Revue du Mauss permanente (https://www.journaldumauss.net)

Alain Caillé

Le convivialisme comme philosophie politique

Texte publié le 28 novembre 2015

Communication présentée le 27 octobre 2015 aux rencontres convivialistes de Rennes organisées par Marc Humbert sous le titre « Un autre monde se construit ». J’ai gardé ici le style oral de cette intervention et ajouté seulement deux notes à la fin. AC.

On s’est demandé hier si le convivialisme impliquait nécessairement la décroissance ou la décroissance nécessairement le convivialisme. Est ce qu’il nous faut décroître ? Un des points de départ du convivialisme, c’est le souhait d’échapper à cette question, de mettre de côté les discussions complexes sur le degré de désirabilité de la croissance du PIB, à partir du constat que de toute façon elle n’est plus là dans les pays riches. Je lisais encore dans Le Monde hier, un entretien avec Olivier Blanchard, ancien directeur économique du FMI. Il laisse entendre qu’effectivement elle ne reviendrait pas de sitôt, en tout cas dans les pays riches. Il y a deux/trois ans cette idée était totalement refusée par les économistes, au début de l ’aventure du convivialisme, et maintenant elle est presque unanimement acceptée. Voilà du coup une entrée en matière très simple pour le convivialisme, avec une question radicale : comment allons-nous tenter d’organiser le pacte démocratique, une société où il ne fasse pas trop mauvais vivre, si nous ne croyons plus, que c’est d’abord la croissance économique qui va régler tous les problèmes de cohésion sociale ? C’est là un défi colossal, il nous faut inventer un autre type de société en mettant de côté la question de savoir si la croissance est bonne ou pas bonne. De toute façon elle n’est pas là, et il faut se préparer à organiser la société avec disons une croissance zéro ou plus ou moins 1%.

L’autre spécificité du mouvement convivialiste, c’est de dire que pour organiser cette société post-croissantiste, il ne suffit pas d’inventer des solutions écologiques, techniques, économiques etc. mais que ce qui nous manque le plus, c’est une philosophie politique partagée. J’hésite sur le mot « philosophie politique ». Faut-il dire plutôt une idéologie politique, une doctrine politique, etc. ? Ces mots sont un petit peu incertains, mais ils vont se préciser assez rapidement si on ajoute que, si ce qui nous manque le plus c’est une idéologie politique, c’est parce que celles dont nous sommes les héritiers, dans des proportions variables, ne suffisent plus. Celles dont nous sommes les héritiers c’est le libéralisme, le communisme, l’anarchisme, le socialisme, pour donner les quatre grands noms principaux. Cela ne veut pas dire qu’elles sont mortes, mais que quelque chose fait qu’elles ne sont plus en prises sur l’époque, sur les problèmes que nous avons à nous poser.

Il faut donc en sortir, en sortir tout en les conservant. Là, j’ai en tête un mot allemand central chez Hegel, qu’on se sait pas trop comment ltraduire en français, le mot de « aufheben » : il faut à la fois conserver et dépasser. Je reviendrai un peu, si j’ai le temps sur ce mot, au cours de mon exposé. En tout cas, je crois que nous en sommes là, il nous faut conserver quelques chose du passé, y compris ses idéologies politiques, et en même temps, il nous faut aller au-delà.

Conserver/aller au-delà : « aufheben », cela peut se faire de deux manières.

Premièrement, conserver ces idéologies politiques en les combinant. Et deuxièmement, aller résolument au-delà, parce que si on y réfléchit bien, on s’aperçoit que les coordonnées spatiales et temporelles qui leur servaient de repères, ne sont plus adaptées à l’époque actuelle, et puis par ailleurs que la vision de l’homme, l’anthropologie sur laquelle elles reposaient, est également défaillante.

J’essayerai maintenant de préciser ces deux points :

Et puis si j’ai un petit peu de temps encore, j’essayerai de dire deux ou trois mots sur des sujets compliqués pour le convivialisme :

Dépasser en combinant

Comment dépasser (aufheben) ces quatre grandes idéologies de la modernité, pour commencer, en les combinant ?

Je vais essayer de donner quelques repères structuraux sur la question. Je me suis aperçu hier en réfléchissant à ce que j’allais pouvoir vous dire aujourd’hui, que au fond les quatre grands principes du convivialisme, qui sont au cœur du Manifeste convivialiste, reproduisent chacun une des quatre grandes idéologies que je nommais à l’instant.

