Et maintenant ?

Europe, environnement, dette mondiale : les candidats à la présidentielle ont tous eu une approche parcellaire ou rhétorique de ces problèmes colossaux. Aucun n’a su amorcer une sortie de l’économisme.

Déjà au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle on comprenait bien les raisons pour lesquelles l’offre politique proposée à nos suffrages, celle des gagnants comme celle des perdants, s’avérait dramatiquement insuffisante. Cette incapacité des programmes politiques à identifier les défis cruciaux de notre temps et à y proposer des remèdes plausibles n’est bien sûr pas propre uniquement à la France.

Il est d’ailleurs possible, avec l’élection d’Emmanuel Macron, que nous nous en tirions plutôt moins mal que nombre de pays comparables, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie ou l’Espagne, par exemple. Reste qu’aucun des candidats n’a su nommer et dire comment affronter l’ensemble des problèmes colossaux (de l’environnement jusqu’à la dette mondiale…), qui se posent à nous, en les saisissant dans leur cohérence systémique et dans leur interdépendance [1].

Tous ces problèmes sont en réalité bien connus et énoncés par un peu tout le monde. Mais tout se passe comme si chacun des candidats ne s’était saisi que d’une partie d’entre eux, en ignorant radicalement les autres, sauf à en parler de manière purement rhétorique.

De l’idéal de la Nation

La candidate du Front national s’est emparée de la question de la perte des solidarités et de l’idéal de la nation, ce qui lui a valu son succès. Qu’est-ce, en effet, que la nation, dont elle se fait la championne, sinon le plus grand espace de solidarité politique, économique et sociale connu jusqu’ici ? Mais le FN entend la faire revivre dans sa formule d’il y a cinquante ans, en la réservant aux autochtones ou assimilés, et dans l’espoir qu’une sortie – à terme inconnu – de l’euro et de l’Europe suffise à relancer une croissance digne de celle des Trente glorieuses, résolvant ainsi tous les problèmes de chômage, sans avoir à se soucier, en plus, de questions écologiques.

La victoire du candidat d’En marche a le mérite de ne pas affoler les marchés financiers, au contraire, et de ne pas peser sur les taux d’intérêt à partir desquels l’Etat français refinance sa dette. Peut-être même permettra-t-elle de relancer a minima une croissance française atone, et de résorber un peu de chômage en suivant avec dix ou quinze ans de retard l’exemple de l’Allemagne, au risque de multiplier les working poors. En tout état de cause rien n’est réellement dit ni sur les défis environnementaux, ni sur le projet européen, ni sur notre asservissement aux marchés financiers et sur les inégalités obscènes, ni sur la nécessaire refondation de l’idéal démocratique.

Quid des trois autres grands candidats du premier tour ? Outre sa moralité personnelle douteuse et ses tropismes ultradroitiers, le programme du candidat des Républicains était encore plus silencieux sur tous ces points. Il s’agissait en réalité, au moins au plan économique et social, de la version hard du programme d’En marche, qui était la version soft du programme adopté suite à la primaire de la droite et du centre.

A gauche, les candidats du PS et des « Insoumis » ont eu le mérite d’accorder une place importante à la question écologique même si, en définitive et en réalité, on ne les a pas beaucoup entendus sur ce point durant la campagne. Benoît Hamon s’est montré le plus audacieux et le plus inventif en exposant de manière très pédagogique les problèmes qu’allaient soulever la fin de la croissance et la numérisation accélérée de l’économie. Mais il n’a pas su tenir sa ligne ni sur le fond ni stratégiquement.

De l’économisme

Stratégiquement, une fois acquis l’adoubement de la primaire, il fallait s’adresser au peuple français dans son ensemble au lieu de tenter de conquérir tout l’espace, restreint, de la gauche de gauche, comme avait voulu le faire à ses dépens Mélenchon lors de la précédente élection présidentielle. Même si la tentative avait réussi, elle se serait révélée bien insuffisante. Quant au fond, le candidat des frondeurs s’est curieusement refusé pendant trop longtemps à chiffrer le coût de son projet de revenu universel, laissant ainsi croire qu’il s’agissait là d’une mesure peut-être sympathique mais à coup sûr totalement utopique, pour, in fine, ne plus la défendre qu’à titre de mesure keynésienne susceptible de relancer l’économie. La vision sociétale était retombée dans l’économisme. Et le projet européen restait bien vague et incertain faute de relais européens plausibles.

Quant au candidat de la France insoumise, ayant appris de ses erreurs passées, il avait troqué ses allures d’homme tout empli de bruit et de fureur pour celle d’un tribun cultivé et bonhomme. Ça lui a réussi, plus qu’espéré. Mais ses alliances internationales douteuses, le soutien à Poutine, sans doute, mais surtout le refus de condamner le régime meurtrier du président vénézuélien Maduro, son apologie incompréhensible du régime chinois – quintessence du capitalisme le plus violent développé au nom du communisme –, tout ceci n’a pas contribué à la clarification nécessaire. Et, au bout du compte, comme chez Marine Le Pen, mais pour d’autres raisons et avec un autre argumentaire, il en est resté à l’idée qu’en battant froid à l’Europe et en augmentant encore l’endettement et les impôts, on allait pouvoir favoriser le retour d’une forte croissance et répondre à toutes les aspirations populaires. Ici aussi, malgré la conversion à l’écologie, le remède à tous nos maux est recherché dans un retour à la croissance. En un mot, aucun des candidats n’a su amorcer une sortie de l’économisme.

