Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Cynthia Fleury

Francesco Fistetti :
Multiculturalisme dites-vous ?

Texte publié le 18 janvier 2010

Recensé : Théories du multiculturalisme. Un parcours entre philosophie et sciences sociales, postface d’Alain Vaillé et Philippe Chanial. Éditions La Découverte, 2009.

Cette recension est initialement parue dans l’Humanité.fr, sous la rubrique « La chronique philo de Cynthia Fleury) ».

« Je vous amène les saluts d’un monsieur bronzé, Barack Obama. Et je peux vous dire qu’il n’était pas seul quand il a pris du soleil, parce que son épouse aussi est bronzée », subtilité toute berlusconienne ou preuve d’un retour en grâce plus global d’un populisme teinté de beaufitude et de racisme ordinaire, de sens de la communication et de la provocation… Là encore, de parfaites manifestations de la contrexemplarité. D’autres, anthropologiquement plus savants, diraient des preuves d’un multiculturalisme mal digéré. Car si nous vivons dans des sociétés de « multiculturalisme vernaculaire », il n’en demeure pas moins qu’elles témoignent d’une théorie de la diversité culturelle quelque peu grossière.
Pour densifier et complexifier celle-ci, l’ouvrage de Francesco Fistetti peut aider, en redonnant leur place à des théoriciens du multiculturalisme relevant d’une épistémologie post-coloniale ou encore des contre-cultures de la modernité : Bhabha, Chatterjee, Gilroy, Parekh, Benhabib, Spivak, Hall, Chakrabarty… En effet, impossible de dissocier aujourd’hui la diversité culturelle des problématiques de migrations, de diasporas, de déplacement et de réinstallation. Si bien que, dans la mondialisation, la culture se pense souvent comme « praxis de résistance, de révolte et de négociation à l’intérieur des métropoles occidentales ». En ce sens, elles demeurent elles que l’on nomme souvent « subalternes » des « cultures de survie ». Face à elles se dresse le consumérisme culturel, ou le processus d’engloutissement des cultures, sorte d’économie politique des différences culturelles réduites à de purs objets de stratégie de marketing. Et quand ce n’est pas cela, le concept et la pratique de l’hégémonie au sens de Gramsci se poursuivent dans la mesure où il est bien rare de trouver une culture dominante susceptible de penser sa relativisation sans pour autant désavouer son exigence de partage.
Francesco Fistetti fait retour à Kymlicka pour penser le droit à la culture comme droit à la liberté ou à Parekh pour considérer la diversité culturelle comme un bien moral vital. Les thèses d’Amartya Sen le séduisent davantage encore, dans la mesure où les politiques multiculturelles trouvent leur justification si elles prônent comme objet fondamental le développement humain, soit l’approfondissement de la liberté concrète des individus, leurs capacités à choisir et à organiser librement leur vie. Pour Sen, c’est sans doute l’unique légitimation du multiculturalisme : contribuer à la vie et à la liberté des sujets intéressés. L’auteur fait alors appel à Benhabib pour penser un dialogue culturel complexe, autrement dit penser qu’on peut être en désaccord avec certains aspects des pratiques et des coutumes d’autres cultures comme la subordination des femmes sans pour autant dévaluer ou dénigrer leur culture in toto et avec elle les mondes vécus qui y sont incorporés. « Aussi riche soit-elle, aucune culture ne saurait incarner à elle seule tout ce qui est appréciable dans la vie humaine, ni développer la gamme entière des possibilités humaines » (Pareck). L’intérêt principal du livre est de sortir de la route pavée des bonnes intuitions multiculturalistes pour tester leur viabilité. Jusqu’où en effet penser la diversité culturelle ? Le « bon régime politique est celui qui tend à favoriser le maximum de pluralisme culturel qui soit compatible avec son propre maintien ». Une sentence claire, quasi arithmétique.

NOTES