifestent plus jamais. [David Turenga, Jajau, 2000]
Confrontés à la dégradation de leur condition de vie, consécutive à la disparition des ancêtres, les Orokaivas tentent massivement, mais vainement, de trouver auprès des Églises chrétiennes le moyen de renverser la situation.
Nous autres Papous, nous continuons à glorifier Dieu à la manière des Blancs, car nous n’avons pas encore découvert quelle était notre véritable Église. Comme la Bible et les cantiques ont été écrits dans la langue des Blancs et que nous prions selon leur coutume, nous n’accédons pas vraiment à Dieu. C’est pourquoi le dogme et la vénération de Dieu restent pour nous une culture étrangère. Par contre, si nos propres coutumes étaient intégrées dans l’Église, je crois que les gens pourraient entrer en contact avec Dieu. [Lucien Vevehupa, Jajau, 2000]
Sous l’influence des prêtres orokaivas, l’Église anglicane a intégré à ses pratiques des éléments issus des traditions locales (chants en langue orokaiva, musique de tambours etc.), depuis une trentaine d’années, mais sans rencontrer le succès escompté. Aussi, déçus par la difficulté qu’il y avait à communiquer avec le Dieu des Blancs, les Orokaivas, se sont simultanément efforcés de renouer avec leurs ancêtres, avec lesquels les relations étaient tout de même plus faciles pour eux, du moins si l’on en croit les anciens. Pour cela, la question qu’ils ont dû préalablement résoudre était de savoir où ces ancêtres étaient passés. Les missionnaires disaient unanimement que les morts qui ont mené une bonne vie vont au paradis. Il était donc plausible qu’ayant déserté la forêt, les morts aient émigré là-bas. Mais où est le paradis et comment pourrait-on les y contacter ? « Les Morts, où habitent-ils ? Je ne sais pas. Est-ce qu’ils vivent dans les arbres creux ou bien dans l’eau ? Je ne sais pas. On dit qu’ils sont au paradis, mais où est le paradis, je n’en sais rien » (David Turenga, Jajau, 2000).
Pendant plusieurs dizaines d’années, les prêtres blancs ont décrit le paradis aux Orokaivas comme un lieu d’abondance, de santé et de paix. Là-bas, on n’était jamais malade, il n’y avait aucun conflit et les biens étaient gratuits et illimités. Lorsque les Orokaivas mettaient cette description au regard de ce qu’ils voyaient ou de ce que les Blancs leur disaient à propos de leur propre vie, la différence leur semblait insignifiante. Les Blancs avaient des biens en nombre considérable et leur renouvellement semblait infini. Lorsqu’ils étaient malades, ils prenaient des médicaments ou allaient à l’hôpital et évitaient ainsi la douleur. Parfois, ces médicaments réussissaient même à ressusciter les morts, puisque pour les Orokaivas, une personne est décédée dès qu’elle arrête de bouger, ne serait-ce que pour s’évanouir ou sombrer dans le coma. Enfin, les colons blancs avec leur police insistaient lourdement sur l’obligation de respecter la paix et ils réussirent même à la maintenir pendant plusieurs dizaines d’années, à la grande surprise des Orokaivas.
Parallèlement, les batailles entre Japonais et Américains qui eurent lieu dans la province Oro en 1942 infirmèrent et confirmèrent à la fois les théories concernant la localisation du paradis, construites à partir du discours des prêtres . D’une part, ces violences d’une ampleur inouïe démontrèrent aux Orokaivas que les Blancs ne suivaient pas toujours eux-mêmes les préceptes pacifiques enseignés par leurs ministres. Cet aspect imparfait les rendait, en quelque sorte, plus « humains » et les éloignait ainsi de l’Eden. Mais il jetait du même coup un doute sur l’ensemble des doctrines ecclésiastiques. D’autre part, lors de ce même conflit, les Orokaivas virent, stupéfaits, que parmi les soldats américains, il y avait des Blancs qui étaient noirs. Que les Papous très généralement pensent qu’en mourant on devient blanc est une chose très connue et attestée par de nombreuses ethnographies, qui considèrent le plus souvent que ces croyances précédaient la colonisation. Mais que certains de ces morts restent noirs était un fait inouï qui soulevait pour les Orokaivas de nouvelles questions existentielles et semblait confirmer que les ancêtres, restés noirs ou devenus blancs, se trouvaient là où les prêtres semblaient le suggérer, c’est-à-dire dans l’un ou l’autre des pays (villages) habités par les Blancs.
