Sur le désintéressement

JON ELSTER AU COLLEGE DE FRANCE

Chaire de rationalité et sciences sociales

Jon Eslter a prononcé des conférences au Collège de France sur le thème du désintéressement au cours du premier semestre 2007. Nous avons reproduit ci-dessous une synthèse de sa Leçon inaugurale disponible sur le site du Collège de France, auquel nous renvoyons pour écouter ses conférences dont nous ne donnons ici que les intitulés.

Synthèse de la leçon inaugurale

Le même mot latin, ratio, est à la racine de deux traditions intellectuelles à la fois très différentes et liées entre elles. Pour les moralistes, la raison a toujours été opposée aux passions et, chez les modernes, aux intérêts. Pour les économistes modernes, au contraire, le choix rationnel va souvent de pair avec l’intérêt, au point que la poursuite rationnelle de l’intérêt est devenue une hypothèse de base. L’opposé du rationnel est, bien entendu l’irrationnel, qui comprend non seulement les passions mais aussi divers biais cognitifs.

La raison est une idée normative, qui est censée guider le comportement des agents dans l’espace public. La Bruyère note que « Ne songer qu’à soi et aux autres, source d’erreur en politique ». Pour corriger l’erreur, il faut considérer et les autres et l’avenir, dans une perspective impartiale qui donne le même poids à chaque personne et à chaque moment. En plus, il faut agir sur des croyances bien fondées, ce qui requiert un investissement optimal dans la collecte d’informations. On peut dire que l’inculcation de la raison est la tâche principale du précepteur du prince.

La rationalité est une idée explicative, qui est censée pouvoir rendre compte de l’action en la ramenant aux raisons de l’agent, c’est-à-dire à ses motivations et à ses croyances, supposées bien fondées. Bien que l’hypothèse de l’action rationnelle se soit révélée fragile en tant que système explicatif, elle garde une importance normative dans le sens de produire des impératifs hypothétiques : si tu veux ceci, fais cela. Dans ce sens, la poursuite de la rationalité est la tâche du conseiller du prince. Il lui dit comment agir pour réaliser le plus efficacement ses fins, quelles qu’elles soient. Il ne lui incombe pas d’imposer les demandes de la raison.

L’empire de la raison serait faible si elle n’était pas soutenue par la rationalité et l’amour-propre. En toute société, il existe une hiérarchie normative des motivations, selon laquelle on est blâmé de faire une certaine action par telle motivation, et loué d’avoir fait la même action par telle autre. Le plus souvent les mobiles désintéressés priment sur les mobiles intéressés. Un acteur rationnel qui n’est mû que par son intérêt aura donc intérêt à le cacher, afin de ne pas s’attirer des blâmes. Mais le besoin de l’estime des autres est sans doute moins important que le besoin d’estime de soi, ou l’amour-propre. Pour citer Jean Domat, « toute la déférence qu’a le coeur pour l’esprit est que, s’il n’agit pas par raison, il faut au moins croire qu’il agit par raison. »

L’intégralité de sa Leçon inaugurale a été publiée en 2006 aux Editions Fayard, dans son ouvrage intitulé Raison et raisons (10 €)

Ecouter les conférences depuis le site du Collège de France

Le désintéressement

  • Le désintéressement et l’herméneutique du soupçon
  • Intérêt, raison, passion
  • Le désintéressement et ses voisins
  • Les expériences psychologiques, l’équité
  • Les expériences psychologiques - la réciprocité
  • Transferts intergénérationnels et donations charitables
  • Le désintéressement en politique - le paradoxe du vote
  • Le désintéressement en politique - la convocation des assemblées -constituantes
  • Le désintéressement en politique : les « ordonnances abnégatrices » (self-denying ordinances)
  • Le désintéressement en politique - La Convention de Philadelphie (1787)
  • Le désintéressement en politique - La nuit du 4 août 1789
  • Masques et voiles du désintéressement

En écho à ces conférences, on lira aussi utilement l’ouvrage d’Alain CAILLÉ, [1994] 2005, Don, intérêt et désintéressement. Bourdieu, Mauss, Platon et quelques autres, MAUSS/La Découverte, dont on peut lire ici, le sommaire et l’introduction en ligne

// Article publié le 28 juin 2007 Pour citer cet article : Jon Eslter , « Sur le désintéressement
 », Revue du MAUSS permanente, 28 juin 2007 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Sur-le-desinteressement
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