Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Jean-Paul Vignal

Le système financier actuel peut-il porter financièrement la transition vers des modes de développement durable ?

Texte publié le 8 avril 2008

Nous remercions Jean-Paul Vignal de nous autoriser à publier cet article, dont Paul Jorion nous a signalé l’existence.

Le propos de ce texte est d’amorcer sans aucun a priori idéologique, une discussion productive sur l’adaptation du système financier actuel aux exigences de modes de fonctionnement dits durables qui reposeraient sur l’utilisation de flux constamment renouvelés plutôt que sur celle de stocks épuisables.

Le Constat : les limites d’une croissance cannibale et polluante

L’impact négatif des activités humaines sur l’environnement et sur les ressources épuisables est de plus en plus visible, au point que la plupart des experts scientifiques et des responsables économiques et politiques s’accordent à reconnaître la nécessité de s’orienter vers des modes de vie et de consommation qui, à la différence de ceux qui prévalent actuellement, n’affectent que peu ou pas du tout la biosphère.

Les ressources en énergie fossile et matières premières limitées dont nous disposons sont en effet insuffisantes pour permettre à 6 milliards de personnes ou plus de vivre durablement suivant le modèle de consommation actuel des pays de l’OCDE, un mode de vie dont on peut craindre par ailleurs qu’il ne dégrade si profondément la biosphère que les conditions de vie et même de simple survie en soient profondément affectées.

La croissance a-t-elle encore un sens dans un monde aux équilibres précaires et dont les ressources sont limitées ?

Certains experts estiment que cette transition vers des modes de fonctionnement moins prédateurs ne peut se concevoir sans une remise en cause de la croissance qui a caractérisé l’essor économique des deux derniers siècles. Les principes sur lesquels ils se fondent pour justifier ce qu’il est convenu d’appeler la décroissance ne sont pas critiquables, car ils reprennent la plupart des thèmes du développement durable. Le concept en lui même est cependant frustrant, car on ne peut que constater chaque jour le dépouillement dans lequel vit encore une large partie de la population mondiale. Dans ces conditions le repli sur soi qu’il implique peut paraître comme la forme la plus achevée du malthusianisme, et ce d’autant plus qu’il repose sur des bases scientifiques et techniques contestables. Si l’on se place dans une perspective strictement énergétique, on admet généralement que le soleil rayonne en permanence 120 000 TW sur la terre, alors que les besoins en énergie actuels correspondent à environ 13 TW, et que l’on peut espérer qu’ils plafonneront à 25/30 TW grâce à une utilisation plus rationnelle de l’énergie pour une population de 10 milliards d’individus vivant dans des conditions honorables.

Satisfaire cette demande est d’autant plus envisageable que les rendements actuels des capteurs solaires sont très perfectibles, qu’ils soient artificiels (solaire thermique et photovoltaïque, éoliennes….), ou naturels (plantes). Dans ce dernier cas, on estime par exemple que le rendement moyen de conversion des plantes est inférieur à 1%, alors que les scientifiques estiment que la limite se situe entre 12 et 15%. Cette augmentation de rendement serait d’autant plus intéressante qu’elle augmenterait très sensiblement le rôle de capteur de CO2 de la végétation, et diluerait légèrement la quantité de chaleur solaire absorbée par le sol ou réémise dans l’atmosphère.

Si l’on considère les progrès exponentiels des connaissances, dire aujourd’hui qu’il ne sera jamais possible de donner au plus grand nombre un niveau de vie acceptable ne parait donc pas très différent d’avoir affirmé il y a deux siècles que l’homme ne pourrait jamais explorer l’espace. Plutôt que de décroître, il faut simplement trouver le plus vite possible sous peine de graves tensions sociales, des façons de croître autrement, en respectant les ressources de la biosphère qui sont indispensables à la vie telle que nous la connaissons.

Pour une croissance réfléchie et maîtrise, respectueuse des hommes et de la biosphère.