L’idéal, le principe de commune humanité, c’est au fond le principe du communisme. Le principe de commune socialité, c’est celui du socialisme. Le principe de légitime individuation, c’est ce qui est au cœur de l’anarchisme. Le principe de maîtrise de l’opposition, c’est ce qui est au cœur du libéralisme.

Mais il est aussi possible de retraduire et de résumer ces quatre principes dans des mots plus familiers.

Le principe de commune humanité c’est le principe de fraternité, cette fraternité dont on parlait hier en se demandant quel était son rapport avec le convivialisme.

Le principe de commune socialité, porté par le socialisme, c’est un principe d’égalité.

Le principe de légitime individuation, c’est un principe de liberté.

Le quatrième principe, le principe de maîtrise de l’opposition, c’est un principe que l’on peut dire républicain, ou libéral. Là, j’ai une petite hésitation pour une raison que je vais expliquer tout de suite. C’est que dans cette histoire de rapport entre nos quatre grandes idéologies, libéralisme, communisme, anarchisme, socialisme, le libéralisme entendu de manière générale, a une position dominante, comme l’avait très bien montré l’économiste/sociologue/historien Immanuel Wallerstein. Le libéralisme, entendu au sens large, est la matrice de toutes les idéologies modernes. C’est la matrice de toutes les idéologies modernes si on entend par libéralisme, cette position qui s’oppose à toutes les dominations et hiérarchies traditionnelles, et qui reconnaît en conséquence l’inévitabilité et la légitimité du conflit et de la division au sein de l’ordre social.

Et cela, c’ est une rupture extraordinaire, d’accepter la division sociale. C’est justement ce que l’Islam traditionaliste refuse absolument. Pour l’Islam traditionnel la division, la discorde, la fitna, c’est quelque chose d’absolument insupportable. Au contraire, accepter la division, croire que la division sociale puisse être maîtrisée, c’est le propre de toutes les idéologies de la démocratie moderne. Et nos quatre grandes doctrines participent de cette idée-là, selon des modalités et des degrés divers. Après, dans ce cadre plus général, très général, esquissé par le libéralisme au sens large du terme, on peut distinguer les quatre idéologies que j’ai nommées, y compris le libéralisme au sens étroit du terme, celui qui pense que la réalisation de la démocratie passe à titre principal par la propriété privée et par le marché.

Pourquoi faut-il combiner ces quatre principes ou ces quatre idéologies ? Eh bien !, parce que chacune laissée à elle-même, tend à se corrompre et à produire des monstres.

Le communisme laissé à lui-même, l’appel à la fraternité réduit à lui-même, produit le totalitarisme. C’est la déviation bien connue du communisme. Le socialisme, le principe d’égalité réduit à lui-même produit l’étatisme. L’anarchisme ou la quête d’individuation laissés à eux-mêmes produisent le nihilisme. On le voit très souvent dans des variantes de l’anarchisme. Et puis le libéralisme laissé à lui-même, produit ce qui domine aujourd’hui, à savoir le néo-libéralisme, autrement dit l’hégémonie d’un capitalisme rentier et spéculatif. Il faut donc combiner, tempérer, les quatre principes, les uns par les autres - de la même manière que Montesquieu proposait d’équilibrer les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire -, et c’est une tâche évidemment urgente.

Je me disais, en réfléchissant dans cette ligne de pensée là que l’on pourrait inverser ou compléter les analyses du philosophe américain Michael Waltzer, auteur d’un livre célèbre qui s’appelle Les sphères de la justice (Spheres of Justice), et qui présente la démocratie moderne comme ce qu’il l’appelle un « art de la séparation », notamment entre les ordres économique, politique, religieux, symbolique etc. À certains égards, et en un sens opposé et complémentaire à la fois, on pourrait dire que le convivialisme doit être un art de la combinaison, un art de la combinaison des principes de la démocratie.

Voilà une première manière de raisonner, d’essayer de situer le convivialisme dans le cadre des grandes philosophies politiques héritées. J’ajoute tout de suite ce que je voulais dire en introduction et que j’ai oublié, qui est que, bien évidemment, si ma communication s’intitule « Le convivialisme comme philosophie politique », je ne prétends nullement énoncer LA philosophie politique du convivialisme. De même qu’il existe énormément d’interprétations du libéralisme, énormément de philosophies politiques du communisme, de l’anarchisme etc. eh bien il peut y avoir, et j’espère qu’il y aura de multiples analyses philosophiques différentes du convivialisme.

