Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Olivier Douville

Pour une anthropologie clinique contemporaine

Texte publié le 19 janvier 2012

Dans ce texte généreux, l’auteur aborde les rapports entre anthropologie et psychanalyse d’une manière vive et pertinente qui complète à merveille les numéros 37 et 38 de la Revue du MAUSS semestrielle. Fort d’une longue expérience clinique auprès de personnes en situation de précarité extrême en France et en Afrique, Olivier Douville jette les bases d’une véritable rencontre de l’anthropologie et de la psychanalyse dans une perspective clinique, mais sans sacrifier l’épistémologie et en égratignant au passage l’une et l’autre discipline ainsi que la psychologisation de la vie sociale qui y sévit. F. G.

L’universel, c’est le local moins les murs
Miguel Torga

Préambule [1]

L’enseignement de l’anthropologie, en tant que discipline à part entière, reste marginal dans les facultés de psychologie et il dépend en bonne part de l’engagement individuel de l’enseignant envers cette discipline. Rares sont, par exemple, les étudiants de psychologie qui entrevoient que l’anthropologie a continué après le magister de Lévi-Strauss. Tel est le premier constat, lapidaire, exact et désolant. Il faut encore souligner que de telles références à l’anthropologie sont le plus souvent approximatives parce qu’on enseigne très peu ce qu’il est convenu d’appeler l’anthropologie clinique – soit une anthropologie qui se penche sur les nouvelles logiques de subjectivation résultant des modifications des rapports sociaux — et, quand on enseigne quelque chose qui pourrait évoquer d’assez loin, je trouve, l’anthropologie, on appelle ça l’interculturel. Je déplore également la réduction de l’anthropologie clinique à une anthropologie « médicale ». Car si cette dernière anthropologie se cantonne à être descriptive des techniques de soin comme peuvent l’être les abords proposés par l’ethnomédecine, alors elle risque de faire l’impasse sur cela que tout modèle de la santé ou du bien-être exprime une idéologie sur ce qu’est l’ anthropos et que cette idéologie est le plus souvent masquée sous les impératifs du « bien-être » ou de la « bonne santé » présentés comme allant de soi. De sorte qu’il est souvent demandé à l’anthropologie de fournir au clinicien des supposées clefs pour comprendre les dites représentations du soin, de la maladie et de la relation soignant/soigné propre, prétend-on, à telle ou telle aire ethnique. Cette tentation de l’exotisme qui fait du psychisme le doublon de la « culture » explique pourquoi on recense dans nos facultés de psychologie plus d’enseignements en psychologie interculturelle qu’en anthropologie. Ce domaine un peu spongieux de l’interculturel est sans doute la porte d’entrée, mais en même temps de sortie, la plus nette de l’anthropologie dans les études en psychologie. Aussi ce texte provient-il d’une envie de donner aux enseignements en psychologie universitaire davantage de charpente et d’ambition lorsqu’ils sont tentés de s’ouvrir aux champs anthropologiques actuels. Débutons toutefois et comme il est d’usage par quelques rappels.

De nos sources

Commençons par un rappel. Le mot « Anthropologie » (anthropologéo) viendrait de Philon d’Alexandrie, et signifierait « décrire et représenter comment est fait l’Homme », tandis que l’adjectif « anthropos », dès Aristote, fut utilisé pour qui « parle de l’homme, qui aime converser sur l’homme ». Théophraste le comprit bien dans ses « Caractères » dont La Bruyère s’est tant inspiré. Dans la langue française, le terme d’anthropologie est apparu au début du XVI° siècle et désigne d’abord un « répertoire d’hommes célèbres », puis la science qui étudie l’homme, ce d’assez vaste façon au plan de l’aspect ou des mœurs. Dans le même temps dans les pays saxons, l’anatomiste pré-vésalien Hundt de Leipzig en fait usage dans ses études sur le corps humain. L’un des sens moderne apparaît vers 1756 en Allemagne et désigne l’ « étude scientifique des caractères biologiques des humains ». C’est là une tendance de l’anthropologie, éloignée de tout humanisme universaliste et qui ne pouvait être prolongée que par l’anthropologie physique, représentée plus tardivement par Broca. Le projet étant alors d’établir des différences, de les fonder en nature, d’illustrer par là même une diversité de et dans la nature humaine. Le risque, qu’il soit voulu ou ignoré, est bien de gommer alors l’écart sémantique nécessaire entre les deux notions de « différence » et d’ « altérité » et de fonder, sur cette capture objectivante des supposées différences, toute une gamme de hiérarchisations. A ce titre, l’examen des mots, de leur généalogie, de leur contexte philosophique et politique, mais encore de leur destin nous édifie. En effet, ce même mot d’anthropologie, s’il abrite une fétichisation de la différence et son essentialisation, est aussi, dans la plurisémie de ses usages, le véhicule d’une toute autre attitude de pensée. Cette dernière s’interroge sur ce qui fait altérité pour un monde, pour un groupe, pour un sujet. Ce n’est qu’à la condition de ne pas réduire l’altérité à la différence que l’anthropologie honore son projet philosophique et devient, conformément à son énoncé, une science de l’homme.

J’ai voulu écrire ce texte afin de présenter et de commenter des moments de dialogues actuels entre anthropologie et clinique du sujet, en soulignant que les enjeux de ces dialogues peuvent nous aider à lire et interpréter les troubles, et même les échecs, de l’institution du sujet dans nos mondes contemporains, instables. Cette lecture sera nécessairement partielle et incomplète ; si elle n’engage que son auteur elle n’en est pas moins le résultat d’échanges exigeants et chaleureux avec des anthropologues dont le regretté Gérard Althabe, et aussi Marcel Drach, Jacques Leroux, Monique Sélim et Bernard Hours. L’ambition est bien celle de promouvoir une épistémologie des conditions de rencontres possibles entre ces deux champs. Tenter alors un passage du dialogue à la construction inter-disciplinaire exige bien entendu de situer une position épistémologique claire. Elle sera orientée par l’objectivation de foyers de sens de la théorie de la culture pensée en termes de montage, liens et coupures entre « identité » et « altérité ».

De l’identité…

L’identité ne se conçoit pas sans le rapport avec l’altérité. La référence à la notion d’altérité entend cette dernière de façon double : à la fois comme l’alter, c’est-à-dire le « semblable-différent », et comme l’Autre, ici indiqué par un A majuscule afin de désigner ce lieu qui existe avant chacun de nous : le lieu de la langue, du symbolique, de la loi…

La clinique psychanalytique invite à comprendre que le sentiment de notre identité nous est donné par notre moi en tant qu’il est le résultat de jeux d’identifications et de tensions avec l’instance qui sanctionne (le Surmoi) et les idéaux, parfois cruels. La consistance de cette identité provient de ces dispositifs culturels qui nous mettent en lien avec un originaire, sans cesse remanié. Ce double étage est parfois réduit, dans les collectifs, à mesure que nous vivons des époques plus ou moins marquées par les tentations et/ou les politiques de ségrégation qui sérient et stigmatisent les humains et qui, en les massifiant, dénient la singularité indéniable du rapport de chacun à ses mondes culturels.

