Gilets jaunes mon amour

« Il faut savoir respecter le timing de l’événement qui, à mon avis, est extrêmement long », disait le grand Serge Daney. Ce n’est pas une raison pour ne pas, d’ores et déjà, prendre toute la mesure de ce que signifie l’événement des « gilets jaunes » dans la vie politique non seulement française, mais européenne et mondiale (comme avant lui la Révolution française, le printemps des peuples, la Commune de Paris ou mai 68).

Il ne fait d’ores et déjà aucun doute que le mouvement des « gilets jaunes » constitue le mouvement social le plus considérable à être apparu en France, sinon en Europe, depuis mai 68 (à l’exception sans doute du mouvement Occupy Wall Street, dont l’importance est souvent passée sous silence, et des « printemps arabe », notamment tunisien, auquel il fait plus d’une résonance). Comme mai 68, ce raz-de-marée populaire (et populiste) marque une césure, voire une fracture, comme tout événement, dans l’appréhension que nous avons de la chose politique. C’est-à-dire qu’il nous met sous les yeux le réel de ce que tout le monde pressentait avec amertume depuis longtemps : la (toute) relative dissolution du clivage gauche/droite ; l’exténuation du modèle représentatif de la démocratie ; l’affleurement, à travers les craquelures de ce modèle, de ce que la démocratie a de plus « dérangeant » : sa dimension disparate (et donc le risque de ce qu’on appelle « l’ochlocratie », savoir le pouvoir aveugle et anarchique du seul peuple). Grâce à cet événement, c’est l’amertume (ou la mélancolie « postmoderne ») qui en prend un coup : grâce aux « gilets jaunes », nous nous situons enfin mieux dans notre époque troublée. Et nous pouvons enfin aviser, politiquement, à autre chose que l’éternelle « guerre des civilisations » ponctuée d’actes « terroristes » faussement aberrants, n’exprimant généralement que le désespoir de laissés-pour-compte définitifs, qui trouvent enfin dans le mouvement « gilets jaunes » une courroie de transmission non suicidaire pour s’exprimer. Car les « gilets jaunes », c’est au départ cela : l’expression d’une somme coopérative de désespoirs, non le râle de gens qui, au dire de notre président, « déconnent ». Mais, comme le disait ce bon vieux Marx à peu près, c’est cette situation désespérée même qui, désormais, nous remplit d’espoirs bien fondés.

Le monde occidental, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, s’était démocratisé. L’affrontement des « deux blocs », capitaliste et communiste, a fait long feu ; mai 68, qui pour la première fois appert destiné à ne faire que préfigurer les « gilets jaunes », a été à la fois le surgissement d’une révolution populaire démocratique, et parlait encore le langage marxiste-léniniste de l’affrontement de deux blocs hétérogènes et résolument hostiles. Le conflit avait la forme d’un échiquier ou d’un plateau de wargame, opposant deux camps ou deux armées strictement discriminés dans leurs intérêts et leurs visées (les différences, ensuite, entre communistes, socialistes, léninistes, trotskistes, maoïstes, anarchistes, situationnistes, etc., restaient des sous-ensembles, comme des artilleries ou des cavaleries, d’un même « camp »). La situation politique mondiale est désormais autre : elle a la forme d’un cercle, où un ensemble de périphéries disparates prend d’assaut les cercles concentriques d’un pouvoir (« occupy Wall Street ») depuis longtemps ressenti comme inaccessible, viciant dans ses fondements les acquis de la démocratie. Il s’agit donc d’un cercle brisé : les revendications les plus progressistes côtoient les revendications les plus réactionnaires, les figures les plus pacifiques et sympathiques les trognes les plus violentes et antipathiques, la France la plus « moyenne » se solidarise des marginalités apparemment les plus irrécupérables. Les « gilets jaunes » sont le miroir grossissant de la situation géopolitique planétaire : solidarités entre pauvres et repli identitaire, droits des marges extrêmes le disputant à l’indécidable critère du non-droit pour les intrus, générosité ouverte à l’Autre et paranoïa complotiste.