Aller au-delà

Mais reprenons. Qu’est-ce qui fait qu’il ne suffit pas de combiner les quatre principes que j’ai isolés, les quatre doctrines, de les tempérer, les unes par les autres ? La raison, je l’annoncé tout à l’heure, c’est que leurs repères spatiaux et temporels d’une part, et leur anthropologie ne sont plus suffisantes.

Repères spatiaux. Même si chacune de ces idéologies s’est voulue internationaliste, voire cosmopolite, on voit bien qu’elles imaginaient que le cadre par excellence de réalisation de leur idéal était fondamentalement celui de l’Etat-nation. Cela pouvait même être » le communisme dans un seul pays » ou « le socialisme dans un seul pays », etc.

Tout de suite, une précision : personnellement je ne pense pas que le cadre national soit aussi dépassé que beaucoup de gens le pensent actuellement et notamment en France. Je crois que l’idéal de la nation n’est absolument pas mort, mais il est évident qu’il est insuffisant à l’échelle des problèmes contemporains. Il est insuffisant pour traiter un grand nombre des questions qui se posent à l’échelle mondiale, à l’échelle des biens communs de l’humanité.

Et puis la formulation classique de l’idée même de nation est devenue totalement intenable. Elle supposait la possibilité de superposer dans un espace territorial déterminé, de faire se superposer, au moins symboliquement, fictivement, une origine, appelons la ethnique, commune, partagée, une religion dominante partagée, une culture partagée, une langue unique etc. etc. Cela est devenu bien évidemment intenable. Même des populations immigrées, venues de l’étranger, se coulaient dans ce cadre-là, dans le cadre de cette fiction. C’est maintenant impossible. C’est là la première raison pour laquelle l’idéal politique et démocratique traditionnel ne peut plus tenir dans ses repères spatiaux d’origine.

Par ailleurs, on ne peut pas oublier que nos quatre grandes idéologies sont nées en Occident, dans le cadre de ce libéralisme matriciel dont je parlais tout à l’heure, qui est à l’origine de la modernité. Elles partageaient - et partagent encore largement - la certitude de posséder la vérité, que cette vérité était née en Occident, et qu’elle avait pour vocation de se répandre, de s’universaliser à l’échelle de la planète.

Cette visée n’est pas totalement absurde. On voit bien qu’il faut faire droit à d’autres cultures, à d’autres traditions que celle de l’Occident, mais que ce n’est pas si facile que ça. Cela a été esquissé hier ; je reviens à des expressions de Patrick Viveret : il nous faut bien faire un « tri sélectif ». Nous ne pouvons pas accepter tout ce qui vient des autres cultures, si elles reposent sur la légitimation de la domination des hommes sur les femmes par exemple, ou sur la naturalisation des hiérarchies. On a parlé hier avec Frédéric Vandenberghe, du système des castes en Inde, de sa prégnance encore aujourd’hui en Inde - la « plus grande démocratie du monde », pourtant -, et de la difficulté pour les Indiens, en conséquence d’accepter le principe de commune humanité. Nous, nous avons symétriquement du mal à accepter ce refus du principe de commune humanité. Il nous faut donc nous donner des critères pour nous orienter.

Mais ce qui est à peu près certain, c’est que même si on fait droit à toutes ces difficultés, qui sont considérables, il restera quelque chose d’essentiel qui vient des autres cultures, qui n’a pas été produit par l’Occident et qu’il nous faut prendre en considération. C’est pour cela que le Manifeste convivialiste parle d’un idéal pluriversaliste et non pas d’un idéal universaliste, pour dissiper l’idée qu’on pourrait se contenter de généraliser à l’échelle du monde des valeurs qui sont nées en Occident.

Repères temporels. Donc, première idée : il nous faut changer les repères spatiaux de la philosophie politique à faire naître sous le nom de convivialisme. Et puis, deuxième modification à opérer, il nous faut modifier les repères temporels des pensées politiques de la modernité. Apparaît ici, la question du progressisme. Nos quatre grandes idéologies, fonctionnaient avec sensiblement la même représentation du temps. La même représentation de ce que l’on a appelé, la flèche du temps. Cette idée que l’histoire humaine, une fois révolu le temps bienheureux de l’origine, passe, doit ou va passer d’une période de misère et de désespérance, à un présent qui n’a de sens véritable que pour construire un avenir plus désirable, un avenir radieux, que ce soit un avenir anarchiste, communiste, socialiste ou libéral etc.