On peut poser ici un instant pour rappeler une caractéristique bien connue des sociétés de Mélanésie et qui apparaît très distinctement chez les Orokaivas. L’action, c’est-à-dire les pratiques ou les faits rituels, a un poids supérieur à toute doctrine. Cette caractéristique donne un aspect « phénoménologique » à ces sociétés (Iteanu 1983). Chaque affirmation, chaque théorie, chaque idée exprimée est, dans ses plus menus détails, confrontée aux faits et toute réalité lui est déniée, si elle ne paraît pas en rendre compte. Mais les faits eux-mêmes ne sont pas tous égaux. Parmi eux, ceux qui résultent en des prestations (dans les rituels traditionnellement, nourriture et objets de valeur et aujourd’hui, numéraire) ont un statut supérieur, auquel même les autres faits doivent se conformer. D’où dans le cas présent, tant les discours des prêtres blancs que les déductions des Orokaivas sur le destin des morts sont systématiquement confrontés à des faits observables, comme l’évidente opulence des Blancs et leur insolente oisiveté (ils sont assis sur des chaises toute la journée) ou encore les détails des combats qui ont eu lieu en 1942. À leur tour, ces faits sont confrontés à ceux qui leur sont hiérarchiquement supérieurs et qui concernent des actions où l’on donne et reçoit quelque chose, comme dans le rapport souhaité avec les ancêtres émigrés dans le pays des Blancs, ou comme les dons de matériel faits par les armées japonaises et américaines, au moment de quitter la province Oro.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le questionnement sur la disparition des morts n’a cessé de s’intensifier. Cette problématique a constitué l’une des bases les plus sérieuses du succès fulgurant des Églises charismatiques qui se sont installées dans la région à partir des années 70 et ont ravi un nombre important d’âmes à l’Église anglicane. Ces Églises, en majorité implantées par des Blancs, ont rapidement été reprises à leur compte par des Orokaivas. Dès 1990, il n’y a guère plus de pasteurs blancs et des Orokaivas continuent d’importer des obédiences nouvelles auxquelles ils ont pu adhérer lors de voyages à la capitale, Port Moresby, ou dans d’autres parties du pays. Voici par exemple ce que l’on dit dans l’une de ces Églises à l’orée de l’an 2000.
Quand le jour viendra, ceux qui auront rejoint les Apostoliques seront mis en sécurité et recevront des approvisionnements. On les rassemblera et on les emmènera au Canada... Là-bas, on ne mourra pas et on ne souffrira pas. Toutes les choses, la nourriture et les vêtements, seront gratuites et abondantes.
Si tu rejoins les Apostoliques, les autres travailleront pour toi et tu resteras assis toute la journée. Tu auras de l’argent et des vêtements sans travailler. Par contre, si tu retournes chez les Anglicans, tu trimeras et tu souffriras de courbatures. C’est pour ça qu’il faut rester chez les Apostoliques. C’est ce qu’ils disent. Mais, est-ce vrai ? Je n’en sais rien. [Nelly Masa, Jajau, 2000]
Comme toujours, même dans ce contexte de dévotion, les Orokaivas n’ont rien de naïf, car la théorie demande à être confirmée par les faits et en attendant, chacun reste sceptique. Pourtant, si l’on suit les prêtres qui, toutes Églises confondues, affirment unanimement que les ancêtres habitent des lieux où tout est gratuit, c’est là qu’il faut tenter de les joindre. Comme auparavant, quand ils peuplaient la forêt, à l’appel de leurs descendants, ils seront prompts à envoyer des biens qui chez eux se trouvent en quantité illimitée.
Plusieurs stratégies ont ainsi été mises en place pour rétablir la communication interrompue entre vivants et morts. Parmi ces stratégies, il faut compter l’invention et la création de cultes de possession (Williams 1928), l’adhésion à l’une ou l’autre des Églises charismatiques, qui, selon les informateurs orokaivas, promettent toutes l’union des vivants et des morts, et le fait de confier à l’ethnologue des lettres adressées aux parents défunts pour qu’il les leur transmette une fois revenu dans son pays. Ces lettres sont toutes plus ou moins rédigées sur le même modèle. Elles sont écrites soit en Orokaiva, soit en Anglais. Voici le texte de l’une d’elles, représentative de l’ensemble.
12/X/2000
De M...Ti......
Isiveni O.P.I.C.
P.O. Box ....
Popondetta, Oro Province
Cher Ja....Bonjour et Bonjour, comment es-tu en ce moment précis ? J’espère que tu es bien. Moi-même, je suis bien à 100 %. Je n’ai pas grand-chose à te dire, mais simplement à te donner de mes nouvelles. Papa, je suis M.... Ti..... et je t’écris cette lettre, car j’ai des problèmes pour payer mon inscription à l’école. C’est pourquoi je te demande de lire cette lettre, pour que tu puisses voir de quoi il s’agit.
Papa, je ne peux pas payer mon inscription scolaire, alors pourrais-tu gentiment m’envoyer 25 Kinas [monnaie locale] sur ce compte en banque 27 45......, pour que je puisse recevoir cet argent pour mon école et pour faire d’autres affaires.
Papa, je souhaite monter ma propre entreprise, mais je n’ai pas d’argent pour cela, c’est le problème. Aussi, voici ce que je vous demande, à des gens comme Mo...., Na...., Joh.... de rassembler jusqu’à 20 000 Kinas pour que je puisse monter mon entreprise privée.
Merci, que Dieu vous bénisse et puissiez-vous reposer en paix.
[Traduit de l’anglais ]
Par leur contenu, ces lettres évoquent les Cultes du Cargo qui ont largement marqué ces régions du Pacifique pendant la première moitié du vingtième siècle, peu après l’arrivée des Blancs (Worsley 1968). À travers elles, leurs auteurs tentent d’obtenir de l’au-delà les biens nécessaires pour parvenir à une nouvelle forme de socialité. Dans la lettre citée, cette volonté d’accession à un mode d’existence transformé est représentée par l’école et l’entreprise privée.