C’est aussi en refusant cette massification de l’humain que nous pouvons poser que la singularité indéniable de chaque sujet lui provient non d’une chimérique indépendance de tout lien mais bien d’une multiplicité de liens plus ou moins stables avec d’autres sujets. Nous rajouterons alors que, coupé de ces liens, nul de serait un sujet « autonome », mais seulement un sujet. Chacun se situe dans un champ de positions et d’oppositions créatrice du « Je » et du « Tu ». L’altérité n’est pas qu’un miroir alors, ou une image de ce que je ne suis pas, mais une composante intime, un ferment de notre intimité. C’est bien alors, et nous permettant de refuser toute naturalisation et substantialisation de l’altérité, que s’impose comme notion « transdiscipliniare » décisive, la notion d’inconscient et du savoir de l’inconscient. La psychanalyse indique avec cette notion le fait que quelque soit l’idéalité et l’intimation sociale et culturelle à se conformer à des lois sexuelles et à des modèles de genre, insiste l’aspect anomique de l’inscription du sexuel dans l’espèce humaine (Assoun, 2011). Prolongeant ce point de discord et d’articulation entre les disciplines, Quentel (2011) écrit que « La psychanalyse vient sceller avec la notion d’inconscient, l’impossible réconciliation d’un homme qui, paradoxalement, paraît affirmer de plus en plus, dans le même temps sa maîtrise sur le monde physique et physiologique ». Les destins du sexuel et de la culture sont liés, c’est bien la thèse freudienne centrale à ses travaux socio-anthropologiques, faits comme nous le savons maintenant de fantaisie, d’audace et de bouleversante lucidité.

Malaise dans l’identité

La clinique et la recherche anthropologique alertent sur les moments de décomposition/recomposition des montages identitaires. Les secousses que connaissent les protocoles usuels de fabriques et de montages des identités sont considérables. Elles mettent à la casse dans des usages parodiques, destructeurs ou auto-fondateurs, dans des inflations sacrificielles, dans des errances, le rapport dogmatique de la vérité et de l’identité. Et c’est en effet une autre conséquence des nouveaux passages entre anthropologie et psychanalyse que de ramener la question du lien social d’une façon qui peut, de nouveau, avoir un sens par rapport à la clinique. La clinique et la recherche anthropologique font rencontre des réalités psychiques en prise avec le plus réel de notre société : le lien entre l’économique et la mort. Ce lien se resserre au vif du sujet lorsque ce dernier n’est plus tenu par l’éros de la colle sociale, est dés-identifié. La casse du sujet qui se montre sans rien demander de manifestement articulé à autrui, est représentée à travers certains exilés, certains exclus, certains adolescents, provoquant une demande sociale.

Ma position est la suivante : sans une modélisation théorique et pragmatique précise des montages et des fractures entre identité et altérité, il ne saurait se produire de démarche interculturelle digne de ce nom. Prendre soin du psychisme est aussi assumer la responsabilité de penser et de favoriser le rapport à l’autre, à l’étranger irréductible et premier, celui qui est fondateur de la subjectivité et de la culture (Freud, 1895, 1913, 1929, 1939, Legendre, 1983, 1988).

Il n’est en aucun cas nécessaire de postuler qu’anthropologues et psychanalystes donneraient un statut en tout point comparable à la notion de sujet. Le sujet désirant est sujet du social, mais la façon dont chaque sujet prend place dans l’histoire groupale est une affaire singulière bien apte à éclairer aussi la façon dont il construit son symptôme. La clinique psychanalytique permet de se rendre compte qu’à la place où il était attendu, le sujet vient par le symptôme et que c’est par le symptôme qu’il s’affranchit des déterminismes identitaires ; non sans angoisse, le plus souvent. Le symptôme ouvre pour le sujet une certaine liberté par rapport à la place assignée que semblait lui réserver le poids de l’histoire...

La psychanalyse, à l’inverse de l’anthropologie, tente de formuler et formaliser ce qui « manque » à l’homme. Avec cette discipline, nous retrouvons le fait que l’homme n’est jamais totalement réalisé dans l’homme [2]. Le lien social (soit le discours qui organise la configuration des rapports sociaux) est aussi le nom des moments où peuvent circuler ou non les mots qui disent l’origine, le lieu et la filiation par le mythe tout en maintenant un écart et une équivocité salutaires. La position du minoritaire en exclusion revient ici au premier plan de l’analyse. S’y désigne la place de celui qui ne peut faire reconnaître sa fondation symbolique et le symbolique de son identité sexuée dans les signifiants majeurs propres au discours courant

De certains énoncés autour de l’altérité

En France, depuis la création d’un Centre de recherches de psychologie comparative historique par I. Meyerson (1954), qui exercera la plus nette influence sur l’anthropologie historique, la notion d’ « identité culturelle » a revêtu une position centrale dans l’analyse de l’organisation psychique. Ribot avait envisagé déjà, dans son introduction à la Psychologie anglaise contemporaine (1870), qu’une éthologie des peuples trouve la plus grande part de ses éléments et de ses matériaux dans la linguistique et dans l’histoire (Reuchlin, 1987). Meyerson propose au psychologue de ne plus se limiter à l’étude des faits élémentaires et des fonctions les plus simples, mais à étudier le sujet humain à partir de ce qu’il reconnaît lui-même comme étant les plus importantes, voire les plus hautes manifestations de son génie créateur. Ces œuvres — la science, les langues, l’art et les religions — ont une histoire et c’est par la prise en compte et l’examen attentif de cette histoire que le psychologue pourra suivre l’évolution des fonctions psychologiques (Meyerson, 1954). Antérieurement, l’anthropologie, dès l’époque où elle se définissait non plus comme la science descriptive des corps des hommes du lointain et devenait l’étude des sociétés du lointain et comme telles différentes, se confrontait au problème de concilier un modèle universel de l’humain et de l’évolution humaine avec une étude aussi vierge de préjugés que possible de réalités locales, de configurations sociales et culturelles singulières.

Nous verrons comment cette notion d’identité culturelle a pu être située dans des dynamiques de confrontation à autrui, analysée dans ses montages logiques ou, à l’inverse, positivée en tant que substance ou essence. Nous posons que cette dernière optique est une erreur. Cette dernière position fait de l’identité un « être » en danger et à préserver de toute altérisation tenue pour un facteur de déstructuration pathogène. Aucun ethnologue, ni aucun anthropologue sérieux ne songerait à soutenir une telle thèse. Ces savants, qui ne sont pas les plus séduits par les mirages douteux de la tentation exotique, savent bien, pour la grande majorité d’entre eux, que les sociétés qu’ils étudiaient et qu’ils étudient encore ne peuvent être pensées comme des mondes autarciques. Ils sont confrontés à une sorte de présence matérielle et symbolique de l’histoire, le monde qui compose leur terrain est, de fait, le résultat de guerres, d’échanges, de fusions et de scissions. La situation d’un paysan de Côte d’Ivoire, ou du Laos, pour prendre des exemples assez simples, peut nous renseigner sur les mythologiques et les cosmogonies locales, mais il n’empêche qu’elle est strictement dépendante de dynamiques et de logiques économiques « méta » qui renvoient directement à la spéculation internationale sur les matières premières.