Avec son « grand débat », le président de la République française semble enfin avoir compris que la déferlante populaire « déguisée » en habits d’ouvriers porte précisément, et au premier chef, sur la forme que doit désormais prendre notre démocratie, c’est-à-dire, de fil en aiguille, tout se qui se revendique du terme dans le monde (par exemple : la démocratie tunisienne en construction, battue en brèche, justement, par le reprise du pouvoir par une oligarchie corrompue et égoïste). Jusque-là, Macron s’était refugié dans le drapé de l’autoritarisme « responsable » (j’applique mon programme, j’ai été élu pour ça, causez toujours), puis du paternalisme « éclairé » (mais une écrasante majorité de factionnaires ne peuvent ne serait-ce que tolérer qu’un jeune yuppie sûr de lui leur donne des leçons d’existence comme un patriarche pénétré, par exemple de « faire des efforts » quand on a une retraite de misère), enfin de l’éternel refrain « voyez quelle chance vous avez de vivre dans l’un des pays les plus prospères du monde » (n’était-ce déjà pas le cas, avec une puissance impériale et un retentissement culturel autrement importants, de la France de 1788 ? Mais il y avait quelque mécontents, et à bon droit : le « tiers état », qui fait son grand retour en force).

Les « gilets jaunes », tout bonnement, prennent le relais de ce qui est la vocation de la France dans le monde depuis plus de deux siècles, en un sens parfois douteusement cocardier et nationaliste, mais, la plupart du temps, pas du tout (on songe à l’adjectif « révolutionnaire » qu’utilisait Hölderlin pour qualifier cela : la « nationel ») : dessiner l’esquisse hologrammatique d’un autre fonctionnement politique de l’agora que celui qui a cours communément, et que tout le monde est censé accepter comme une fatalité géologique parmi d’autres (on vit dans la royauté, la 2e République ou la démocratie ultralibérale comme ça, comme on vivrait dans les montagnes ou au bord de la mer).

Contrairement à ce qu’on rabâche souvent, le clivage droite-gauche n’a pas disparu du paysage politique tant « nationel » qu’international : il se présente à nous différemment, c’est tout. Il ne se présente plus sous la forme de l’affrontement « frontal » de « deux blocs » se regardant en chiens de faïence (la « guerre froide ») avant de s’animer pour menacer de passer aux choses sérieuses (la guerre). Les guerres sont déjà là, un peu partout dans le monde, et, sous couvert de « guerre des civilisations » (qu’il ne faut surtout pas sous-estimer), ont toujours pour enjeu des « bases matérielles de production », notamment le pétrole (c’est pourquoi le « printemps tunisien » est le seul qui n’ait pas fini dans un bain de sang et/ou une dictature : il n’y a pas de pétrole en Tunisie). Il va de soi que, comme annoncé par bien des penseurs (Agamben, le « comité invisible », etc.), ce qui se profile de menaçant derrière le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas la guerre classique de deux camps clairement discriminés (les deux « couleurs » des pièces d’un échiquier), mais le spectre de la guerre civile
. A bien y repenser, la chose était courue depuis longtemps, et, n’en déplaise aux belles âmes qui voudraient le beurre et l’argent du beurre, un événement de cette ampleur ne pouvait, aujourd’hui, avoir lieu autrement que sous cette forme d’un cercle brisé aux circonférences concentriques complexes, et disparates dans leurs composantes : « droitières » et « gauchistes », « gauchistes » et « droitières ». Il faut diagnostiquer le fait au futur antérieur : un événement d’une telle ampleur n’aura pu avoir lieu à moins de cette disparité de composantes. Laissons la rêverie d’une toute uniment « bonne » insurrection, précisément, aux rêveurs nostalgiques d’un temps bien révolu.

Les « gilets jaunes » sont donc, avant toute chose, une négation formelle du modèle représentatif de la démocratie tel qu’il a eu cours jusqu’ici, et dont presque tout le monde était lassé depuis longtemps. Réseaux sociaux, associations directes, complicités improbables entre éléments hétérogènes… c’est la vision corporatiste de l’Etat (« chacun à sa place », « boulot, métro, dodo », voire : « travail, famille, télé ») qui a été mise à mal par ce mouvement, et ce pour toujours. Ce qui a reçu, aussi bien, un coup fatal, c’est la dimension régalienne de la démocratie non seulement à la française, mais mondiale (pensons à l’Angleterre, à l’Espagne, à l’Allemagne, à l’Italie… pour ne citer que nos proches voisins). Pourquoi ? Parce que le régalien n’est rien d’autre que le reste « républicain » des rituels de la royauté. Il en est la parodie. En sorte que « La République en marche » ferait mieux de se rebaptiser : « Le Régalien en berne ».