L’alternative la plus souvent évoquée consiste à rechercher de nouveaux modèles de développement, dits « modèles de développement durable », qui n’affectent plus - ou affectent moins - la biosphère que ne le font les modèles actuels, sans prélever de ressources épuisables, sans produire de déchets, en utilisant principalement comme matières premières et sources d’énergie des produits renouvelables autrement qu’à l’échelle géologique, et qui privilégient toutes les formes de recyclage, qu’il s’ agisse d’énergie, de produits finis ou de leurs composants.

La pertinence économique des modèles actuels est encore fondée pour l’essentiel sur le fait que les matières premières n’ont d’autre coût que la valeur ajoutée de leur extraction, de leur transformation et, heureusement de plus en plus fréquemment, de leur destruction, mais que la pollution ou la disparition d’éléments irremplaçables comme l’air, l’eau, ou les sols sont économiquement gratuites. Même si d’importants progrès ont été réalisés dans le domaine du recyclage au cours des dernières décennies, le schéma-type actuel consiste encore pour l’essentiel, si l’on s’en tient aux quantités de déchets produits, à extraire une matière première non-renouvelable, à la transformer, à l’utiliser, puis à la détruire ou à l’enfouir. Ce schéma correspond à une sorte de nomadisme industriel, dans lequel les activités productrices sont regroupées près des « mines » de matières premières épuisables jusqu’à ce que ces gisements soient épuisés, et/ou jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible ou acceptable de continuer à rejeter des déchets.

Le passage à des modèles de développement durables - dans la mesure où il se fonde sur la mise en place de systèmes sans impact sur l’environnement, donc sans rejets de déchets ni destruction et mise au rebut de matières premières épuisables - suppose vraisemblablement une remise en cause des paradigmes qui sous-tendent actuellement la plupart des filières de production et de transformation.

Qu’est ce que le développement durable ?

Un peu d’histoire.

La notion de développement durable ne date pas d’hier. Nos ancêtres qui devaient gagner tout ce dont ils disposaient littéralement à la sueur de leur front, savaient utiliser chaque parcelle de leurs pénibles récoltes. Ainsi, un animal tué n’était pas seulement une source de viande, mais il était aussi utilisé pour se soigner, s’habiller, se loger, s’éclairer ou même parfois se distraire.

Sa renaissance date de la publication des deux premiers rapports Club de Rome « Halte à la croissance ? » en 1972, et « Sortir de l’ère du gaspillage : demain » en 1974. Concrètement cette prise de conscience s’est traduite dès cette époque pour certains organismes de recherche agronomique plus clairvoyants que les autres par la réorientation d’une partie de leurs ressources dans la recherche d’une agriculture qu’on voulait alors simplement plus économe et plus autonome.
Ce n’est qu’en 1987, quelques sueurs froides sur l’avenir énergétique plus tard, que la Commission Bruntland l’a imposée comme une problématique incontournable, pas seulement parce que les réserves de pétrole et de gaz naturels s’épuisaient, mais surtout parce que l’humanité était en train de détruire la biosphère qui supporte son existence. La définition qu’elle a en donné est très simple :

Le développement durable est un développement qui satisfait aux besoins présents, sans compromettre la possibilité des générations futures à subvenir à leurs propres besoins.

Certains lui préfèrent une définition plus positive et plus apaisante disant que le développement durable consiste à assurer une meilleure qualité de vie à tous, aujourd’hui comme demain.

Une définition un peu plus brutale serait de dire qu’il faut dès aujourd’hui arrêter de vivre aux dépens des générations futures pour satisfaire des modes de vie qui ne sont même pas extrapolables à la totalité de la population mondiale actuelle.

Comment le met-on en œuvre ?

En simplifiant un peu, la mise en œuvre pratique du développement durable repose sur un principe, un outil et une stratégie à deux temps.