Une anthropologie psychanalytique pour l’actualité…

Actuellement, nous sommes en un moment crucial où se joue un avenir possible des échanges entre ethnologie et clinique. Cet avenir se joue dans la capacité des deux disciplines à être présentes dans la connaissance de notre monde, au-delà de leur rencontre à peine semi-réussie qu’ambitonnait l’ethnopsychiatrie (Fassin, 1999, Douville, 2006 b). Un tel dialogue sur-disciplinaire doit éclairer les malaises actuels de notre société sans se replier sur une version ethniciste ou communautaire du monde contemporain. En effet, de quoi parlons-nous aujourd’hui lorsque nous parlons de groupes ethniques ou, encore, de relations ethniques ? Cette notion floue de l’ethnicité est présente dans les discours vulgaires, mais aussi dans les décisions politiques et les débats idéologiques démagogiques. Or, il faudrait apprécier l’ethnicité comme une construction variable, souvent précaire, et non plus comme une donnée première et essentielle. Les forces et les logiques de cette construction sont liées au processus d’intégration, d’assimilation et de fabrique d’une citoyenneté soucieuse des relations humaines les plus simples entre groupes et individus transmetteurs d’héritages culturels différents (Gosselin et Lavaud, 2001) et potentiellement inventeurs de nouveaux modes de vie collectives. En ce sens, on ne peut que favoriser un dialogue entre la psychologie « interculturelle » et les actuelles tendances et renouveaux des abords et des objets d’étude de l’anthropologie. Ces dernières avancées ouvrent la recherche à de plus larges perspectives que celles qui définissaient l’ethnologie du lointain. Elles sont davantage préoccupées de formaliser les émergences subjectives au sein des groupes et des transitions d’un modèle culturel à un autre (Pradelles de Latour, 1991, Le Roy, 1991, 1994, 1996, Althabe, 1992, Augé, 1997).

Si donc nous tenons aux modèles de sociétés stables pour établir la cartographie de leur structure (règles d’alliance et de parentés), l’objet d’une anthropologie actuelle est également et plus encore l’étude de la condition contemporaine de ces sociétés qui sont loin de se trouver hors temps et hors histoire. Et c’est leur capacité à être travaillé par le présent et à l’interpréter qui devient un objet de recherche. D’où une centration sur les mythologies actuelles, les lieux et les objets de mémoire, bref, sur ce qui peut permettre aux sujets de ces groupements sociaux de se saisir dans leur actualité et leur contemporanéité. La mémoire individuelle et collective prend souvent, face au traumas dus aux ruptures culturelles, la fonction de témoin des évènements qui surgissent séduisent ou menacent. À côté des mythes cosmogoniques foisonnent aussi des récits « mythopoétiques » qui, plus proches des réalités sociales et économiques immédiates, disent les naissances des institutions de pouvoir, des héros, des sorciers et des guerriers qui furent des acteurs de changements importants (Augé, 1994). Le trauma ici vaut comme déchirure, mais importe tout autant dans son effet de retour qui scelle le rapport obsédant à ce qui pourrait inscrire le témoignage dans l’histoire.

Il y a entre l’histoire et la psychanalyse des convergences qui déjà s’annoncent par des analogies. Le psychanalyste travaillera sur les effets insoupçonnés des passés qui reviennent sur le sujet et qui, souvent à son insu, peuvent déterminer ses choix de vie, ses relations à autrui, et plus globalement ses constructions et montages identitaires. L’art du psychanalyste est d’exhumer ces traces du passé, à partir des surgissements d’un dire et des accidents et surprise d’un dire — celui de son patient. Cette exhumation rend possible l’objectivation des mécanismes et processus psychiques qui tressent la vérité matérielle de l’histoire et la vérité subjective des reconstructions que chacun se fait, à sa façon, de ses traces oubliées. Plus encore, loin de ne faire qu’un constat des effets des réminiscences, le psychanalyste engage son patient dans une lutte contre le refoulement. Et il le fait en donnant une importance et une autorité singulière à ce qui contourne les refoulements, soit les surprises verbales du rêve, du lapsus ou du trait d’humour spontané.

On tentera ici une analogie, encore sommaire, qui fera de l’historien non seulement un chercheur mais aussi un acteur social qui, en raison de la vigueur et de la rigueur de ses méthodes, lutte contre les effets de censure et de refoulement qui frappent des pans entiers de l’histoire de chacun, visant à les faire disparaître d’une mémoire collective. Il n’est pas de doute à avoir : les recherches portant sur les grandes ruptures violentes de l’histoire et de la culture peuvent militer contre les oublis passionnés, ne serait-ce qu’en permettant de fissurer les idéologies qui réduisent au silence les responsabilités et les héritages. Une opération de levée de refoulement d’un pacte de silence noué sur la non désignation de ce qui fait mal dans le passé est donc attendue de certaines recherches d’historiens, celles en particulier qui traitent des pires violences faites au genre humain. C’est alors à peine forcer le trait que de dire que l’historien, au plan d’un savoir collectif, et le psychanalyste, au plan de la construction d’une vérité singulière, luttent l’un et l’autre contre des formes instituées de négationnisme et de mise en silence. Nous mettons à mal les fausses vertus de l’oubli car ces fausses vertus sont souvent les armes et les alibis des despotismes et des totalitarismes. Et de même que le psychanalyste sait que la vérité hante le détail, de même certains historiens prennent, depuis l’Ecole des Annales, comme matériel de leurs études les romans populaires, les historiettes, les documents d’état-civil et autres textes jugés à tort comme « mineurs ». Il serait injuste d’omettre que les poètes, les écrivains, les musiciens et autres artistes jouent aussi ce rôle de leveur de refoulement comme en témoignent à loisir certaines musiques antillaises, brésiliennes ou de jazz (on pense ici au rôle décisif du « Freedom Now Suite » du génial batteur Max Roach).

Depuis Freud, l’anthropologie, qui était bien loin d’être une science constituée à l’époque de Totem et Tabou (1912-1913) a changé. Et de même a évolué la psychologie dite culturelle. Si la notion d’ « identité culturelle » a pu occuper une position centrale dans l’analyse de l’organisation psychique, cette notion malaisée, encombrante et symptomatique est à situer maintenant dans des dynamiques de confrontation à autrui, dans ses montages logiques et non plus comme une substance d’être, en danger et à préserver de toute altérisation tenue pour un facteur de déstructuration pathogène. Les violents surgissements de luttes identitaires ramènent au premier plan d’une actualité souvent désespérante la nécessité de penser les dynamiques d’affect qui structurent les mises en place des rapports à l’altérité. Une identité se construit dans un récit pluriel ou l’on passe de « l’identité narrative » à « l’altérité narrative » [3]. L’abord psychanalytique de l’identité ne peut prendre partie pour le préjugé d’une substance de l’être, logée, comme en un ombilic, dans une région inconsciente propre à chaque logique ethnique considérée.