Il est temps de l’avouer avec un ouf de soulagement : la pompe « jupitérienne » dont s’était paré notre président la République, énarque surdoué et charismatique, frisait le ridicule en rase-motte. Les « gilets jaunes » marquent un crash trop longtemps différé de cette impunité posturale, et un rappel simple à la réalité : si la démocratie n’est plus qu’un jeu joué d’avance de chaises musicales par procuration représentative, alors elle n’en vaut plus la chandelle pour plus grand-monde. Le président tâche, par un coup de jarnac marketing, de feindre en tenir compte en « tombant la veste » devant un parterre fourni d’interlocuteurs. Problème : le public est conquis d’avance, puisque composé encore et toujours de représentants étatiques élus dans des conditions similaires aux siennes, et pour les mêmes raisons que lui, quelles que soient leurs appartenances partisanes. Mais il est déjà trop tard. Il aurait fallu battre le fer tant qu’il était chaud : refroidi, il restera aussi tenace qu’une Excalibur plantée dans l’enclume. Personne ne dénie à notre président le fait qu’il soit brillant, mais faire étalage de ses dons de tribun auprès d’une audience par définition commise d’office pour l’approuver ne fera qu’aggraver son cas : tant qu’à se la jouer paternaliste rassurant, les français préféraient de loin un dadais vieillissant et paresseux engoncé dans ses tics (Chirac), avare de sa parole, comme tout père de famille bourru, ne disant pas qu’il ne ferait pas grand-chose pour eux, pour être « rassurés » ; plutôt que quelqu’un qui « leur » parle en se mettant en scène pendant sept heures pour ne rien dire qui n’ait déjà été dit. Les « gilets jaunes », cette représentation non représentative du peuple, lui fera d’autant plus la sourde oreille, et ne serrera pas la main à quelqu’un qui, deux mois trop tard, en est encore à serrer la main de ses délégués pour lénifier une populace qui a ses règles.

Il n’a toujours pas compris, pas plus que le personnel politico-journalistique dans son écrasante majorité (ce que j’appelais il y a longtemps le « médiatico-parlementaire »), ce qui est littéralement en jeu dans le mouvement des « gilets jaunes » : l’assaut de ce que j’appellerais un extrême-centre par les bords de la société civile. On parle toujours, généralement pour pousser des cries d’orfraies, de « l’extrême-gauche » ou de « l’extrême-droite » : jamais on n’évoque ce qui est devenu de longue date, par la collusion étroite de la « Phynance » de Jarry, du politique et du médiatique, d’une véritable superstructure d’extrême-centre, véritable nouveauté historique des décennies qui ont succédé à la chute du mur de Berlin.

Autant dire que ce qui nous semblait, naguère encore, insurmontablement compliqué est devenu, grâce aux « gilets jaunes », « seulement » complexe. « L’extrême-centre », ce sont les oligarchies financières, politiques et journalistiques, qui marchent main dans la main, demandent des comptes (littéralement et en tous sens) à tout le monde (« vous déconnez », « vous ne faites aucun effort »), sans jamais à avoir en rendre à personne. Le peuple réel se soulève-t-il que, surprise ! Il sent l’ail, est assez souvent xénophobe, homophobe, sexiste et antisémite. Mais il est très facile de dénoncer tout cela tant qu’on reste, justement, dans un confortable cercle parisien qui administre de bonnes leçons de tolérance entre deux dîners en ville avec des gens du même milieu que vous. Et je le dis à peine en mauvais part : comme le disait avec son lucide cynisme habituel Eustache : « On ne fréquente que des gens de son niveau ». Mais enfin, il faut parfois se réveiller un peu, et se dépayser. Je préfère encore discuter directement avec quelqu’un de raciste, misogyne ou conformiste sexuellement, pour tâcher de l’acculer à ses contradictions par des arguments rationnels, que de lui administrer des leçons de bien-pensance par articles interposés, en jetant par exemple 90% des films du cinéma aux poubelles du l’Histoire sous prétexte que la « représentation de la femme » n’y est pas politiquement correcte. Si l’art avait été là pour montrer tout uniment le Bien, ça se saurait depuis la Tragédie attique.