Nous ne pouvons plus raisonner de la sorte. Nous avons découvert la finitude de la planète, la finitude de l’existence humaine. Nous avons découvert la nécessité, non seulement de changer le monde, mais comme il a été dit hier, de changer les révolutionnaires eux aussi, la nécessité de conserver quelque chose, à la fois de la nature et de la culture. J’ai bien aimé la question que posait hier Serge Latouche hier : qui est le peuple démocratique ? Est-ce que c’est seulement les vivants ? Mais lesquels ? Est ce qu’il n’y a pas aussi les vivants à venir ? Voire les vivants des générations antérieures ? Voilà des questions gigantesques que je ne développe pas, pour me borner à dire qu’il nous faut inventer un autre rapport au temps, plus complexe que celui de nos quatre grandes idéologies. Et donc un autre progressisme.

Une autre anthropologie. Enfin, les quatre grandes idéologies de la modernité partagent sans trop le savoir, la même représentation du sujet humain. Toutes supposent que s’il y a des problèmes au sein des sociétés humaines, s’il y a du conflit, c’est parce qu’il n’y a pas suffisamment de ressources matérielles, de ressources économiques, pour satisfaire tous les besoins. Et elles en tirent la conclusion que si seulement il y pouvait y avoir suffisamment pour tout le monde, alors il n’y aurait plus de conflit. L’idée sous-jacente est donc que les humains sont des êtres de besoins matériels et que le drame de l’existence humaine c’est la rareté matérielle.

Or, manifestement cette idée ne tient pas. Les besoins sont potentiellement illimités. Durkheim l’avait très bien dit, si les besoins ne sont pas limités par quelque puissance on ne pourra jamais les satisfaire. Et pourquoi cela ? Eh bien parce que les besoins ne sont jamais seulement des besoins, ils sont toujours imprégnés de désir. Désir de quoi ? Ce désir, je crois qu’on peut le nommer. On peut dire que c’est un désir de reconnaissance. Les êtres humains ne cherchent pas seulement à satisfaire des besoins matériels, ils veulent également être reconnus. Plus précisément, je pense que nous désirons être reconnus comme des donateurs. Nous désirons être reconnus dans notre générosité et dans notre générativité, dans notre créativité. Dans notre puissance d’agir en donnant et/ou en faisant émerger ce qui n’existait pas encore.

Si ceci est vrai, ça ne signifie pas qu’il nous faudrait opérer un choix radical entre satisfaction du besoin ou satisfaction du désir ; il existe une hiérarchie enchevêtrée entre besoin et désir. Mais si la thèse du primat du désir de reconnaissance – au moins dans certaines conditions-, est juste, c’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. C’est une bonne nouvelle parce que cela nous permet de desserrer l’hégémonie de l’économie et d’inventer autre chose. C’est une mauvaise nouvelle parce qu’il est beaucoup plus difficile de gérer la lutte pour la reconnaissance, pour employer l’expression d’Axel Honneth, que la production technique des biens matériels.

Comment aménager le conflit des désirs de reconnaissance ? Pour aller très vite, je dirai que l’essentiel ce n’est pas d’essayer de supprimer ce désir de reconnaissance, de le brider, mais plutôt d’essayer de le canaliser dans des directions qui soient socialement bénéfiques pour tout le monde. De passer de la quête de reconnaissance par l’accumulation de la richesse d’une part, ce qui domine actuellement, ou de la quête de reconnaissance par l’accumulation du pouvoir, dont il a été beaucoup question hier, à une quête de la reconnaissance par contribution à l’amélioration de la commune humanité et de la commune socialité, par des progrès dans l’ordre de la culture, du savoir, de la convivance, de la démocratie, voire dans l’ordre du sport etc. etc.

C’est là à mes yeux le problème essentiel. Il ne suffit pas de dénoncer le capitalisme en général, ou même le seul capitalisme financier et spéculatif. Il faut bien comprendre qu’en amont du triomphe du capitalisme, le produisant, il y a cette démesure, cette hubris, qui va souvent de pair avec la quête de reconnaissance, si elle n’est pas adéquatement canalisée.

Conclusion : la gauche ? La révolution ?

Comment espérer réaliser une telle perspective de canalisation de l’hubris ? Est-ce que ça sera dans le cadre d’une référence à la gauche et à un idéal révolutionnaire ? Je pense qu’il faut, là encore remettre ces notions au rouet, les réexaminer.