Sujets de la tradition et sujets de l’histoire, voilà ce que nous sommes. Qu’en est-il de la version psychanalytique de ce « tripode » sujet/culture/histoire ? La pensée d’un Universel de la condition humaine pose la culture comme une réponse obligée et malaisée à l’incondition première de l’humain dans le corps et dans le langage. Ce travail de la culture dépasse toute construction ethnologique spécifique. Il ne saurait pour autant être pensé comme hors temps et hors histoire. Le nazisme et les tentatives de destruction génocidaire renvoient à un vécu d’universalité de la catastrophe et de ce qu’il est sans doute insuffisant de nommer traumatisme. Aussi le psychanalyste contemporain dès qu’il veut toucher au site de l’Universel se trouve-t-il comme devant articuler un universel de la structure avec un universel de la catastrophe, du meurtre de masse et des efforts d’effacement qui l’escortent. La volonté de destruction de la demeure de l’humain que veulent accomplir les penchants génocidaires des totalitarismes nous révèle à quel point la destruction programmée de la langue, des noms et des corps peut nous rendre attentifs à ce qui réduit le sujet à son corps, puis son corps à un reste effaçable ; peut, enfin, nous rendre attentifs à ce qui fige la langue, en détruit les ressources figurales, les rêves dont elle est la souvenance et la condition. C’est sur cet axe où l’universel de la structure ne saurait se penser sans l’universalité de la catastrophe subie ou pressentie que le psychanalyste résiste à ce qui, dans le monde contemporain, efface ou éradique la demeure de l’humain sous des impératifs meurtriers de pureté et d’efficacité. Aussi notre rapport conceptuel à ce qui forme la tension de la vie et de la mort, est-il, par l’invention freudienne et ce qui la prolonge aujourd’hui (Klein, Winnicott, Lacan), intensément bouleversé. Loin de tout vitalisme toujours morbide, nécessairement et inévitablement morbide, c’est le travail de lien, de liaison et de déliaison et de reliaison entre la vie et la mort qui nous importe.

Un exemple de chantier actuel, la cliniques des effets de l’exil

Ce rappel est important car, de nos jours, les thérapeutes qui prennent en charge des patients migrants ou leurs enfants peuvent être tiraillés entre un universalisme réducteur et une psychologie ethnique trop souvent revendiquée comme une ethnopsychiatrie ou une ethnopsychanalyse (Douville et Natahi, 1998). Ce genre de situation est pour le moins paradoxale, maintenant, au moins pour deux raisons :
1. D’une part, les recherches en psychanalyse sur les groupes et l’identité (Le Roy, 1991, Kaës, 1998) sont en très net essor, et nous comprenons mieux les mouvements de déconstruction et de reconstruction qui rendent vivante l’identité dans des situations de pluralité de références culturelles,
2. Nous assistons, d’autre part, à une critique radicale en anthropologie de toute centralité des objets d’étude sur la notion d’ethnie (Amselme et M’Bokolo, 1985). Nous y reviendrons.

Prenons donc au sérieux le travail psychique de l’exil. De ce fait, c’est sans doute lorsque l’étranger est happé, stigmatisé, vulgarisé, vendu à la marchandise polémique sous le registre de l’intrus, que le travail psychique de l’exil trouve rapidement ses bornes et que le sujet ne se retrouve pas comme une variation de plus et non pas simplement autre, mais comme une présence fantomatique dans un non lieu. Cela évidemment, toutes les mauvaises phobies pour être très gentil, c’est-à-dire les passions racisantes pour être plus précis, s’attaquent au fait que des étrangers, pour se sentir un peu plus dans un pays, dans un refuge qui permet enfin l’anticipation, se fédèrent entre eux ou mènent des actions qui les inscrivent dans une légitimité, par exemple des actions syndicales, etc. L’empêchement d’exil, c’est donc lorsque le sujet est voué à un non lieu. C’est là où les difficultés qui sont ce que j’appellerais la continuation du désir d’être passeur de vie, de vie psychique, de vie culturelle, d’être passeur traducteur, sont en panne. Effectivement, dans notre travail, au fond, nous avons toujours au moins deux volets d’action, très certainement un volet qui fait que, par des actions militantes, par des actions sociales, nous pouvons y inscrire une légitimité pour des sujets qui se sentent sans droit de cité. Mais il va de soi que ça ne suffit pas toujours et qu’il y a parfois reprise des vicissitudes de ce désir de transmission de la vie psychique, qui constitue le cadre symbolique et culturel de la parentalité. Les pannes du travail d’exil correspondent également à des pannes d’institution de la personne, de son institutionnalisation.

Je ne vais pas faire un catalogue des figures symptomatiques, ce serait absolument prétentieux et objectivant, donc sans doute mauvais pour la pensée. Mais on peut par exemple parler d’un enfant captif, qui est un enfant sur lequel se concentre toute une nostalgie de l’origine. Attention, méfions nous des formules, la nostalgie de l’origine, ce n’est pas mauvais en soi. Il ne s’agit pas tout d’un coup de dire que la nostalgie est une espèce d’horrible affect. Non, ce n’est pas mauvais, la nostalgie. Mais ça ne vit pas tout seul comme affect, la nostalgie et parfois, ça entretient des mariages malheureux avec un autre affect qui est la honte, de sorte que trop souvent cette nostalgie de l’origine va se tresser avec une façon de honte au moment où le sujet fait reconnaître comme par effraction, quelque chose de son origine. Ça affecte les opérateurs élémentaires de transmission, soit le passage d’une langue close, d’une langue enclose, d’une langue familiale à une langue sociale. Bien des enfants se taisent à l’école, non pas parce qu’ils sont idiots, mais il ne s’agit pas pour eux de passer d’une langue à une autre. Il s’agit pour eux du défi de prendre place sur une scène tragique d’affrontement des langues. Parler en maître de la langue du pays d’accueil revient, à ce moment-là, à avouer aux gémonies ou à l’anonymat le plus intimement corporel de cette langue avec laquelle ils ont quand même fait corps, souvent dans un maternage fait de nostalgie ou de détresse. Et à l’école ça fait symptôme. Il est possible de travailler et de faire entendre aux parents que ces enfants peuvent être également des passeurs.

On a beaucoup glosé, et ça m’a toujours fait rire tellement je trouve ça niais, sur les enfants de migrants qui seraient, parce qu’ils aident leurs parents à remplir des papiers administratifs, les parents de leurs parents. Ce cliché est absolument inepte. Les enfants sont des passeurs d’un certain nombre de principes, de réalités du monde environnant dans le circuit familial. Mais ce n’est pas parce qu’ils aident les parents à remplir des dossiers qu’ils sont en train de vivre activement le fantasme psychotique d’être père de leur père ou mère de leur mère. Donc il y a un certain nombre de clichés comme cela, qui sont, à mon avis, tout à fait désastreux. D’autant que c’est le moment où le jeune arrive à faire passer dans la famille quelque chose de son inscription dans le symbolique de la société d’accueil, qui permette aux parents non pas d’être infantilisés, mais de retrouver aussi leur permission, leur passeport psychique, leur visa, toutes ces choses-là, pour être peut-être moins réticents à parler de leur enfance. C’est-à-dire que peut-être qu’un enfant qui aide ses parents à se débrouiller ici permet aux parents de parler de leur propre enfance à eux, où ils ont peut-être aidé leurs propres parents. Ce qui ne veut donc pas dire que l’enfant infantilise ses parents. Réconcilier quelqu’un avec son infantile, ce n’est pas l’infantiliser. C’est au contraire l’accompagner vers le site des pouvoirs de sa langue, en vue d’une mémoire singulière et d’une sublimation possible de son rapport à l’origine. C’est en ce sens que la transmission non de la langue, mais de la possibilité de trahir sa langue et d’inventer avec sa langue, est un des moments les plus féconds, et les plus névralgiques aussi, du rapport de la mère à son enfant, lorsque le vécu d’exil est un vécu d’étrangement radical. Que peut transmettre d’amour de la langue qui occupe cette position que j’ai il y a longtemps nommée « position traumatique de l’étranger » ?