Mais contrairement à ce que soutiennent les analyses classiques des Cultes du Cargo, les Orokaivas ne perçoivent pas leur quête comme magique. Il s’agit uniquement de rétablir des liens de parenté qui ont été provisoirement distendus par l’arrivée des Blancs. Car ici, les relations de parenté sont la condition nécessaire d’une vie sociale normale. Ces relations sont opérantes dans toutes les situations, « traditionnelles » (rituels, p. ex.) ou « modernes ». Dans le contexte contemporain, par exemple, lorsqu’une personne a un travail salarié sur une plantation ou à l’usine, tous ses parents se présentent, naturellement, chez lui le jour de paye pour demander leur part de son salaire. Bref, si un parent se trouve à être opulent, en porcs, en taros ou en argent, il est normal qu’il partage ses biens avec vous. Dans ce contexte, que le parent en cause soit mort ou vivant n’est qu’un élément secondaire, pour autant qu’on puisse le contacter. Puisque les morts ont aujourd’hui émigré au pays des Blancs, ils doivent aider leurs descendants, non pas, comme par le passé, à obtenir des biens locaux sous forme de porcs et de taro, mais des biens qui ont cours dans le pays où ils se trouvent, entre autres l’argent, et auxquels les Orokaivas vivants n’ont, pour l’instant, que peu accès.
Ce souci de rétablir une communication interrompue était déjà présent dans les transformations, du discours mythologiques que l’on a pu retracer grâce à l’ethnographie qui est ici vieille de près de cent ans. Dans les années 1910, Williams avait collecté un mythe d’origine dans lequel plusieurs frères se disputaient en organisant une fête (Williams 1923-25). L’un de ces frères était jeté dans la rivière qui l’emportait, expliquant ainsi la division entre tribus orokaivas. Dans les années soixante, Eric Schwimmer a relevé à nouveau le même récit, mais la composition de la fratrie avait été modifiée (Iteanu et Schwimmer 1996). Le frère jeté à l’eau était désormais blanc, alors que tous les autres étaient noirs. Ayant réussi à monter sur la berge, quelque part en aval, il invente, nous dit le récit, l’écriture. Puis, il épouse une fille, séduite par cette invention formidable. Ensemble, ils créent le « développement ». La plupart des informateurs concluent le récit en disant que cette dispute explique pourquoi les Orokaivas ne sont toujours pas « développés » et vivent encore dans des conditions déplorables, dormant dans des maisons en bois et travaillant dur de leurs mains.
Dans cette nouvelle version du mythe, comme dans les lettres aux morts, l’absence de relation des Orokaivas à la culture mondialisée est consécutive à la rupture malencontreuse d’une relation de parenté. Le rapport des Orokaivas au monde des Blancs ne peut être rétabli que par la reconnaissance de cette relation. Notons, qu’en modifiant ce mythe, les intéressés n’ont pas furtivement « manipulé » l’histoire à des fins de falsification, comme nous pourrions le supposer. Au contraire, ils en parlent ouvertement. Leur argument est que : « Comme nos ancêtres avaient jeté le frère blanc à l’eau, nous avions oublié son existence. L’arrivée des Blancs nous l’a rappelée ». Ici, l’histoire est liée au présent dans les deux sens. Comme chez nous, on comprend le présent grâce au passé, et, à l’inverse, on se remémore le passé oublié grâce au présent. Mais ici, ce qui arrive, l’événement, a toujours plus de poids que le récit qu’il permet de réinterpréter.
Cette prédominance de l’idée de relation transparaît également dans le statut que les Orokaivas m’ont attribué et que le contexte créé par le tournage du film a aidé à clarifier. En effet, que l’on me confie des lettres destinées à des défunts, suggère que je suis moi-même considéré comme un parent mort ou du moins comme l’un de leurs émissaires. Depuis ma première arrivée sur le terrain, mon souci de poser des questions de plus en plus précises, d’enquêter sur la manière dont on fait ou ne fait plus les rituels, ou telle autre activité coutumière, me plaçait d’emblée comme une sorte de contrôleur de l’orthodoxie traditionnelle. Car, qui d’autre qu’un ancêtre aurait pu avoir ce souci de détail dans la tradition ? L’argent que j’ai régulièrement envoyé à mes informateurs les plus proches au long des années n’a fait que confirmer cette interprétation. Ancêtre d’une famille donnée, émigré au pays des Blancs, je partageais, comme il se doit, « avec ma famille » les biens ayant cours en mon séjour paradisiaque. Seule restait incompréhensible mon indécrottable avarice de n’envoyer que quelques sous, alors qu’en principe j’avais accès à des biens en quantité illimitée. Cette interprétation n’est certes pas acceptée par tous. Mais ceux qui la refusent ne disposent guère d’une meilleure théorie pour explique mon comportement si différent de celui des autres blancs. Pour comprendre les discours qui m’ont été adressés et dont j’ai fait état plus haut, il faut, en tout état de cause, prendre en compte cette interprétation qui est loin d’être un « credo » et peut à tout moment être remise en cause par les événements à venir
En bref, la mondialisation pose aux Orokaivas le problème de rétablir les relations rompues avec leurs ancêtres. Cette reconstitution devrait ipso facto donner lieu à un transfert de biens. Car, selon les normes du système local d’échange, une relation sociale n’existe que dans la mesure où des biens y circulent (Iteanu 1990 ; Strathern 1988). Aimer quelqu’un ne vaut que dans la mesure où on lui donne quelque chose. Dans un langage plus économique, rétablir la relation avec leurs ancêtres revient donc, pour les Orokaivas à évaluer ce que peut encore « rapporter » ou encore « ce que vaut » leur propre filiation, on dirait aujourd’hui identité. Ouvrir la voie pour que circulent des biens provenant de la culture mondialisée reviendrait donc à se retrouver dans une relation similaire à celle qui prévalait avant l’arrivée des Blancs. Obtenir des biens des ancêtres revient donc en quelque sorte à reconstruire la société déstabilisée par leur disparition .