Ces 3+1 R sont complémentaires et concourent à une meilleure extraction de la valeur contenue dans les matériaux et l’énergie consommés. Il s’agit de :

L’Outil : L’analyse du cycle de vie

Le but de cette analyse est de minimiser l’empreinte environnementale d’un produit tout au long de son cycle de vie, des matières premières jusqu’à son traitement en fin de vie C’est un outil qui a beaucoup fait pour diffuser le mode de raisonnement durable dans les entreprises, car il a pour appréciable et bienvenu effet secondaire de limiter les besoins en matières premières et en énergie, et donc de permettre d’abaisser la dépendance vis-à-vis de fluctuations du cours de ces intrants, tout en diminuant les coûts de production.

La stratégie à deux temps

D’un point de vue pratique, le croisement de ces 2 stratégies et des 4R fournit une matrice qui peut aider un acteur économique à identifier 8 grandes catégories de produits et de services potentiels.

Quelles sont les implications du développement durable ?

Concrètement, le développement durable c’est le passage de la cueillette et du nomadisme, à l’agriculture et au sédentaire, ou encore, en termes d’investissements, c’est le passage des outils et des infrastructures de cueillette : arc, flèches, quelques moyens de transports, à ceux de l’agriculture tant en termes d’outillages (charrues…) qu’en infrastructures (défrichage, irrigation…)

Les principaux facteurs de blocage

Le développement durable paraissant une évolution aussi raisonnable qu’inéluctable, on peut s’étonner qu’il ne soit pas mis en œuvre plus rapidement. Les blocages sont nombreux, ils relèvent entre autres ;

Chacun de nous a appris un jour au cours de sa scolarité que le marché est un merveilleux mode de d’autorégulation des échanges. On lit ainsi dans les manuels d’économie que quand l’offre d’un produit augmente, ou quand ce produit devient obsolète, son prix baisse et les producteurs soit baissent leur production jusqu’à ce que le prix revienne à un niveau convenable, soit cessent de le produire. Réciproquement, quand l’offre diminue, ou que la demande augmente, le prix augmente et les producteurs sont incités à produire plus. Dans cette vision idyllique de l’économie de marché, de savants calculs portant essentiellement sur les coûts marginaux permettent en théorie de prévoir avec une honnête précision l’évolution des cours en fonction de l’offre et de la demande, pour autant, en gros (i) qu’il y ait assez de ressources pour alimenter le processus de production, (ii) que l’innovation ne vienne pas trop souvent chambouler le paysage, (iii) que la durée des cycles d’ajustement ne soit pas supérieure au rythme d’apparition des innovations.

Or c’est exactement ce qui arrive maintenant : on constate chaque jour davantage qu’à l’exception de l’énergie solaire, les ressources sont épuisables, et que le progrès exponentiel des connaissances raccourcit de plus en plus le cycle de vie économique et commercial des produits.

Elément aggravant majeur, les marchés sur lesquels s’échangent les produits et les services réels traitent en fait dans une proportion bien plus importante, de l’ordre de 1 à 100, l’échange virtuel d’images plus ou moins sophistiquées de ces produits et de ces services. Cette évolution vers le virtuel était parfaitement fondée à l’origine, car il fallait bien introduire des contrepartistes (i) pour permettre les nécessaires ajustements entre l’offre et la demande, en donnant de la « profondeur » au marché comme disent les experts, et (ii) pour financer ces marchés réels. Mais le résultat est catastrophique : les financiers ont rapidement constaté qu’avec un minimum de prudence, ces marchés offraient de très loin le meilleur compromis rendement/risque sur capital investi, et en ont pris peu à peu le contrôle. Comme ils contrôlent aussi les liquidités indispensables pour les faire vivre, cette prise de pouvoir a été facile. Ils ont donc progressivement imposé leurs propres règles. Etant rémunérés en variable sur les écarts de cours, et en fixe sur le nombre d’opérations réalisées, ils ont tout fait pour multiplier les écarts et le nombre d’opérations. Ainsi, le point d’équilibre des marchés est de moins en moins corrélé avec l’évolution de l’offre et de la demande, qui ne servent plus que de prétextes parmi d’autres, au même titre que la politique ou la météo, pour faire varier les cours et justifier ainsi la multiplication des transactions. Par un singulier renversement des rôles, le régulateur est ainsi devenu l’opérateur principal, et impose sa règle à un jeu qui ne tend plus par construction vers l’équilibre, mais, à l’inverse, vers le déséquilibre infini générateur de plus values et de commissions elles aussi infinies.

