Les sciences économiques et sociales au lycée : vers un savoir plus utile ?
La réforme de l’Université (loi LRU) et ce qui a été présenté comme une orientation souhaitable pour les sciences économiques et sociales au lycée m’ont semblé recevoir la même inspiration, au fond, très utilitariste (sur la réforme de l’Université, on peut écouter l’intervention de Ch. Lazzeri ici). Après l’avoir suggéré de manière très allusive sur le forum du MAUSS, certains MAUSSiens ont réagi. Nous avons souhaité publier dans la RDMP ce bref échange entre Pascal Combemale, Pierre Dumesnil, Fabrice Flipo et Sylvain Dzimira, dans l’espoir qu’il suscite de nouvelles réactions. Depuis cet échange, les SES ont fait l’objet de vives attaques dans la presse. « On » lui reproche de donner aux élèves une mauvaise image de l’entreprise, ou plutôt, de ne pas en donner une bonne image, et (donc) de ne pas bien préparer les élèves au monde du travail. Pour plus d’informations, cf. le site de l’association des professeurs de sciences économiques et sociales, APSES.
Afin de mieux saisir la discussion que nous avons eue, nous l’avons introduite par un article de Philippe Rospabé qui présente très clairement les SES (même si depuis les programmes ont changé : l’article a initialement paru dans La Revue du MAUSS semestrielle n°3, "Pour une autre économie, MAUSS/La Découverte, 1994.) SD.
QUELQUES LEÇONS D’UN ENSEIGNEMENT
Un point de vue sur les sciences économiques et sociales au lycée
par Philippe Rospabé
Si nous plaidons pour un enseignement universitaire qui associe plusieurs disciplines des sciences sociales, il importe de réfléchir, au moins brièvement, sur ce qui a été fait et se poursuit dans l’enseignement secondaire des sciences économiques et sociales (SES). Née à la fin des années soixante, la section B (récemment devenue ES) se caractérise par un horaire relativement important attribué aux SES, discipline composite qui englobe des enseignements de sciences économiques, de sociologie, de démographie, voire de droit constitutionnel Aux yeux de nombreux universitaires et chercheur spécialisés, les SES apparaissent au mieux comme une discipline à l’ambition démesurée, au pis comme un bricolage superficiel de notions empruntées ici ou là aux sciences sérieuses, celles qui sont institutionnalisées et pérennisé par l’enseignement supérieur.
Qu’en est-il de la pratique de l’enseignement des SES ? Doit-on préciser qu’elle impose un effort de formation considérable à des enseignants mono formés venus soit des sciences économiques (le plus souvent), soit de la sociologie, soit du droit (rarement) ? Effort d’autant plus grand que les SES englobent au moins potentiellement toutes les sciences sociales et qu’une place légitime peut aussi être attribuée à l’anthropologie et à la science politique par exemple. Bien que sélectionnés par des concours qui font place aux diverses sciences sociales, mais sur des thèmes donnés, cette pré-formation liée aux concours doit être poursuivie et approfondie si l’on veut faire face avec quelques compétences aux exigences des programmes. Cela ne va pas sans mal étant donné les charges d’horaires et l’isolement de nombreux professeurs. Il peut en résulter aussi une insatisfaction née de l’impression que l’on ne parviendra jamais à maîtriser suffisamment les concepts et mécanismes des disciplines pour lesquelles on n’a pas reçu de formation universitaire de base. Il y a, en revanche, la satisfaction intellectuelle qu’apporte une approche plurielle, donc tellement plus riche, des faits économiques et sociaux.
Pour donner une idée plus précise du contenu des cours de SES, voici un aperçu du programme enseigné jusqu’à tout récemment en classe de première. Centré sur l’étude de l’économie et de la société française, trois grandes parties le composent : 1. structure, organisation, institutions sociales et politiques ; 2. structures et mécanismes économiques ; 3. rôle économique et social de l’État.
Le détail de chaque partie souligne encore plus la diversité des contenus. La première, par exemple, englobe quatre points : les groupes et les rapports sociaux ; la socialisation ; culture et société ; la nation et l’État - le système politique, ses principes et sa pratique. La deuxième comprend : les outils de l’analyse structurelle de la production : branches, secteurs, filières ; principe et présentation simplifiée de la comptabilité nationale ; le financement de l’économie nationale ; les échanges : marchés, formation des prix, rôle de l’extérieur.