Chez les Orokaivas, la mondialisation se conçoit donc comme un fait de relations entre personnes, vivantes ou mortes. C’est au nom de ces relations, ou dans un autre langage, de cette identité, que l’on peut participer à la culture mondialisée. Cette configuration idéologique implique une continuité entre les relations appartenant à l’ordre mondialisé et celles de la société locale.On a donc bien affaire ici à une conception alternative de la « mondialisation ». En Mélanésie, cette continuité était déjà apparente dès les premiers moments de la colonisation et se manifestait par le fait que les Papous n’opposaient pas la religion chrétienne importée aux cultes locaux, ni les savoirs médicaux modernes aux cures traditionnelles, mais les pratiquaient tous de manière complémentaire les uns des autres. Elle est encore manifeste lorsque Lucien supra, affirme que les Orokaivas avaient déjà accès à Dieu par le passé à travers leurs ancêtres, tout comme ils avaient une relation avec le « développement » par l’entremise de leur histoire d’origine méconnue. La continuité étant acquise, ce qu’il reste aux Orokaivas d’accomplir est de rétablir ces deux relations que des malentendus ont interrompues.
La vision orokaiva de la mondialisation s’oppose principalement à sa formulation économique que l’on a évoquée plus haut en ce qu’elle ne distingue pas les objets, des relations au long desquelles ceux-ci circulent. On a vu ainsi que les Orokaivas considèrent que leurs prières à Dieu échouent à leur faire obtenir des biens, du fait qu’ils n’ont pas hérité des formes liturgiques (rituelles) chrétiennes par l’entremise des relations légitimes avec leurs ancêtres. L’utilisation qu’ils font de ces formes est en quelque sorte usurpée. Par contre, les Blancs, successeurs de leurs propres ancêtres, obtiennent tout ce qu’ils veulent grâce aux mêmes pratiques. Pour les Orokaivas, donc, la « liberté » de circulation des biens et des capitaux est un mythe qui ne rend pas compte de cette différence, D’un point de vue mondialiste, par contre, qui met en avant l’économie, ce contraste peut être interprétée en termes purement quantitatifs. On dira alors que tout un chacun n’a pas également accès aux richesses pour des raisons conjoncturelles indépendantes de son identité. La relation entre personne, mise en avant par les Orokaivas, est ici abandonné au profit dune relation directe entre personnes et biens.
Par souci de comparaison, j’illustrerai ce contraste idéologique à l’aide d’un exemple très schématique. J’ai été témoin récemment en Guadeloupe d’une conversation entre trois hommes d’âge divers sur ce qu’il convenait de faire pour améliorer la situation générale de l’île. Le premier qui avait une soixantaine d’années avait étudié le droit en métropole, puis était devenu pêcheur à l’international. Il était maintenant retraité dans l’île. Il disait qu’il savait exactement ce qu’il convenait de faire, car ses ancêtres vivaient depuis de nombreuses générations en Guadeloupe et son frère y occupait une position politique importante. Il était opposé au tourisme comme forme de développement, car celui-ci allait détruire la culture locale, c’est-à-dire les formes de relations que les locaux entretenaient entre eux, sans vraiment aider l’économie. Plus généralement, en termes de disponibilité de capitaux, le tourisme mettait l’île entre les mains des investisseurs étrangers. C’est pourquoi, pour lui, préserver les relations sociales locales était plus important qu’un succès économique qui ne pouvait se faire qu’au détriment des locaux.
Le plus jeune avait une vingtaine d’années et était un métis, né dans l’île. Il revendiquait son « identité locale » (ce que l’autre ne contestait pas) et s’adressait au plus âgé en Créole bien qu’il fût manifestement plus à l’aise en Français (à quoi l’autre répondit qu’il le marquait comme primitif, alors qu’en fait il avait étudié en France). Selon lui, le tourisme était une bonne chose, à condition qu’il soit organisé selon la coutume de l’île. Ceci impliquait que l’on limite le nombre de touristes de manière à ce qu’ils puissent être logés chez des habitants où ils pourront partager la vie familiale, la nourriture et les fêtes de voisinage. Cet homme pensait manifestement qu’il fallait subordonner les objectifs économiques aux relations locales, quitte à limiter les bénéfices financiers escomptés.