Sur un plan théorique, - toujours utile dans un monde cartésien pour tout justifier, même le pire -, l’amalgame courant entre « économie de marché » et « économie capitaliste », - qu’elle soit privée ou publique ne change pas grand-chose comme le montre bien l’excellent article d’Alain Supiot « l’Europe gagnée par l’économie communiste de marché » -, est sans doute ce qui a donne sa légitimité à cette évolution. Les néolibéraux s’appuient en effet sur deux principes du bon fonctionnement des manuels d’économie de marché (liberté des acteurs et concurrence non faussée) pour vendre une idéologie où les acteurs majeurs -de fait- évitent autant que possible la concurrence en recherchant des situations d’oligopole voire monopole, et réclament toujours plus de démantèlement des régulations et de transfert au marché de domaines « hors marché » pour élargir leur champ d’action. Cette situation confine à l’absurde, car on voit ainsi des sociétés à forte propension monopolistique pourfendre au nom de leur conception de « l’économie de marché » les tenants d’une vraie économie libérale de marché.

Que faire pour éviter ces dérives ?

Schématiquement deux types d’acteurs déterminent l’économie utilisant le marché : les entreprises et les pouvoirs publics. Deux scénarios extrêmes se dégagent :

Le choix entre ces deux extrêmes est de toute évidence « politique ». Il penche actuellement fortement du côté du capitalisme pur et dur, les états abandonnant de plus en plus le pouvoir d’orientation et de direction, - qui justifie pourtant en principe leur existence-, aux mécanismes de marché, c’est-à-dire à la règle de la maximisation individuelle du profit, sans considération pour les conséquences bonnes ou mauvaises que cette quête peut avoir sur la survie des autres acteurs, dans un univers ou le profit motive et justifie tout, y compris l’exclusion de ceux qui ne sont pas capables ou désireux d’entrer dans ce jeu ou de le subir.

Constatant que les dérives du système financier comme l’épuisement ou la dégradation de certaines ressources devient une menace directe pour leur survie, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à parler haut et fort de protection de l’environnement, de responsabilité sociale et de développement durable. Mais l’« hypocrisie » malheureusement souvent involontaire de ce nouveau credo est démontrée par de nombreux auteurs, et entre autres par Rob Gray et Jan Bebbington, du Centre for Social and Environmental Accounting Research dans leur remarquable note « Corporate : Accountability and the Pursuit of the Impossible Dream ». Elle est confirmée par le constat que chacun d’entre nous peut faire en comparant les proclamations aux actions et à leurs conséquences des acteurs qu’il connaît bien. Les dirigeants d’une entreprise sont jugés au bénéfice financier qu’ils réalisent. Juridiquement, et même fiscalement, toute dépense qui n’est pas directement liée à la recherche de la maximisation du rendement du capital peut être qualifiée de détournement d’actif. Que cela plaise ou pas seules la contrainte réglementaire ou l’incitation financière directe peuvent dans ces conditions justifier des dépenses ou des investissements qui ne contribuent pas aux résultats financiers à court terme. On peut rêver que les incitations éthiques ou morales ou les motivations socioculturelles qui flattent l’ego ou résultent de la pression psychologique de l’entourage se substituent u jour au bâton réglementaire ou à la carotte financière, mais, dans les faits, il n’y a que les sociétés qui n’ont pas besoin de faire appel au « marché » financier ou bancaire qui peuvent ignorer cette réalité.

Quelles solutions ?

