Dominique Vidal poursuit, dans cet ouvrage très intéressant, son analyse de la dynamique démocratique au Brésil, déjà initiée dans La politique au quartier (1998). En prenant l’exemple de l’évolution de la condition des domestiques, il défend la thèse selon laquelle les classes populaires brésiliennes bénéficient aujourd’hui des effets de l’approfondissement démocratique, notamment suite à la mise en place des dispositions de la constitution de 1988. Il analyse dans cet ouvrage l’évolution de la condition des bonnes, très nombreuses au Brésil, dans la ville de Rio de Janeiro, et notamment le redéploiement de leurs rapports avec les employeurs, grâce à la mise en place de droits sociaux spécifiques à cette catégorie de travailleurs.
L’auteur prend d’emblée le parti, peut-être trop longuement d’ailleurs, de démystifier la position du chercheur, en montrant comment il peut être délicat pour un homme, étranger du « Nord », issu des classes aisées et habitué à la conception formelle de l’égalité existant en France, d’enquêter sur un emploi typiquement féminin, qui plus est au Brésil.
Il évoque, au travers de portraits très riches et de descriptions fines et très agréables à lire, les difficultés de la construction de l’individu chez les domestiques brésiliennes. Les bonnes, qui exercent une activité précaire et peu valorisée, construisent leur identité personnelle notamment grâce à des supports territoriaux (elles s’identifient à la ville, en contrepoint des campagnes dont elles sont souvent originaires) ou par l’attachement à des catégories valorisées (l’exigence de respect, la moralité, les titres scolaires), qui témoignent de leur exigence de voir reconnaître leur « commune humanité » (en opposition à la condition d’esclave), malgré leur infériorité sociale.
Les évolutions de la législation du travail, et la possibilité, pour les domestiques, de poursuivre leurs employeurs en justice, notamment grâce à l’action de syndicats, semblent cependant rééquilibrer les relations entre les employeurs et leurs bonnes, notamment dans ces moments de conciliation ou de jugement, bien décrits par l’auteur, où se met en place une égalité formelle devant la loi qui semble parfois bien peu acceptable pour les employeurs.
On peut dire que cet ouvrage se veut une sociologie de l’individu, dans une société qui s’est très rapidement modernisée, et une sociologie de la reconnaissance, dans une société où l’égalité démocratique fait encore problème. Les bonnes oscillent entre souci de l’égalité formelle, notamment car leur conscience du droit augmente, et difficultés à échapper aux rapports paternalistes (difficultés clairement perçues lorsqu’elles font état de l’importance de la « considération » de leurs employeurs). Au fond, l’auteur met en lumière « la difficulté des Brésiliens à se penser comme une société de semblables », malgré la transition démocratique.
Si l’ouvrage est tout à fait captivant, on regrettera cependant que l’auteur n’ait pas davantage discuté les théories de la reconnaissance, comme celles d’Axel Honneth, et qu’une analyse quantitative, même sommaire, concernant l’évolution des conflits ayant eu une résolution judiciaire, n’ait pas été menée. D’autre part, si les inégalités sociales semblent diminuer depuis quelques années, notamment par l’amélioration du sort des classes populaires, cela ne veut pas dire que les distances sociales ne s’accentuent pas, comme en témoigne la recherche de l’entre-soi au sein des classes aisées, par exemple par le développement important des ensembles résidentiels fermés.