Le troisième, un homme d’une quarantaine d’années pensait que ce dernier projet était irréaliste. Il était originaire de la métropole, mais avait vécu dans l’île pendant 15 ans et y avait eu trois enfants. Il expliqua qu’il participait activement à de nombreuses associations locales visant le développement et qu’il en avait même créé plusieurs. Son argument était que la vieille économie fondée sur la banane et le sucre était morte et qu’il n’y avait, pour l’heure, pas d’autre alternative au tourisme pour garder l’île vivante et enrayer la désertification en cours, due à l’émigration massive des jeunes vers la métropole. Cet homme parlait le langage de l’économie, sans se soucier des relations locales. Quant il faisait allusion à la survie de celles-ci, il la traitait comme une question économique, un objet.
Cette conversation avait un thème économique, politique et social. Pour y participer, chacun des interlocuteurs s’est senti obligé de décliner ses droits par rapport à la terre guadeloupéenne. Chacun d’eux a placé différemment les relations locales par rapport à l’économie. Lorsqu’ils se sont séparés, chacun est resté avec sa contradiction. L’ancien ne proposait rien pour améliorer la situation économique de l’île. Le projet du plus jeune semblait irréaliste aux deux autres qui faisaient valoir qu’il serait impossible de trouver assez de touristes désireux de vivre dans les conditions locales pour soutenir sérieusement l’économie. Le dernier n’offrait aucunement de protéger les relations locales, bien que pour lui-même, elles étaient fondamentales, comme sa longue présence sur l’île le faisait comprendre.
Cette anecdote, en dépit de son aspect schématique et de ses personnages stéréotypés, met en lumière le contraste que nous avons préalablement dégagé entre une manière de lier entre elles relations aux choses et relations entre personnes et une manière de les dissocier. Pour l’ancien et pour le dernier interlocuteur, relations aux choses et relations entre personnes sont incompatibles. Le premier privilégie les unes au détriment des autres, le second fait l’inverse. Le plus jeune essaye, lui, de concilier les deux et sa proposition en devient ridicule. Nos trois personnages se situent ainsi résolument dans un contexte à dominante économique où relations aux objets et relations entre personnes sont conçues comme contradictoires, de manière irréconciliable. Quelle que soit la bonne volonté que l’on y met, si l’on privilégie l’une des dimensions, l’autre disparaît immédiatement. Et si l’on tente de les rapprocher, on n’a d’autre choix que de le faire sur le même niveau, ce qui rend l’ensemble de la proposition invraisemblable, tant du point de vue de l’une des dimensions que de l’autre.
Privilégier l’économie dans une idéologie qui met en avant la relation aux choses revient donc à faire disparaître le social. Ce constat explique, une fois de plus, s’il était nécessaire, pourquoi les théories économiques ont recours, comme on l’a dit précédemment, à des abstractions éloignées du fait social. Il rend compte également des positions adoptées par les théories postmodernes et celles de la mondialisation qui posent pour les premières qu’il n’y a « pas de société », et, pour les secondes, plus d’États. Ce faisant et de manière contrastée, ces deux courants s’accordent sur le fait que les relations entre personnes ont une signification réduite face à la prédominance des relations aux choses, consubstantielles au monde et à la nature humaine.
Ce contraste entre deux manières de concevoir les relations entre choses et personnes reste invisible à celui qui ne pratique pas la comparaison minutieuse. De ce fait, il a donné lieu à nombre de malentendus. Par exemple, partout en Mélanésie, mais aussi ailleurs, les locaux furent stupéfaits par l’acharnement du pouvoir colonial à cartographier les terres en associant à chaque fois une parcelle de terrain et un ou plusieurs noms de personnes, car selon l’idéologie locale, chaque parcelle a des relations complémentaires à tous ceux qui sont liés entre eux par des relations de parenté ou autres. En conséquence, par exemple, les Orokaivas eurent initialement bien du mal à répondre à cette demande et le cadastre tel qu’il est établi aujourd’hui soulève une multitude de conflits quand il s’agit de déterminer la propriété d’un lopin pour entreprendre une culture de rapport.
Pour caractériser ce contraste, attesté dans bien des sociétés du monde, il ne suffit donc pas de dire, comme on le faisait par le passé, que les Orokaivas, et en fait tous les Mélanésiens, ne connaissent pas la notion de propriété individuelle des terres, mais on doit aller plus loin. Dans ce contexte, ce que nous appelons propriété est réparti entre un ensemble de personnes vivantes et mortes qui sont liées entre elles par des relations . Ce n’est pas directement, mais en vertu des relations entre personnes que les hommes ont des relations à la terre. Les relations aux objets sont donc inséparables des relations entre personnes. D’où l’impression pour nous que les personnes ne sont pas vraiment distinguées des biens et que les morts font partie de la société.
Il est important de noter que les idéologies qui mettent en avant les relations aux objets et celles qui mettent en avant les relations entre personnes ne constituent pas deux configurations symétriquement opposées, ou pour le dire autrement, elles ne forment pas une opposition binaire . Alors que les premières conçoivent les relations aux objets comme ayant validité universelle (par exemple, la propriété est conçue comme universellement opposable aux tiers), les secondes construisent les relations entre personnes en autant de formes sociales diversifiées qui n’ont aucune prétention de validité en dehors de leur propre domaine d’expression (les relations de parenté d’une société donnée n’ont de validité que localement, entre des personnes bien définies). Les relations entre personnes ne forment donc pas, du point de vue de l’anthropologie, une classe, mais constituent une simple catégorie comparative.