Le propos de ce forum est d’essayer de trouver les modes de fonctionnement économiques et financiers qui permettront aux producteurs de biens et de services de respecter l’intégrité de la biosphère indispensable à notre survie en tant qu’espèce, tout en garantissant à chaque individu, où qu’il soit, et quel qu’il soit, la possibilité d’une vie digne et raisonnablement confortable.

Pour amorcer la discussion, le texte qui suit propose une liste non exhaustive de principes et quelques pistes qui sont reprises d’un blog posté sur le site de Paul Jorion à http://www.pauljorion.com

La définition des principes est essentielle pour le projet de Constitution Economique de Paul Jorion. Les pistes ont surtout pour objet de montrer qu’il est possible de travailler autrement qu’on ne le fait aujourd’hui en faisant l’économie d’un grand soir.

Avant de parler de ces principes, il est essentiel de souligner qu’ils ne seront d’aucune utilité tant qu’une condition préalable n’aura pas été remplie : rien ne sera possible en effet tant qu’un nombre sans cesse croissant de choix techniques et économiques seront effectués sur des bases purement monétaires. Le profit n’est ni une éthique ni une morale, et ne peut se substituer à elles. La science en elle-même n’est pas différente, et laisser les scientifiques décider ne serait pas un progrès. On changerait de prêtres et de religion, mais on ne mettrait pas pour autant en place un système équilibré. La solution ne peut venir que d’un retour à la prééminence du politique.

Les principes

Un système durable étant un système qui fonctionne en boucle, il est par nature sensible aux variations. Tout doit donc être fait pour minimiser ces variations ou, quand elles sont inévitables, pour en atténuer les consequences.

On peut réduire les variations de plusieurs façons. La plus radicale est de les éliminer. Ainsi, le troc et/ou les contrats de fournitures ou de vente à termes permettent de limiter voire d’éliminer les fluctuations physiques et monétaires. Une façon moins radicale de procéder est de mettre en place, quand c’est possible, de véritables mécanismes de marché, ou de remplacer les mécanismes de marché par des mécanismes d’assurances et/ou de prix garantis, comme on l’a longtemps fait pour les produits agricoles dans les pays développés. Les flux étant en principes prévisibles, on peut aussi réduire l’intermédiation dans tous les domaines en utilisant mieux les possibilités des TIC

Remplacer les actionnaires strictement financiers par des partenaires producteurs et consommateurs.

Pour mieux maîtriser les flux physiques de matières premières en amont, et de produits et services en aval, il serait sans doute utile de revisiter le statut d’organismes tels que les Sociétés Coopératives Ouvrières, ou les Sociétés d’Intérêt Collectif Agricole. Ce genre de structure pourrait éventuellement permettre à des « clients » d’investir aux cotés des « producteurs » dans des outils de production ou de transformation, et de bénéficier en échange d’un accès à ces produits dans des conditions privilégies. Il faudrait par exemple vérifier que des unités de production de biodiesel montées sur ce modèle pourraient ensuite se regrouper en réseau et passer des accords avec des distributeurs de carburants comme Leclerc ou Carrefour pour offrir à leurs investisseurs partenaires la possibilité de s’approvisionner partout en France à prix spécial grâce à une carte de type Visa. Ce principe est transférable à de nombreux autres secteurs, et pourrait servir initialement pour le montage de partenariats public/privé pour le financement et l’exploitation d’infrastructures d’intérêt collectif (transports, énergie, télécommunications, gestion de l’eau) ou pour la mise en place de nouveaux modes individuels de transport individuel, de production décentralisées d’électricité, de gestion de l’eau ou de traitement de l’information.

Concernant les sociétés traditionnelles non cotées en bourse peuvent constituer une alternative intéressante, car, n’étant pas soumise à la dictature courtermiste des marchés d’actions, elles peuvent plus facilement que leurs consoeurs cotées investir à long terme, ou prendre en compte des considérations non financières

Revenir aux basiques en faisant en sorte que l’offre et la demande réelle déterminent les prix.

