Quel avenir pour la gauche ?

Cet article, paru dans Libération le 1 janvier 2010, est une réaction à l’article de Jacques Julliard, Vingt thèses pour répartir du pied de gauche, également paru dans Libération.

Comment ne pas être d’accord avec le diagnostic de Jacques Julliard ? La montée en puissance dans les années 1980 d’un capitalisme actionnarial a peu à peu enrayé la dynamique démocratique et avec elle l’espoir d’un approfondissement et d’une universalisation progressive du modèle incarné par le capitalisme rhénan, la social-démocratie scandinave ou la planification à la française. La mondialisation a permis l’enrichissement des classes dominantes – ou de leurs dépendants- des pays les moins développés mais, loin de permettre à ces pays d’accéder aux normes de protection sociale et de qualité des services publics dont pouvait s’enorgueillir l’Europe occidentale, elle a commencé à les éroder et à remettre de plus en plus fortement en question tout un ensemble de « conquêtes sociales » qui avaient pu sembler définitivement acquises. La construction européenne qui visait à les généraliser en Europe s’est retournée contre ses ambitions initiales en autorisant le dumping fiscal et social. Symétriquement, l’augmentation indéfinie du nombre des pays membres, au lieu de démultiplier leur puissance politique n’a abouti qu’à la fragmenter jusqu’à rendre l’Europe politiquement inaudible, invisible et impuissante à l’échelle du monde. Et avec elle, ce qui est plus grave, tous ceux qui croient encore au programme de progrès démocratique traditionnellement porté par la gauche. D’autant plus, d’ailleurs, que cette dernière s’est gravement discréditée pour ne pas avoir su, pu ou voulu s’opposer à cette mainmise du capitalisme financier, quand elle ne s’est pas compromise avec lui.

Quant aux remèdes, la direction générale indiquée par J. Julliard semble juste, mais elle fait preuve de trop de timidité pour pouvoir espérer remobiliser le peuple de gauche en France ou ailleurs.

  • Il ne suffira pas de nationaliser certaines banques si on ne réintroduit pas une distinction ferme entre banques de dépôts et banques d’affaires, si on n’interdit pas les transactions sur les prix virtuels et si on ne lutte pas réellement contre les paradis fiscaux.
  • En amont, c’est la légitimité même des inégalités extrêmes qu’il faut contester et la misère qu’il faut décréter hors la loi. Est-il vraiment inenvisageable de poser, par exemple que les revenus des grands patrons ne doivent pas être plus de quarante fois supérieurs à ceux de leurs salariés, comme aux USA en 1970 au lieu de mille fois aujourd’hui ? Un projet de gauche ne doit-il pas commencer par affirmer qu’aucun être humain ne doit tomber en dessous d’un certaine niveau de ressources vitales ?
  • Sans doute la deuxième gauche a-t-elle failli, mais pas plus que la première ou que l’extrême. On ne saurait en tout cas abandonner son projet de dynamiser et mobiliser la société civile associationniste et compter uniquement sur les syndicats. Mais le paradoxe est que le monde associatif n’est pas spontanément et naturellement vertueux ou efficace. Un État fort – celui qui a les faveurs de la « première gauche » - est nécessaire pour l’instituer et l’autonomiser. Première et deuxième gauche doivent donc s’épauler, se dialectiser et se transcender.
  • Le jeu politique ne peut plus toutefois se circonscrire dans les seules frontières de l’État-nation. Rien ne pourra redémarrer vraiment à gauche sans redémarrage simultané du projet d’une Europe politique. Qui passe au premier chef par une entente franco-allemande.
  • Au-delà, et parce que les nations ne peuvent plus se fonder désormais sur un socle culturel et a fortiori ethnique homogène, et parce que seuls peuvent faire écho les projets susceptibles d’avoir une résonance mondiale, c’est une social-démocratie universalisée et radicalisée qu’il nous faut inventer. Universalisée par un dialogue inter-culturel, et radicalisée dans sa lutte contre l’illimitation du désir de puissance ou de richesse dont découle la destruction de la nature.
// Article publié le 2 février 2010 Pour citer cet article : Alain Caillé , « Quel avenir pour la gauche ?  », Revue du MAUSS permanente, 2 février 2010 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Quel-avenir-pour-la-gauche
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