Avant tout, il faut garder à l’esprit que les deux idéologies en cause n’excluent pas la forme opposée : les deux types de relations, aux objets et entre personnes, existent toujours conjointement. Ce qui diffère selon l’accent mis sur l’une ou l’autre de ces deux relations est que lorsque les relations aux objets sont dominantes, comme dans le cadre de la pensée économique, les relations entre personnes sont perçues comme contradictoires aux relations aux objets, alors qu’au contraire, quand les relations entre personnes sont dominantes, les relations aux objets sont conçues comme consubstantielles aux relations aux objets. Cette différence caractérise, donc, deux alternatives hétérogènes et asymétriques : l’une dans laquelle objets et sujets sont radicalement distincts, l’autre dans laquelle les objets sont englobés dans les relations entre personnes.
Lorsque j’ai découvert l’insistance des Orokaivas sur la relation aux ancêtres pour décrire la mondialisation, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait là d’une vision marginale, puisque ce peuple appartient à ces quelques populations du monde qui vivent encore en forêt et subviennent en grande partie localement à leurs besoins. Néanmoins, le film que j’y ai tourné m’a mis à nouveau, par la suite, dans l’obligation de réviser mon jugement. J’étais allé présenter « Lettre aux morts » à un festival documentaire, dans la ville roumaine de Sibiu. Comme je suis d’origine roumaine et que je parle bien cette langue, nombreux ont été ceux qui sont venus discuter avec moi. Ce qu’ils m’ont raconté était par bien des aspects proche de ce que m’avaient dit les Orokaivas.
Leur pays (notre pays !) était énormément « retardé », en matière de développement par rapport à tous les autres pays occidentaux. Sur le plan social, rien ne fonctionnait. L’administration, la politique, l’économie, la production, la police, tout était inefficace, corrompu et désorganisé. Mes interlocuteurs soulignaient, à chaque fois, qu’il faudrait des siècles avant que la Roumanie ne puisse combler ce retard. À moins, bien entendu, qu’un des pays dominant, peut-être la France, ne décide de lui donner un coup de main. Cette intervention quasi miraculeuse aurait pour effet d’accélérer le temps de manière à faire rapidement, ou même instantanément, avancer la Roumanie sur le chemin du développement.
Pour les Roumains, un peu comme pour les Orokaivas, j’étais un parent revenu d’ailleurs, mon succès personnel, concrétisé par le film que j’avais réussi à produire en France, me mettait dans la position d’agir en tant qu’intermédiaire pour plaider en « Occident » la cause de ceux avec qui je « partageais le même sang ».
À l’issue du festival, un journal publia un article sur le film et y nota mon adresse courriel. Quelques jours après mon retour en France, je commençais à recevoir des dizaines de lettres provenant de Roumains que je ne connaissais pas. Ces lettres étaient, de manière troublante, très proches des lettres aux morts que m’avaient confiées les Orokaivas. Toutes avaient une forte consonance religieuse, invoquaient le Seigneur, proposaient de prier pour moi ou me recommandaient à la grâce divine. Une proportion importante d’entre elles réclamaient de moi une intervention plus ou moins miraculeuse. Par exemple, quelqu’un qui avait perdu la vue me demandait de l’aider à la retrouver, un autre, de lui obtenir le Prix Nobel pour une œuvre littéraire.
Ici, à nouveau, dans un style différent, ces Roumains tentaient de (ré) établir une relation avec l’Ouest, relation qui selon eux, intense par le passé, avait été interrompue pendant deux générations par l’intermède socialiste. Dans ce contexte, je n’étais pas, bien entendu, considéré comme mort, mais on m’attribua un rôle d’intermédiaire, car j’avais moi-même, comme les ancêtres orokaivas, émigré dans un pays opulent et doté de la capacité de repousser les limites de la médecine. À me voir là, moi qui était « d’un même sang », auteur de ce film qui parlait justement de la relation à l’au-delà qu’une société doit préserver pour survivre, ils avaient l’impression, pour un instant seulement peut-être, qu’il n’était pas tout à fait vain d’espérer rétablir cette relation avec d’éventuels bienfaiteurs.
Pour les Roumains comme pour les Orokaivas, dans cette configuration, si l’on peut être aujourd’hui en relation, c’est que d’une manière ou d’une autre on l’a précédemment été, même si on l’a oublié. Chaque société construit cette relation initiale selon ses valeurs propres. Selon mes interlocuteurs roumains, des liens privilégiés avaient été établis entre eux et les autres pays occidentaux, pendant la première partie du XXe siècle, en vertu d’une chrétienté commune et d’une latinité de la langue et de la culture. Le communisme a brisé ces liens. Désormais, il était vital de les rétablir pour bénéficier de l’appui de pays doués de pouvoirs comparativement exorbitants. À cette fin, ils mettaient leurs espoirs à la fois dans l’intégration du pays au sein de la Communauté économique européenne et dans la longue liste, que les locaux connaissent par coeur, d’émigrés Roumains « célèbres », artistes, sportifs, scientifiques, écrivains, hommes d’affaires, qui avaient réussi, même modestement, dans un pays occidental.
