Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Sylvain Dzimira

Les sciences économiques et sociales
Progressions pédagogiques

Texte publié le 28 mars 2008

La Revue du MAUSS Permanente ouvre un espace de discussions sur les sciences économiques et sociales (SES) et sur l’école (pour nous, l’enjeu de la réforme pressentie de « l’enseignement de l’économie au lycée » - on ne parle déjà plus de sciences économiques et sociales... - déborde très largement les SES, en posant plus généralement la question du sens du savoir enseigné et de l’école), dans la continuité des articles déjà publiés [1] et dans le prolongement de La Revue du MAUSS semestrielle n°28 : « Penser la crise de l’école »).
Nous ouvrirons une rubrique lorsque nous aurons reçu suffisamment de contributions. Elles pourront s’inscrire dans les questionnements du MAUSS - comme celle qui suit - ou les critiquer ! Cette rubrique inaugurera un véritable groupe de travail - dans un premier temps virtuel - sur les sciences économiques et sociales.

Nous avons longtemps hésité à publier notre progression pédagogique de Première ES, telle que nous la présentons à nos élèves, à l’aide d’un document powerpoint. Si, finalement, après avoir demandé conseil, nous nous sommes résolus à l’exposer telle qu’elle, c’est que son élaboration a été suffisamment laborieuse et traversée de doutes pour que nous la soumettions à discussion.

Précisons simplement que nous l’avons élaborée avec le souci de poser la question de la justesse de la vision que nous avons de nous-mêmes, sans céder ni à l’éclectisme, qui mobilise indifféremment des théories concurrentes pour éclairer un même objet, ni au relativisme qui lui est associé, qui considère que toutes les théories se valent.


Progression pédagogique. Première ES

Et la Terminale ?

Notre progression pédagogique porte donc sur le programme de Première ES. Comment nous y prenons-nous en Terminale pour donner de la cohérence à l’ensemble (nous retrouvons nos élèves de Première en Terminale) ? Nous nous efforçons simplement de confronter systématiquement les théories abordées en examinant la place qu’elles réservent à l’intérêt et à ce qui n’en procède apparemment pas (la wertrationalität, l’action affectuelle ou traditionnelle wébériennes, l’habitus bourdieusien, la sympathie smithienne, la passion pour l’égalité tocquevilienne, la croyance durkheimienne, le plaisir d’innover, de créer pour créer de l’entrepreneur schumpétérien etc.…). Les élèves y sont bien préparés par la progression de la classe de première. D’ailleurs, il s’agit moins de situer telle ou telle théorie dans tel ou tel camp utilitariste ou anti-utilitariste que d’interroger ces théories sous ces angles, en montrant combien parfois la place de l’intérêt est ambiguë, certaines théories apparemment antiutilitaristes versant dans un utilitarisme euphémisé ou diffus, et inversement.

Ne serions-nous pas des homo donator ?

Peut-être n’est-il pas superflus de rappeler brièvement le sens de cette interrogation, qui structure notre progression de Première. En soutenant que le don est le roc des affaires humaines, Marcel Mauss ne dit rien de plus que c’est par le don, par la triple obligation de donner, recevoir et rendre que les hommes s’allient durablement, et qu’une aventure commune peut commencer à s’écrire, pour le meilleur et pour le pire, que cette aventure soit commerciale ou juridique, par exemple. En ce sens, le don précède le marché et le contrat : « Pour commercer [ou pour négocier contractuellement (S.D)], il fallut d’abord savoir poser les lances », écrit M. Mauss, i.e. transformer par le don ses ennemis au moins potentiels en amis, se donner des gages d’une confiance mutuelle . D’où l’on voit que l’antériorité du don sur le marché et sur le contrat est autant logique qu’ontologique. Quant à la proposition selon laquelle le don serait le « roc » de notre morale, de la morale éternelle, même, dit M. Mauss, elle est sans doute la plus énigmatique et celle qui suscite le plus de discussions. Disons trop rapidement qu’en tant qu’opérateur des alliances durables, il témoigne d’une supériorité principielle de la vie et de la paix sur la mort et la guerre (ou la violence). Par ailleurs, l’alliance par le don s’opérant dans la manifestation d’un intérêt (désintéressé) pour l’autre et dans le refus ostensible de la satisfaction de son propre intérêt matériel, elle traduit une certaine générosité. Enfin, en tant qu’il contient une charge agonistique plus ou moins exacerbée, qu’il exprime une aptitude à « s’opposer sans se massacrer », le don est porteur d’un ethos démocratique, qui est donc aussi universel que le don lui-même (même si, une fois les hommes associés, tous les possibles, dont les moins démocratiques, restent ouverts). Il faut savoir « transformer ses ennemis en amis », se montrer généreux, « s’opposer sans se massacrer » : voilà, en quelques lignes trop rapides, quelques éléments de la morale éternelle intrinsèque au don (agonistique).

NOTES

[1sur les SES1, sur la pluridisciplinarité et sur l’école