La modification la plus importante à introduire est sans conteste celle de la suppression de la régulation des marchés par ce qu’il faut bien appeler la spéculation, puisque les gains et les pertes ne correspondent à aucune variation physique des produits échangés, et n’ont qu’un lointain rapport avec les variations de l’offre et de la demande.

Il est impossible, - et il serait en toute hypothèse suicidaire -, de financer les investissements très longs nécessaires pour passer à une économie durable, sans préalablement prendre des dispositions ayant pour but de stabiliser les cash-flow des opérateurs sur des périodes correspondant en gros à la durée de ces financements.

Il est anormal que par le biais des variations de cours purement spéculatives et de commissions sur des opérations toujours plus nombreuses et complexes , le système financier prélève des sommes tellement considérables sur le système productif qu’il peut se permettre de conduire une politique salariale extravagante, qui lui permet de recruter les plus brillants sujets au détriment d’autres secteurs plus « utiles », socialement, mais incapables de dégager des marges suffisantes pour offrir des conditions comparables.

Il faut pour cela trouver un système qui rémunère les régulateurs quand rien ne change, en utilisant des mécanismes inspirés de ceux de l’assurance plutôt que de ceux de la vente aux enchères, car les marchés tels qu’ils sont aujourd’hui, ne peuvent que dériver vers des comportements purement spéculatifs, essentiellement opposés à la notion même de durable.

Il est socialement contreproductif et économiquement stupide que le rendement du capital investi par un spéculateur sur les cours du maïs ou du soja soit supérieur à celui d’un producteur de maïs ou de soja, qui prend des risques bien plus considérables (météorologie, parasites, maladies…) et n’a nul besoin d’y ajouter ceux que lui peuvent lui imposer un trader qui souhaite donner un coup de pouce à son compte d’exploitation afin d’augmenter ses gains personnels. On assure bien les agriculteurs contre les intempéries. Pourquoi pas contre les variations de cours autrement qu’en taxant les contribuables ou en créant au jour le jour des écarts de cours pharaoniques pour amortir des variations epsilonesques de l’offre ou de la demande ?

Sortir du tout marché en « démarchandisant » au plus vite ce qui peut l’être

Le nécessaire découplage entre économie réelle et finances virtuelles peut s’amorcer par une réintroduction de pratiques plus proches de l’échange et du paiement en nature, - qui sont indispensables à la mise en place des systèmes éco-industriels (cf. références) -, à l’initiative des multinationales non financières. Ce n’est pas un rêve, car on commence à observer cet infléchissement, entre autres dans certaines « supply chains », ou dans les quelques parcs éco-industriels qui fonctionnent. Les industriels s’aperçoivent en effet que changer constamment de partenaire pour extraire en permanence le dernier centime d’un fournisseur moribond ou incompétent n’est pas une solution acceptable. L’organisation en réseaux de supply chains, - qui n’est jamais que la reprise de l’organisation du monde vivant, avec ses prédateurs, ses parasites, ses ouvriers et ses victimes -, n’est peut-être pas la solution idéale, mais elle semble la plus apte à garantir une certaine autonomie à chacun. Tout dépend de la façon dont elles sont organisées.

On les critique beaucoup parce qu’elles sont le plus souvent aujourd’hui des systèmes hiérarchisés, avec un donneur d’ordre et des « esclaves » qui rament dans les soutes, et peuvent être jetés par dessus bord à tout moment. Ce n’est bien sur pas ce qui est souhaitable.