L’expérience roumaine m’amena donc à généraliser une configuration que je croyais n’exister qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Au fond, la question qui se posait maintenant était celle de vérifier qu’à partir d’une certaine idéologie, celle qui privilégie la relation entre personnes sur les relations aux objets, la mondialisation devait nécessairement être perçue en termes de relations à un au-delà doué de pouvoirs particuliers.
Dans les deux cas, tout se passe donc comme si on attribuait, soit à des institutions étrangères (Église, Communauté économique européenne), soit à des transfuges (ancêtres, immigrants), la possibilité de rétablir une relation d’échange interrompue. Cette relation est colorée à chaque fois du sceau de pouvoirs qui vont au-delà du commun et qui sont associés au lieu dont sont issues les institutions et/où résident les transfuges en cause.
Cette conclusion ne me satisfaisait pourtant pas du tout. Mon argument ne pouvait pas être que toutes les cultures du monde, à l’aune de celles dont j’ai exposé les cas ici, se ressemblent en ce qu’elles obéissent à une tendance universelle à voir l’ailleurs comme une sorte d’au-delà surnaturel et positif et qu’en conséquence, la mondialisation est partout conçue comme un rapport à un Éden. Aussi, je me suis longtemps demandé pourquoi, ce thème de l’Occident, comme Paradis, lieu de pouvoirs surnaturels, réapparaît si souvent en autant de points différents du globe.
La réponse, selon moi, tient à la manière même dont l’Occident se conçoit et se donne à voir aux autres sociétés. J’ai déjà proposé quelques éléments pour le comprendre lorsque, plus haut, j’évoquais l’enseignement biblique que les missionnaires ont donné aux Orokaivas. Il me semble qu’il suffit d’élargir ces remarques pour offrir une hypothèse vraisemblable, mais dont il restera à démonter la pertinence dans chaque cas.
En effet, la littérature montre clairement que l’histoire de l’Occident, depuis l’avènement de la modernité, au moins, peut être lue comme une tentative de sécularisation du Paradis dans le monde (Gauchet 1985 ; Dumont 1983). À son origine, le Christianisme est une religion largement extra mondaine. Dumont écrit : « En termes sociologiques, l’émancipation de l’individu par une transcendance personnelle, et l’union d’individus-hors-du-monde en une communauté qui marche sur la terre mais a son coeur dans le ciel, voilà peut-être une formule passable du Christianisme » (Dumont 1983:42).
À cette époque, pour un Chrétien, la vie d’ici-bas est négligeable et la récompense de la foi est à recueillir dans l’au-delà. Néanmoins, et c’est sans doute là l’une des originalités majeures de notre histoire, l’idée qui n’a cessé de se renforcer, par la suite, au cours des siècles, est qu’il est vain d’attendre la mort pour prétendre au Paradis, mais qu’il convient de tenter de le réaliser ici-bas, sur terre, au plus tôt. « Par étapes, la vie mondaine sera ainsi contaminée par l’élément extra-mondain jusqu’à ce que finalement l’hétérogénéité du monde s’évanouisse entièrement. Alors le champ entier sera unifié, le holisme aura disparu de la représentation, la vie dans le monde sera conçue comme pouvant être entièrement conforme à la valeur suprême » (Dumont 1983:42-3).
Il est aisé de trouver dans l’idéologie occidentale contemporaine nombre d’éléments qui confirment cette analyse et démontrent que la vie terrestre a été, et est, largement remodelée en fonction de sa contrepartie paradisiaque. L’idéal amplement partagé et irénique d’un monde sans conflits meurtriers, sans souffrance, sans vieillesse, sans que les femmes enfantent dans la douleur, dans le bien et l’opulence, délivrés de la servitude des travaux difficiles, tout cela renvoie aux promesses messianiques, tout en prétendant les réaliser par des moyens mondains. Bien que l’identité entre les deux promesses soit flagrante, le lien conscient qui les unit en Occident a été sevré par une extension exceptionnelle de la sécularisation.
Aussi, en supplément de leurs convictions religieuses, c’est cette idéologie partagée d’un monde d’ici-bas conforme au Paradis que les missionnaires et les colons, puis les administrateurs et en général tous les Blancs ont transmise à ceux qu’ils ont rencontrés en Papouasie-Nouvelle-Guinée ou ailleurs. Et c’est de cette manière, plus généralement, que l’Occident et ses productions, se pensent et se donnent à voir aux autres peuples du monde. Une excellente illustration contemporaine de cette conviction peut être trouvée dans la description que Hardt et Negri font de « l’Empire » (2001), c’est-à-dire d’un monde mondialisé :
D’abord et avant tout, le concept d’Empire suppose un régime qui englobe effectivement la totalité de l’espace, ou alors, qui gouverne l’ensemble du monde civilisé. Aucune frontière territoriale ne limite son règne. Deuxièmement, le concept d’Empire se présente, non comme un régime historique qui puiserait son origine dans la conquête, mais plutôt comme un ordre qui suspend effectivement l’histoire et de ce fait fixe l’état existant des choses pour l’éternité... Troisièmement, la règle de l’Empire opère sur tous les registres de l’ordre social et s’étend vers le bas dans la profondeur du monde social. L’Empire ne fait pas que gérer un territoire et une population, mais crée aussi le monde même qu’il habite. Il ne fait pas que réguler les interactions humaines, mais cherche directement à maîtriser la nature humaine. L’objet de cette maîtrise est la vie sociale dans son ensemble, et c’est pourquoi l’Empire constitue la forme paradigmatique du biopouvoir. Enfin, bien que la pratique de l’Empire soit continuellement souillée de sang, le concept d’Empire est toujours voué à la paix – une paix perpétuelle et universelle en dehors de l’histoire. [2001:xv, notre traduction]
Les auteurs de ce livre décrivent le produit de l’Occident qu’est l’Empire (la mondialisation), ou du moins ce qu’il prétend être, par des traits d’aspect quasi surnaturel que l’on peut aisément rapprocher de ceux du Paradis : le temps est arrêté, la paix est assurée et toute la nature humaine est contrôlée jusque dans les recoins de ses gènes. Dans cet imaginaire de la mondialisation, on doit, peut-être, reconnaître un ultime perfectionnement du « Paradis sur terre ».