Du convivialisme

Partout dans le riche monde occidental, sauf dans quelques pays encore – en Allemagne par exemple – le jeu de l’affrontement institutionnel entre une droite et une gauche raisonnables, vole désormais en éclats. C’est qu’il ne s’agit plus, ou plus seulement, de tempérer l’Etat par un peu plus de marché, ou le marché par un peu plus d’Etat. Les problèmes que nous avons à affronter sont désormais d’une toute autre ampleur. Nous ne pouvons plus nous contenter pour les penser, de tenter d’imaginer on ne sait quelle variante de libéralisme et de socialisme hérités (ou d’anarchisme et de communisme). C’est, dans leur prolongement, une toute autre pensée politique qu’il nous faut maintenant élaborer. Une pensée politique à l’échelle du monde et à la hauteur des défis environnementaux, mais qui n’ignore pas la réalité des cultures et des nations, ainsi que leur diversité. C’est à cette tâche que s’emploient, par exemple, à l’échelle mondiale, les intellectuels, d’obédiences idéologiques variées, qui se reconnaissent dans le convivialisme (www.lesconvivialistes.org).

La force du convivialisme lui vient de la pluralité idéologique de ceux qui se reconnaissent en lui. Malgré l’ampleur des divergences qui peuvent séparer sur nombre de points ceux qui s’en réclament, tous ont en commun la certitude que les problèmes que nous avons à affronter doivent être perçus et traités dans leur interdépendance globale, sans en oublier aucun. Au-delà du consensus sur les valeurs convivialistes ultimes qui doivent guider toute action, un large accord existe sur les points suivants :

  • Comme il est impossible de continuer à faire reposer l’adhésion à la démocratie sur l’éternelle promesse du retour d’une forte croissance du PIB, censée avoir réponse à tout, il faut rechercher les fondements de cette adhésion dans un profond renouvellement de l’idéal démocratique lui-même.
  • Ce renouvellement passera par un nouvel équilibre entre démocratie représentative, participative, directe et d’opinion, donnant toute sa place à la société civique.
  • Il suppose qu’on se demande comment améliorer le fonctionnement de toutes nos institutions (école, hôpital, justice, prisons, université, etc.) et rendre la société plus facile à vivre pour tous même si une croissance significative du PIB devait ne pas revenir.
  • Il suppose également une lutte résolue contre le chômage structurel. Elle reposera sur l’adoption d’une forme ou une autre de revenu universel fonctionnant comme une incitation à la reprise du travail (et non au retrait) dans le cadre d’une politique systématique de relocalisation et de développement d’une économie verte, sociale et solidaire.
  • Il implique que l’acceptation des règles de l’économie de marché aille de pair avec une lutte résolue contre l’explosion des inégalités, la spéculation financière, les paradis fiscaux et la corruption.
  • Un tel projet de refondation démocratique ne prendra pleinement sens et effectivité que s’il devient celui de tous les peuples du monde, mais il revient aux pays les plus riches de donner l‘exemple. Il doit servir de base à une régénération complète de l’idéal européen.

Quel parti saura-t-il se faire le porteur de cette vision convivialiste dans le cadre des prochaines législatives ? Ou après ?

***
Derniers ouvrages parus d’Alain Caillé : Eléments d’une politique convivialiste, sous la direction d’A. Caillé, Le Bord de l’eau 2017, et Redignez-vous. Journal de l’après 13 novembre, Le Bord de l’eau, 2017.

// Article publié le 25 mai 2017 Pour citer cet article : Alain Caillé , « Et maintenant ? », Revue du MAUSS permanente, 25 mai 2017 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Et-maintenant
Notes

[1Les défis environnementaux, de tous ordres, qui représentent un péril mortel pour l’humanité ; le ralentissement structurel, « séculaire », de la croissance, et l’induration d’un chômage de masse ; un chômage que les progrès de la robotisation et de l’intelligence artificielle ne peuvent qu’accroître ; l’accaparement d’une part toujours plus grande de la richesse mondiale par un nombre toujours plus restreint de firmes toutes-puissantes (les Gafa, notamment) et de multimilliardaires ; l’impuissance des Etats face à l’hégémonie des « marchés » ; l’incapacité de l’Europe à s’y opposer et à dessiner ne serait-ce qu’un embryon de projet susceptible de donner espoir à la jeunesse ; le défi terrorisant que nous adresse l’islamisme radical ; la perte des solidarités, le développement du chacun pour soi, et la montée de la corruption qui en résulte (ou réciproquement) ; une désaffection pour la démocratie qui va de pair avec une rupture croissante entre les peuples et les élites censées les représenter ; l’ampleur insupportable et insoutenable de la dette mondiale, etc.

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