Réinventer le troc

Le troc, cette vieille pratique que tous les pouvoirs qui se nourrissent et contrôlent des transactions monétaires exècrent et déconsidèrent jusqu’à transformer le mot lui-même en symbole d’un passéisme rêveur, existait bien avant la création de la monnaie et du « marché », et il existe encore, même aux Etats-Unis comme le montre une recherche sur Google avec le mot « Barter ». D’après l’OMC, il représenterait aujourd’hui 15% du commerce mondial. Il se développe même car les TIC fournissent le moyen technique de créer un village mondial dont le coût d’accès est marginal pour les visiteurs. Certaines échoppes d’E-Bay sont ainsi des lieux de bartering. Il y a encore un siècle, il n’était pas rare de payer en partie certains services (médecin, vétérinaire…) ou certains produits (pain, viande…) en nature, pourquoi ne le ferait-on plus, au moins localement ? Il est clair que cela nécessiterait un ajustement au niveau de la fiscalité, mais même dans ce cas, l’échange en nature est possible. Les corvées ont mauvaise réputation, certes, mais c’est une forme de transaction qui peut avoir son intérêt quand on a beaucoup plus de temps que d’argent disponible.

Redonner au système financier son rôle originel de convertisseur d’épargne et de porteur de risque

Parmi les autres pistes qui devraient aussi être explorées, il faut retenir la remise en ordre du système financier. Dérivé des modèles ouverts de l’ère industrielle (extraction, transformation, utilisation, mise en décharge), le système actuel est conçu pour favoriser la plus grande mobilité possible des capitaux, la compétition à l’extrême, et la défiance, alors qu’un modèle durable, même s’il doit entretenir certaines formes de compétition sous peine de fossilisation, ne peut être fondé que sur la coopération et la confiance.

Afin de contribuer au développement durable, le marché financier devrait être conçu strictement comme un lieu d’échange entre « prêteurs » et « emprunteurs » et pas comme un lieu virtuel ou des institutions réalisent des plus values difficilement justifiables en terme de productivité, - souvent supérieurs à celles des « producteurs » eux-mêmes -, en exploitant la faiblesse financière des « producteurs », qu’ils ont eux même contribuée à créer en prélevant des sommes parfois considérables sous forme de commissions, d’agios, d’intérêts, qui n’ont plus de raison d’être car elles ne correspondent plus à la rémunération d’un risque. Il faut revenir le plus vite possible aux vieux principes qui ont justifié les privilèges des « banquiers » dans le passé et faire en sorte qu’ils ne soient plus rémunérés que pour leur rôle d’intermédiation bancaire et de portage de risques, et très peu, au fixe, pour leur rôle d‘intermédiation pour les risques qu’ils se contentent de vendre à d’autres.

Encourager et faciliter la flexibilité

La façon la plus simple d’ y parvenir est de remettre le pouvoir et les moyens au plus près de l’action en favorisant les modes de fonctionnement décentralisés, (l’« empowerment » anglo-saxon). Les mesures qui peuvent le plus favoriser cette évolution relève soit de modifications consistant à prélever le moins possible de ressources sur les opérateurs de terrain, et à limiter au maximum les opérations de transfert de ressources et de redistribution des plus values.

Promouvoir des systèmes de gouvernance conciliant autonomie d’exécution et gains de productivité liés aux effets de taille

Mais on peut aussi les concevoir comme des systèmes évoluant progressivement vers l’auto-organisation, auto-enrichis au jour le jour par les expériences et les idées de chacun des participants, et dans lequel le pouvoir s’exerce localement au niveau du terrain dans le cadre d’une charte admise par tous, et collégialement au niveau global quand la survie de la Chaîne est menacée. Les Japonais ont formalisé un fonctionnement de ce genre dans le concept « Ba » de création de connaissance (cf. le document de l’Ambassade de France à Tokyo cité dans les références). Un autre exemple est fourni par la Chaordic (Cf. le site web “Chaordic Commons”). La Carte Visa qui a servi de base à son élaboration est devenue avec le temps un des « produits » financiers les plus universels, - plus que ne l’est aucune monnaie, même le dollar -, dont tous les émetteurs sont solidaires dans une organisation qui permet à chacun de fonctionner de la façon qui lui convient le mieux, ce qui permet de faire cohabiter tout le monde dans un même réseau, de la plus modeste association jusqu’aux plus grandes banques du monde pour les émetteurs, et du commerçant pékinois à WalMart pour les clients. Peu connu en tant que tel, ce concept mérite l’attention car ses « préceptes » et ses règles de fonctionnement sont effectivement beaucoup plus respectueux des hommes qui y adhèrent que ceux du capitalisme, surtout dans sa version libérale avancée contemporaine. Dans un autre domaine, le système d’exploitation Linux, est, au moins pour le moment, un exemple de la pertinence et de la puissance de ce genre d’organisation pour gérer des taches complexes.