Pour les Papous du moins, et je suis sûr ailleurs dans le monde, l’idée que leurs ancêtres ont émigré en occident en profitant de l’ouverture offerte par la mondialisation ne résulte donc pas d’une interprétation saugrenue et magique. Comme dans l’analyse que fait Sahlins (1995) de la mort du Capitaine Cook, les indigènes ont une fois de plus proprement lu le message délivré par les Blancs venus initier une relation avec eux, mais avec un biais qui correspond à leur particularité sociale.
Sans que les Blancs eux-mêmes en aient été conscients, ils délivraient véhiculaient en fait deux messages. Leur premier était proprement sacré, il concernait les promesses messianiques réservées à l’au-delà. Le second, immanent, s’attachait à la satisfaction occidentale inconsciente d’avoir réussi à réaliser une partie de ce programme ici-bas, dans leur propre civilisation. Au sens large, les Occidentaux ont baptisé ce programme « développement ». Au cours des deux dernières décennies, l’importance relative du second message par rapport au premier n’a cessé de croître.
La cécité des Blancs face au message qu’ils délivraient et le fait qu’au contraire les indigènes l’aient facilement décodé ne témoignent pas de leur acuité intellectuelle supérieure, mais du fait qu’en fonction de l’idéologie sociale dont on est issu, certaines idées-valeurs cardinales restent résolument invisibles, alors qu’elles apparaissent clairement d’un point de vue différent et comparatif. Alors que les Blancs étaient de longue date formatés par une distinction radicale entre sacré et profane, celle-ci était, et reste pour l’heure, étrangère aux sociétés de Mélanésie. Alors que pour les Blancs les deux discours, celui vantant le paradis et celui célébrant leur propre société, restaient résolument hétérogènes, pour les Papous, leur immanquable similarité sautait aux yeux, et je pense que cela est aussi le cas pour les membres d’un grand nombre d’autres sociétés de par le monde. Ce constat nous ramène à notre problématique comparative initiale qui opposait d’un côté, les idéologies qui distinguent radicalement relations aux objets et relations entre personnes et de l’autre, celles pour lesquelles elles ne forment qu’un.
Il est trop tôt pour conclure cette étude par une proposition générale concernant la notion de mondialisation. La présente tentative n’est qu’à l’état d’ébauche. Pourtant, si l’on parvenait à la substantiver à l’aide de données précises concernant des cas différents, il me semble, qu’elle pourrait faire germer un regard nouveau sur la mondialisation et sur les dialogues, souvent de sourds, que les partenaires de cette mise en relation ne cessent de réitérer.
André Iteanu. Courriel : iteanu@msh-paris.fr<b
Dumont, Louis, 1983, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris : Seuil.
Gauchet, Marcel, 1985, Le désenchantement du monde, Paris : Gallimard.
Hardt, Michael et Antonio Negri, 2001, Empire, Cambridge : Harvard University Press.
Iteanu, André, 1983, La ronde des échanges, Paris : Maison des Sciences de L’Homme.
— , 1990, « The Concept of the Person and the Ritual System : An Orokaiva View », Man 25:399-418.
Iteanu, André et Eytan Kapon, réalisateurs, 2002, Lettre aux morts, 61min. Felix Production. Paris.
Iteanu, André et Éric Schwimmer, 1996, Parle et je t’écouterai, Paris : Gallimard.
Orléan, André, 2003, Réflexion sur les fondements institutionnels de l’objectivité marchande, Cahiers d’Economie Politique 44:118-196.
Sahlins, Marshall, 1995, How “Natives” Think : About Capitain Cook, for Example. Chicago : The University of Chicago Press.
Strathern, Marilyn, 1988, The Gender of the Gift, Berkeley : University of California Press.
Wang Horng-luen, 2002, « Mind the Gap. On Post-National Idea[l]s and the Nationalist Reality », Social Analysis 46(2):139-148 .
Williams, Francis Edgar, 1923-25, « Orokaiva Folk Tales ». Unpublished, National Archives, Port Moresby.
— , 1928, Orokaiva Magic, Oxford : Clarendon Press.
Worsley, Peter, 1968, The Trumpet shall Sound : a Study of « Cargo » Cults in Melanesia, New York : Schocken Books.