C’est dire là quelque chose de très simple : il est faux de dire que « les extrêmes se rejoignent ». Le président en place n’a été élu que par 20% de français ; les partis qu’on qualifie d’« extrémistes » ont récolté près de la moitié des votes au premier tour des élections présidentielles. C’est faute d’avoir été écoutés aussi peu que ce soit, par ce que le journalisme appelle un peu légèrement la « révolution par les urnes » (pur oxymore), que les « gilets jaunes » préfèrent désormais se faire entendre de manière directe, et discuter dans la rue avec leurs adversaires idéologiques : le lecteur de « L’humanité » croisant directement ses ordres de raison avec l’abonné aux « Valeurs actuelles », l’inconditionnel de « Médiapart » acceptant de débattre avec son voisin des mérites de l’info selon Dieudonné, le « branché » fauché habitué des « Inrocks » croisant le fer casuistique avec le néo-hussard féru de « L’incorrect ». C’est comme ça. Et si ça ne s’appelle pas la démocratie, au sens quasi grec du terme, alors qu’on me dise ce que c’est. Les retraités (gérontopolitique), les handicapés, les fous et leurs droits s’invitent eux-mêmes dans les débats : si ce n’est pas de la politique deleuzo-foucaldienne en acte, je ne sais pas ce que celle-ci peut bien être, en dehors des revues attitrées et dûment signées par des normaliens. La marginalité, la déréliction, le détraquage, s’invitent à la table de négociations : s’il n’y a pas là un effet inattendu de l’insurrection (toute révolution, ai-je longtemps dit dans le désert, révolutionne notre idée même de la révolution), alors qu’on me dise où suivre un cours de rattrapage.

C’est que le centre, et les partis qui veulent encore le représenter (Parti Socialiste et néo-républicains) n’est pas moins extrémiste que ceux qu’on appelle « extrémistes ». Rien n’est plus extrémiste et meurtrier de nos jours que l’esclavagisme délocalisé du néolibéralisme défendu la main sur le cœur par la plupart des nos éditorialistes, intellectuels médiatiques et politiques naguère encore « de gauche ». Tout le monde, en un sens, est devenu extrémiste et jusqu’au-boutiste, notre président le premier : l’événement « gilets jaunes » ne faisant « que » révéler cette vérité-. Ce qui est aux prises, ce sont les cercles périphériques populaires, brisés et hétérogènes, aux cercles concentriques du pouvoir financier, politique et médiatique, beaucoup plus homogènes sur ce qui doit être « l’essentiel » : l’avalisation « fataliste » du néolibéralisme, appointée de passionnants « débats » idéologiques cousus de fil blanc (le cinéma est-il ontologiquement misogyne ? Yann Moix est-il un gougnafier machiste ? Hanouna est-il responsable d’homophobie ? A toutes ces questions la réponse est si évidente qu’on brasse du vent à longueur de pages « Discussions de société »). Comme le disait Duras au sujet non fortuit d’un certain féminisme : « Il y a des contre-idéologies plus codifiées que l’idéologie elle-même ». Ce sont ces « contre-idéologies » qui, depuis une couffe, alimentent l’essentiel du débat « démocratique » représentatif (il suffit de taper les sommaires de « Yahoo actualité » pour être accablé par ce point).

C’est que le centre, c’était, du temps de la « guerre frontale » opposant idéal communiste ou socialiste au Capital, la démocratie. Plutôt libérale, ou sociale-démocrate (beau pléonasme). Ce truisme était devenu la propagande d’aujourd’hui  ; à ce détail près : il était, sur les entrefaites, devenu faux. Telle est l’implacable démonstration des « gilets jaunes » : la démocratie, ce n’est plus « l’extrême centre » ayant succédé à la chute du mur de Berlin, concentrant résignation au Capital, propagande culturelle politiquement correcte et gestion répétitive des affaires courantes, mais bien « la voix du peuple ». La démocratie, ce sont les périphéries, même fascistes, contre cet extrême-centre vampirique de la Phynance incarnée par notre sémillant et séduisant président, et ses cercles (ses cours régaliennes) de complicité, qui sont, et pas qu’en France, une dictature de fait, celle de la démocratie seulement représentative, pas moins mise à mal en Angleterre qu’en Espagne, en Italie qu’aux Etats-Unis. Cela devrait aller sans dire, mais comme nul ne le dit, ça ira mieux en le disant : que la « révolution populiste » annoncé avec lucidité par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ait pris la forme des « gilets jaunes », non de Donald Trump, du mouvement cinq étoiles ou de Thérésa May, c’est l’honneur de l’histoire politique « nationnelle » française qui est démontré, son « ADN » comme on dit aujourd’hui, non sa honte. Le message performatif lancé par les « gilets jaunes » à leur temps est vieux comme l’insurrection elle-même : « l’ordre règne, mais ne gouverne pas ». L’extermination décalée de l’ultralibéralisme règne à travers la « démocratie » représentative, mais a de plus en plus de mal à faire en sorte que ses commis d’office politiques « librement élus » gouvernent. La preuve en Italie ou en Espagne : même les urnes sont effectivement prises d’assaut par le « sel de l’humanité ».

