Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Pierre Prades

Michel Herland :
Lettres sur la justice sociale à un ami de l’humanité

Texte publié le 23 mars 2007

Éd. Le Manuscrit, coll. Essais et documents, 2006, 328 p., 21,90 €
Ouvrage disponible en ligne sur www.manuscrit.com

« Sous forme épistolaire, un professeur voyageur nous fait découvrir les théories de la justice sociale, de l’Antiquité à nos jours. » Tel est le projet de ce livre à la fois pédagogique et critique, conjuguant « humour et érudition » nous dit-on.
Et certes, l’ouvrage est riche, il sera très utile à l’étudiant ou au lycéen pour sa présentation claire et rapide des thèses de Walras, Rawls ou Sen, sur l’égalité des chances.
Mais la partie la plus stimulante est sans doute la confrontation entre Proudhon et Walras. Ce dialogue de sourds est en étonnante résonance avec les temps actuels, comme si la gauche française, restée proudhonienne au fond, ne pouvait que maintenir dans son exil indéfini le « socialisme libéral » de Walras, alors même que les chaires d’Économie sont réservées à ses lointains disciples.
Dans sa dimension critique et prescriptive, l’essai présente un curieux mélange de sagesse et d’imprudence, de précision et de désinvolture. Sagesse dans le rappel du consensus nécessaire à la justice sociale, et dans l’évocation des « coûts de transition » vers une telle justice. Cette notion, mentionnée en passant, aurait pu être utilement développée.
Imprudence dans l’adhésion presque enthousiaste aux promesses de l’« eugénisme actif », et dans le soutien à la limitation malthusienne des naissances chez les pauvres...
Le choix du mode épistolaire pouvait servir le projet didactique, mais le registre familier et plaisant qu’il impliquait n’a pas été facile à tenir : si les citations sont éclectiques et souvent bien choisies, les morceaux de critique cinématographique et littéraire deviennent de véritables digressions, qui ne servent pas vraiment le propos.
Dommage, car l’ambition littéraire de ce livre, comme le révèlent ses dernières phrases, était aussi de tisser ensemble les thèmes de la justice sociale et de l’amour du prochain « lequel n’est que la version élargie, plus désintéressée, de celui qui se manifeste entre des amants ».

NOTES