Le convivialisme est-il de gauche ? A certains égards si le critère de la gauche, comme le soutenait le philosophe italien Norberto Bobbio, c’est de préférer davantage d’égalité à un moment donné que la droite, alors le convivialisme est radicalement de gauche, puisqu’il préconise une limitation du patrimoine et/ou un revenu maximum, un patrimoine maximum etc. et qu’il mène une quête résolue contre l’explosion des inégalités. Mais par ailleurs, pour des raisons que je n’ai pas pas le temps de détailler, on voit bien que ce repérage simple de l’opposition droite/gauche ne marche plus, pour tout un ensemble de raisons, qui sont liées notamment aux brouillages des repères spatio-temporels, que j’évoquais tout à l’heure, et au brouillage de l’anthropologie sous-jacente etc. [1].

Il nous faut donc sortir résolument de l’opposition droite/gauche, qui n’est plus structurante des problèmes principaux aujourd’hui, mais conserver la référence à la gauche en en sortant, aufheben l’idée de gauche [2]. Il faut sortir résolument de l’opposition droite/gauche, en sachant que nous en sortons par la gauche, en étant les héritiers de l’déal de gauche. Et à cet idéal, il faut être fidèle, en le dépassant.

Et je dirais la même chose de l’idéal révolutionnaire. J’aurai aimé avoir un peu plus de temps pour détailler une question posée par Frédéric Vandenberghe, dans le petit livre qui vient de sortir, qui s’appelle Le convivialisme en dix questions. Et qui renvoie aussi aux questions évoquées par Thomas Coutrot hier : qu’est ce qui peut rendre le convivialisme désirable ? Qu’est ce qui ferait que des jeunes gens puissent se mobiliser pour le convivialisme davantage que pour Toni Negri par exemple, ou pour des révolutions violentes ? Vaste question.

En un mot, je crois que si on détaillait à quel point le convivialisme peut déboucher sur une société effectivement plus harmonieuse et plus juste que les sociétés passées, moins exaltante peut-être que les grandioses idéaux communistes ou anarchistes, par exemple, mais effectivement réalisable, et prémunie contre les risques de dégénérescence totalitaire, étatiste, nihiliste ou mercantile, alors, oui, le convivialisme apparaîtrait infiniment désirable, digne de tous les combats. Mais il faudrait un peu plus de temps pour le montrer. Et nous avons encore beaucoup de travail à faire, tous ensemble, pour rendre cet idéal convivialiste plus concret et plus visible.

Je vous remercie de votre attention.

NOTES

[1La gauche est à tout moment plus favorable que la droite à l’égalité. Mais égalité de quoi ? Entre qui ? Egalité des individus, des groupes, des pays, des cultures, des Etats, des religions, des sexualités ? La question est assez simple si on parle d’égalité de revenu ou de patrimoine. Beaucoup moins si on veut parler d’une égalité de reconnaissance. Mais, même pour en rester au revenu, tout dépend du niveau de différenciation souhaité. 1 à 5, à 100, à 1000 ? Il faut je crois poser la question à partir du constat suivant : la richesse est accaparé désormais par les 1% ou un pour mille les plus riches et c’est la survie de la planète et d’une certaine humanité qui est en question, et menacée, entre autres mais notamment, par l’explosion des inégalités. Nous ne parviendrons pas à mobiliser planétairement si nous restons dans le cadre de l’opposition droite/gauche classique. Il faut sensibiliser et mobiliser les 90 ou 99%, et pour cela faire alliance avec les religions. Ce n’est pas impossible avec le pape actuel, par exemple, mais il serait hasardeux de le considérer comme de gauche. Voyons aussi le discrédit de la gauche au Brésil. La référence à la gauche ne suffit pas à donner une consistance morale suffisante. Concluons donc que les problèmes les plus cruciaux aujourd’hui ne se posent plus dans le cadre de l’opposition droite/gauche classique. Il faut donc en finir avec les surenchères gauchistes - « Plus à gauche que moi, tu meurs » -, pour aller à l’essentiel. L’opposition droite/gauche sert encore à organiser la politique mais celle-ci est de plus en plus coupée du politique.

[2. Dans La Science de la logique (t.1, Livre 1, section 1, chapitre 1) Hegel explique que Aufheben a en allemand un double sens : il signifie à la fois conserver (bewahren) ou garder (erhalten) et en même temps s’arrêter (aufhören lassen), mettre fin (ein Ende machen). Une traduction courante est : « dépasser en conservant ». On pourrait dire aussi parachever. Parachever pour aller au-delà tout en conservant.