De nombreux immigrés se présentent à nous moins comme des enfants du lignage que comme des sujets qui n’ont pas d’autre cartes subjectives que celles qui consistent à faire entendre et reconnaître la casse du lignage dont ils sont le produit et le témoin. Le symptôme ne dit alors plus le fonds ancestral des théories étiologiques et des constructions thérapeutiques. Métissé, il représente le sujet aux prises avec l’histoire. L’exil est alors non une catastrophe fragilisante mais l’occasion d’une construction subjective qui, au singulier, héberge et sauve, mais de façon opaque, la singularité du sujet. La transmission, pour un psychanalyste, ne se résume, ni ne se réduit à la transmission identifiante des idéaux et des interdits. Elle concerne une autre histoire de génération, et renvoie à des parts d’ombre et d’impensé entre destinées individuelles et histoire collective. Ces parts d’ombre prennent parfois le temps d’un montage générationnel avant de se figurer dans le rébus d’un symptôme. Notre hypothèse est ici que le symptôme est une tentative inconsciente d’écriture entre des signifiants qui sont tissés d’altérité et d’hétérogène. Le symptôme est non une expression directe de « la tradition » mais une façon aussi de se refuser à occuper intégralement les places assignées et les fidélités programmatiques. C’est donc pour cette raison que nous ne positivons ni ne préconisons une lecture et un maniement du symptôme qui vise à le référer purement et simplement à une nosologie, qu’elle soit occidentale ou exotique. Seule la « langue » singulière du symptôme est à déchiffrer, patiemment.

Le champ des cliniques de l’exil qui, à la suite des travaux de Benslama (1999), Galap (1997), Natahi (1997), Perdigon et Benchemsi (1999), moi-même et quelques autres, s’est ouvert depuis une dizaine d’années, prend acte de ce moment où la clinique avec des patients « étrangers » accueille la part que prennent les expériences d’exil dans la fabrication du ou des symptômes et des divers aspects du malaise propre au sujet exilé dans nos mondes contemporains. Cette clinique nous éclaire aussi sur les facteurs historiques, sociaux et culturels qui permettent de situer l’usage que des sujets font des institutions, les façons dont ils se représentent les lieux d’écoute et de soin, les demandes qu’ils peuvent leur adresser, les liens de confiance ou les craintes qui les lient à elles (Douville et Galap, 1999). Le soin psychique entretient des rapports avec le culturel, mais il en entretient surtout avec le politique (Cadoret, 1994, Dahoun, 1992). J’entends là « le politique » en tant qu’institution, dans la mesure où il n’y a pas à retrancher des patients des Institutions de droit commun au motif de leur appartenance sociale ou culturelle (et/ou de leur désappartenance sociale et culturelle). Mais j’entends aussi le politique en tant que succession de moments historiques qui ont lié de façon souvent violente des pays et des peuples entre eux.

Car ce ne sont pas que les hommes et les femmes qui migrent mais aussi les langues, les savoirs, les techniques — y compris les techniques psychothérapeutiques.

Jalons épistémologiques

Le terrain d’un possible dialogue entre cliniciens et anthropologue se situe à un niveau épistémologique c’est-à-dire qu’il nécessite que soient formalisées les conditions de la production du savoir. Si ce pas ne s’accomplit pas, il est à prévoir et il est à craindre que l’ethnologie et la psychologie interculturelle clinique ne soit plus pensées que comme science d’approche de sujets issus de sociétés non dissoutes dans le système capitaliste. Ce qui est assez chimérique, voire dangereux.

De plus, un tel dialogue pourrait redonner chance aux ambitions, aujourd’hui malmenées, de la psychothérapie institutionnelle qui toujours a misé, dans le traitement institutionnel de la folie, sur la réhabilitation du sujet en tant qu’agent de la culture et producteur d’un social. Un tel pari, qui mise sur la consistance symbolique de la personne de l’aliénée, a des connotations politiques flagrantes. Ces dernières se révèlent et peuvent s’articuler, surtout lorsqu’il s’agit de prendre en compte ce qu’affiche d’ambition et de projet politique la façon dont il est fait part ou non aux singularités des référents symboliques dans la prise en charge psychothérapeutique et sociothérapeutique de sujets jamais considérés pour autant comme des modèles achevés et stéréotypés de leur supposée culture d’origine. Ainsi, donner droit de cité à la langue maternelle, à l’histoire des violences et des dénis d’identité qui, collectivement, ont pu marqué l’existence de telle ou telle personne, dans sa rapport à la parole et à autrui, est une des fonctions les plus éminentes de l’institution soignante, ce qu’incarnait exemplairement le parcours d’un Fanon (Fanon, 1951, Cherki, 2000, Douville 2006a)

La philosophie anthropologique pense souvent l’identité de l’individu humain comme l’accomplissement d’un encodage culturel spécifique. Le corollaire de cette perspective — le primat accordé à la fabrique de l’individu ou du groupe — ne suffit pas à donner du sens au qualificatif d’humain. À son tour, mais après quelques théologiens il est vrai, la psychanalyse insiste sur l’ « incondition » de l’humain dans son corps et dans son langage. Un mot ne peut à lui seul subsumer tout le sujet. Cette impossibilité logique signe le fait que tout sujet est exilé de son être même et de sa prime jouissance d’être dès qu’il parle à quelqu’un qui l’entend. C’est à la mesure de cet exil que la sexualité et la jouissance peuvent lui demeurer non cachées mais parées de leur lustre d’énigme. De toute symbolisation, un reste échappe à ce qui met le corps au rythme et au pas des réseaux signifiants. Le corps divisé entre signifiant et signifié, entre dedans et dehors [4], est aussi humanisé du fait d’une perte de pure jouissance, perte inaugurale à la prise du sujet dans ses symboliques culturelles. En regard de ça, il est possible de revenir sur les dites fonctions de la psychanalyse. La fonction de la psychanalyse est certes une fonction thérapeutique, au cas par cas, au un par un, dans le relatif secret du cabinet, mais des psychanalystes ont aussi à réfléchir sur le fait qu’ils sont des hommes et des femmes de telle ou telle culture, non des experts en psychisme ou en culture ou en « folie ».