Ces réformes ne pourront vraisemblablement pas voir le jour rapidement. Quoiqu’en pensent certains experts, il n’existe pas de potion magique qui pourrait instantanément tout remettre à plat. Ce n’est de toute façon pas souhaitable parce qu’une telle solution ne pourrait naître aujourd’hui que d’un ralliement planétaire plus ou moins volontaire aux valeurs occidentales, et porterait donc probablement en elle les germes de sa propre destruction.

En attendant des jours meilleurs, il faut donc chercher dans la vaste panoplie qu’offrent les usages et les pratiques actuels celles qui peuvent permettre de financer « sainement » le passage à des modes de fonctionnement durables.

Pour faire bouger les choses concrètement, sur le terrain, on peut, avec un peu d’imagination et de ténacité, monter des solutions alternatives au tout marché qui préfigureront ces futures solutions, tout en respectant les modes de fonctionnement actuels.

Reconnaître et récompenser

Le moment est probablement venu de proposer aussi des idées un peu nouvelles pour faire bouger les choses côté « coûts », en donner un coup de pouce « capitaliste » aux pionniers. Deux pistes viennent à l’esprit, mais il y en a d’autres. Elles privilégient :

Pour autant que le fraude éventuelle soit convenablement réprimée, est un moyen d’incitation bien plus efficace que la redistribution de taxes, - que cette redistribution soit publique ou privée, comme c’est le cas pour le marché des crédits carbone -, car elle évite les prélèvements parasites nécessaires au financement de la collecte et de la redistribution, et laisse les fonds là ou ils sont le plus productifs.

En contrepartie, il serait sans doute nécessaire de rééquilibrer les conditions de fin de contrat de travail ; il est parfaitement légitime qu’un salarié souhaite pouvoir librement quitter l’entreprise qui l’emploie sous réserve d’un certain préavis ; mais il serait équitable que cette entreprise, qui a souvent investi pour le former et, dans de nombreux cas, a augmenté sa qualification et donc contribué à sa mobilité, ait, symétriquement, la possibilité de le licencier sans indemnités spéciales avec le même préavis. S’il est en effet normal que l’on oblige les entreprises à respecter le droit du travail, il est par contre contreproductif de leur imposer la charge que constitue le droit légitime à un revenu que représente le droit au travail. Cette charge ne peut être que le résultat d’une décision de nature politique, qui exprime le degré de solidarité d’une collectivité qui devrait normalement en assumer le coût.

La bonification des prêts d’équipement est une longue tradition du monde agricole. L’économie durable reposant pour l’essentiel soit sur les mêmes infrastructures, soit sur des infrastructures dont la rentabilité a les mêmes caractéristiques en termes de durée et de profitabilité, il serait utile de prévoir les mêmes modalités de financement pour les accompagner. Les financements correspondants pourraient sans doute être mobilises par appel public a l’épargne, en créant, par exemple des livrets populaires d’épargne environnementale, dont les le captal et les revenus seraient protégés par des dispositions financières et fiscales comparables a celles qui étaient appliquées jadis au livrets de caisse d’épargne.

La création de dispositions particulières garantissant les investissements des particuliers dans des sociétés mixtes réunissant producteurs et consommateurs/utilisateurs telle que mentionnées précédemment est une autre piste envisageable.

Références

The President’s Council on Sustainable Development (PCSD) June 1993
http://clinton2.nara.gov

NOTES