S’il est évident que chaque enseignant développe plus ou moins les points qu’il juge prioritaires, la perspective du baccalauréat le contraint à choisir les thèmes qui font davantage l’objet de dissertation. Les annales de sujets font alors jurisprudence. C’est ainsi que les classes sociales dans la première partie du programme, la monnaie et les prix dans la deuxième sont généralement privilégiés, tandis que le système politique fait l’objet de moindres développements.
Discipline particulièrement sensible aux changements de l’environnement sociétal, les SES ont évolué, ou plutôt ceux qui en avaient la charge. La montée en puissance de la section B, dans les années soixante-dix, s’est accompagnée du recrutement d’un corps d’enseignants jeunes et enthousiastes dont beaucoup partageaient une vision critique des sociétés capitalistes et dont les cours en portaient nécessairement la marque. Perçues comme dangereuses par quelques hauts fonctionnaires, les SES ont plusieurs fois été remises en question dans leur existence même. Il a fallu la combativité des enseignants, et en particulier de son association, l’APSES, ainsi que la ténacité de l’Inspection, pour que la discipline perdure dans sa spécificité.
A la phase « idéologique » a succédé celle du désenchantement politique qui caractérisait la société globale, celle aussi d’un scepticisme croissant quant à la légitimité de sciences incapables de prévoir et encore moins de fournir ICR moyens de faire face aux « crises ». Parallèlement, notre enseignement n’a évidemment pas échappé aux difficultés liées à la massification de l’école. Bref, dans l’analyse du malaise, il est difficile de faire le départ entre les difficultés de l’enseignement au quotidien et la remise en cause de la légitimité des savoirs transmis. Si l’on risque une synthèse des réactions professorales, il semble que beaucoup d’entre nous se soient « réfugiés » derrière la présentation « neutre » des principaux courants de pensée : les approches néoclassiques, keynésienne et marxiste (dans une moindre mesure) coexistent dans l’analyse de tel fait économique, de même que l’individualisme méthodologique et le holisme dans l’étude de tel domaine du champ sociologique. L’évolution des manuels scolaires a accompagné (voire précédé) ce changement : à une présentation plutôt monocolore des faits économiques et sociaux a succédé une approche systématiquement pluraliste des divers éléments du programme.
A première vue, il est possible de se réjouir de cette nouvelle tolérance qui serait le gage d’une scientificité retrouvée, mais cela ne va pas sans inconvénients : des élèves de 17-18 ans n’en sont pas encore à la phase du scepticisme que Montaigne attribuait malgré tout à un âge relativement avancé. S’ils admettent, par exemple, que le bilan d’une politique économique donnée a deux colonnes, il leur est plus difficile de se persuader que le solde n’en est pas forcément mesurable et encore moins commensurable à celui d’une autre politique. Si, toutefois, chaque enseignant pouvait arriver explicitement à ce stade, il déboucherait sur l’évidence, essentielle à nos yeux, de la normativité des sciences sociales. Cependant, les contraintes d’horaires/programme, celles liées à la compréhension des élèves, à leur refus parfois, risquent fort de faire barrage à cette mise en évidence avec cette conséquence redoutable : donner l’impression que tout se vaut, donc que rien n’a de valeur, ce qui, au mieux, décourage la curiosité, au pis pousse au repli sécurisant sur ce qui est prétendument non politique. La discipline jadis dangereuse serait devenue rempart contre les remises en question impertinentes.
La réflexion sur la coexistence des différentes disciplines qui constituent les SES rejoint partiellement la précédente. Celles-ci coexistent en effet dans ce qu’on pourrait appeler une« complémentarité critique » entendue comme élargissant l’une après l’autre la compréhension d’un phénomène et montrant, dans le même temps, les insuffisances de chacune d’elles. Un élève de fin de terminale ne se satisfera plus d’une analyse« purement » économique du chômage ; il en appellera rapidement à la démographie et à la sociologie, et inversement. C’est au croisement de ces différents coups de projecteur que la « vérité » du chômage lui apparaîtra plus proche.