La théorie psychanalytique contient une théorie de la culture [5]. Cette dernière est très pauvre en descriptions concernant des « types d’organisations culturelles ». Et sur ce point précis, elle n’est guère convaincante. La théorie psychanalytique possède un caractère ombilical et premier quant elle touche à la question du lien. Ce n’est pas alors l’opposition entre sujet et collectif qui retient l’attention du psychanalyste. La dimension symptomatique du lien social réside en ce que l’accroche au semblable vient à la place d’une jouissance perdue autosuffisante du corps, en boucle. Le semblable ne se compose que de notre mise au langage. C’est parce que l’ordre de la demande rompt avec l’auto-bouclage de la satisfaction pulsionnelle que le prochain surgit en tant que figure et comme point d’appel. À cela donc une condition : que le sujet ne puisse être privé de sa parole et de sa demande, mais qu’il ne puisse non plus rester enfermé dans sa parole et dans sa demande. Il y a un au-delà du dire, et chacun, où qu’il soit tente de se relier à un lieu d’adresse et d’écoute supposé à cet au-delà. Le lien social procède de la mise en commun de ces modes de liaisons du subjectif à ce lieu toujours ouvert. La question de l’autre demeure fondamentalement la question et l’enjeu du langage. Le langage est à la fois notre demeure et notre altérité, il ne faut pas limiter notre intelligence du langage à son aspect fonctionnel. Le drame serait que l’altérité soit uniquement pensée en termes imaginaires, en termes d’autres cultures, d’autres mœurs, coutumes, allures, phénotypes, couleur de peau… Et c’est pourquoi l’idéal de l’auto-fondation de soi, c’est-à-dire l’idéal du sujet en position de se croire assujetti à rien, maître virtuel des mots et des choses, ne pourra qu’entraîner des effets de ségrégation des plus cruels.

Les refoulements ne sont pas des mécanismes entièrement collectifs, semblables d’un individu à un autre. Sont collectifs et collectivisables, en revanche, les systèmes et les processus de répression et de fiction. Ils sont là pour masquer, quoi qu’imparfaitement, ce trou laissé par la mise en signifiance et en sexualité génitale de notre corps. S’affirme ici un écart entre l’instabilité du culturel, la violence du social, et l’inachèvement de l’appareil subjectif, son impuissance à couvrir le monde d’un principe de nomination sans failles. C’est-à-dire que toute théorie qui met en équivalence psyché et culture n’est guère plus qu’un violent archaïsme. Il faudrait procéder à une grande mise au point de nos héritages institutionnels et théoriques. Il me revient ici une anecdote. L’on me fit il y a peu reproche, lors d’un colloque consacré à Devereux, d’avoir critiqué la notion d’ « inconscient ethnique » que la maître de l’ethnopsychiatrie forgea. Qui, aujourd’hui, irait sérieusement méconnaître l’aspect tout réducteur, pour ne pas dire réactionnaire, d’une lecture des conflits qu’un sujet traverserait en termes strictement ethniques ? Encore récemment il est soutenu d’étendre cette approche interculturelle de la diversité à l’examen de la situation des grands exclus, des SDF, des jeunes errants… Avec ce pathos qu’il faut entrer dans l’intérieur des dites « sous-cultures » pour les comprendre à la façon d’un ethnologue de l’âge d’or déboulant dans son terrain si lointain, si autre, et cela sans réfléchir le moins du monde sur les logiques de productions sociales et économiques de telles conditions humaines, conditions réifiées en tant que « groupe » ou « communauté » en fonction de critères peu ou jamais interrogés tant ils semblent saturés d’évidence naturelle. Le tout amenant une psychologisation et/ou une ethnicisation outrancière du social. J’ai entendu ce même genre de fadaises « ethnopsy » concernant les adolescents en grande détresse sociale, errants dans la rue. On parle très aisément dans les pathos socio-humanitaires de « culture des enfants des rues » comme si ces mineurs en danger formaient un groupe culturel ou ethnique consistant. Dire qu’il y a dans toute situation de marginalisation une fabrique commune de représentations et de valeurs (lesquelles sont loin d’être toutes si distinctes de celles de la majorité) est un truisme, prétendre alors qu’en raison de cela, les exclus, les migrants, les SDF, les roms, bref les marginaux, ne sont que des communautés culturelles est une sottise. Le problème est que cette sottise monumentale correspond trop bien à la demande d’ethnicisation des lectures des rapports sociaux. Elle favorise l’intervention, comme médiateurs, de psychologues supposés « experts en ethnie », trop prompts à oublier Marx ou Gramsci, trop enclins à mépriser Freud, trop ignorants des travaux d’Althabe ou d’Augé. Comment alors, en ayant chaussé les lunettes de la « diversité », pouvoir comprendre l’interaction entre les superstructures (au sens de Gramsci) qu’est la culture sur-moderne et l’apparition de nouveaux symptômes et de nouvelles pathologies accentuant le lien à l’objet, affectant le corps réel, et perturbant gravement les dispositifs symboliques de transmission des héritages culturels et des dettes ? Aussi a-t-on vu fleurir l’idée, lors de la révolte de certaines banlieues, qu’elles étaient dues au fait que les « mécanismes de défense » offert par la « culture française » étaient non mis en place ou déniés par les jeunes vivant dans ces cités ! Outre que la confusion de termes propres au registre métapsychologique est du plus grand loufoque (« non mise en place » n’est en rien équivalent à « déni »), on blêmit devant une telle psychologisation de la vie sociale.

Champs possibles de recherches aujourd’hui pour une anthropologie clinique


Nous dégagerons, avant de conclure, quelques axes possibles de ces échanges et constructions d’objet entre anthropologie et clinique. La rencontre restant, comme nous l’avions souligné avec Audisio, Cadoret et Gotman à construire …

Un premier niveau d’échanges et de réflexions s’appuierait sur la façon dont les processus institutionnels (parenté, filiation, rapport à l’Interdit) ont prise sur la subjectivité. Soit aussi, et de façon plus large, se demander en quoi et comment l’institution du vivant et du langagier intéresse les processus inconscients.

Un deuxième niveau s’appuierait sur les phénomènes d’appropriation du lien social, actuellement rencontrés, en particulier chez les adolescents, qui semblent s’approprier à la fois des liens et des lieux. Quels destins alors, pour la transmission des codes culturels ? Quelles mises à l’épreuve sont ainsi marquées par des récits et des fictions du lien à l’histoire, au roman familial, à l’originaire ? Aussi par des formes rituelles et mythiques collectives, éphémères ou durables ?

Un troisième niveau serait celui de la construction des montages identitaires. Les pratiques de l’espace et des frontières, les mouvements de délocalisation et les errances, les ségrégations et les exclusions seraient ainsi des repères pour travailler les nouvelles pathologies de l’identité, les devenirs de la fonction créatrice de la folie, dans les situations inédites d’affrontement direct entre futur et passé, ou d’effondrement catastrophique du passé (Douville, 2007).

