Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

RDMP

Pour un Cercle des professeurs et des chercheurs disparus

Texte publié le 11 février 2009

L’appel

Signez cet appel en envoyant un courrier à l’adresse suivante : professeurschercheursdisparus@gmail.com, en respectant s’il vous plaît la convention suivante : Prénom NOM, titres, affiliation.
Ci-dessus, l’appel en format PDF


770 signataires le 09 mai 2009, 23h45. Cf. la liste complète à la fin de l’appel

Francesco Fistetti a relayé cet appel en Italie où il semble également avoir du sens Ici, la version italienne

Le monde de l’Université et de la Recherche est en proie depuis quelques temps déjà à un processus de dégradation sans précédent en Occident depuis des siècles, et à de lourdes menaces non pas contre la liberté de pensée, apparemment portée au pinacle, au contraire, mais contre la pensée elle-même. Plus spécifiquement, ce que ces assauts menacent de faire disparaître, définitivement peut-être, c’est le rapport humaniste à la culture qui était au fondement de l’Université, ce mélange d’obligation et de plaisir pris à la connaissance désintéressée des œuvres d’art et de pensée, littéraire, philosophique ou scientifique.

Dissipons d’entrée de jeu les soupçons que ne manqueront pas de faire naître ces affirmations liminaires :

Aussi bien, ce qui nous importe ici n’est pas d’énoncer ce qui doit faire partie des savoirs généraux légitimes mais d’affirmer l’absolue nécessité à la fois qu’il existe des savoirs généraux partagés, et de préserver et de faire revivre un certain type de rapport au savoir, à sa production et à sa transmission. L’Université, l’Universitas s’est définie en tant que telle par cette aspiration à une certaine universalité du savoir. N’hésitons pas à qualifier ce type de rapport au savoir, indispensable à la pensée et au fonctionnement d’une Université digne de ce nom, de « désintéressé ». Ce qui ne signifie évidemment pas : « sans intérêt ». Au contraire, les savoirs désintéressés sont ceux auxquels on désire accéder ou transmettre parce qu’ils sont source intrinsèque de plaisir, d’étonnement, de passion, d’excitation ou d’émerveillement. Les plus intéressants, donc. Ou bien ceux que l’on doit acquérir pour devenir pleinement citoyen de son époque, et acteur social à part entière.

Dissipons une autre équivoque possible. Défendre un idéal du savoir désintéressé ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas à se soucier des débouchés professionnels des études universitaires ou des usages sociaux et appliqués de la Recherche, et ne signifie pas non plus qu’il ne devrait pas être fait une place, même très importante, même la plus importante quantitativement pour des savoirs immédiatement utiles. En revanche, il convient de résister par tous les moyens à la résorption des savoirs désintéressés ou, plutôt, de la modalité et du moment désintéressé du savoir dans la formation professionnelle – ou pseudo professionnelle, - et dans les connaissances appliquées, ou pseudo pragmatiques.

Mais la menace principale qui pèse désormais sur la pensée ne réside pas au premier chef dans cette couse effrénée à la professionnalisation de l’enseignement universitaire. Elle tient, bien plus profondément, à une spécialisation-professionnalisation désormais délétère non pas tant de la transmission que de la production du savoir lui-même. Le monde de l’Université et de la Recherche est désormais entré résolument, inexorablement peut-il sembler, dans la troisième et peut-être ultime étape d’un processus de déculturation du savoir amorcé il y a une trentaine d’années et que l’on peut décrire sommairement comme suit :

En bref, le monde du savoir est en train de devenir un champ dans lequel il n’est plus écrit à destination de personne, où ce qui est écrit n’est plus lu par personne (sauf les anonymes Referees des revues bien en cour) et dans lequel le savoir n’est plus vu comme un bien commun de l’humanité mais exclusivement comme une source de profit individuel, privé et/ou institutionnel.

C’est donc bien d’une attaque frontale contre la pensée qu’il s’agit ici, si par pensée on n’entend pas seulement l’activité computationnelle, la dérivation plus ou moins mécanique des implications des axiomes admis au sein d’un champ de savoir bien délimité, mais à la fois l’imagination créatrice, la mise à l’épreuve des certitudes disciplinaires par leur confrontation avec d’autres régimes de discours, et la capacité à rapporter les connaissances nouvelles aux intuitions de sens commun inhérentes à une culture donnée.

Que faire ?

Précisons encore une fois : l’objectif de notre dénonciation de la situation actuelle du savoir n’est nullement de critiquer le principe de son organisation disciplinaire en tant que tel. Il n’est pas, non plus, d’en appeler à une improbable et introuvable transdisciplinarité. Mais, face au risque considérable d’affaissement de la pensée et de disparition de toute la tradition de la culture, berceau et vivier des valeurs démocratiques, le cercle des professeurs et chercheurs disparus (ou en voie de disparition) décide de s’organiser en un réseau de connivence humaniste international. Ses membres s’engagent à tout faire, là où ils le peuvent :

Premiers signataires

Olivier BEAUD, Professeur des universités en droit public à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Alain CAILLE, Professeur de sociologie à Paris X, Directeur de la Revue du MAUSS

Philippe CHANIAL, Maître de conférences en sociologie à l’université Paris Dauphine

Jean-Pierre DUPUY, Philosophe des sciences et professeur à l’Université de Stanford en Californie

Olivier FAVEREAU, Professeur d’économie à l’université Paris X Nanterre

Marcel GAUCHET, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, au Centre de recherches politiques Raymond-Aron et rédacteur en chef de la revue Le Débat

Jacques GENEREUX, Professeur d’économie, Institut d’Etudes Politiques de Paris

Jean-Claude GUILLEBAUD, Ecrivain, essayiste et journaliste

Bruno KARSENTI, Directeur d’études, EHESS

Philippe D’IRIBARNE, Directeur de recherche, CNRS

Dominique MEDA, Directrice de l’Unité de Recherche « Trajectoires, Institutions et Politiques d’Emploi » au Centre d’Etudes de l’Emploi

Edgar MORIN, Directeur de recherche émérite au CNRS

Pierre MUSSO, Professeur de Sciences de l’information et de la communication à l’université de Rennes II

Gérard POMMIER, Psychanalyste, Directeur de la revue La Clinique lacanienne

Philippe RAYNAUD, Professeur des universités en philosophie politique à l’Université de Paris-II Panthéon-Assas

Alain TOURAINE, Directeur d’études à l’EHESS

Signataires

Liste complète des signataires mise à jour le 09 mai 2009

NOTES