Nos méthodes de travail contribuent fortement à cette complémentarité critique puisque reposant sur un va-et-vient permanent entre les données empiriques et la réflexion théorique. On ne peut donc se contenter d’apprécier la valeur d’un modèle à sa cohérence, voire à sa complexité mathématique [1]. Le réalisme des hypothèses est nécessairement en question et c’est alors, bien souvent, qu’on se déplace vers le champ d’une autre discipline, non pour l’internaliser mais pour trouver ailleurs ce que l’on ne trouve pas dans la première. Songeons un instant aux hypothèses de la concurrence pure et parfaite et à l’une d’entre elles, l’homogénéité du produit par exemple. Peut-on sérieusement la confronter aux faits en faisant l’impasse sur la sociologie de la consommation ?
Dans l’enseignement des SES, les disciplines ont coexisté sans véritables difficultés de frontière. C’est que, dans le travail quotidien du lycée, il n’y a pas prétention à fonder une méta-science sociale et qu’il y a beaucoup plus à gagner à utiliser les résultats de dizaines d’années de recherches spécialisées. Si l’on ne perd pas de vue qu’après tout il s’agit de former des élèves, notre approche socio-économique est propre à leur donner des outils d’appréhension et de jugement ô combien nécessaires dans un monde où l’information est à la fois surabondante et partielle.
Agrégé en sciences économiques et sociales, docteur en économie, Philippe Rosbapé est aujourd’hui Maître de conférence à l’IUT du Mans.
Discussions autour des SES aujourd’hui
Chers amis,
Vous savez qu’il existe un enseignement de sciences économiques et sociales dans le secondaire. Un enseignement qui ressemble plus ou moins à celui pour lequel le MAUSS a pu plaider dans le supérieur il y a quelques années [2] (et qui a pu se mettre en place non sans difficultés à Nanterre, sous l’impulsion d’Alain d’ailleurs) : pluri- ou trans-disciplinaire, il mobilise les sciences économiques, la sociologie, l’histoire (et même un peu de philosophie politique et morale) etc.
Les détracteurs des SES (cf. le site de l’APSES qui publie leurs billets et les discute) souhaitent manifestement que cet enseignement accorde moins de place à la sociologie, un peu plus à l’économie - en fait à l’économie d’entreprise (qu’ils appellent micro-économie)-, voire à la compta ou à la gestion, en vue de faire de nos élèves de futurs salariés efficaces, ou du moins rapidement « employables ». "
Toutes les mesures qui se prennent dans tous les domaines sont très cohérentes. Et tout va très vite.
Sylvain
Sylvain,
bien sûr, je comprends que l’annonce de la diminution en classe de SES d’un enseignement « inutile » comme la socio au profit de davantage de gestion d’entreprise soit perçue comme un recul « utilitariste » : la compta, le droit, l’économie d’entreprise ; voilà de quoi faire rentrer dans le rang le supposé esprit critique précédent. Est-ce vraiment certain ? Cela me rappelle (j’en suis déjà aux souvenirs !) le clivage économie vs gestion des facs de sciences éco des années post 68 (et avant) : en choisissant les options « compta, droit, gestion d’entreprise etc. on était à droite (voire »facho« ) ; en choisissant l’éco générale (à la rigueur »l’économie mathématique« , comme je l’ai fait) on était à gauche (voire »gaucho"). Rétrospectivement, cela me paraît puéril. Ainsi, il est plus que dommage (comme j’ai pu le constater de très près), contre-productif pour leur argumentation même, que de brillants esprits critiques du capitalisme n’aient aucune connaissance de comptabilité générale, ni analytique ; sans doute peut-on dire la même chose du droit, voire du marketing. Le danger ne me semble pas tant être celui d’un changement des disciplines enseignées en classes de SES que celui d’une normalisation de leur contenu (comme l’histoire dans les états totalitaires et/ou religieux). Il est vrai par exemple que la compta convient parfaitement, par construction, à cette normalisation de l’enseignement (d’où le caractère soporifique de la matière), mais c’est précisément en s’interrogeant sur la construction de ces normes, sur leur histoire comparée, en explicitant le formalisme sous-jacent (ce qui n’est jamais fait, car la prolifération du détail est saturante), que l’esprit critique revient au galop car nécessaire pour y comprendre vraiment quelque chose (et faire disparaître l’ennui). Qu’en penses-tu ? Qu’en pensez-vous Maussiens ?
Amicalement — Pierre Dumesnil.