À ce troisième niveau, on dégagera l’hypothèse d’une interaction entre les superstructures (au sens de Gramsci) qu’est la culture sur-moderne et l’apparition de nouveaux symptômes et de nouvelles pathologies accentuant le lien à l’objet et affectant le corps réel, et perturbant gravement les dispositifs symboliques de transmission des héritages culturels et des dettes. Ainsi certains enfants en vive errance [6] que j’ai rencontrés en Afrique sont ils les rebuts de toute transmission de dette et de valeur. C’est très net pour ceux qualifiés d’ « enfants-sorciers » et qui sont plus du tout des sujets auxquels le monde adulte doit quoi que ce soit. On confiera au traitement de cette hypothèse d’une interaction entre superstructure et ruine pathologisante des échanges et des dettes partagées le soin de prolonger les thèses usuelles sur le malaise dans la civilisation.

Il est vrai toutefois que de tels cheminements épistémologiques en dialogue ne se feront pas sans que soient surmontées préjugés et résistances de part et d’autre, du côté des psychanalystes et du côté des anthropologues. Car, il n’est pas inutile d’en faire rappel, ce ne sont pas des disciplines idéales qui se rencontrent mais des femmes et des hommes nourris de conviction, de culture et d’espoir. Or, souvent pour les anthropologues, les psychanalystes sont des compagnons peu fréquentables. Trop souvent se comportent-ils mal dès qu’ils vont dire à l’anthropologue que toute sa collecte de mythologies ou de ritualités ne sert que d’argument à légitimer le dogme de l’universalité de l’Œdipe. Là je pense que le psychanalyste qui interprète tout mythe par le mythe œdipien ne fait qu’inoculer sa vérité mythologique à toute logique mythologique, à tout rituel, etc. Il refuse de considérer, du même coup, et avec la même violence, ce qu’est l’expérience ethnographique, soit cette position de se laisser instruire, manier, accueillir par l’autre. Que l’Œdipe soit partout, tout comme l’air qu’on respire, la belle affaire ! Et qu’il soit un invariant, ce qui reste une hypothèse, n’implique en rien comme le soulignait déjà Foucault qu’il y ait adéquation entre cet invariant et les productions de l’inconscient. Cette prétention à un universalisme niveleur reste hors temps. Autosuffisante et, parce qu’autosuffisante, elle ne nous dit rien et ne peut rien nous apprendre sur des diverses formes manifestes d’inscription, d’évolutions, de déformations et de reprises de la loi sexuelle et du code sexuel pour tel ou tel groupe d’humains, et ne saurait nous informer non plus de la reconfiguration des versions de l’altérité qui découlent de ces forces de déformation et de réinterprétation du sexuel, elle ne permet en rien de situer l’émergence de nouvelles modalités des rapports de force entre les sujets.

Il est venu le temps que le psychanalyste sorte de son pédantisme atavique pour devenir un contradicteur sensé et valable, et là, il sera un peu comme le flux et le reflux qui ronge la falaise sur laquelle la maison de l’anthropologie a construit ses palais. Voilà l’inconfort que produit la psychanalyse : c’est de considérer que tout lien social se solde par un malaise, tant le lien social est la réponse à une horreur, réponse qui en même temps produit du malaise et ce point de départ, hérité de Freud et sans doute dramatisé utilement par Lacan, grignote le socle de toute socio-anthropologie standard. Rien ne serait plus étranger à un psychanalyste que de considérer l’humain comme étant guidé par le sens de ses intérêts, un tel refus du fonctionnalisme et de l’utilitarisme, refus rigoureusement freudien, le mène à ne pas considérer comme raisonnable la démarche cognitiviste en anthropologie et en psychologie. Les rayons cognitivistes égarés parmi les ombres incertaines du rapport collectif et particulier de l’humain au sexe et à la mort ne jettent alors plus qu’une lumière frêle et trompeuse sur ce socle de ce qu’est l’humain, soit le manque de représentation inconsciente de la différence des sexes et de la mort.

Je ne crains pas de dire qu’il faut impérieusement aux psychanalystes retrouver, immergé dans toute culture, le sujet divisé par le sexuel, et comme tel jamais identifié à son genre et à son sexe — ou à son genre de sexe s’il est permis de le dire en un trait d’esprit [7]. Nous ne pouvons faire de l’anomie de l’inscription du sexuel dans la psyché le privilège ou le défaut de telle ou telle organisation sociale, de telle ou telle aire culturelle. Si je considère maintenant ce que des anthropologues qui veulent bien travailler avec des psychanalystes, et ils ne sont pas encore en nombre, vont sans nul doute apporter aux spécialistes de la psyché, alors nous faisons rencontre de tout un matériel anthropologique qui peut prendre effet et fonction d’un potentiel porteur de problématiques à propos des logiques de symbolisation de l’expérience humaine. De façon plus large encore, ou à tout le moins davantage politique, psychiatres et psychologues « modernes » se complaisent dans la répétition d’un discours sur les malheurs du sujet moderne qui est un discours qui se présente comme étroitement médicalisé, mais qui repose sur des impensés anthropologiques. L’anthropologie en tant que telle ne sert pas à soigner, bien sûr, mais ça sert à une certaine déconstruction de la médicalisation et de la psychologisation de l’existence. Surtout lorsque ces deux dernières idéologisations en acte produisent du « matériel humain » quantifiable, évaluable et naturalisable, ce qui se double de procédures de contrôle et d’évaluation de plus en plus obsédantes, pesantes et vaines. Qu’est ce que nous découpons comme « faits culturels » ? Au sein de quelles mouvances ces faits changent-ils de statuts symboliques ? Comment se construisent des normes, s’imposent des dogmes identitaires ? Quelles correspondances entretiennent-ils avec ce qui bouge dans les économies psychiques ? Le chantier est vaste. Et en tant que tel il doit être de plus situé dans un examen de la demande sociale et politique adressée, parfois de façon péremptoire, à l’une et à l’autre de ces deux disciplines.

La psychanalyse fait actuellement l’objet d’un débat social, d’autant plus aigu que c’est la singularité du sujet individuel et l’irréductibilité de ce sujet à du prédictif et du chiffrable qui est en jeu. La présence de la psychanalyse dans les institutions de soin et d’enseignement, qui date des années 1920 (création d’Instituts à vise thérapeutique, en Allemagne et en Grande Bretagne, et création d’enseignements universitaires en Hongrie) redevient l’enjeu d’une lutte tant elle est menacée et par les procédures d’évaluation des pratiques et par les mode de formation et de recrutement des jeunes collègues dans les établissements de soin psychique et les universités de médecine et de psychologie. Dans le même temps, la psychiatrie et la psychopathologie sont de plus en plus biologiques et les facteurs d’innéités sont de plus en plus invoqués pour rendre compte des troubles de la pensée et de la relation à autrui. D’où la cruauté du dépistage précoce de la délinquance, des tendances suicidaires etc. et la sidérante complicité de nombreux laboratoires de psychologie clinique à cet égard. La généralisation de l’économie de marché a eu des effets de plus en plus prononcés sur les définitions de la souffrance psychique, des troubles mentaux, leurs modes de diagnostic et leur traitement. Dans les démocraties industrielles, on constate la dominance des modélisations biologiques et neurologiques, le retour à un primat héréditaire et la mise en avant de polices de rééducation comportementaliste. La globalisation des modèles de la santé ne vise pas l’uniformisation. Et si l’autre exotique y conserve un droit de cité cela ne sera alors plus qu’en raison et au prix de son exotisme même.