Tout événement est un terrible révélateur de vérité. Pour la première fois de toute ma vie, je vois les journalistes habituellement « neutres » prendre parti sur les événements. La stratégie de la majorité d’entre eux : monter en épingle les seules « violences » commises par des « gilets jaunes » ultra-minoritaires, et pourtant parties prenantes du mouvement (par exemple un boxeur paumé qui met à contribution son seul talent existentiel pour se faire remarquer par un « actionnisme situationniste » de type inédit, quelque « choc » que les images produisent sur nos belles âmes de consommateurs de téléfilms gore). Ce qui permet de passer par pertes et profits les innombrables revendications pacifiques de l’écrasante majorité des autres gilets jaunes, dans leur disparité même : mais qui contiennent au moins toutes un fil commun : plus de démocratie authentique, et plus directe (même les violences sont une telle revendication). L’indignation de ces présentateurs si évidemment « de droite » (« plus de répression, Mr le préfet ! Cette violence est inadmissible ! »), croyant calmer le jeu à moyen ou long terme, ne fait en réalité qu’alimenter son moulin d’eau frelatée, puisque le message parvient aux citoyens sous sa forme inversée : seule la violence permet de se faire entendre. Jamais les médias n’ont joui d’aussi peu de crédits auprès du gros de la population. Jamais sa fonction de pure et simple propagande n’était apparue sous un jour aussi évident. Car il faut le dire haut et fort : toutes les « violences » sans exception commises par les « gilets jaunes » étaient symboliques.

Entendons-nous bien : symboliques ne veut pas dire « métaphorique ». Ca a véritablement castagné, blessé, voire tué ici ou là. Mais toutes ces violences avaient pour fonction d’atteindre aux symboles de la « démocratie » représentative, qui ne représente plus depuis longtemps que les intérêts de l’oligarchie financière, ce que mon ami Christophe Petit, économiste autodidacte de génie, appelle la « dictature oligarchique de la rente ». N’en déplaise encore aux belles âmes « démocratiques », le mouvement des « gilets jaunes » n’a pas vu une seule violence gratuite se produire dans son raz-de-marée. Toutes les violences visaient en toute clarté une cible symbolique : symbole du « totalitarisme soft » qu’est objectivement le régalien ancillaire des oligarques de la Phynance.

Le piège régalien se referme donc sur le Roi nu, qui, après avoir tombé la veste, se verra bien obligé de « tomber la chemiseux », en trinquant un coup de pinard de table avec un agriculteur sur la paille, une retraitée édentée, ou un ouvrier en sidérurgie au chômage devenu schizophrène, plutôt qu’avec des Maires arborant « fièrement » leur ruban (personnellement, je trouve ce look un peu piteux). Pour le dire avec un Presciado teinté de lacanisme (pur oxymore encore, je sais) : le premier, dans toute l’affaire, à être « dévirilisé » et privé de son phallus symbolique, c’est le président « jupitérien », qui se croit en bout de chemin de croix. Celui-ci ne fait que commencer. Il devra aller jusqu’au bout s’il espère qu’une résurrection peut lui être promise. Sinon, comme pour Trump, ce sera, au bout, la destitution.

Politiquement, ce n’est pas une mauvaise nouvelle ; c’est au contraire le sceau ultime de ce qui s’appelle, en philosophie moderne, un événement. A bonzes entendeurs, salut.

// Article publié le 10 mars 2019 Pour citer cet article : Mehdi Belhaj Kacem , « Gilets jaunes mon amour », Revue du MAUSS permanente, 10 mars 2019 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Gilets-jaunes-mon-amour
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