Pierre Dumesnil n’enseigne pas les sciences économiques et sociales au lycée. Néanmoins, interrogateur d’élèves issus des classes préparatoires de l’ENS- Cachan, il connait bien cet enseignement.
Je laisse bien sûr à Sylvain, qui représente la nouvelle génération, le soin de te répondre en détail, mais je permets de le faire plus brièvement, en tant que vieux professeur de SES (et presque aussi vieux Maussien). L’une des caractéristiques des SES (enseignement de culture générale destiné à des lycéens, ne l’oublions pas, et des lycéens de 2008...) est l’approche, non pas par les disciplines académiques, mais par les objets, les questions étudiées. Les savoirs disciplinaires « scientifiques » sont convoqués « en tant » qu’ils permettent d’analyser et de comprendre tel ou tel objet. Dans le cas de l’entreprise, qui doit évidemment constituer une question importante du programme (mais pas la seule !), on ne se détermine donc pas en fonction des disciplines, encore moins de leur étiquetage « politique », mais en fonction des outils d’analyse dont on besoin des élèves (en écartant seulement ceux qu’ils ne peuvent s’approprier pour des raisons de trop grande technicité : si l’on a besoin d’équations différentielles, alors mieux vaut attendre un peu...). Par conséquent, il faut en effet connaître un peu de comptabilité (structure sommaire d’un bilan et d’un compte de résultat, par exemple) et un peu de droit (éléments de fonctionnement d’une société anonyme, rudiments de droit social, et...), à côté d’un peu d’histoire, d’économie, de sociologie.... Cet enseignement est pluridisciplinaire en ce sens, donc à géométrie variable (si l’on étudie la politique monétaire, la sociologie sera moins « utile » que si l’on étudie la mobilité sociale, tout simplement). Trente après être tombé dans le chaudron des SES, je continue à penser que c’est la bonne méthode. Elle comporte toutefois un risque : ce que nos adversaires appellent la « bouillie » (parler n’importe comment de n’importe quoi). C’est pourquoi je suis personnellement favorable à une réduction de l’étendue des programmes : étudier un nombre limité d’objets afin de se donner les meilleures chances de les étudier
rigoureusement.
Amicalement
Pascal Combemale
Pascal Combemale est professeur agrégé de sciences économiques et sociales en classes préparatoires au lycée Henri IV. Il est notamment l’auteur avec Stéphane Baud et Dominique Plihon d’un article publié dans Le Monde du 18/12/2004, qui présente de manière synthétique le sens de cet enseignement, à l’époque déjà menacé par « la Réforme Fillon ». Veut-on tuer les sciences économiques et sociales ?
J’aurais tendance à dire que le problème n’est pas la compta, mais le fait qu’elle va être transmise dans un but qui n’est guère maussien. Il y aura d’un côté les lois du marché et de l’autre les marges de manoeuvre que l’entrepreneur peut se permettre pour faire vivre son activité. Soit il passe l’épreuve du marché soit il échoue. Et, comme vous le savez, on ne compte que ce qui compte. Là j’ai peur qu’on ne compte que le fric, et non autre chose. Voilà pourquoi plus de compta permet de mieux formater. Le point de vue sur l’économie se resserre à celui du chef d’entreprise et de ses supposées priorités immédiates - au détriment du reste. Or le monde a pu vivre sans entreprises, et non l’inverse. L’évolution ne me semble donc pas aller dans le sens d’un progrès.
Ceci dit je partage ton avis selon lequel les critiques du capitalisme devraient parfois avoir quelques notions de compta... cela nous éviterait par exemple la sempiternelle dénonciation du profit chez certains d’entre eux.
Fabrice Flipo
Fabrice Flipo est Docteur en philosophie, Maître de conférence à l’institut national des télécommunications. S’il n’enseigne pas les SES, il connait bien les élèves issus de cette filière.
Merci pour vos réponses Pierre, Pascal et Fabrice. J’espère pouvoir vous répondre dans un temps pas trop long sous la forme d’un article (…)
La compta n’est bien sûr pas un problème en soi. Le problème c’est la bien la pente que prendrait notre enseignement vers une culture du savoir utile à courte vue, et la stigmatisation d’un autre savoir jugé « inutile » (c’est le même problème à l’Université). Ou plutôt, le problème réside dans la définition de ce qui est utile (on pourrait dire encore, vu sous l’angle du don, de ce qui « donne ») et de ce qui ne l’est pas (de ce qui ne donne rien), qui repose sur des critères qui excèdent bien sûr l’utile. Car si l’on doit raisonner en ces termes, je ne vois pas en quoi la socio (à laquelle on devrait faire une moindre place) est moins utile a priori que la compta. Utile à quoi, et à qui, en vue de quoi ?