Les nouvelles classifications en psychiatrie peuvent être plus ou moins spécifiées en fonction de critères culturalistes tous centrés sur l’expression dite culturelle de l’angoisse ou de la dépression. Où l’on voit que ces deux souffrances psychiques sont bel et bien érigées comme canon d’un mal-être international. Ce n’est pas du tout alors le fait culturel qui nous trouvons au premier plan (comme l’était par exemple la dimension institutionnelle et clinique que présentaient les symptômes des chamanes) mais un code culturel qui témoignerait de pathologies « culturelles » nuançant et habillant un trouble fondamental et a priori de la subjectivité contemporaine, tour de passe-passe par quoi le vieux dogme du désordre ethnique reprend corps mais comme l’habillement local d’un désordre global. Ces classifications internationales admettent des additifs concernant telle ou telle prétendue ou supposée minorité, laquelle dans un mouvement de lobbying peut être friande de s’approprier ce genre de traits identitaires surcodés et identifiants ; rien ne pouvant se dire, ni même s’entrevoir alors du collectif au singulier. Cette ethnicisation partielle de la nosologie des classifications actuelles ne signe en rien une entrée en force d’un savoir et d’un savoir-faire anthropologique dans la psychiatrie. Elle flatte l’expansion des communautarismes, réponse actuelle aux effets dissolvants des globalisations. Ce ne sont plus des groupes ancrés dans la culture et la tradition qui nous informent du trésor ancestral de leurs nosologies et de leurs stratégies de soins, mais des groupes-symptômes qui se rassemblent par des modalités homogénéisantes de jouir ou de mal aller. Etre dans le social c’est alors éprouver la commodité d’y vivre selon son symptôme confondu avec son style minoritaire. Un tel mouvement est fort préoccupant pour l’exercice de la psychiatrie en tant que pratique et en tant qu’épistémè. D’autant qu’il se prolonge encore en ce qu’il donne le feu vert à la psychiatrie pour prendre sous sa coupe des catégories de populations issues du champ social, il est alors clair que cet abus de pouvoir se paye d’une inconsistance de la tenue philosophique et épistémologique de la discipline. Le trait social, soit le lien entre souffrance psychique et précarité, est alors traité comme un trait « ethnique » supposé caractéristique alors de certaines couches de population. En effet, si les populations déviantes sont réduites à des catégories de populations souffrantes, elles risqueront dès lors de trouver leur correspondance dans ces classifications qui s’ouvrent à tous les vents du sociologisme et du culturalisme, tout en gardant un décorum scientiste de vitrine.

Conclure…

L’anthropologie clinique n’est pas à situer alors comme une sous-discipline de l’anthropologie trouvant à se loger dans un découpage doctrinal pré établi aux côtés de l’anthropologie culturelle, sociale, politique, etc. Elle consiste tout particulièrement en l’examen clinique et critique des catégories existentielles qui se révèlent dans les grandes déchirures d’une vie singulière comme d’une vie collective, dont, surtout les expériences de ruptures des symbolisations culturelles du sexuel et de la mort. Cette anthropologie sait faire place à l’écart entre le discours social et le discours du sujet tant ce dernier ne s’y trouve pas totalement prescrit. Recentrés sur la dimension de l’étant en tension et en devenir, les grands paradigmes de l’anthropologie clinique font, alors, toute la place à une philosophie des structures de chaque existence humaine : le monde, l’espace au temps lié, le corps, le destin des interdits, des structures rituelles et narratives de symbolisation des alliances et des filiations. Cette anthropologie ne saurait déboucher sur une vision abstraite, neutre et asexuée de l’humain.

C’est ici que l’intercession du terme de clinique juste après celui d’anthropologie éloigne d’un idéalisme. Loin de ne se rajouter qu’à celui d’anthropologie, ce terme le décomplète et l’inquiète. Le sujet anthropologique ainsi considéré force la dimension du pathique, la fait rentrer de plein droit dans le champ disciplinaire. S’interroger sur le sens pathique de la rencontre avec l’altérité inscrit l’étude des liens, montages et fractures des rapports de l’identité à l’altérité dans l’examen de leur densité. Laquelle est multi-factorielle : structurale, phénoménologique et historique.

Olivier Douville est psychanalyste [8].

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NOTES

[1Ce texte est la prolongation d’une conférence « Clinique des altérités : enjeux et perspectives aujourd’hui » prononcée en avril 2011 à l’Institut d’ethnologie de l’Académia Sinica (Taipéi), et publiée ici. Le Dr. Jenyu Peng m’invita alors pour une série de conférences. Je l’en remercie vivement.

[2Faisons retour à l’histoire de notre discipline. Le champ socio-anthropologique devient, dès les années 20, plus encore que pour Totem et tabou (1913), un terrain d’application et aussi un des lieux de « mise en réserve » des nouvelles théories des montages et des machines pulsionnelles. L’anthropologie a pour le père de la psychanalyse ce double statut. D’une part elle permet à Freud d’appliquer sa théorie des névroses à la compréhension de la culture. D’autre part, elle offre à Freud des modèles qui lui permettent d’anticiper sur les élaborations de sa métapsychologie — au même titre que la prise en compte de la littérature ou des arts plastiques a pu avoir valeur prodromique pour Freud théoricien de la psyché. Freud refuse d’assimiler la psychanalyse à une vision du monde car elle n’a pas pour fin de prodiguer encore plus de consolations aux hommes qu’ils ne s’en prodiguent eux-mêmes ou de reprendre à son compte les promesses de la religion. En revanche, ses enseignements sur les processus inconscients dans le lien social permettent de battre en brèche toute idéologie totalitaire (super ego, bio-sociologie...) dans la philosophie et, surtout, dans les sciences de l’homme.

[3NDLR : Exemplaire à cet égard est l’œuvre de Thierry Hentsch, de L’Orient imaginaire (le récit de l’altérité arabo-musulmane dans la culture occidentale) aux deux tomes que sont Raconter et mourir et Le temps aboli (récit identitaire de l’Occident), dont on ne peut trop recommander la lecture.

[4Augé M., Le Dieu objet, Paris, Flammarion, 1988

[5Comment pourrions nous échanger avec d’autres spécialistes des « sciences humaines » s’il en était autrement !

[6Cette ultime remarque est issue d’un travail de terrain et de formation auprès d’équipes africaines du Samu Social International, je remercie de D. X. Emmanuelli de m’avoir donné occasion d’y travailler.

[7J’ai travaillé avec Pascale Absi sur les significations inconscientes ambivalentes de la jouissance sexuelle chez des prostituées en Bolivie . cf. P. Absi et O. Douville : « Batailles nocturne dans les maisons closes. L’univers onirique des prostituées de Bolivie », La revue du Mauss semestrielle, 37, 2011 (version électronique)

[8Membre de l’Association Française des Anthropologues. Maître de conférences hors classe des Universités. Laboratoire CRPMS (Université Paris 7 Denis-Diderot). Directeur de publication de Psychologie Clinique (Paris, EDK). Derniers ouvrages : De l’adolescence errante dans les nos-lieux de nos modernités (Pleins Feux, 2007), Chronologie de la psychanalyse du temps de Freud (Dunod, 2009).