C’est là, derrière ou en deça du critère de l’utilité que l’on perçoit l’idéologie ou les valeurs, les réponses implicitement apportées aux questions : qui donne quoi à qui, en vue de quoi ? Je crains que les citoyens-démocrates que nous sommes censés former en SES soient de plus en plus réduits à des futurs salariés-entrepreneurs d’eux-mêmes qu’ils seront aussi, certes, pour la plupart [3], considérés comme seuls véritablement capables de donner quelque chose à la société dans son ensemble... (je veux dire qui soit jugé digne d’être reçu par elle, par nous tous). Ce qui pose un vrai problème à notre démocratie (et interroge notre mission première) si l’on considère qu’une société n’est démocratique que lorsqu’elle reconnait une pluralité de fins ultimes légitimes, et qu’elle se nourrit de leurs conflits - qu’elle doit encourager - contenus dans les limites de l’amitié.
Par ailleurs, je pense que cet utilitarisme à courte vue dont nous prenons le chemin risque fort de s’avérer fort peu rentable (utile) à moyen terme au regard même des objectifs qu’il se donne.
Ceci dit, je souscris aux propos de Pascal quand il plaide pour une diminution de nos programmes qui permettrait d’approfondir certains thèmes aujourd’hui survolés (ce qui suppose qu’on ne réduise pas le nombre d’heures d’enseignement...)
Sylvain
Je crois que nous sommes d’accord. Pour le savoir vraiment, poursuivons. Dans un texte que j’avais intitulé « Pour une économie sémiotique », je m’étais essayé, notamment, à une réflexion sur les « finalités » de l’enseignement dans une visée de « soutenabilité » et je citais Jacques Lacarrière (interrogé en 2004 par Libé) :
Si la question consiste à se demander à quoi sert l’enseignement du grec, la réponse est clairement : à rien. Pas plus que la musique. Mais ce n’est absolument pas le problème. Cet enseignement sert tout simplement à posséder un monde plus riche qu’à sa naissance. C’est la langue ancienne idéale qui réunit philosophie et mathématiques, stupidement séparées aujourd’hui. Ce que nous ont légué les Grecs, c’est un système de pensée transmissible et reproductible. On peut vérifier le théorème de Thalès. A partir de ce moment-là, il cesse d’être grec.
Cette citation a ceci de remarquable qu’elle comporte une apparente contradiction interne : « ce qui ne sert à rien sert ». Autrement dit : l’inutile est utile. Oui, mais dans quel sens ? J’ai ma réponse personnelle à cette question (voir mon texte) . Mais ce que j’aimerais plutôt signaler via cette citation, c’est qu’il y a une grande proximité entre ce que tu décris pour les SES et ce qui se passe depuis longtemps pour l’enseignement explicitement humaniste (langues anciennes notamment) et aussi de façon plus inattendue pour les mathématiques. C’est pourquoi lorsque Judet de la Combe et Heinz Wismann avaient présenté leur livre* publiquement à la BNF le mathématicien Laurent Lafforgue était aussi à la tribune. Ma conclusion très provisoire, c’est qu’il y a des alliances, au moins argumentatives, à nouer.
Pierre
* L’avenir des langues : Repenser les humanités. Paris : Editions du Cerf, 2004 dont je recommande une fois de plus la lecture.
J’ajouterais enfin que les dangers que je vois peser sur notre démocratie par la pente hyperutilitariste que prend (prendrait) notre enseignement, et plus généralement le savoir, sont malheureusement confirmés par notre orientation prochaine vers une forme de workfare (cf les dernières propositions de notre Président qui souhaite sanctionner les chômeurs qui refuseraient les offres d’emplois « acceptables » (i.e. jugées comme telles par d’autres qu’eux-mêmes...), qui consacre le fait que le travail (en vue de « gagner plus » ...) tend à devenir au fond la seule forme d’existence légitime ou du moins socialement valorisée.
Sylvain